Etre objectif : chose vs. Idée

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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Louisa
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Etre objectif : chose vs. Idée

Messagepar Louisa » 24 déc. 2006, 04:01

Bonsoir à tous,

voici que je viens de trouver chez Bernard Rousset, 'La perspective finale de l'Ethique et le problème de la cohérence du spinozisme. L'autonomie comme salut' pg 32 (Vrin 1968) la traduction suivante d'une phrase des Pensées Métaphysiques I,2:

"L'être de l'essence n'est rien d'autre que le mode selon lequel les choses créées sont comprises dans les attributs de Dieu; l'être de l'idée se dit en tant que toutes choses sont contenues dans l'idée de Dieu sous la forme d'objet (objective)".

Deux questions à propos de cette phrase:

1) est-ce que quelqu'un dispose de la formulation exacte en latin (ou en néerlandais, si l'original était en néerlandais)?

2) je suppose que pour la deuxième partie de la phrase, il s'agit toujours du 'mode selon lequel' toute chose est contenue dans l'idée de Dieu sous la forme d'objet. Je suppose également que 'mode' ici n'est pas vraiment encore le mode dans le sens technique spinoziste, mais simplement synonyme de 'manière' ou 'façon' (toutefois, si quelqu'un a déjàquelque chose a objecter cc ces deux suppositions, cela m'intéresse).

Or je ne trouve cette traduction ni chez R. Caillois, ni chez Appuhn, qui traduisent tous les deux par 'sont contenues objectivement dans l'idée de Dieu'. Pourtant, je ne suis pas certaine que les deux traductions signifient la même chose. Dans la traduction de Rousset pe, on a tendance à croire qu'il s'agit de la chose en tant qu'elle est un objet d'une idée de Dieu (d'une idée en Dieu donc, je suppose?). Et alors on revient sur un sujet de discussion que l'on a eu il y a un an: quand on parle de l'être objectif, faut-il comprendre par là la chose elle même, en tant qu'elle est objet d'une idée en Dieu? Dans ce cas, il y aurait une légère distinction entre l'être objectif de la chose et l'idée de la chose, dans le sens où l'être objectif d'une chose, ce serait le fait d'être objet d'une idée, tandis qu'éventuellement cet être qui a comme caractéristique de pouvoir avoir un objet (donc l'être objectif dans ce sens précis), ce serait l'idée.
L'idée de la chose est dès lors un être (dans le sens d'entité) dit 'objectif'' parce qu'il a un objet: la chose; tandis qu'inversément l'être objectif de la chose considérerait plutôt la chose, et alors la chose en tant qu'objet de son idée.
Bref, si on suit cette interprétation, on pourrait dire que 'idée' et 'être objectif' sont deux points de vue sur la même chose, l'un considérant ce 'couple parallèle' (idée-chose) du point de vue de la chose (l'être objectif de la chose comme une façon de considérer la chose, celle qui considère la chose comme un objet d'une idée en Dieu), et l'autre considérant le même couple du point de vue de l'idée, l'être objectif étant alors cet être qui a la chose comme objet.

Problème avec cette interprétation: la phrase citée ci-dessus a avant tout pour but de définir l'être de l'idée. On pourrait en conclure que l'être de l'idée consiste donc dans le caractère 'objectif'. Mais alors c'est l'idée qui est objectif, et pas la chose considérée en tant qu'objet d'une idée.

D'autre part: est-ce que l'être de l'idée, cela ne devrait pas correspondre à l'essence formelle de l'idée, donc l'idée en tant qu'elle est comprise dans l'attribut de la Pensée? Ou faut-il effectivement suivre Rousset quand il distingue être et essence, pe dans le passage cc l'essence formelle et l'être formel, où il écrit que:

"l'être formel' [de la chose] est ce qui la constitue comme être, c'est-à-dire précisément 'le fait d'être un mode de Dieu ayant Dieu pour cause, son 'essence formelle' est cette même chose, mais en ce qui constitue sa nature ou l'ensemble de ses propriétés nécessaires, 'ce qui fait d'elle tel mode défini de Dieu." (pg. 30)

Si oui, quelle conséquence cette distinction a-t-elle sur la traduction de la phrase ci-dessus (si elle en a une)?

