Etre objectif : chose vs. Idée

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 31 déc. 2006, 18:28

Salut Miam!

voici enfin un début de réponse. Comme je dois partir beaucoup plus tôt que prévu, je ne vais pouvoir m'en tenir qu'à un seul aspect de ce que tu écris, mais cela permettra peut-être déjà de clarifier certaines choses.

Au préalable: ayant lancé ce sujet de l'être objectif il y a un an ici, et n'étant pas très présente sur ce forum depuis lors, je me rends bien compte de ce que le fait de reprendre ce même sujet donne l'impression d'être une 'fidèle' de Rousset et/ou d'être obsédée par ce problème de l'objectif chez Spinoza, mais en réalité, d'une part je n'ai pas pu m'occuper de Spinoza pendant de longs mois, et d'autre part, me plongeant dans la 5e partie de l'Ethique, je rencontrais par hasard, il y a deux semaines, le livre de Rousset là-dessus. En lisant le début, je tombais sur le passage que j'ai cité ci-dessus, et qui reprend effectivement la question d'il y a un an, mais dans un contexte différent (celui des Cogitata). Or n'ayant quasiment encore rien lu de Rousset, je n'ai aucune opinion par rapport à la qualité de ces travaux. Ce passage me faisait tout simplement reprendre le problème d'il y a un an, problème qui clairement pour toi est résolu, mais bon, il est indéniable que tu es à une profondeur de lecture qui n'est pas encore la mienne (comme l'a bien remarqué Henrique, il y a un tas de questions techniques chez Spinoza que je ne maîtrise pas encore). D'où ma question ci-dessus, sans plus.

Comme déjà dit dans ma réponse à Pourquoipas, appeler l'idée chez Spinoza un 'être objectif' entre-temps ne pose plus de problème pour moi. Il y a bien sûr 2.8, mais en général, il suffit de comprendre par 'être objectif' un être qui se caractérise par le fait d'avoir un objet pour pouvoir accepter cette identification.
Or si, comme tu le dis en confirmant Pourquoipas, dans les Cogitatae Spinoza puise encore largement dans un vocabulaire scolastico-cartésien, et si tu dis (ce que je ne savais pas et si je t'ai bien compris) que pour les scolastiques, ce qui est objectif, c'est l'objet, alors je n'ai pas tout à fait compris ton problème avec l'idée de traduire là, dans ce passage précis, le 'objectivè' par 'sous forme d'objet'. Car on obtient alors seulement que l'idée acquiert son 'être' du fait que son objet, une chose, est contenu en tant qu'objet d'une idée qui est en Dieu. Tu sembles dire que pour toi, cette traduction implique également que ce seraient les idées qui soient les objets de l'idée de Dieu, chose qui me semble effectivement dificilement justifiable, mais je ne vois pas pourquoi cette conclusion s'impose.
Ceci étant dit, il y a de toute façon pas mal de choses qui m'échappent dans ce que tu écris, et qui me semblent bien intéressantes. Peut-être que dès lors, il vaut mieux d'abord te dire ce dont je ne suis pas certaine de l'avoir bien compris, dans tes deux messages. Pour commencer au début:

Miam a écrit :D’une part « objective » doit être traduit par « objectivement ». C’est incontestable. Le traduire comme le fait Rousset est une aberration. C’est un artifice qui permet à Rousset de considérer ce qui est contenu dans l’idée de Dieu comme des objets et non comme des idées objectives dans la mesure où toute idée est l’idée d’un objet. Bref, comme je te l’ai déjà expliqué, Rousset part de l’acception scolastique de « objective » selon laquelle l’objectif c’est l’objet contenu dans l’idée alors qu’il est évident qu’il s’agit des idées elles-mêmes en tant qu’elles sont idées d'objets


donc jusqu'ici, je crois pouvoir te suivre.

