La "transition" 2e-3e genres de connaissance

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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Sinusix
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Messagepar Sinusix » 01 oct. 2009, 17:55

Cher Bardamu

bardamu a écrit :Pour passer au 3e genre de connaissance, il va falloir le relier à un tout autre domaine, celui de la nécessité éternelle, celui de notre place dans le monde comme mode de l'Etendue, celui de notre lien à Dieu. Là, on dépasse une connaissance relativement abstraite pour entrer dans un effet "éthique", dans un effet où les choses prennent un sens par rapport à soi, aux choses et à Dieu.

C'est comme quand tu évoques le virus H1N1.
La connaissance scientifique permettant de développer un anti-virus (un vaccin plutôt) c'est bien, mais c'est d'une utilité moyenne lorsqu'on est soi-même malade, qu'on a de la fièvre, qu'on a du mal à respirer, que la question est moins d'avoir une connaissance lointaine de ce qu'il se passe plutôt que la connaissance intime que c'est dans l'ordre des choses, qu'il n'y a pas à maudire Dieu ou à pleurer sur son sort.


Je ne peux qu'être d'accord avec ces deux paragraphes, lesquels cependant pour moi ne relèvent que d'une partie de la pensée de Spinoza, celle qui s'inscrit dans une perspective séculaire mystique et stoïcienne.

Il est une autre dimension fondamentale qu'elle oublie, laquelle relève de l'ordre de la raison. Quoi de mieux, de mon point de vue bien sûr, que ce passage de Deleuze (page 243 de Spinoza et le problème de l'expression) :
"A quoi donc se réduit la différence entre l'état de raison et l'état de nature ? Dans l'ordre de la nature, chaque corps en rencontre d'autres, mais son rapport ne se compose pas nécessairement avec ceux des corps qu'il rencontre. La coïncidence des rencontres et des rapports se fait seulement au niveau de la nature entière ; elle a lieu d'ensemble à ensemble dans le mode infini médiat. Toutefois, quand nous nous élevons dans la série des essences, nous assistons à un effort qui préfigure celui de la nature entière. Les plus hautes essences, dans l'existence, s'efforcent déjà de faire coïncider leurs propres rencontres avec des rapports qui se composent avec le leur. Cet effort, qui ne peut aboutir complètement, constitue l'effort de la raison. C'est en ce sens que l'être raisonnable, à sa façon, peut être dit reproduire et exprimer l'effort de la nature entière."

Il me paraît donc relever de l'ancienne voie de la superstition (Le désir de connaître les choses a été donné aux hommes en guise de fléau, dit l'Ecriture), que Spinoza n'a de cesse de rejeter, de se contenter du premier temps du Spinozisme, les Joies passives venant de la compréhension des choses, donc de leur acceptation, le Bien et le Mal ayant été évacués.

Le Spinozisme, c'est essentiellement la recherche de la voie active, des Joies actives, que permet l'usage de la raison. Et, outre l'organisation de la Cité, comment ne pas donner acte, à la médecine par exemple, que non contente de nous aider à comprendre comment éviter les rapports nuisibles à notre nature, elle contribue à "diminuer" le nombre immense des occurrences néfastes, contribution qui, si Spinoza avait pu en profiter à son époque, au delà de la Joie personnelle qu'elle aurait pu lui apporter, lui aurait permis, pour notre bien commun, d'avoir le temps de préciser sa pensée.

bardamu a écrit :Et l'éternelle question de l'essence des choses singulières se résout pour moi dans un rapport simple où on ne cherche pas une sorte de connaissance infinie du moindre détail d'un virus mais où on se contente de la moindre connaissance vraie d'une situation particulière, singulière, pour se comprendre dans sa relation au monde. Une chose singulière n'a pas à être ramenée à un objet des sens, il n'y a pas à la qualifier par rapport à une image (image de soi, d'un virus, d'un caillou etc.), à se demander si on connaît l'essence singulière de M. Dupond, il faut au contraire partir d'une connaissance vraie particulière quelconque et c'est elle qui définit la "chose" dont on s'occupe, la base de notre pensée sur soi et le monde. Ce qu'on appelle "chose" n'a pas à être définie en fonction de nos habitudes sensorielles, c'est-à-dire généralement comme ce qui correspond à une figure découpée dans le réel, mais plutôt comme le terme le plus général pour désigner une connaissance quelconque. On ne s'en sort pas si on prend une image et qu'on cherche derrière une chose en soi, si on se focalise sur l'imaginaire comme base de pensée.
Du fétichisme de la "chose-image"...


