Penser par la cause

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
Avatar du membre
bardamu
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1024
Enregistré le : 22 sept. 2002, 00:00

Penser par la cause

Messagepar bardamu » 30 janv. 2009, 12:54

De la différence entre universels et définition génétique.

Si on prend les propriétés communes de x cellules biologique, qu'on généralise et qu'on entend produire ainsi un concept d'humain, on n'obtient en fait qu'un universel. C'est comme prendre la propriété commune "bipède sans plume" et prendre ça comme définition de l'humain.
Pour penser comme Spinoza, il faut partir d'un concept de cause dont se dérive tous les effets connus et même l'affirmation d'effets inconnus (par exemple, il existe une infinité d'attributs bien que nous n'en connaissions que deux). On part d'un concept d'humain et la nature de "cellule" est subsumée par celle d'humain, la cellule est humaine en tant qu'elle dépend d'un rapport de mouvement et de repos imposé par un "être-humain".

Comment procéder pour penser ainsi ?
Je dirais qu'il faut faire de l'expérimentation intellectuelle. Se proposer des définitions, des axiomes, des postulats et voir si on en déduit ce que l'on veut. Il y a quelque chose de "poperrien" là-dedans : proposer la théorie et la mettre à l'épreuve de la déduction et de l'expérience.
Le problème de Hume sur l'induction ne se pose plus puisque l'induction, la généralisation, ne fonde pas la connaissance.

Concrètement pour le cas de l'Ethique : Spinoza propose un système de pensée, un enchaînement d'idée, qui se conclut logiquement sur la béatitude en tant que possession d'idées adéquates, système qui n'est que le développement de l'affirmation de cette béatitude, c'est-à-dire des idées adéquates. La critique éthique qui me semblera la plus profonde sera de contester que la notion de Béatitude corresponde à des idées adéquates, que le salut est intellectuel, qu'à un système d'idées cohérent, stable, correspond une maîtrise des passions, une sérénité, une activité et la joie la plus vive pour chaque idée qui nous constitue ainsi.
Je crois notamment que la critique nietzschéenne est de cet ordre, qu'au lieu de mettre le désir sous la dépendance d'une actualité d'essence elle-même déterminable intellectuellement, il met l'intellect sous la dépendance du désir-puissance. Mêmes effets mais autre système de causes.

Avatar du membre
alcore
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 517
Enregistré le : 12 avr. 2009, 00:00
Localisation : Paris

Messagepar alcore » 08 mai 2009, 10:21

Et où cela nous mène-t-il de placer l'intellect sous la dépendance du désir ?
Quelle place pour la notion de vérité et même de définition génétique ?
Quelle éthique, quelle politique ?

Avatar du membre
bardamu
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1024
Enregistré le : 22 sept. 2002, 00:00

Messagepar bardamu » 09 mai 2009, 22:28

alcore a écrit :Et où cela nous mène-t-il de placer l'intellect sous la dépendance du désir ?
Quelle place pour la notion de vérité et même de définition génétique ?
Quelle éthique, quelle politique ?

Bonjour alcore,
pas sûr qu'on s'entende sur le terme de désir.

Je distinguerais deux formes de désir (leur désignation vaudra ce qu'elle vaudra...) : le désir-puissance nietzschéen n'ayant pas de rapport évident à l'intellect doublé chez Spinoza d'un désir-essence, un désir comme expression actuelle d'une essence, essence que l'on connaît par le 3e genre de connaissance. Le désir-puissance, la force affirmative agit sans nécessité d'essence déterminée, l'actualité existentielle lui suffit. Il peut se passer d'un "amour intellectuel" qui lie notre esprit à la connaissance adéquate. On agit vraiment sans se préoccuper de savoir vraiment.
Volonté de puissance chez Nietzsche, puissance de penser-agir chez Spinoza.