Miam a écrit :
et non pas modes, c'est à dire en tant qu'elles sont contenues dans l’idée de Dieu, en tant qu’elles sont divisibles analytiquement (l'idée de Dieu est un mode et donc est divisible) – composées et pas seulement constituées, puisque, précisément, elles ont un objet. C'est ce qui permet de distinguer telle idée d'une autre en tant qu'elle a un objet différent d'une autre.


il est certain que je n'ai pas encore très bien compris cette idée d'indivisibilité de la substance. Peut-être est-ce ce qui fait que je ne sais pas trop comment interpréter ce que tu écris ici. Si tu dis que l'idée de Dieu est un mode et donc est divisible: ok. Ce que je ne comprends pas, c'est que tu sembles dire qu'il s'agit des idées en tant qu'elles sont idées d'objets (ok aussi), mais tu y ajoutes: et non pas modes. Or si les modes se caractérisent par le fait d'être composés, c'est-à-dire d'avoir un objet, comment peut-on penser les idées en tant qu'elles sont des idées d'objets tout en ne les pensant pas comme modes?
Si tu as l'impression que l'explication se trouve dans la suite de ton message: pas de problème, je le relirai de tout façon demain avant de t'envoyer quelques autres remarques/questions.
En attendant ... une excellente fin d'année à toi!
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Messagepar Miam » 02 janv. 2007, 13:49

"si les modes se caractérisent par le fait d'être composés, c'est-à-dire d'avoir un objet"

D'abord si tout mode est composé ce n'est pas pour cela qu'il a un objet. Quel est l'objet d'un mode étendu ? Nada.
Ce ne sont pas les idées-modes qui ont un objet mais les idées-êtres objectifs qui ont comme objets tous les modes, y compris les idées-modes. L'idée de l'idée c'est l'idée-être objectif d'une idée-mode. Bien sûr l'idée mode et l'idée être objectif sont une seule et même chose, de même qu'à peu près tout dans la métaphysique spinozienne est une seule et même chose (Dieu, son entendement, ses attributs, la pensée et l'étendue, ses affections sont une seule et même chose). Mais l'une est considérée comme contenue dans un attribut indivisible tandis que l'autre est considérée comme contenue dans l'idée divisible de Dieu : ce qui permet à ces dernière d'être des idées d'objets (une idée - un objet) et non aux premières. Ce qui permet aux première de relever de la pensée discursive, ou du moins logique, à la cartésienne, et non aux secondes. C'est pas compliqué pourtant.

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Messagepar Miam » 02 janv. 2007, 15:23

Du reste, ce qui après les Postulats de l'Ethique est dit composé, c'est l'être formel du mental (mode du penser). Cet être formel, comme le montrent les propositions précédentes à partir de II 11, est composé non pas d'autres modes du penser mais des idées des affections du corps, puisque l'être du mental est constitué de l'idée (être objectif) du corps. Ces idées qui constituent le mental sont des êtres objectifs. Pas des modes du penser. Les modes du ppenser ne se comosent pas les uns les autres. Ils relèvent de ce que Zourabichvili nomme la "physique de la pensée" : tous les modes ont une même essence : celle indivisible de l'attribut et de la Substance. Ils sont synthétiquement liés pour l'éternité dans cette essence et on ne pourrait les diviser ni les composer sans qu'ils deviennent les objets des idées-êtres objectifs. Ce qui n'empêche pas toutes les idées, modes du penser et êtres objectifs et a fortiori, tous les autres modes, de suivre un même ordre. Il y a chez Spinoza un espace de pensée pré-logique ou préduscursive qui semble être absent chez Descartes (malgré ses interprétations phénoménologiques).

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Messagepar Louisa » 02 janv. 2007, 16:09

Salut Miam,

apparemment je n'ai pas vraiment réussi à t'expliquer ce que je ne comprenais pas dans ton message précédent, donc voici une deuxième tentative.

Miam a écrit :Louisa:
"si les modes se caractérisent par le fait d'être composés, c'est-à-dire d'avoir un objet"

D'abord si tout mode est composé ce n'est pas pour cela qu'il a un objet. Quel est l'objet d'un mode étendu ? Nada.


bon, cela je l'avais tout de même compris, comme je l'écris un peu plus haut dans mon message précédent. Dans la phrase que tu cites, je ne voulais effectivement parler que de ces modes que sont les idées.

Miam a écrit :
Ce ne sont pas les idées-modes qui ont un objet mais les idées-êtres objectifs qui ont comme objets tous les modes, y compris les idées-modes. L'idée de l'idée c'est l'idée-être objectif d'une idée-mode. Bien sûr l'idée mode et l'idée être objectif sont une seule et même chose, de même qu'à peu près tout dans la métaphysique spinozienne est une seule et même chose (Dieu, son entendement, ses attributs, la pensée et l'étendue, ses affections sont une seule et même chose). Mais l'une est considérée comme contenue dans un attribut indivisible tandis que l'autre est considérée comme contenue dans l'idée divisible de Dieu : ce qui permet à ces dernière d'être des idées d'objets (une idée - un objet) et non aux premières.


oui d'accord, mais mon problème, c'est que tu écrivais dans ton message précédent: "l'idée de Dieu est un mode et est donc divisible".