Je veux bien tout cela, mais c'est privilégier une approche théorique et élitiste, de la Philosophie en général, du spinozisme en particulier, que rester dans la voie des Lettres à Lucilius.
Et, pour ma part, en privilégiant la dimension pratique du spinozisme, je me sens plus apte à m'en faire l'apôtre auprès de l'homme moyen avec lequel je conviens en tant de choses.

Amicalement

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Messagepar sescho » 03 oct. 2009, 21:43

Dernier effort sur le texte avant de reprendre les excellentes contributions précédentes, je me suis rendu disponible pour me laisser pénétrer par les passages les plus nets que j’ai identifiés, et n’y ai pas trouvé de réponse définitive sur la nécessité absolue, ou non, chez Spinoza, pour la claire connaissance de l’Homme, du raisonnement ; et encore moins sur le « passage » de l’une à l’autre. J’en conclus donc pour l’instant que les déductions doivent être faites par le lecteur.

Ce dont il s’agit me paraît assez bien cerné, pourtant : je suis de nombreuses fois passé d’une connaissance « verbale » à une connaissance intuitive directe. « C’est bien comme cela que ça se passe en réalité », « mais oui, c’est cela que ça veut dire ! » Je dis « connaissance verbale », car en fait, encore une fois, ce qui est alors vu clairement c’est la logique de la démonstration, mais pas sa conclusion. On pourrait d’ailleurs sans doute vérifier toute la logique de l’Éthique sans comprendre vraiment de quoi il s’agit au fond. C’est pourquoi, comme Spinoza, on se dit dans ce cas : « cela doit être comme ça », mais comme d’une chose extérieure, non intégrée : on ne voit pas la chose en vérité, immédiatement. Quand on la voit en vérité, c’est en action dans les choses physiques mêmes (toujours une loi), ou, suprême, le rapport immédiat, sans faute, d’amont en aval, de Dieu à tout. C’est cela le troisième genre, rien d’autre (mais il est vrai que la question d’une intervention malgré tout de la mémoire, et d’un raisonnement fait très rapidement ne s’évacue pas si facilement.)

Nous savons tous par nous-mêmes qu’il existe des degrés de compréhension bien différents sur un même sujet.

Au pire, donc, j’associe un sujet et un prédicat qui n’est pas contradictoire, et la phrase implicite qui précède la proposition c’est : « cela doit être comme ça : ». Du point de vue de la compréhension, c’est relativement pauvre à ce stade (car il ne s’agit nullement de faire de la logique pour elle-même, mais pour comprendre le Monde autant que possible, sinon ce n’est qu’un petit jeu de répétition…) La science intuitive, c’est beaucoup plus profond.

Est admis, comme déjà dit : 1) que le deuxième et le troisième genre portent sur les mêmes choses (en aucun cas une chose singulière prise dans sa singularité, c’est définitivement acquis tant par le texte que par l’expérience la plus élémentaire ; d'ailleurs ce qui se tire en conséquence ici est que tout ce qu'il y a à connaître d'essentiel est le contenu explicite de l'Ethique et rien d'autre), 2) que les deux – mais le second en un seul mouvement – comprennent tout dans l’ordre ontologique depuis le début, savoir Dieu, le Mouvement et l’Entendement infini, etc. (le simple fait de tout rapporter à Dieu – donc de reconnaître Dieu – vaut plus que tout le reste à cet égard, mais le texte ne permet pas de le limiter strictement à cela), et 3) que deuxième genre est très inférieur qualitativement au troisième.

Spinoza a écrit :CT2Ch4 : (9) … la foi vraie [deuxième genre] n’est bonne que parce qu’elle est le chemin de la connaissance claire et qu'elle nous excite aux choses qui sont vraiment aimables ; de telle sorte que notre dernière fin, le principal objet de notre science, est la connaissance claire,
(10) qui est diverse selon la diversité des objets qui se présentent : meilleur est l’objet avec lequel elle s'unit, meilleure est la connaissance elle-même ; et ainsi, l'homme le plus parfait est celui qui s’unit à Dieu, le plus parfait des êtres, et qui jouit de lui.