Autrement dit, quand Spinoza parle d'un 'être objectif', faut-il distinguer un 'esse objectivum' (tel qu'en E2.8) et un 'être contenu 'objectivè' dans l'idée de Dieu'? Faut-il donc distinguer un esse objectivum d'un esse objectivè? Si oui, pourrait-on dire que l'esse objectivum prend le point de vue de l'idée (vu qu'en E2.8 il y a un 'sive ideae') tandis que le esse objectivè le point de vue de la chose (le fait de se trouver dans l'idée de Dieu en tant qu'objet d'une telle idée)? Si oui, ce serait peut-être tout de même cohérent avec l'expression 'l'être de l'idée': l'être de l'idée, ce serait l'idée telle qu'elle est causée par Dieu, c'est-à-dire l'idée dans ce qui en fait un mode défini, un mode de l'attribut Pensée (et pas d'un autre attribut), mode qui se définit par le fait de posséder un objet. Or ceci n'est possible que si les choses peuvent être objet d'une idée, comme l'indique la phrase citée.

Dans ce cas, il faudrait peut-être comprendre le sens de l'esse' de l'esse objectivum différemment que celui de l'esse objectivè: dans l'esse objectivum, l'esse désignerait une entité (que Spinoza ne peut pas appeler 'ens' vu que le seul 'ens' chez lui, c'est Dieu; les choses sont donc des 'esse'?). Il s'agirait de cette entité qu'est l'idée, vu dans sa propriété de posséder un objet. L'idée est donc une entité qui possède un objet, et dans ce sens un esse objectivum.
Dans l'esse objectivè, en revanche, l'esse désignerait non pas une entité mais une propriété: celle de pouvoir être objet d'une idée. La chose a donc un esse objectivè, mais l'idée est un esse objectivum. De première vue, ceci me semble pouvoir justifier la traduction de Rousset, qui serait alors plus claire que celles d'Appuhn et de Caillois.

Mais peut-être que des choses essentielles m'ont échappé? La distinction esse objectivum - esse objectivè vous semble-t-elle réellement fondée (y a-t-il des endroits en latin où l'on peut trouver 'esse objectivè' pe?)? Et la façon dont j'essaie ici de la comprendre vous semble-t-elle être claire et légitime?
Personnellement, j'ai en tout cas le sentiment qu'il reste pas mal de confusions/obscurités, mais je n'arrive pas encore à les pointer de manière 'distincte'.
En remerciant donc déjà chaleureusement tout un chacun qui a envie d'éclairer ma lanterne (ne fût-ce que pour indiquer les endroits où le raisonnement en tant que tel selon vous cloche)... ,
Louisa.

Pourquoipas
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Re: Etre objectif : chose vs. Idée

Messagepar Pourquoipas » 24 déc. 2006, 16:22

Louisa,

Comme il me semble qu'il faut replacer dans son contexte, voici le texte original latin : « Quid sit esse essentiae, existentiae, ideae, ac potentiae ? — Ex his itaque clarè videre est, quid per illa quatuor intelligendum sit. Primum enim esse scilicet essentiae, nihil aliud est, quàm modus ille, quo res creatae in attributis Dei comprehenduntur : esse deinde ideae dicitur, prout omnia objectivè in ideâ Dei continentur : esse porrò potentiae dicitur tantùm respectu potentiae Dei, quâ omnia nondum adhuc existentia ex absolutâ libertate voluntatis creare potuerat : esse denique existentiae est ipsa rerum essentia extra Deum, et in se considerata, tribuiturque rebus, postquam à Deo creatae sunt. »
« Qu'est-ce que l'être de l'essence, de l'existence, de l'idée et de la puissance ? — A partir de tout cela donc, on peut voir clairement ce qu'il faut comprendre par ces quatre [points]. D'abord, en effet, l'être de l'essence n'est rien d'autre que la façon par laquelle les choses créées sont comprises dans les attributs de Dieu ; ensuite l'être de l'idée se dit en tant que toutes [choses] sont comprises objectivement dans l'idée de Dieu ; de plus, l'être de la puissance se dit seulement eu égard à la puissance de Dieu, par laquelle il a pu créer, par liberté absolue de sa volonté, toutes [les choses] n'existant pas encore ; enfin, l'être de l'existence est l'essence même hors de Dieu des choses, [essence] considérée en soi, et [cet être] est attribué aux choses après leur création par Dieu. »
Voir le texte complet des Cogitata sur le Wiki Spinoza et nous.