Ma question était: comment vois-tu les modes chez Spinoza, comme divisibles ou indivisibles? Car comme tu le disais dans ton message précédent et le répète ici, le mode (quand je parle de mode dans ce contexte, c'est toujours l'idée en tant que mode, et non pas les modes des autres attributs) pour toi c'est l'idée comme contenue dans l'attribut indivisible. Cela - ensemble avec le fait que tu dis que considérer l'idée comme composée d'un objet et donc dans sa divisibilité, c'est l'idée considérée comme contenue dans l'idée divisible de Dieu - me donne l'impression que donc tu veux dire que le mode est indivisible. Or dans la phrase que je viens de prendre de ton message précédent, "l'idée de Dieu est un mode et EST DONC divisible", tu dis donc qu'être un mode, c'est être divisible.
D'où mon problème: tu veux dire qu'il faut considérer les modes comme divisibles ou comme indivisibles?

Sinon en général (mais là il s'agit moins de ce que tu écris mais de la pensée de Spinoza lui-même) je ne comprends pas trop ce que Spinoza veut dire par 'divisible'. Dans le sens ordinaire, ce qui est divisible contient de différents éléments ou parties. Par exemple : chaque attribut contient des modes. On pourrait dire que dans ce sens, il est divisible. Or si l'attribut n'est pas divisible, il faudrait en conclure que Spinoza veut dire autre chose par 'divisible' que de contenir de différents éléments. Si par être divisible il veut donc dire 'contenir un objet', alors seules les idées sont divisibles. Mais on sait que le Corps contient une infinité d'individus corporels et est divisible. Pourtant, le Corps est un mode de l'attribut Etendue, qui, si j'ai bien compris, est indivisible. Comment quelque chose d'indivisible peut-elle contenir des éléments divisibles?

Je sais bien que chez Spinoza, tout est une question du 'respectu', du point de vue que l'on prend sur la seule et même chose pour le qualifier tantôt de x, tantôt de y. Etre en même temps divisible et indivisible doit donc, du moins en théorie, être possible, il suffirait de changer le regard sur cette chose pour comprendre en quoi elle est tantôt l'un, tantôt l'autre. Mais justement, pour l'instant je ne vois pas quel point de vue permet de désigner quelque chose comme divisible et lequel permet de voir la même chose comme indivisible. Tu sembles dire: le point de vue du mode rend une chose indivisible, le point de vue de l'idée de Dieu divisible (j'omets un instant la phrase problématique de 'mode et donc divisible'). Mais quelle pourrait être l'essence de l'attribut Pensée si ce n'est que d'avoir des objets (situés dans le même attribut ou dans d'autres), contrairement aux autres attributs? Et en plus, justement, Spinoza dit que la Substance donc Dieu est indivisible. Si on suit ce raisonnement, cela devrait être Dieu comme mode. Mais comment concevoir Dieu comme une affection de lui-même ... ? Et si Dieu est indivisible, comment concevoir son idée comme divisible? Bref, pour l'instant il y a pour moi encore pas mal d'obscurité autour de ces notions, je crains :? .
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Messagepar Louisa » 02 janv. 2007, 19:30

Salut Miam,

dans le cas où ton essence se définirait par un grand désir pédagogique ... voici une autre question cc ton premier message à ce sujet.

Miam a écrit :Lorsque Spinoza écrit l’ »être » d’une chose, il s’agit de cette chose considérée DANS TOUS LES ATTRIBUTS et, pour nous AU MOINS DEUX. C’est pourquoi il s’agit dans l’Ethique en II 11 de l’ETRE du Mental constitué de l’idée (ie ici être objectif) d’une CHOSE SINGULIERE EXISTANT EN ACTE contenu AU MËME NIVEAU CAUSAL dans TOUS LES ATTRIBUTS, sans quoi il ne pourrait EXISTER EN ACTE et demeurerait une essence objective susceptible de ne pas exister au sens courant (cf. II 8 et 8s), c’est à dire un MODE contenu dans son SEUL attribut. C’est seulement de cette manière qu’il convient de distinguer l’essence et l’être et c’est pourquoi Dieu est un ETANT absolument infini (une infinité d’attributs) alors que son ESSENCE est seulement infinie, de même que toute substance Y COMPRIS CELLES QUI SONT CONSTITUEES D’UN SEUL ATTRIBUT (par hypothèse avant la construction de Dieu) comme en I 8.