E5P36CS : … et j’ai pensé qu’il était à propos de faire ici cette remarque, afin de montrer par cet exemple combien la connaissance des choses particulières, que j’ai appelée intuitive ou du troisième genre (voyez le Schol. 2 de la Propos. 40, part. 2), est préférable et supérieure à la connaissance des choses universelles que j’ai appelée du second genre ; car, bien que j’aie montré dans la première partie d’une manière générale que toutes choses (et par conséquent aussi l’âme humaine) dépendent de Dieu dans leur essence et dans leur existence, cette démonstration, si solide et si parfaitement certaine qu’elle soit, frappe cependant notre âme beaucoup moins qu’une preuve tirée de l’essence de chaque chose particulière et aboutissant pour chacune en particulier à la même conclusion [que toutes choses (et par conséquent aussi l’âme humaine) dépendent de Dieu dans leur essence et dans leur existence].


Première question : le deuxième genre est-il absolument incontournable ? Ma réponse est « non », malgré les passages qui disent très explicitement que la démarche en séquence depuis les notions communes – dont Dieu qui ne peut que se faire connaître immédiatement – est indispensable. Pourquoi ? Parce que Dieu ne conçoit rien par raisonnement, et que les idées claires et distinctes de l’Homme sont telles en Dieu, et découlent bien aussi l’une de l’autre en Dieu. Il serait donc incompréhensible que les idées claires et distinctes (troisième genre) ne puissent pas découler les unes des autres sans devoir passer au plan verbal (deuxième genre.) En outre, en Dieu, tout cela est immédiat. C’est bien ce que Spinoza confirme :

Spinoza a écrit :Lettre 32 à Oldenburg : … il existe, selon moi, dans la nature, une puissance de penser infinie, laquelle, en tant qu’infinie, contient en soi objectivement la nature tout entière et dont les différentes pensées s’ordonnent conformément à une loi générale, la loi de la pensée ou des idées. L’âme humaine, selon moi, c’est cette même puissance dont je viens de parler, non pas en tant qu’elle est infinie et perçoit toute la nature, mais en tant qu’elle est finie, c’est-à-dire en tant qu’elle perçoit seulement le corps humain ; et sous ce point de vue, je dis que l’âme humaine est une partie d’une intelligence infinie. …

Lettre 37 à Bouwmeester : … il doit nécessairement y avoir une méthode par laquelle nous pouvons conduire et enchaîner nos perceptions claires et distinctes, et que l’entendement n’est pas, comme le corps, sujet aux chances du hasard. Or c’est ce qui résulte de ce seul point, savoir : qu’une perception claire et distincte ou plusieurs ensemble peuvent être cause par elles seules d’une autre perception claire et distincte. Je dis plus : toutes nos perceptions claires et distinctes ne peuvent naître que de perceptions de même espèce, lesquelles sont primitivement en nous et n’ont aucune cause extérieure. D’où il suit que toutes ces perceptions ne dépendent que de notre seule nature et de ses lois invariables et déterminées ; en d’autres termes, c’est de notre seule puissance qu’elles dépendent et non point de la fortune, je veux dire des causes extérieures, qui sans doute agissent suivant des lois déterminées et invariables, mais nous demeurent inconnues, étrangères qu’elles sont à notre nature et à notre puissance propre. …

E2P11C : Il suit de là que l’âme humaine est une partie de l’entendement infini de Dieu ; et par conséquent, lorsque nous disons que l’âme humaine perçoit ceci ou cela, nous ne disons pas autre chose sinon que Dieu, non pas en tant qu’infini, mais en tant qu’il s’exprime par la nature de l’âme humaine, ou bien en tant qu’il en constitue l’essence, a telle ou telle idée ; et lorsque nous disons que Dieu a telle ou telle idée, non plus seulement en tant qu’il constitue la nature de l’âme humaine, mais en tant qu’il a en même temps l’idée d’une autre chose, nous disons alors que l’âme humaine perçoit une chose d’une façon partielle ou inadéquate.

E2P40 : Toutes les idées qui dans l’âme résultent d’idées adéquates sont adéquates elles-mêmes.