Juste quelques remarques :
— Il me semble qu'ici « être objectivement » signifie simplement que toutes les choses (dans les Cogitata, uniquement les pensées et les corps) sont pensées par Dieu, qu'elles sont le contenu de ses idées – mais, pour Spinoza, qu'est-ce qu'une idée hors de son contenu ?
— Dans le contexte des Cogitata, il faut se méfier : il parle un langage très (cartésiano-)scolastique (parce qu'il s'adresse pour la première fois au grand public intellectuel et sous son propre nom ?) et utilise donc les expressions « choses créées » et « liberté absolue de la volonté ».
— Toujours dans cet ouvrage, il utilise ens (étant) pour désigner aussi bien Dieu que les choses finies (exemple : dans la dernière section du chap. précédant la citation, I, I : « De la définition de l'être (entis) (...) il est facile de voir que l'être (ens) doit se diviser en être (ens) qui existe nécessairement par sa nature, autrement dit dont l'essence implique l'existence, et en être (ens) dont l'essence n'implique que l'existence possible (...). » (Il parle d'ailleurs d'ens rationis, et dans l'Ethique aussi.)
— Ce qui m'intéresse le plus dans cette citation, c'est en fait le rapport essence-existence : si j'ai bien compris, il ne s'agit en fait que d'une différence de point de vue sur les choses (en tant que vues par nous en Dieu, il s'agit d'essence – en tant que vues par nous après leur « création », il s'agit d'existence. Mais le langage utilisé ici par Spinoza ne rend pas les choses extrêmement limpides...

Porte-toi bien

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Messagepar Louisa » 26 déc. 2006, 20:57

Bonsoir Pourquoipas,

un grand merci pour la version latine et pour ces éclaircissements.

Pourquoipas a écrit :
— Il me semble qu'ici « être objectivement » signifie simplement que toutes les choses (dans les Cogitata, uniquement les pensées et les corps) sont pensées par Dieu, qu'elles sont le contenu de ses idées – mais, pour Spinoza, qu'est-ce qu'une idée hors de son contenu ?
— Dans le contexte des Cogitata, il faut se méfier : il parle un langage très (cartésiano-)scolastique (parce qu'il s'adresse pour la première fois au grand public intellectuel et sous son propre nom ?) et utilise donc les expressions « choses créées » et « liberté absolue de la volonté ».


Tu as sans doute raison de bien souligner la différence de language utilisé entre les Cogitata et l'Ethique. N'ayant pas encore lu les Cogitata et constatant juste le lien que faisait Rousset, je n'y avais pas trop pensée. Or dès qu'on y tient compte davantage, le problème que je viens de soulever semble perdre sa pertinence. Cela n'a donc tout simplement pas beaucoup de sens d'essayer de chercher une seule et même pensée cohérente derrière ces deux usages de "l'objectif". En plus, apparemment il n'y même pas de 'esse objectivè' en latin.

Quant à la traduction de Rousset ('contenues en l'idée de Dieu sous la forme d'objet') et la façon dont tu l'interprètes (contenues dans les idées de Dieu): je ne suis pas certaine d'avoir bien compris la question que tu poses. Si toutes les choses sont pensées par Dieu, alors elles sont en tant qu'idées comprises dans l'idée de Dieu. Mais je ne vois pas en quoi cela impliquerait que du coup, ces idées n'auraient plus de contenu, c'est-à-dire d'objet. En tout cas, j'avais moi-même interprété ce passage comme tel: les choses sont les objets d'idées qui sont pensées par Dieu, et qui par là forment l'idée de Dieu, ou y sont comprises. Si cette interprétation est correcte, il n'en suit pas que les idées et leur être tel que Spinoza le définit ici sont dépourvues de contenu, il me semble, car au contraire, ce contenu, ce sont précisément les choses. Or tu sembles trouver qu'ici, les idées seraient vidées de leur contenu, si je t'ai bien compris? Si oui, qu'est-ce qui te fait penser cela?

Pourquoipas a écrit :— Toujours dans cet ouvrage, il utilise ens (étant) pour désigner aussi bien Dieu que les choses finies (exemple : dans la dernière section du chap. précédant la citation, I, I : « De la définition de l'être (entis) (...) il est facile de voir que l'être (ens) doit se diviser en être (ens) qui existe nécessairement par sa nature, autrement dit dont l'essence implique l'existence, et en être (ens) dont l'essence n'implique que l'existence possible (...). » (Il parle d'ailleurs d'ens rationis, et dans l'Ethique aussi.)