Donc si je t'ai bien compris, selon toi:
- l'être d'une chose = cette chose considérée dans tous les attributs
- une essence objective d'une chose = cette chose considéré dans le seul attribut de la Pensée = cette chose comme mode contenu dans l'attribut de la Pensée
- l'essence d'une chose = cette chose considérée dans un seul attribut
- Dieu est absolument infini en tant qu'être, mais seulement infini en tant qu'essence.

Si cela est selon toi correcte, voici quelques problèmes:
- si l'essence d'une chose est cette chose considérée dans un seul attribut, comment considérer l'essence de Dieu, qui pourtant est constituée d'une infinité d'attributs?
- dans 1.11 scolie Spinoza écrit que l'essence de Dieu enveloppe l'absolue perfection. Quelle serait la distinction à faire entre 'un être absolument infini', 'une essence seulement infinie', et 'une essence qui enveloppe l'absolue perfection'? Il serait donc possible qu'une essence qui n'est pas absolument infinie enveloppe tout de même l'absolue perfection? Comment concevoir une telle essence?

Voici donc quelques questions supplémentaires que je me posais en 'expérimentant' ta lecture. Si essayer d'y répondre t'apporte quelque chose, tant mieux, sinon laissons tomber bien sûr.
Bien à toi,
Louisa

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Messagepar Louisa » 02 janv. 2007, 20:19

PS: autre problème: tu dis que "l'être d'une chose", c'est "cette chose considérée DANS TOUS LES ATTRIBUTS, et pour nous au moins deux", tandis que le mode est la chose "contenue dans son seul attribut".

Or je trouve ceci en 2.5:

"L'être formel des idées est une manière de penser (comme il va de soi), c'est-à-dire une manière qui exprime de manière précise la nature de Dieu, en tant qu'il est chose pensante, et par suite n'enveloppe le concept d'aucun autre attribut de Dieu".

Ici, on dirait tout de même qu'il s'agit d'un être, mais dont il dit littéralement que cet être n'est qu'un modus cogitandi, donc un mode d'un seul attribut. Un être qui exprime de manière précise Dieu en tant que considéré dans un seul de ses attributs, celui de la Pensée. Si on suit tes précisions, ne devrait-on pas avoir ici 'essence formelle' au lieu d'être formel? Car tu viens d'écrire que "lorsque Spinoza écrit essence, il considère la chose telle qu'elle est contenue dans UN attribut".
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Messagepar Pourquoipas » 02 janv. 2007, 20:59

Bonsoir, Louisa,

Louisa a écrit :(...)
Quant à la traduction de Rousset ('contenues en l'idée de Dieu sous la forme d'objet') et la façon dont tu l'interprètes (contenues dans les idées de Dieu): je ne suis pas certaine d'avoir bien compris la question que tu poses. Si toutes les choses sont pensées par Dieu, alors elles sont en tant qu'idées comprises dans l'idée de Dieu. Mais je ne vois pas en quoi cela impliquerait que du coup, ces idées n'auraient plus de contenu, c'est-à-dire d'objet. En tout cas, j'avais moi-même interprété ce passage comme tel: les choses sont les objets d'idées qui sont pensées par Dieu, et qui par là forment l'idée de Dieu, ou y sont comprises. Si cette interprétation est correcte, il n'en suit pas que les idées et leur être tel que Spinoza le définit ici sont dépourvues de contenu, il me semble, car au contraire, ce contenu, ce sont précisément les choses. Or tu sembles trouver qu'ici, les idées seraient vidées de leur contenu, si je t'ai bien compris? Si oui, qu'est-ce qui te fait penser cela?