Démonstration : Cela est évident ; car dire que dans l’âme humaine une idée découle d’autres idées, ce n’est pas dire autre chose (par le Corollaire de la Propos. 11, partie 2) sinon que dans l’entendement divin lui-même il y a une idée dont Dieu est la cause, non pas en tant qu’infini, ni en tant qu’il est affecté de l’idée de plusieurs choses particulières, mais en tant seulement qu’il constitue l’essence de l’âme humaine.

E4App : CHAPITRE IV : … la perfection de l’entendement consiste à comprendre Dieu, les attributs de Dieu et les actions qui résultent de la nécessité de la nature divine. La fin suprême de l’homme que la raison conduit, son désir suprême, ce désir par lequel il s’efforce de régler tous les autres, c’est donc le désir qui le porte à connaître d’une manière adéquate et soi-même, et toutes les choses qui tombent sous son intelligence.

E5P26 : Plus l’âme est propre à connaître les choses d’une connaissance du troisième genre, plus elle désire les connaître de cette même façon.

Démonstration : La chose est évidente ; car en tant que nous concevons l’âme comme propre à connaître les choses d’une connaissance du troisième genre, nous la concevons en même temps comme y étant déterminée, et par conséquent (Par la Déf. 1 des passions), plus l’âme est propre à ce genre de connaissance, plus elle le désire. C. Q. F. D.

E5P28 : Le désir de connaître les choses d’une connaissance du troisième genre ou l’effort que nous faisons pour cela ne peuvent naître de la connaissance du premier genre, mais ils peuvent naître de celle du second.

Démonstration : Cette proposition est évidente d’elle-même ; car tout ce que nous concevons clairement et distinctement, nous le concevons ou par soi ou par autre chose qui est conçu par soi : en d’autres termes, les idées qui sont en nous claires et distinctes ou qui se rapportent à la connaissance du troisième genre (voy. le Schol. 2 de la propos. 40, part. 2) ne peuvent résulter des idées mutilées et confuses, lesquelles (par le même Schol.) se rapportent à la connaissance du premier genre, mais bien des idées adéquates, c’est-à-dire (par le même Schol.) de la connaissance du second et du troisième genre. Ainsi donc (par la Déf. 1 des passions) le désir de connaître les choses d’une connaissance du troisième genre ne peut naître de la connaissance du premier genre, mais il peut naître de celle du second. C. Q. F. D.

TTP1 : … tout ce que nous concevons clairement et distinctement, c’est l’idée de Dieu, c’est la nature qui nous le révèle et nous le dicte, non par des paroles, mais d’une façon bien plus excellente et parfaitement convenable à la nature de notre âme : j’en appelle sur ce point à l’expérience de tous ceux qui ont goûté la certitude de l’entendement. …

… bien qu’il soit aisé de comprendre que Dieu se puisse communiquer immédiatement aux hommes, puisque sans aucun intermédiaire corporel il communique son essence à notre âme, il est vrai néanmoins qu’un homme, pour comprendre par la seule force de son âme des vérités qui ne sont point contenues dans les premiers principes de la connaissance humaine et n’en peuvent être déduites, devrait posséder une âme bien supérieure à la nôtre et bien plus excellente …


Remarques :

1) Si les opérations de base de la Logique elle-même sont bien aussi du troisième genre, il ne reste finalement en balance que le plan strictement verbal, qui ne saurait être nécessaire (le statut des mots n’est d’ailleurs pas bien élevé chez Spinoza, de mémoire.)

2) Le problème pratique ne se situe certes pas à ce niveau : il se trouve pour l’immense majorité des individus au niveau des passions et en particulier de l’orgueil, de la pensée confuse et de la superstition. Dans un tel cadre, on peut dire sans se soucier des ultimes détails, et des rarissimes sages précoces, que (les notions communes et) les démonstrations sont les seuls et incontournables yeux de l’âme…

Seconde question : de quelle nature est le « passage » du deuxième au troisième genre ? Dans la continuité je ne vois pas pour l'instant d’autre réponse que celle-ci : il y a désignation de direction : les mots font appel au sens qu’on leur confère (mais comme les mots n’ont pas de sens en eux-mêmes, la rigidité sur ce plan interdit pratiquement à coup sûr toute compréhension correcte) et la phrase les associe pour désigner une réalité tierce. C’est un doigt qui pointe (dans la pensée) mais c’est seulement la vision intuitive qui peut saisir en vérité. La science intuitive est la seule véritable connaissance pure.