Bon à savoir, merci pour l'info!

Pourquoipas a écrit :— Ce qui m'intéresse le plus dans cette citation, c'est en fait le rapport essence-existence : si j'ai bien compris, il ne s'agit en fait que d'une différence de point de vue sur les choses (en tant que vues par nous en Dieu, il s'agit d'essence – en tant que vues par nous après leur « création », il s'agit d'existence. Mais le langage utilisé ici par Spinoza ne rend pas les choses extrêmement limpides...


je ne vois pas vraiment pourquoi il faudrait y ajouter le 'par nous', dans 'en tant que vues par nous'. Sans savoir ce qu'il donne comme définitions des termes essences et existence ailleurs dans les Cogitata, j'avais plutôt l'impression qu'il s'agisse en effet d'une différence de point de vue sur les choses, mais allant déjà plus dans le sens que Spinoza en donne dans l'Ethique (et tel que le reprend Rousset): l'essence (actuelle, formelle ou 'idéale') étant la chose en tant qu'elle est comprise dans les attributs de Dieu (réellement, c'est-à-dire indépendamment de notre point de vue humain), tandis que l'existence désigne l'existence de la chose au sens de 'durée dans le temps' de la chose, ou, dans le langage de l'époque: la chose une fois entrée dans la durée donc la chose telle qu'elle est une fois qu'elle est créée. Mais peut-être que j'injecte déjà un peu trop les significations de l'Ethique dans les Cogitata en lisant ce passage d'une telle façon ... ?
Amitiés,
Louisa
Modifié en dernier par Louisa le 26 déc. 2006, 23:13, modifié 1 fois.

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Messagepar Miam » 26 déc. 2006, 22:16

Chère Louisa, T’as du mal avec les êtres objectifs. Ca fait un bail. Ce n’est pas de ta faute mais de la faute à Rousset. Pour les raisons suivantes.

D’une part « objective » doit être traduit par « objectivement ». C’est incontestable. Le traduire comme le fait Rousset est une aberration. C’est un artifice qui permet à Rousset de considérer ce qui est contenu dans l’idée de Dieu comme des objets et non comme des idées objectives dans la mesure où toute idée est l’idée d’un objet. Bref, comme je te l’ai déjà expliqué, Rousset part de l’acception scolastique de « objective » selon laquelle l’objectif c’est l’objet contenu dans l’idée alors qu’il est évident qu’il s’agit des idées elles-mêmes en tant qu’elles sont idées d'objets et non pas modes, c'est à dire en tant qu'elles sont contenues dans l’idée de Dieu, en tant qu’elles sont divisibles analytiquement (l'idée de Dieu est un mode et donc est divisible) – composées et pas seulement constituées, puisque, précisément, elles ont un objet. C'est ce qui permet de distinguer telle idée d'une autre en tant qu'elle a un objet différent d'une autre. Cela fait trop longtemps que tu te fais tromper par Rousset et, à ta place, soit je changerais de traduction, soit je lirais parallèlement à la traduction de Rousset le texte latin.

L’idée de l’idée ne peut être une essence formelle puisque celle-ci est contenue dans l’attribut et non dans l’idée de Dieu (cf. II 8 et 8s). Spinoza n’écrit pas que l’idée de l’idée est l’essence formelle de l’idée. Il écrit – ce qui est tout à fait différent - que l’idée de l’idée est la FORME de l’idée : autrement dit, précisément, que c’est par cet être OBJECTIF qu’est l’idée de l’idée que l’on peut penser OBJECTIVEMENT l’essence FORMELLE de l’idée.

« l’idée de l’idée n’est rien d’autre que la forme de l’idée en tant que celle-ci est considérée comme un mode du penser sans relation avec l’objet » (II 21s)

Ce n’est donc pas l’idée de l’idée qui est le mode du penser, c’est à dire l’essence formelle contenue dans l’attribut, mais justement au contraire l’idée-mode qui est l’objet de l’idée de l’idée.