Je voulais simplement dire que toutes les idées, en Dieu, ont un contenu, contenu qui est son essence (donc et son existence et sa puissance) (saisie sous une infinité d'attributs pour lui, mais seulement pour lui) ou n'importe quel mode (saisi sous une infinité d'attributs pour lui, mais seulement pour lui). Voir la II, 3. Il se trouve que nous, pauvres humains, connaissons un peu (mais très incomplètement, très confusément) l'idée que Dieu a de nous, individuellement : c'est notre âme, mental, esprit (mens).
Mais Dieu n'a d'idée que de choses réelles : c'est pourquoi je ne pense pas que, pour Spinoza, il ait d'idées directes des objets géométriques ou mathématiques (il n'en a qu'à travers les idées que nous avons nous) – cf. l'expression de la lettre 12 : « êtres de raison ou plutôt d'imagination ». C'est d'ailleurs pourquoi, à mon avis, si Spinoza insiste tant sur l'avantage de la mathématique, c'est parce que cette science construit totalement ses objets, en détermine l'essence sans se préoccuper de leur existence sinon à titre d'objets de pensée, en déduit sans résidus toutes les propriétés, et qu'il la prend comme modèle ou analogie de la connaissance que Dieu a des choses réelles.

Louisa a écrit :
Pourquoipas a écrit :— Ce qui m'intéresse le plus dans cette citation, c'est en fait le rapport essence-existence : si j'ai bien compris, il ne s'agit en fait que d'une différence de point de vue sur les choses (en tant que vues par nous en Dieu, il s'agit d'essence – en tant que vues par nous après leur « création », il s'agit d'existence. Mais le langage utilisé ici par Spinoza ne rend pas les choses extrêmement limpides...


je ne vois pas vraiment pourquoi il faudrait y ajouter le 'par nous', dans 'en tant que vues par nous'. Sans savoir ce qu'il donne comme définitions des termes essences et existence ailleurs dans les Cogitata, j'avais plutôt l'impression qu'il s'agisse en effet d'une différence de point de vue sur les choses, mais allant déjà plus dans le sens que Spinoza en donne dans l'Ethique (et tel que le reprend Rousset): l'essence (actuelle, formelle ou 'idéale') étant la chose en tant qu'elle est comprise dans les attributs de Dieu (réellement, c'est-à-dire indépendamment de notre point de vue humain), tandis que l'existence désigne l'existence de la chose au sens de 'durée dans le temps' de la chose, ou, dans le langage de l'époque: la chose une fois entrée dans la durée donc la chose telle qu'elle est une fois qu'elle est créée. Mais peut-être que j'injecte déjà un peu trop les significations de l'Ethique dans les Cogitata en lisant ce passage d'une telle façon ... ?


En fait, je voulais dire que, concernant la manière dont nous concevons-percevons que les choses sont en Dieu, il n'y a aucune différence entre essence et existence, puisque Dieu n'est pas dans la durée (pas d'avant, de pendant, d'après, de commencement ni de fin). Pour nous bien sûr il en va tout autrement, et nécessairement, puisque nous sommes limités.
Je crois de plus en plus que Spinoza parle parfois, sans le dire toujours, d'entendement humain seul et parfois d'entendement divin seul (ils ne sont pas différents, certes, mais leurs étendue diffère quelque peu). C'est ainsi, par exemple, que je lis le fameux « choses singulières, autrement dit modes, non existantes » de la II, 8 : « "non existantes » pour nous, pas pour Dieu. A dire vrai, j'ai toujours eu du mal à comprendre les développements de Deleuze ou Matheron, par exemple, ayant tendance à employer des expressions laissant penser à des essences en attente de réalisation dans l'existence concrète (lointaine influence hégélienne ?), sinon (pour Deleuze et si ma mémoire est bonne) à parler d'existence des essences indépendante de l'existence concrète, actuelle, de ces choses.
Mais, bien sûr, cela n'empêche pas Spinoza d'utiliser la notion d'essence (idéale) à titre de projet humain, ainsi de construction soit d'une maison (l'architecte dont il parle souvent) soit de soi-même (le « modèle de la nature humaine » de Ethique IV). Je me demande si les auteurs sus-nommés n'ont pas transporté en Dieu des notions (trop) humaines.
J'ajoute à tout ça que Dieu n'a pas de langage (avec qui aurait-il à communiquer ?) et ne peut en avoir. Mais nous oui.

Porte-toi bien. Amitiés.

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Messagepar Miam » 03 janv. 2007, 15:19

"Dans la phrase que tu cites, je ne voulais effectivement parler que de ces modes que sont les idées."

