Prigogine et la philosophie

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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Messagepar Korto » 19 janv. 2008, 22:50

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Messagepar hokousai » 19 janv. 2008, 23:12

à Korto

Et oui ... la matière initiale, dès la molécule, l'enzyme, l'amibe, est déjà auto-organisée et imprévisible. Et quand on arrive au stade humain, où la matière s'est fabuleusement concentrée et complexifiée, cette imprévisibilité s'appelle LA LIBERTÉ.



Ce que dit le spinozisme c’est que la liberté n’est pas absolue au niveau des choses particulières ( Dieu /la nature est libre) .

A n’importe quel niveau des corps vous trouverez des individus en relation avec un environnement .La liberté dépend de la constitution ( de la puissance d’agir ) de l’individu et aussi des contraintes extérieures . La question est de savoir s’il y a des limites absolues aux corps .

Un corps se métamorphose constamment et ce d’ une certaine manière (propre à lui-même ,à son espèce , à son genre ) et il a un certain degré d’autonomie et de liberté conforme à sa nature . La liberté est vue comme une puissance d’agir dans un environnement de corps . Mais vous la voyez peut être autrement .

L'imprévisibilité ne concerne pas la liberté , justement pas, puisque pour exercer une liberté il faut avoir un choix .Or un choix ne peut se faire qu 'en pré-vison .

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Messagepar Korto » 19 janv. 2008, 23:29

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Messagepar hokousai » 20 janv. 2008, 00:34

à Korto

C'est quoi des limites absolues ?

c'est à moi de vous le demander .

J'ai posé la question .
Si j'ai posé la question c'est que je n'avais pas la réponse .

Pas tel que vous semblez , vous , l 'avoir quand vous parlez de liberté , responsabilité , indépendance ..toute idées confuses qui me semblent droit sorties d'un autre catéchisme ( nommé comme tel : LE catéchisme .Il n'y en a pas deux )

..................................................

Que savez- vous donc de l'après cinquante ans ? De quoi que ce soit ?Avez vous donc expérimenté pendant 50 ans , quelque chose, régulièrement .

Je ne parle pas de certaines addictions dont vous nous avez fait l 'échos . Plus simplement je ne vous pensais pas si âgé pour savoir qu'il est dur de lâcher etc etc ....

A vrai dire vous ne sentez rien du tout , n'avez aucune idée de ce que je peux en penser et dans l'incertitude multipliez les bouffonneries .

Mais ce n'est pas demain la veille que je vous renseignerai .

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Messagepar bardamu » 20 janv. 2008, 01:42

SpinUp a écrit :(...)
Cependant, certaines interprétations de la mécanique quantique sont incompatibles avec le spinozisme. Par contre les interprétations les plus réalistes me semblent plus facilement compatibles. Les interprétations dites « réalistes » sont celle qui ne suppose pas un rôle privilégié à l’observateur. Cependant, la conséquence de ce postulat réaliste est que, d’une certaine manière, « toutes les possibilités sont réalisées dans la Nature ». C’est pour cela que cette interprétation, dans sa forme la plus complète, à été appelée « Many-worlds interpretation », même si cela prête à confusion. C'est là une vision bien différente du déterminisme...
(...)

Bonjour,
les interprétations à la Everett pourraient fonctionner avec Spinoza selon le principe que de Dieu découle une infinité de choses infiniment modifiées.
Mais en fait, on aurait au moins 2 choix :
- soit on considère les superpositions d'état comme ontologiques et notre connaissance limitée à une seule série,
- soit on renvoie le réel à un empirisme, c'est-à-dire aux états constatés par la mesure, et les états superposés s'excluant empiriquement on les renvoie à des outils de représentation d'effets dont le statut n'est pas encore éclairci.

Pour ma part, j'aurais dû mal à affirmer que la quantique est une théorie ultime permettant d'en rester à la première option.

Pour parler "spinozien", il faudrait déjà parvenir à distinguer ses divers aspects selon les attributs. Autant la Relativité peut assez facilement correspondre à l'Etendue, autant la quantique a des aspects qui ne sont pas clairs sur ce qui est effet de corps ou effet de connaissance. La non-localité/non-séparabilité serait par exemple du côté de l'esprit et c'est un problème que de trouver ce qui y correspond dans les modes de l'étendue, c'est-à-dire comment on rend compatible l'absence de transfert d'information-énergie avec ce qu'on (les physiciens) veut encore appeler un effet physique.