Un sujet de la plus haute importance combine tout cela de façon on ne peut plus magistrale et paradoxale : aucune connaissance vraie n’est possible sans une claire vision de Dieu, puisqu’il est en amont de tout. En outre, Dieu se manifeste directement à l’intelligence et sans aucun intermédiaire (c’est LA prémisse entre toutes.) Or l’orgueil et les autres passions sont directement opposés à une claire vision de Dieu…

Pas de solution, donc ? Aucune martingale possible dans ce contexte (sinon aucun problème ne se poserait du tout), et donc aucune garantie de succès, c’est certain. Les forces d’aveuglement équilibrent nécessairement les forces élucidantes sur les aspects non acquis. Mais pourtant, alors même que la compréhension est imparfaite, un mécanisme d’érosion des passions peut se produire par petites avancées dans la connaissance vraie. C’est pourquoi, à nouveau, l’Éthique se lit en boucle, et vise de fait à consolider sa prémisse majeure : Dieu universel.

J’ai même tendance à penser que pour un esprit scientifique, la voie de Spinoza est des plus efficaces : les lois de la Nature universelles, si admissibles, disent bien l’éternité de Dieu (qui remonte encore en amont et avant tout aux attributs sans forme) et l’absence d’être en soi des choses particulières, de permanence absolue dans l’existence singulière, et de libre-arbitre de soi-même et des autres. Encore une fois, pousser l’idée à fond, dans toutes ses conséquences, vaut béatitude. Et il n’y a pas plus grand trésor. Cela vaut le coup d’en faire l’effort !

(La rime et les vers de 9 pieds sont en prime…)

Spinoza a écrit :CT2Ch22 : (3) Ce quatrième mode [troisième genre] de connaissance, qui est la connaissance de Dieu, ne vient pas, comme nous l'avons dit, d'un objet intermédiaire : elle est immédiate ; c'est ce qui résulte de ce que nous avons dit antérieurement ; à savoir :
1° Qu'il est la cause de toute connaissance ;
2° Que Dieu est connu par lui-même et non par autre chose ;
3° Enfin que, par cette raison, la nature nous unit à lui, de manière que nous ne pouvons ni exister ni être conçus sans lui.
D'où il suit que nous ne pouvons le connaître qu'immédiatement.

E2P29S : Je dis expressément que l’âme humaine n’a point une connaissance adéquate d’elle-même, ni de son corps, ni des corps extérieurs, mais seulement une connaissance confuse, toutes les fois qu’elle perçoit les choses dans l’ordre commun de la nature ; par où j’entends, toutes les fois qu’elle est déterminée extérieurement par le cours fortuit des choses à apercevoir ceci ou cela, et non pas toutes les fois qu’elle est déterminée intérieurement, c’est-à-dire par l’intuition simultanée de plusieurs choses, à comprendre leurs convenances, leurs différences et leurs oppositions ; car chaque fois qu’elle est ainsi disposée intérieurement de telle et telle façon, elle aperçoit les choses clairement et distinctement, comme je le montrerai tout à l’heure.

E5P12Dm : Les objets que nous concevons clairement et distinctement, ce sont les propriétés générales des choses, ou ce qui se déduit de ces propriétés (voyez la Défin. de la raison dans le Schol. 2 de la Propos. 40, part. 2) ...

TTP6 : … quand nous savons que toutes choses sont déterminées et réglées par la main divine, que les opérations de la nature résultent de l’essence de Dieu, et que les lois de l’univers sont ses décrets et ses volontés éternelles, nous connaissons alors d’autant mieux Dieu et sa volonté que nous pénétrons plus avant dans la connaissance des choses naturelles, que nous les voyons dépendre plus étroitement de leur première cause, et se développer suivant les éternelles lois qu’elle a données à la nature. Il suit de là qu’au regard de notre intelligence, les phénomènes que nous comprenons clairement et distinctement méritent bien plutôt qu’on les appelle ouvrages de Dieu et qu’on les rapporte à la volonté divine que ces miracles qui nous laissent dans une ignorance absolue, bien qu’ils occupent fortement l’imagination des hommes et les frappent d’étonnement et d’admiration ; car enfin, il n’y a dans la nature que les choses dont nous avons une connaissance claire et distincte qui nous élèvent à une connaissance plus sublime de Dieu, et nous manifestent en traits éclatants sa volonté et ses décrets. …



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Messagepar hokousai » 04 oct. 2009, 14:37

cher Serge

A lire la lettre 37 se pose maintenant un autre problème et du même ordre que le précédent, celui du passage de la connaissance du premier genre au second genre .
Mais quel peut bien être le rôle (causal ) des sensations ou perception dites confuses ? Comment le lien se fait- il et est- il seulement pensé par Spinoza ?