De cette idée, je fais découler plusieurs conséquences :

> l'origine de la déduction, les axiomes et autres principes, ne se fondent pas sur l'expérience sensible mais sur une pensée vraie obtenue par les idées adéquates qui constituent notre esprit, celles-ci se formant par un long cheminement, une imprégnation de la réalité du monde. Le Eureka ! ne vient pas de nulle part mais d'une expérience-intuition intellectuelle. Cette intuition intellectuelle se voit en logique (Frege ?), en mathématiques (cf Poincaré) ou en physique (cf Einstein). En gros, je dirais qu'il y a chez Spinoza du synthétique a priori fondé sur l'idée d'automate spirituel qui exprime en pensée une réalité des choses et d'où sont issues nos idées de causes génétiques au-delà de la "cause" par induction-généralisation. Au passage, Sinusix avait signalé un papier de J. Petitot défendant une approche transcendantale des sciences mais en "désubjectivant" la question. Un réflexion désubjectivée sur les conditions de possibilités de la pensée scientifique, ça me convient assez, on ne serait pas loin d'un automate spirituel scientifique.

> du point de vue éthique : non seulement l'action est assumée dans son affirmation directe mais elle est aussi comprise intellectuellement, au moins en partie : on l'assume en conscience. Chez Nietzsche, le critère de la "bonne" action sera qu'on soit près à la répéter éternellement. On l'assume en inconscience, dirais-je.

> du point de vue politique : là aussi, l'action peut se déterminer en partie par des principes établis a priori. J'ai toujours trouvé le Traité Politique assez faible par rapport à l'Ethique, notamment parce que Spinoza s'en remet beaucoup à l'expérience. Sa pensée logico-ontologique (perséverer dans son être etc.) ne s'applique que sur des modèles historiques considérés comme épuisant les possibilités politiques. Dans ses propos sur les femmes et leur domination soi-disant nécessaire par les hommes, il ne fait qu'une induction à partir de l'expérience. Pour moi, il n'a pas vraiment proposé un "être politique", une essence du politique, d'où déduire des existences politiques nouvelles, non encore connue. Quelque part, c'est peut-être ce que tente elfiremi dans l'autre discussion, poser des types politiques an-historiques, sur des sortes de structures anthropologiques et en déterminer les expressions actuelles. C'est, me semble-t-il, un peu la démarche de Foucault qui s'intéresse plus aux conditions de possibilité des systèmes socio-politiques, à partir d'une episteme, à partir d'un certain état esprit, plutôt qu'à l'analyse historique.

Tout cela je le verrais aussi chez Deleuze avec son exploration du plan d'immanence par la pensée philosophique, la création de concept exprimant la puissance de penser qui n'est autre que la puissance d'agir sous une certaine forme.
En d'autres termes, je vois la production de causes génétiques comme une production de concepts qui sont en eux-mêmes des vérités du monde en tant qu'ils sont produits par celui-ci et qui expriment un mode de vie qu'on pourrait dire philosophique. S'occuper en philosophe d'éthique, de sciences, de politique, pas en légiste, technicien, historien.

Un point tout de même : si je distingue entre Nietzsche et Spinoza, c'est surtout dans l'ordre de leurs priorités. Ils me semblent se réunir dans leur expression d'une vie de la pensée, d'une pensée vivante, une pensée qui ne soit pas un intellect cadavérique ou une vie qui ne soit que celle de zombies décérébrés.

Avatar du membre
alcore
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 517
Enregistré le : 12 avr. 2009, 00:00
Localisation : Paris

Messagepar alcore » 10 mai 2009, 17:55

Cher Bardamu

J'avoue ma perplexité.
Je ne vois pas bien comment l'on passe de Nietzsche et d'un désir hors essence aux axiomes et aux idées adéquates.
Je ne vois pasce qui, chez Nietzsche autorise ce rapport.
L'idée d'un désir, comme actualité d'existence, conduit plutôt Nietzsche à débusquer en toute intention de vérité le même besoin de sécurité, la même ruse du vivant, justement parce qu'il n'existe pas d'idées adéquates.

J'ai donc l'impression que vous cherchez plutôt à vider le concept de désir de toute essentialité (pourquoi pas) et à conserver de Spinoza l'idée vraie comme norme.
Mais je ne suis pas sûr que ce soit possible.
Et je suis encore moins certain que cela soit cohérent avec le projet de Nietzsche.


Retourner vers « La connaissance »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 61 invités