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Messagepar SpinUp » 20 janv. 2008, 13:07

hokousai a écrit :
Qu’est ce que le temps ? Je n’en sais rien, c’est là la réponse la plus honnête que je puisse donner. Je ne vais donc pas ici spéculer sur le temps psychologique, philosophique, humain, mais plus simplement tenter de clarifier ce qu’est le « temps » en physique, pour voir ce que le concept de « flèche du temps » désigne.


D' accord mais l'idée de Prigogine est- elle une idée de physicien ? En partie oui, peut être , en partie non , certainement .

Parce que cette idée de "flèche du temps " est communément partagée .


Oui, c'est une idée "de physicien": comment expliquer l'irréversibilité à partir de lois réversibles? Le problème vient de ce que veut dire "expliquer" dans ce cas.
Certains disent, de manière plus ou moins kantienne (ou spinoziste? Einstein par exemple), que le temps est une condition a priori de notre connaissance, et serait donc uniquement "psychologique".
Dans le cadre d'une description probabiliste du monde, on peut par exemple remarquer que les probabilités conditionnelles ne sont pas symmétrique: la proba d'un évenement A si B est connu n'est pas la même chose que la proba de B si A... (cfr. le théorème de Bayes). Ici, c'est notre façon de poser des questions qui est temporellement assymétrique.
Ceux qui posent le problème de façon plus "réaliste" font un raisonement récursif: l'entropie doit toujours avoir été plus basse dans le passé, en effet. Il en viennent alors à dire que la vrai question pertinente est de comprendre pourquoi l'univers a commencé avec une entropie tellement basse .
Personnellement je ne vois pas ces deux approches comme incompatibles, même si l'approche "psychologique" me parait la plus pragmatique pour faire de la physique "localement".

Bien sur, ce n'est pas seulement une question scientifique... mais dire que c'est une notion commune, c'est comme dire que la gravitation est une notion commune. Non, ce qui fait la science (n'importe laquelle) est la capacité de poser des questions de plus en plus précises et pertinentes.

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Messagepar SpinUp » 20 janv. 2008, 13:15

KORTO a écrit :
SpinUp a écrit :
Prigogine et les autres montrent que l’indétermination ne dépend pas tellement de notre erreur, mais de la structure même d’un monde beaucoup plus complexe que ce que Laplace semble suggérer.
Ainsi le fait des sensibilités aux conditions initiales est très important : cela signifie en effet que notre incertitude sur le futur n’est pas une fonction linéaire de notre incertitude sur le présent, mais qu’on contraire les incertitudes s’accroissent de manière exponentielles avec le temps !



Et oui ... la matière initiale, dès la molécule, l'enzyme, l'amibe, est déjà auto-organisée et imprévisible. Et quand on arrive au stade humain, où la matière s'est fabuleusement concentrée et complexifiée, cette imprévisibilité s'appelle LA LIBERTÉ.


La liberté? Je dirais plutôt le hasard. Il n'y a pas de différence fondamentale entre "l'indétermination" d'une amibe et celle d'un homme, l'une et l'autre sont des structures complexe, stables parce que loin de l'équilibre et en intéraction avec un environnement favorable. Un mot à la mode est "autopoïèse", et on pourait aussi bien parler de "conatus" après tout... :twisted:
Mais l'homme vous l'appelez libre et non pas l'amibe?

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Messagepar SpinUp » 20 janv. 2008, 13:31

bardamu a écrit :
SpinUp a écrit :(...)
Cependant, certaines interprétations de la mécanique quantique sont incompatibles avec le spinozisme. Par contre les interprétations les plus réalistes me semblent plus facilement compatibles. Les interprétations dites « réalistes » sont celle qui ne suppose pas un rôle privilégié à l’observateur. Cependant, la conséquence de ce postulat réaliste est que, d’une certaine manière, « toutes les possibilités sont réalisées dans la Nature ». C’est pour cela que cette interprétation, dans sa forme la plus complète, à été appelée « Many-worlds interpretation », même si cela prête à confusion. C'est là une vision bien différente du déterminisme...
(...)

Bonjour,
les interprétations à la Everett pourraient fonctionner avec Spinoza selon le principe que de Dieu découle une infinité de choses infiniment modifiées.
Mais en fait, on aurait au moins 2 choix :
- soit on considère les superpositions d'état comme ontologiques et notre connaissance limitée à une seule série,
- soit on renvoie le réel à un empirisme, c'est-à-dire aux états constatés par la mesure, et les états superposés s'excluant empiriquement on les renvoie à des outils de représentation d'effets dont le statut n'est pas encore éclairci.