Quant à l’affirmation de Rousset ; « l'être formel' [de la chose] est ce qui la constitue comme être, c'est-à-dire précisément 'le fait d'être un mode de Dieu ayant Dieu pour cause, son 'essence formelle' est cette même chose, mais en ce qui constitue sa nature ou l'ensemble de ses propriétés nécessaires, 'ce qui fait d'elle tel mode défini de Dieu." (pg. 30) », c’est une nouvelle aberration. RIEN dans le texte ne permet de dire cela. Et je vois mal comment on pourrait distinguer « le fait d’être un mode ayant Dieu pour cause » de « ce qui constitue la nature » de cette chose. C’est complètement absurde d’un point de vue spinozien puisque la nature d’une chose n’est rien d’autre que sa causalité.

A la lecture des l'Ethique, on peut conclure que lorsque Spinoza écrit essence, il considère la chose telle qu’elle est contenue dans UN attribut. Même lorsqu’il parle de l’essence de l’homme car celle-ci est le conatus et qu’il y a un conatus du Corps aussi bien que du Mental cad du mode étendu comme du moder de penser.

Lorsque Spinoza écrit l’ »être » d’une chose, il s’agit de cette chose considérée DANS TOUS LES ATTRIBUTS et, pour nous AU MOINS DEUX. C’est pourquoi il s’agit dans l’Ethique en II 11 de l’ETRE du Mental constitué de l’idée (ie ici être objectif) d’une CHOSE SINGULIERE EXISTANT EN ACTE contenu AU MËME NIVEAU CAUSAL dans TOUS LES ATTRIBUTS, sans quoi il ne pourrait EXISTER EN ACTE et demeurerait une essence objective susceptible de ne pas exister au sens courant (cf. II 8 et 8s), c’est à dire un MODE contenu dans son SEUL attribut. C’est seulement de cette manière qu’il convient de distinguer l’essence et l’être et c’est pourquoi Dieu est un ETANT absolument infini (une infinité d’attributs) alors que son ESSENCE est seulement infinie, de même que toute substance Y COMPRIS CELLES QUI SONT CONSTITUEES D’UN SEUL ATTRIBUT (par hypothèse avant la construction de Dieu) comme en I 8. C’est que les êtres objectifs ou idées dont est composée l’idée de Dieu s’appliquent à TOUS les attributs. Par suite, contrairement au Corps, le Mental a un être puisqu’il est constitué de ces êtrs objectifs et, par conséquent EXPLIQUE Dieu, ce que ne font, ni les modes de l’étendue, ni même les attributs qui n’expliquent que son essence et son existence infinies et non Dieu lui même c’est à dire son être absolument infini.
On comprend aussi pourquoi dans le TRE Spinoza n'allègue que l'essence objective et non l'être objectif : la structure de l'étant absolument infini demeure absente du TRE. C'est pourquoi, c'est pourquoi : je pourrais encore t'en dire 10 de ces "c'est pourquoi".

Bien sûr, ce qui précède vaut pour l'Ethique, c'est à dire l'oeuvre la plus finie et la plus authentiquement spinozienne dans la mesure où il s'(agit d'un texte qu'il voulait anonyme et libre de tous les auditoires, cointrairement au CT, aux PPD et aux PM qui demeurent destinés à un public scolastico-cartésien de sorte qu'il n'y bouscule pas les vocabulaires scolastiques et cartésien comme dans l'Ethique. Pourquoi pas a raison en cela.

Par conséquent Rousset écrit en cette matière beaucoup de conneries et je te CONJURE de ne pas te fonder sur lui pour appréhender la philosophie de Spinoza. Expérimente ma lecture et tu verras que tout devient plus logique et plus clair. Sans quoi tu vas te casser la tête pour rien.

Bien à toi
Miam

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Messagepar Miam » 27 déc. 2006, 13:28

Je reviens aux être de l’essence, être de l’existence, être de l’idée, être de la puissance, des Cogitata métaphysica que j’ai un peu oublié hier. Il faut quand même dire que ces notions, qui n’apparaissent nulle part ailleurs dans les textes spinoziens, sont précisément neutralisés ici par Spinoza. L’être de l’essence est une notion que l’on trouve pour la première dans le Liber de causis, ouvrage de facture néoplatonicienne, attribué à Avicenne et repris ensuite par les thomistes. Les scoliastes d’influence thomiste y ont ensuite ajouté l’être de l’existence. Enfin, la scolastique tardive allègue en plus l’être de l’idée et de la puissance. Or, ce que Spinoza signifie ici, c’est que :
l’être de l’essence n’est rien d’autre que ce qu’il nomme par ailleurs l’essence
l’être de l’existence n’est rien d’autre que ce qu’on nomme communément existence.
L’être de l’idée n’est rien d’autre que les êtres objectifs de l’Ethique ou l’essence objective du TRE
Enfin : l’être de la puissance n’est rien d’autre que ce qu’il nomme ailleurs la puissance de Dieu.