Quel est le statut ontologique de la sensation ?

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Messagepar sescho » 04 oct. 2009, 16:54

hokousai a écrit :cher Serge

A lire la lettre 37 se pose maintenant un autre problème et du même ordre que le précédent, celui du passage de la connaissance du premier genre au second genre .
Mais quel peut bien être le rôle (causal ) des sensations ou perception dites confuses ? Comment le lien se fait- il et est- il seulement pensé par Spinoza ?

Quel est le statut ontologique de la sensation ?

Celui d'idée inadéquate / imagination, du fait qu'elle est hybride entre mon essence et une essence extérieure, étrangère "E2P19-29" (le début de sortie de cette inadéquation est dans le scholie de E2P29.) La base de l'entendement est posée par E2P37-40.

Spinoza a écrit :E2P29S : ... toutes les fois qu’elle est déterminée intérieurement, c’est-à-dire par l’intuition simultanée de plusieurs choses, à comprendre leurs convenances, leurs différences et leurs oppositions ; car chaque fois qu’elle est ainsi disposée intérieurement de telle et telle façon, elle aperçoit les choses clairement et distinctement, comme je le montrerai tout à l’heure.

E2P38 : Ce qui est commun à toutes choses et se trouve également dans le tout et dans la partie, ne se peut concevoir que d’une façon adéquate.

Corollaire : Il suit de là qu’il y a un certain nombre d’idées ou notions communes à tous les hommes. Car (par le Lemme 2) tous les corps se ressemblent en certaines choses, lesquelles (par la Propos. précéd.) doivent être aperçues par tous d’une façon adéquate, c’est-à-dire claire et distincte.

E2P39 : Ce qui est commun au corps humain et à quelques corps extérieurs par lesquels le corps humain est ordinairement modifié, et ce qui est également dans chacune de leurs parties et dans leur ensemble, l’âme humaine en a une idée adéquate.

Corollaire : Il suit de là que l’âme est propre à percevoir d’une manière adéquate un plus grand nombre de choses, suivant que son corps a plus de points communs avec les corps extérieurs.

E2P45 : Toute idée d’un corps ou d’une chose particulière quelconque existant en acte enveloppe nécessairement l’essence éternelle et infinie de Dieu.

E2P46 : La connaissance de l’essence éternelle et infinie de Dieu que toute idée enveloppe est adéquate et parfaite.

E2P47 : L’âme humaine a une connaissance adéquate de l’infinie et éternelle essence de Dieu.

E2P10S : ... la plupart des philosophes... n’ont pas gardé l’ordre philosophique des idées. La nature divine, qu’ils devaient avant tout contempler, parce qu’elle est la première, aussi bien dans l’ordre des connaissances que dans l’ordre des choses, ils l’ont mise la dernière ; et ces choses qu’on appelle objet des sens, ils les ont jugées antérieures à tout le reste. ...

TTP4 : ... l’idée de Dieu nous enseigne que Dieu est notre souverain bien, que la connaissance et l’amour de Dieu sont la fin dernière où il faut diriger tous nos actes. C’est là ce que l’homme charnel ne peut comprendre ; ces préceptes lui semblent choses vaines, parce qu’il n’a de Dieu qu’une connaissance imparfaite, parce qu’il ne trouve dans ce bien suprême qu’on lui propose rien de palpable, rien d’agréable aux sens, rien qui flatte la chair, source de ses plus vives jouissances, parce qu’enfin ce bien ne consiste que dans la pensée et dans le pur entendement. Mais pour ceux qui sont capables de comprendre qu’il n’y a rien dans l’homme de supérieur à l’entendement ni de plus parfait qu’une âme saine, je ne doute pas qu’ils n’en jugent tout autrement. ...