Pour ma part, j'aurais dû mal à affirmer que la quantique est une théorie ultime permettant d'en rester à la première option.


Pouriez vous préciser ce que vous voulez dire par cette seconde option? Vous faites allusions à une interprétation "de variables cachées" ou queque chose comme ça?
La première option m'a l'air la plus compatible avec un certain déterminisme ontologique, mais qui ne serait plus pensable par l'esprit humain.

C'est bien sur un préjugé de ma part, mais je pense que les lois quantiques sont là pour durer. Plus précisément elle resterons valable dans leur domaine actuel de validité, comme la loi de Newton est valable dans le sien (plus restreint), et cela suffit pour que notre connaissance humaine doive accepter l'indétermination comme fondamentale. Mais je ne pense pas cette indétermination comme une limite, c'était plutôt notre vision du déterminisme qui était inadéquat.


bardamu a écrit :Pour parler "spinozien", il faudrait déjà parvenir à distinguer ses divers aspects selon les attributs. Autant la Relativité peut assez facilement correspondre à l'Etendue, autant la quantique a des aspects qui ne sont pas clairs sur ce qui est effet de corps ou effet de connaissance. La non-localité/non-séparabilité serait par exemple du côté de l'esprit et c'est un problème que de trouver ce qui y correspond dans les modes de l'étendue, c'est-à-dire comment on rend compatible l'absence de transfert d'information-énergie avec ce qu'on (les physiciens) veut encore appeler un effet physique.


La non-localité du côté de l'esprit?? Je crois que l'étendue est une matière assez floue pour être compatible avec tout... :lol:

OK, "les effets de connaissance" de l'école de Copenhague ne sont pas compatible avec la stricte séparation de l'étendue et de la pensée comme deux attributs bien distincts en leur genre.
Personnellement je penche pour l'interprétation d'Everett, non pas parce que je suis spinoziste mais simplement un physicien "réaliste" à l'ancienne, ou presque, et puis surtout il semble que les progrès actuels en informatique quantique et même en cosmologie (il n'y a pas eu d'avancée de ce coté si ce n'est dans la manière de poser des questions) ont besoin d'une interprétation réaliste et pas du rôle privilegié d'observateur détenu par un bipède prétentieux.

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Messagepar hokousai » 20 janv. 2008, 14:02

à SpinUp


Comment expliquez vous que moi qui ne suis pas physicien je comprenne spontanément l’idée de flèche du temps ? Qu'elle soit exprimée par n importe qui d’ailleurs .

Vous passez à côté d'une version de la question ,la version commune .

Si le lemme 3/2 exprime une notion commune on pourrait très bien le paraphraser en :
Un corps en mouvement avant ( antérieurement ) ou en repos a du être déterminé au mouvement après ( postérieurement )
Dans ce sens là pas dans l’autre .
Ce qui devait apparaitre très évident à Spinoza .

Je ne vois pas du tout que le raisonnement récursif soit plus réaliste . Ce qui fait la philosophie (n'importe laquelle) est la capacité de poser des questions pertinentes ! Peut être... mais alors ce qui fait le philosophe c’est d’être capable de penser qu’elles sont pertinentes .

Le bon sens dira que des lois réversibles qui n’expliquent pas l’irréversibilité sont de mauvaises lois .

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Louisa
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Messagepar Louisa » 20 janv. 2008, 17:17

Bonjour Cyril,

merci beaucoup de tes explications!

Avant de rentrer dans les détails, je voudrais essayer de spécifier le rapport éventuel entre un déterminisme épistémologique et un déterminisme ontologique. Si le déterminisme épistémologique part de l'idée que la nature entière et tous ses processus peuvent être connus "sans reste" par une instance intellectuelle, le déterminisme ontologique pose que le monde en tant que tel est entièrement déterminé. Il me semble (à vérifier) que quasiment toujours (comme aussi dans l'exemple de Laplace que tu cites), il s'agit alors de ce qu'on appelle un "déterminisme causal": tout effet ne peut être produit que par une seule et même cause (qui peut bien sûr consister en un ensemble d'entités ou de processus). Il n'est donc pas possible d'avoir à un moment x un état du monde y, et d'avoir "réellement" deux possibilités pour le moment x + 1: y' ou y''. Autrement dit: on ne peut pas avoir une seule et même cause capable de causer deux effets différents, même si toujours ce n'est que l'un d'entre eux qui se réalisera effectivement.