Le terme « être » ici, n’a évidemment pas la même signification que dans l’Ethique. Mais il n’a pas même non plus la même signification (commune) que celle qu’utilise Spinoza dans les ouvrages qui précèdent l’Ethique. Le terme est ici totalement neutralisé puisqu’on peut aussi bien l’omettre sans que cela change quoi que ce soit. Aussi bien : ce à quoi s’oppose Spinoza ici, c’est à la scolastique traditionnelle, thomiste et post-thomiste. Thomiste d’abord, car c’est Thomas qui, pour la première fois, considère l’être comme une « forme seconde » (comme il l’écrit) ajouté à l’essence (qui est déjà matière et forme première) pour la faire être ou exister (puisque c’est la même chose pour les scolastiques). Spinoza s’oppose ici à un aristotélisme qui corrompt complètement Aristote pour des motifs théologiques : à savoir le thomisme issu de l’avicenisme. Si Spinoza avait dû prendre position dans la querelle qui opposait les avicénistes-thomistes) et les averroïstes beaucoup plus fidèles à Aristote (par exemple Dietrich de Freiberg), il aurait sans nul doute opté pour ces derniers (d’ailleurs le terme d’ « entitas » dont il use pour formuler la réalité ou la perfection en est sans doute issu). Car pour Spinoza comme pour les averroïstes, l’être (ou ce que l’on nomme communément l’existence) n’est certainement pas ajouté à l’essence comme un « fiat ! » créateur. L’être, comme j’ai essayé de le montrer dans mon message précédent, c’est bien une forme, mais c’est la forme de l’essence elle-même, la manière dont elle est formée, sa structure, et non une forme surajoutée par le Créateur. L’être d’une chose c’est la simultanéité (au même niveau causal donc) de tous les modes – un dans chaque attribut – formant un être, c’est à dire une chose existant en acte soit dans le présent, soit dans le passé, soit dans l’avenir. Et c’est pourquoi dans l’Ethique, en II 22s, l’idée de l’idée est la forme de l’idée. Comme l’idée-être objectif est appliquée également dans tous les autres attributs, c’est grâce à elle que l’on peut percevoir si l’essence visée est aussi un être : si elle implique bien la forme de l’être. S’il s’agit d’un être (d’une chose existante en acte dans le présent, le passé ou l’avenir) alors sa forme sera totalement horizontale dans tous les attributs : les modes seront simultanés selon l’ordre causal dans tous les attributs et ce qu’on considérera comme le Mental d’un Corps sera bien le Mental de ce Corps. Autrement dit il s’agira bien d’un être existant connu adéquatement. Si au contraire - comme dans le cas du cheval ailé mais aussi bien de Paul et de Pierre inadéquatement connus dans l’Ethique – cette forme n’est pas strictement « horizontale » c’est à dire n’enveloppe pas des modes simultanés dans chaque attribut, c’est que l’on attribue un Mental à un Corps dont ce n’est pas le Mental. Autrement dit : notre connaissance n’en sera pas adéquate.

Il en résulte que, bien que dans sa Lettre 56 , Spinoza écrit n’avoir cure de l’autorité de Platon et d’Aristote, il est très certainement beaucoup plus proche d’Aristote que les « aristotéliciens » thomistes. D’ailleurs, conformément à Aristote, la Substance pour Spinoza est l’ « Etant » de même que l’ousia pour Aristote est l’Etance, et pas du tout la substance scolastique issue d’une erreur de traduction dont témoigne d’ailleurs explicitement déjà Boèce. Par ailleurs, quant à Platon, force est de constater que l’ « envelopement » spinozien n’a rien à voir avec l’ « enveloppement » cartésien et que Spinoza revient à Platon : plus précisément à la « sumplokè » de Platon dont il sauvegarde l’aspect dialectique de « communauté » (cf. Ethique axiomes 4, 5, et proposition 2 et 3).