TTP13 : Car les choses invisibles et tout ce qui est l’objet propre de l’entendement ne peuvent être aperçus autrement que par les yeux de la démonstration...

Donc les sensations (idées d'affection du corps), semblant pourtant bien plus nettes et aisées que les éventuels fruits du pénible effort de conceptualisation, et quoique incontournables et base de tout, sont pour Spinoza des idées confuses (personnellement, je serai néanmoins tenté de dire que la sensation prise en elle-même, sans l'extrapoler à rien, ne saurait être dite confuse : elle est, point.) Les notions communes, bases du raisonnement, sont néanmoins "extraites", immédiatement (par communauté de nature), de ces sensations.

Et l'entendement vrai est (donc) chez Spinoza encore beaucoup plus clair que la sensation... On sent là qu'il y a du boulot... :-)


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Messagepar Louisa » 04 oct. 2009, 17:13

Sescho a écrit :
Spinoza a écrit :Spinoza a écrit:
E2P29S : ... toutes les fois qu’elle est déterminée intérieurement, c’est-à-dire par l’intuition simultanée de plusieurs choses, à comprendre leurs convenances, leurs différences et leurs oppositions ; car chaque fois qu’elle est ainsi disposée intérieurement de telle et telle façon, elle aperçoit les choses clairement et distinctement, comme je le montrerai tout à l’heure.


juste pour info: il s'agit d'une erreur de traduction. En réalité, Spinoza ici ne parle pas d'une "intuition" (notion qu'il réserve sans exception au troisième genre de connaissance), mais simplement de "contemplation" ((...) quod res plures simul contemplatur (...)), terme qu'il utilise pour n'importe quel genre de connaissance, aussi le premier (voir plus haut dans le même scolie). Il faut donc traduire, comme le fait Pautrat, par:

Spinoza a écrit :(...) chaque fois qu'il est déterminé (...) du dedans, à savoir de ce qu'il contemple plusieurs choses à la fois, à comprendre en quoi ces choses se conviennent, diffèrent ou s'opposent; chaque fois en effet que c'est du dedans qu'il se trouve disposé de telle ou telle manière, alors il contemple les choses de manière claire et distincte, comme je le montrerai plus bas.


A mon avis, pas mal de divergences d'interprétation du texte spinoziste peuvent être expliquées (ou sont au moins en partie induites) par l'usage d'une traduction plus ancienne ou plus récente (celle-ci étant souvent plus respectueuse du texte latin original). Mais cela est à vérifier, bien sûr.

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Messagepar PhiPhilo » 04 oct. 2009, 19:08

...
Modifié en dernier par PhiPhilo le 13 oct. 2009, 07:52, modifié 1 fois.

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Messagepar Louisa » 04 oct. 2009, 19:21

Phiphilo a écrit :Il n'est question ni d'intuition ni de contemplation mais de considération. Contemplor signifie considérer, dans le sens le plus simple et le plus banal du terme : quod res plures simul contemplatur doit se traduire de ce qu'il considère plusieurs choses à la fois.


je crois que Pautrat a décidé de traduire le plus littéralement possible, et donc rend contemplor par "je contemple", pour ne traduire par "considérer" que le latin considero (par exemple dans l'E3P2 scolie).

Cela a pour avantage de laisser voir l'origine latine du mot. Bien sûr, on peut comprendre le mot "contemplation" dans un sens beaucoup plus "philosophique" et moins banal que celui de "regarder attentivement", et je crois également que ce n'est pas vraiment ce que Spinoza veut dire lorsqu'il utilise contemplor (puisqu'il s'en sert également quand il parle du premier genre de connaissance). Il n'en reste pas moins que Spinoza n'est pas censé être ignorant du sens plus "chargé" de ce terme, donc s'il décidé néanmoins d'utiliser régulièrement contemplor, en quoi serait-on justifié de le remplacer par "considérer"?

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Messagepar hokousai » 04 oct. 2009, 19:34

Parfois tel un pote en ciel le con sidère .

le Robert donne comme synonymes : considérer et contempler .