Il me semble que pour Prigogine, une manière de comprendre le déterminisme causal tel qu'il a été conçu jusqu'à présent (et adopté comme présupposé fondamental de la dynamique) consiste à l'expliquer par le principe de la raison suffisante de Leibniz. Je cite Prigogine et Stengers, Entre le temps et l'éternité pg. 26:

"(...) ce principe énonce l'équivalence entre la cause "pleine" et l'effet "entier". Le principe de la raison suffisante ne décrit pas seulement un monde où les effets suivent les causes, ni même un monde où l'enchaînement des causes et des effets est rigoureusement déterministe. Nous connaissons un grand nombre de processus causaux et déterministes qui contredisent ce principe. Ainsi, la "loi de Fourier" décrit le processus de diffusion de la chaleur et désigne sa "cause": la différence de température des points entre lesquels se produit la diffusion. Lorsque le processus de diffusion de la chaleur s'arrête, il a annulé sa propre cause: toute différence de température a progressivement disparu entre les différentes régions du système. le point important est que cette disparition est irréversible. La différence de température qui a engendré le processus et que celui-ci a détruite s'est perdue sans retour, sans avoir produit un effet qui pourrait permettre de la restaurer.
L'équivalence entre cause et effet affirmée par le principe de raison suffisante implique au contraire la réversibilité des rapports entre ce qui se perd et ce qui se crée. Un mobile descendant un plan incliné perd de l'altitude, mais il acquiert une vitesse qui (en l'absence de frottement) est celle qui lui serait nécessaire pour remonter à son altitude initiale. C'est ce raisonnement qui guida Galilée dans la formulation de la loi de la chute des corps, c'est lui que Huyghens généralisa, identifiant les deux termes de l'égalité entre "cause" et "effet": ce que gagne un corps lors d'une chute de dénivellation h n'est pas mesuré par sa vitesse, mais par le carré de sa vitesse (...). Et Leibniz sut lire dans cette égalité entre la cause et l'effet le fil d'Ariane de la dynamique naissante.
L'histoire de la science des mouvements, depuis Galilgée jusqu'à Lagrange et Hamilton, a confirmé la thèse de Leibniz. Le principe de raison suffisante a bel et bien guidé la création de langages dynamiques de plus en plus puissants. Et c'est à lui que se heurta Boltzmann, c'est lui qui condamna sa tentative de rendre compte en termes dynamiques de l'asymétrie temporelle des processus thermodynamiques. En effet, une des objections décisives à la tentative de Boltzmann fut celle de Loschmidt à propos de l'inversion des vitesses. Imaginons que les vitesses qui animent en un instant donné les éléments d'une système soient toutes instantément renversées. Dans ce cas, tout comme le mobile galiléen sur son plan incliné regagne son altitude initiale, l'évolution du système dynamique ramènerait celui-ci vers son état initial. Les collisions recréeraient alors ce que les collisions avaient détruit, et restaureraient les différences qui avaient été nivelées. L'évolution engendrée par les collisions n'est donc irréversible qu'en apparence. A partir d'un état initial différent, les collisions doivent pouvoir recréer ce que détruisaient les collisions mises en scène par Boltzmann.
"

Si donc, pour l'une ou l'autre raison, il n'y a plus vraiment d'équivalence entre cause et effet, le déterminisme tel qu'on le pensait jusqu'à présent doit être remplacé par un indéterminisme. A partir de ce moment-là, on a deux possibilités: ou bien on se dit que ce constat de manque d'équivalence est dû à l'une ou l'autre limite de l'observateur. Nous sommes alors dans l'indéterminisme épistémologique: il nous est impossible, en tant qu'humains, de connaître tout ce qui se passe dans le monde de façon précise, autrement dit "déterminée" de façon exacte et non pas probabiliste. Ou bien on se dit qu'il doit s'agir d'un indéterminisme ontologique, au sens où, avant d'avoir choisi tel ou tel effet suivant telle ou telle cause, la nature elle-même n'a pas encore fait de choix, au sens où rien ne prédestine la cause à produit plutôt l'effet x que l'effet y.