Mais cela ne change rien ! Les idées que sont les modes du penser n'ont pas d'objet non plus ! Ce ne sont pas des êtres objectifs compris dans l'idée de Dieu. Les modes du penser ont beau être simultanés à leur corrélatif dans chacuin des autres attributs, aucun de ces modes corrélatifs n'en sont l'objet. Par conséquent : le Mental (idée-mode du penser) n'est pas l'idée (être objectif) du Corps, il est constitué par l'idée (être objectif) du Corps. Ce qui est tout différent. Peux-tu saisir cela ?

Miam

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Messagepar Louisa » 03 janv. 2007, 15:27

Miam a écrit :"Dans la phrase que tu cites, je ne voulais effectivement parler que de ces modes que sont les idées."

Mais cela ne change rien ! Les idées que sont les modes du penser n'ont pas d'objet non plus ! Ce ne sont pas des êtres objectifs compris dans l'idée de Dieu. Les modes du penser ont beau être simultanés à leur corrélatif dans chacuin des autres attributs, aucun de ces modes corrélatifs n'en sont l'objet. Par conséquent : le Mental (idée-mode du penser) n'est pas l'idée (être objectif) du Corps, il est constitué par l'idée (être objectif) du Corps. Ce qui est tout différent. Peux-tu saisir cela ?


oui, bien sûr que je peux saisir cela, je te l'ai déjà dit dans mon message précédent. Mon problème ne se trouve pas là.
Néanmoins ... merci pour l'aimable répétition ... :)
Louisa

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Messagepar Miam » 03 janv. 2007, 16:45

« Ma question était: comment vois-tu les modes chez Spinoza, comme divisibles ou indivisibles? »

Il suffit de lire l’Ethique : la substance et ses attributs (nature naturante) sont indivisibles, les modes dans la nature naturée sont divisibles. Si tu commençais à lire l’Ethique avant de lire des interprétations de l’Ethique ?

« Car comme tu le disais dans ton message précédent et le répète ici, le mode (quand je parle de mode dans ce contexte, c'est toujours l'idée en tant que mode, et non pas les modes des autres attributs) pour toi c'est l'idée comme contenue dans l'attribut indivisible. Cela - ensemble avec le fait que tu dis que considérer l'idée comme composée d'un objet et donc dans sa divisibilité, c'est l'idée considérée comme contenue dans l'idée divisible de Dieu - me donne l'impression que donc tu veux dire que le mode est indivisible. Or dans la phrase que je viens de prendre de ton message précédent, "l'idée de Dieu est un mode et EST DONC divisible", tu dis donc qu'être un mode, c'est être divisible.
D'où mon problème: tu veux dire qu'il faut considérer les modes comme divisibles ou comme indivisibles? »

C’est quoi c't embrouille ? Une chose a beau être divisible en elle-même, si tu la plonges dans un élément indivisible, comment vas-tu repérer cette chose ? Tu ne le pourras pas. Par contre tu le pourras si la chose est contenue dans un ensemble divisible : la chose sera déterminable en fonction de cette division. Un objet est quelque chose de déterminé dans un espace divisible : au moins divisible entre ce qui est cet objet et ce qu’il n’est pas. C’est pourquoi les êtres objectifs sont contenus dans un ensemble infini divisible (l’idée de Dieu). Dans l’attribut au contraire, comme le dit Spinoza, on ne peut déterminer une essence sans considérer toute l’essence indivisible de l’attribut. L’essence est alors la production infinie et éternelle de la chose dans l’attribut. Tandis que lorsque cette essence est pensée objectivement, il suffit de la définir par ses parties-causes, comme la sphère par la rotation du demi-cercle. Il n’est pas besoin d’aller au delà et de formuler toute la causalité dans l’attribut bien qu’elle y participe également, tout simplement parce que, précisément, cette définition est la traduction objective de la production de la chose dans l’attribut..

Quant à ce qui suit : IL SERAIT TEMPS DE LIRE SPINOZA. Il est absolument impossible que tu ne comprennes pas cette différence si tu as lu Spinoza. Spinoza ne dit nulle part que les modes sont les parties de l’attribut, ni même qu’ils composent l’attribut comme les êtres objectifs composent l’idée de Dieu et tout mode d’autres modes. C’est évident SI ON A LU SPINOZA et qu'on a compris qu'une partie d'un infini indivisible est elle-même infinie et indivisible. CELA T’EVITERAIS DE T'EMBRUMER LE CITRON SUR DES CONTRADICTIONS QUI N’EXISTENT PAS.

Miam


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