Morale de cette histoire : c’est en reniant l’autorité de Platon et d’Aristote, c’est à dire le (néo)platonisme médiéval et l’aristotélisme (bref : l’aristotélisme néoplatonicien thomiste) que Spinoza demeure fidèle à Aristote et Platon. C’est donc en spinoziste que je me permets de critiquer certains commentateurs de Spinoza. Ceci pour couper l’herbe sous les pieds de certains petits toutous n’écoutant que la voix de leur maître qui pourraient s’offusquer… « La liberté ou la mort ! » n’est-ce pas un adage français ? Un peu de liberté intellectuelle, que diable !!! C’est cela ou lécher le cul des innombrables Finkelkraut qui encombrent de plus en plus nos universités.

Miam

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Messagepar AUgustindercrois » 27 déc. 2006, 18:21

Morale de cette histoire : c’est en reniant l’autorité de Platon et d’Aristote, c’est à dire le (néo)platonisme médiéval et l’aristotélisme (bref : l’aristotélisme néoplatonicien thomiste) que Spinoza demeure fidèle à Aristote et Platon. C’est donc en spinoziste que je me permets de critiquer certains commentateurs de Spinoza. Ceci pour couper l’herbe sous les pieds de certains petits toutous n’écoutant que la voix de leur maître qui pourraient s’offusquer… « La liberté ou la mort ! » n’est-ce pas un adage français ? Un peu de liberté intellectuelle, que diable !!! C’est cela ou lécher le cul des innombrables Finkelkraut qui encombrent de plus en plus nos universités.


Là je retrouve bien le Miam que j'aime, toujours aussi rebelle!

:D

Amicalement

AUgustin

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Messagepar Pourquoipas » 27 déc. 2006, 19:56

Salut, Louisa,

Je n'ai pas beaucoup de temps actuellement, mais je tâche à te répondre bientôt.
D'ici là, je te souhaite de bien te porter et une bonne année.

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Messagepar hokousai » 28 déc. 2006, 15:06

Alain Finkielkraut n'enseigne pas à l’université mais à l’école polytechnique et pas la philosophie. Il est agrégé de lettres modernes pas de philosophie ce qui ne l’empêche pas d’ être un fin connaisseur de l 'histoire de la philosophie . Il n'est ni aristotélicien ni thomiste plutôt Levinassien .
On peut penser ce qu’on veut de ses positions et philosophiques et politiques , elles ne sont pas neutres mais ni infondées ni mal défendues .Miam puise sa science dans des textes universitaires ( peu ou prou ) , « cracher dans la soupe » ça c’est une expression bien française .

Un autre expression française "" la liberté ou la mort "" expression à prendre au pied de la lettre sous la révolution ," la liberté ou la mort " mais la mort de qui ?
La mort redoutée pour le parti de la liberté , le dos au mur , assiégé , menacé de toute part , placé dans une alternative sans sortie autre que la survie ou la mort.
Mais aussi la mort bien réelle des massacrés de septembre , mais la mort bien réelle pour les guillotinés .

Dans la craintes de la réitération des lynchages septembriens , la Convention met en place le Tribunal criminel extraordinaire communément appelé "Tribunal révolutionnaire".

Réponse à Danton : "Soyons terribles pour dispenser le peuple de l'être." la terreur se durcit en conséquence de l’assassinat de Marat .

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Messagepar Louisa » 28 déc. 2006, 17:37

Salut Miam,

merci beaucoup de tes explications et conseils!!

Juste pour info: je suis pour l'instant en train de suivre ton conseil principal, c'est-à-dire je suis effectivement en train d'expérimenter ta lecture de l'objectif chez Spinoza, mais sachant que 'omnia praeclara tam difficilia quam rara sunt', cela pourra peut-être encore me prendre quelques heures avant de te pouvoir faire part du résultat. J'espère pouvoir faire cela ce soir, sinon ce sera au plus tard ce dimanche.
A très bientôt donc,
Louisa

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Louisa
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Messagepar Louisa » 28 déc. 2006, 17:47

Cher Pourquoipas,

en tout cas merci encore une fois de ta réponse, qui m'a été bien utile, et bonne année à toi aussi!
Au plaisir,
Louisa


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