Le lien entre les deux passe par Dieu. Car si l'on définit l'indéterminisme épistémologique par NOTRE connaissance inévitablement limitée du monde, rien n'empêche de s'imaginer un "point de vue de Dieu", qui lui, ayant un intellect infini, sait concevoir avec précision tout ce qui se passe dans la nature, à n'importe quelle échelle du monde. C'est alors qu'un indéterminisme épistémologique peut s'appuyer sur un déterminisme ontologique: il suffit de supposer qu'en Dieu "et donc en réalité", toute chose est déterminée de toute éternité, parce que dans le chef de l'esprit divin, il n'y a qu'un déterminisme épistémologique. Un déterminisme épistémologique divin nécessite donc un déterminisme ontologique, tandis que l'invers (indéterminisme épistémologique humain qui nécessite un indéterminisme ontologique n'est pas le cas).

Ces distinctions mises en place, j'espère pouvoir formuler plus précisément les questions qui me venaient en tête en lisant ton message.

SpinUp a écrit :Effectivement, il y a de la nouveauté « non déterministe » dans le monde, et la nouveauté en science est que de tels phénomènes puissent être quantifié, décrits mathématiquement.

Pour résumer je dirais ceci : Les lois sont déterministes, mais pas les prédictions que nous pouvons en tirer. En effet, comme on ne connaît jamais exactement les conditions initiales, on introduit un ensemble statistique, une « fonction de distribution des probabilités ». Ce qu’il y a de passionnant « loin de l’équilibre » (et l’univers lui-même n’est jamais à l’équilibre) est que souvent, des modifications imperceptibles dans les conditions initiales peuvent mener à des résultats finaux très différents, même après un temps très court.

En soit, pour ce qui nous concerne, il ne faut pas de concepts physiques très compliqués pour se rendre compte, par exemple, que si les conditions initiales étaient un peu différentes, le système solaire n’existerait pas tel qu’il est et la vie terrestre non plus. Mais dans ces cas généraux nous pouvons simplement blâmer notre ignorance. Ainsi Laplace, « fondateur » du déterminisme Newtonien, pouvait écrire (source Wiki) :
« Nous pouvons considérer l’état actuel de l’univers comme l’effet de son passé et la cause de son futur. Une intelligence qui à un instant déterminé devrait connaitre toutes les forces qui mettent en mouvement la nature, et toutes les positions de tous les objets dont la nature est composée, si cette intelligence fut en outre suffisamment ample pour soumettre ces données à analyse, celle-ci renfermerait dans une unique formule les mouvements des corps plus grands de l’univers et des atomes les plus petits ; pour une telle intelligence nul serait incertain et le propre futur comme le passé serait évident à ses yeux »


Sommes-nous d'accord pour dire qu'ici il s'agit d'un indéterminisme épistémologique, n'excluant donc aucunement un déterminisme ontologique (ou un déterminisme épistémologique divin)?

SpinUp a écrit :Prigogine et les autres montrent que l’indétermination ne dépend pas tellement de notre erreur, mais de la structure même d’un monde beaucoup plus complexe que ce que Laplace semble suggérer.


en effet, c'est aussi ce que je croyais avoir compris pour l'instant. Autrement dit: Prigogine prétend avoir réussi des expériences scientifiques qui prouvent qu'il y a un indéterminisme ontologique. Cela a immédiatement pour conséquence que TOUT déterminisme épistémologique (humain mais cette fois-ci aussi divin) devient impossible. Dieu ne peut pas avoir une idée adéquate de tout ce qui se passe dans le monde, car la connaissance de la cause et des lois déterministes (un monde ontologiquement indéterminé peut comporter des lois déterministes, c'est-à-dire certains processus causaux peuvent toujours se caractériser par une équivalence cause-effet) ne suffit plus pour expliquer le monde. Dieu lui-même doit donc "attendre" jusqu'au moment où l'effet se produit avant de savoir QUEL effet allait se produire. C'est alors que l'on peut dire que le temps n'est plus une apparence ou une caractéristique des modes, lié à un point de vue limité, localisé, sur le monde. Le temps doit être ajouté aux propriétés de Dieu lui-même. Il n'est donc plus "imaginaire", en des termes spinozistes, mais réel.