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Messagepar sescho » 04 oct. 2009, 19:56

Je reprends au passage :

hokousai a écrit :... je persiste à ne pas voir le passage entre le 2eme genre et le troisième genre .Le 2eme genre est vu comme une sorte d'esprit bienfaisant qui, en dehors de toute erreur et de toute fraude, nous apporte la nouvelle du souverain bien et nous invite à le chercher et à nous unir à lui,

Qui effectivement fait bien voir sous un autre jour que si le deuxième et le troisième genre portent bien sur les mêmes sujets, il subsiste un grand écart de nature entre eux.

En effet, il est tout à fait dans l'ordre du deuxième genre - qui porte sur les lois engagées dans, et ce qui est vrai en général pour, le sujet considéré - de faire de la simulation (au sens physique) autant que nécessaire (d'où l'introduction naturelle et permanente dans ce cadre de "potentiel" : affection qui peut survenir dans un sujet, et y survient nécessairement si certaines circonstances sont réunies, indépendamment du fait que cela se produise actuellement ou non. Ce potentiel est donc, comme déjà dit plusieurs fois, un être de raison traduisant une ou plusieurs lois (résultat de ces lois en fonction de certaines circonstances.)

En fait, c'est même tout à fait général : l'expression d'une loi se suffit à elle-même, sans aucun égard pour ce qui se passe actuellement dans le monde. Elle n'est finalement que "potentiel" en elle-même si l'on se réfère à ses conséquences dans le monde. C'est pourquoi le deuxième genre porte aussi sur des essences de genre, qui ne sont pas des choses singulières, mais seulement leur commun d'essence au sein d'un genre.

Comme le dit Spinoza, le deuxième genre c'est la connaissance générale (par essence ; c'est pourquoi ceux qui confondent le plan humain avec le plan divin, l'entendement humain avec l'entendement divin chez Spinoza ne comprennent rien au deuxième genre, au potentiel, etc. : Dieu n'use en aucune façon de raisonnement et ne connait pas les êtres de Raison. La Raison n'en est pas moins le meilleur de l'Homme..., au troisième genre près...)

Pour le troisième genre, cela est beaucoup moins évident. Il y a toujours cet exemple de la connaissance vraie du Bien et du Mal (c'est très explicitement dans le texte de Spinoza, et répété, pour qui a encore quelques neurones en ligne) qui appartient au deuxième genre (c'est parce que c'est général qu'on peut en parler, d'ailleurs, car cela n'a pas de sens dans un être particulier, en ces termes tout au moins), alors même que la connaissance d'un mal est confuse du point de vue du troisième genre (ou plutôt : un mal cesse de l'être dès que sa racine est atteinte par le troisième genre.)

A partir du moment où l'on affirme du troisième genre qu'il est une vision intuitive immédiate de quelque chose qui se passe dans le monde réel, il est encore question de lois, mais uniquement à l'œuvre de fait dans les choses de fait (cela dit, l'essentiel, soit l'idée vraie de Dieu en amont de tout, est universel et immuable.) Il n'est plus alors du tout question de parler de potentiel.

Le deuxième genre montre, sans égard aux modes finis actuels, le troisième réalise dans le monde réel (et dans ce troisième genre, entendement humain et entendement divin se confondent vraiment... dans la limite stricte de l'entendement humain.)


Serge
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Messagepar hokousai » 04 oct. 2009, 23:59

cher Serge

Je suis d'accord avec votre message jusqu à
alors même que la connaissance d'un mal est confuse du point de vue du troisième genre (ou plutôt : un mal cesse de l'être dès que sa racine est atteinte par le troisième genre.)


Pourriez- vous me donner un exemple ?Je pourrais vous donner quelques exemples qui me font hésiter à approuver ce que vous écrivez .

Vous universalisez la connaissance du bien et du mal par le second genre(soit )
Vous semblez pouvoir légitimement universaliser celle par le troisième genre .( ce que Spinoza fait probablement )

Considérons par exemple Auschwitz et les génocides qui hélas sont plus proches de nous dans le temps ...et d’autres qui précédèrent . En quoi un mal cesse de l'être dès que sa racine est atteinte par le troisième genre ?

Il me semble que hors de cadre de la connaissance du second genre ( et celle ci a déjà bien des difficultés à imposer sa raison à la question du mal ) , hors la raison , la question du mal subvertit tout ce qui peut être pensé sous une certaine éternité ceci accompagné de l’idée de Dieu .


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