A mon avis, Prigogine prétend que les expériences concernant les oscillateurs chimiques ou les structures de Turing nous obligent à laisser tomber le déterminisme épistémologique divin et donc le déterminisme ontologique. Il va de soi que n'étant pas physicien, je ne peux nullement juger de la "scientificité" de ces expériences, ni même du bien-fondé des conséquences philosophiques qu'il en tire. Pour cela, je dépends donc de l'avis des physiciens. Les passages où il décrit ces expériences se trouvent (notamment) dans Entre le temps et l'éternité, à partir du chapitre V (si j'ai bien compris). Si par hasard tu as envie de les lire et de donner ton avis là-dessus, il est clair que cela ne peut qu'être très intéressants pour des non scientifiques qui s'intéressent à la question (comme moi). Sinon une première chose sur laquelle on pourrait essayer de se mettre d'accord, c'est tout simplement la thèse de Prigogine en elle-même: que prétend-il, plus précisément?

SpinUp a écrit :Ainsi le fait des sensibilités aux conditions initiales est très important : cela signifie en effet que notre incertitude sur le futur n’est pas une fonction linéaire de notre incertitude sur le présent, mais qu’on contraire les incertitudes s’accroissent de manière exponentielles avec le temps !


dès qu'on parle de NOTRE incertitude, on est de nouveau dans l'indéterminisme épistémologique humain, il me semble. Autrement dit: découvrir des vérités sur comment fonctionnent nos incertitudes par rapport au monde est bien sûr très intéressant et important, mais cela nous fait retourner à la conception dynamique classique: nous ne parlons que de NOS limites de la compréhension (et pouvons donc, comme c'était très longtemps le cas, avoir tendance à en conclure un déterminisme ontologique, même si cette conclusion n'a plus rien de scientifique - à partir de là, Prigogine rappelle qu'il ne s'agit que d'une conclusion méta-physique, et que la conclusion inverse (qu'un indéterminisme épistémologique humain ne permet en rien d'en conclure un déterminisme ontologique) est tout aussi possible et intéressant).

SpinUp a écrit :À ce niveau là, le déterminisme devient plus que jamais philosophique, parce qu’il suppose une connaissance parfaite, qui nous est impossible même en principe.


en effet. D'ailleurs, Spinoza reconnaît lui-même que jamais nous ne pouvons connaître, en tant qu'humains, tous les enchaînements causaux qui se font dans la nature. En ce sens précis, déjà Spinoza admettait un indéterminisme épistémologique. Mais c'était un indéterminisme épistémologique purement humain. Dès que l'on parle du point de vue de Dieu, le déterminisme épistémologique règne, et donc aussi le déterminisme ontologique.

SpinUp a écrit : Par exemple nous pouvons calculer la valeur du nombre pi à un nombre toujours plus grand décimale, mais le connaître « exactement » n’a qu’un sens synthétique. Bien sur nous connaissons pi exactement en tant que concept géométrique, mais il se pourrais qu’un problème physique dépende de la Nème décimale de Pi, disons, or si N est assez grand son calcul prendra plus de temps que le temps de vie de l’Univers… Reste « Dieu », mais la science se refuse à argumenter du point de vue de Dieu.


je crois que c'est ici que la thèse de Prigogine est assez révolutionnaire: il prétend (à mon sens) que la science a TOUJOURS argumentée à partir du point de vue de Dieu. La science moderne a toujours supposé qu'un indéterminisme épistémologique n'était qu'humain, et ne pourrait être divin. Cette supposition a été cruciale, a infléchi de manière décisive l'histoire de la science moderne, par exemple par le fait que Boltzmann, qui voulait pourtant donner un sens scientifique au concept de la "flèche du temps", a finalement opté pour une "fidélité" au présupposé dynamique fondamentale que le monde est ontologiquement déterminé. Il a donc choisi une explication probabiliste de ses découvertes, relèguant par là de nouveau le temps dans le domaine du "phénoménologique", donc de l'imaginaire ou du purement humain.

Ce qu'il veut faire lui-même, c'est abandonner ce présupposé, et réellement accepter la flèche du temps comme "notion commune", ainsi que le dit ici Hokousai. C'est-à-dire: si une notion commune est une idée d'une propriété qu'ont en commun tous les corps, et si la nature peut être considérée comme étant un seul Individu et donc, en ce sens (voir la Définition de l'Individu, E2), un seul corps indivisible, alors le temps deviendrait une propriété à part entière de l'essence de l'attribut de l'Etendue, et non plus une caractéristique de nos idées inadéquates humaines. (Je me rends bien compte du fait que mon vocabulaire n'est pas tout à fait précis, ici. Ainsi, peut-on dire que nos notions communes concernent certes non pas l'essence d'une chose singulière, mais l'essence d'un attribut, chez Spinoza? Puis si l'on suit Prigogine, le temps deviendrait une propriété de l'essence de Dieu. Ces propriétés peuvent-elles être appelée "notions communes"? Je n'en suis pas certaine. Mais ce n'est peut-être pas très important pour l'essentiel de ce que j'essaie de dire. Et comme Enegoid vient d'ouvrir une discussion à ce sujet, il vaut peut-être mieux essayer d'y répondre dans ce fil-là.)

SpinUp a écrit :Il y a une raison plus intéressante encore pour laquelle ce déterminisme n’a pas de sens en physique. C’est que le monde n’est décrit par les lois dites « classiques » (newtoniennes etc.) qu’en première approximation.


donc de nouveau: il s'agit d'un indéterminisme épistémologique humain, déjà reconnu par Spinoza (notamment). Cela n'exclut nullement que les scientifiques eux-mêmes utilisent sans cesse le présupposé d'un déterminisme ontologique (car ils parlent bien d'une "approximation" du réel, ce qui indique qu'il supposent que ce réel soit "fixe", une chose qui est là et dont on peut s'approcher). Pour Prigogine, c'est ce présupposé qui a rendu possible toute la dynamique, mais c'est également celui qui aujourd'hui limite les possibilités d'expériences scientifiques. Comme il ne s'agit que d'un présupposé méta-physique, non scientifiquement démontré, il s'intéresse à des expériences qui partent du présupposé méta-physique inverse: qu'il y a réellement un indéterminisme ontologique, et donc un indéterminisme épistémologique divin. Et comme il prétend avoir obtenu des résultats qui le confirment dans la pertinence de ce présupposé inverse, il croit qu'il nous faut développer un nouveau modèle de rationalité, qui ne se base plus sur la certitude (puisque dans le monde même il y a du possible, et non seulement dans le monde de la connaissance humaine).

(PS: d'autre part, est-ce que le Dieu spinoziste n'est pas lui-même indéterminé? Est-ce que chez Spinoza, la détermination n'est pas une propriété qui ne concerne que tout ce qui n'est pas absolument infini? J'envoie bientôt quelques arguments pour cette thèse en réponse à la question de Hokousai par rapport au statut des lois, chez Spinoza.)

SpinUp a écrit :La description la plus adéquate que nous avons des lois de la Nature ne fait plus appel aux notions de position et de trajectoires. Le monde est « quantique ». Je ne sais pas si tu as jamais eu un aperçu de ce qu’est la physique quantique ? La physique quantique implique que le monde tel qu’un humain peut le connaître est fondamentalement indéterminé, probabiliste.


je n'ai qu'une idée très vague de la physique quantique, idée de "non expert". Merci beaucoup de ton lien vers Wiki, je le lis bientôt.
En attendant: serais-tu d'accord pour dire que tel que tu le formules ici, il s'agit de nouveau de connaissance, et donc d'un indéterminisme épistémologique humain, qui dès lors n'exclut en rien un déterminisme ontologique?

SpinUp a écrit :Ce principe implique que la connaissance absolue dont j’ai besoin pour faire tourner la machine de la mécanique Newtonienne et réaliser le rêve de Laplace est complètement impossible : nous ne connaîtrons jamais exactement la position et la vitesse du moindre objet, non par ignorance et limitation humaine, mais parce que les lois du monde semblent telles que cette question n’a pas de sens…


d'accord, mais alors tout change ... si tu dis que la mécanique quantique a découvert que le MONDE tel qu'il est n'admet pas la question de la connaissance exacte, ou la rend impertinent, tu veux dire que ce serait même le cas du point de vue de Dieu? Que donc cette impossibilité d'avoir une connaissance exacte est dû non plus aux limites propres à l'observateur, mais que le monde, ontologiquement parlant, n'est pas "exact"?

Si oui: j'ai l'impression qu'il faudrait peut-être distinguer, en physique, exactitude de la mesure (voire du monde, si cela a un sens? Inexactitude d'une propriété/qualité de chose?) et déterminisme causal. Il ne s'agit pas de MON impression par rapport à la physique, bien sûr, mais de mon impression de ce que je lis chez Prigogine quand il parle de la physique. Je le cite:

"Chacun sait que la physique newtonienne a été détrônée au XXe siècle par la mécanique quantique et la relativité. Mais les traits fondamentaux de la loi de Newton, son déterminisme et sa symétrie temporelle, ont survécu. Bien sûr, la mécanique quantique ne décrit plus des trajectoires mais des fonctions d'ondes (...), mais son équation de base, l'équation de Schrödinger, est elle aussi déterminisite et à temps réversible. Les lois de la nature énoncées par la physique relèvent donc d'une connaissance idéale qui atteint la certitude. Dès lors que les conditions initiales sont données, tout est déterminé. La nature est un automate que nous pouvons contrôler, en principe du moins. La nouveauté, le choix, l'activité spontanée ne sont que des apparences, relatives seulement au point de vue humain. (...) La soumission de la nature à des lois déterministes rapprochait ainsi la connaissance humaine du point de vue atemporel."
(La fin des certitudes pg. 20)

Si j'essaie de combiner cela avec ce que tu viens d'écrire: il ne faut plus dire seulement que nous ne pouvons pas connaître à la fois la position et la vitesse d'une particule (indéterminisme épistémologique humain), il faut y ajouter qu'en réalité, aucune particule n'a à la fois une position et une vitesse déterminée. En ce sens précis, la nature est donc ontologiquement indéterminée (certaines propriétés de choses ne sont pas tout à fait "délimitées"). Mais il s'agit d'une indétermination qui semble être différente de celle dont parle Prigogine. Le fait qu'éventuellement une entité naturelle ne présente jamais à la fois deux des caractéristiques avec lesquelles nous essayons de décrire le monde, est-ce la même chose qu'un indéterminisme causal? Il me semble que non. J'ai l'impression que Prigogine prétend que néanmoins, le comportement de cette particule est censé correspondre à des lois déterministes, des fonctions d'onde que l'on peut définir mathématiquement et qui nous permettent d'obtenir un savoir approximatif quant à leur propriétés. Lois où il y a donc une équivalence entre la cause et l'effet.

Autrement dit: l'absence de propriétés nettement délimitées est-ce la même chose que le fait qu'une seule et même cause peut causer deux effets différents? Si ce qui définit les interactions entre des propriétés pas nettement délimitées (en réalité, donc ontologiquement) correspond à une loi où chaque cause donne un seul et même effet, ne faut-il pas dire avec Prigogine qu'effectivement, l'indétermination ontologique des propriétés n'a pas enlevé la réversibiligé fondamentale propre au déterminisme ontologique causal?

Autrement dit: si tu dis que les lois du monde sont ainsi faites que cela n'a pas de sens de lui attribuer des particules qui ont à la fois une vitesse et une position, ne faut-il pas dire qu'il s'agit d'un tout autre type "d'indétermination" que celui que l'on présuppose d'habitude en science (et qui est causal, au lieu de parler des propriétés d'une seule et même entité)?

SpinUp a écrit :Partant de là, la question de savoir si l’ontologie spinoziste reste « compatible » avec la science est une question qui m’intéresse. Note bien que ce n’est pas une question scientifique, parce que le spinozisme est assez métaphysique que pour ne pas être réfutable (au sens Popperien de « falsifiability » ).


oui, tout à fait d'accord.

SpinUp a écrit :Cependant, certaines interprétations de la mécanique quantique sont incompatibles avec le spinozisme. Par contre les interprétations les plus réalistes me semblent plus facilement compatibles. Les interprétations dites « réalistes » sont celle qui ne suppose pas un rôle privilégié à l’observateur. Cependant, la conséquence de ce postulat réaliste est que, d’une certaine manière, « toutes les possibilités sont réalisées dans la Nature ».


ah oui? N'est-ce pas un peu étrange de dire que toutes les possibilités sont réalisées, si justement, si j'ai bien compris, le principe d'indétermination parle plutôt d'une impossibilité (pas de position ET de vitesse à la fois)? Pour l'instant j'avais plutôt l'impression qu'une interprétation réaliste de la mécanique quantique impliquait que le monde conservait un genre de "potentialité" ou de "virtualité", où justement aucun possible ne se réalise, ou les deux (position et vitesse) restent quelque part non "actuelles". Mais il s'agit peut-être d'une erreur? En tout cas, pourrais-tu éventuellement préciser ce que tu veux dire par cette idée que toutes les possibilités sont réalisées dans la nature?

SpinUp a écrit :C’est pour cela que cette interprétation, dans sa forme la plus complète, à été appelée « Many-worlds interpretation », même si cela prête à confusion. C'est là une vision bien différente du déterminisme...


je ne suis pas certaine de bien comprendre la différence. Pourrais-tu l'expliciter un peu plus?
En te remerciant déjà,
à bientôt!
louisa


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