La "transition" 2e-3e genres de connaissance

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
Avatar du membre
Sinusix
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 172
Enregistré le : 14 juin 2008, 00:00
Localisation : L'HAY LES ROSES (94)

Messagepar Sinusix » 10 oct. 2009, 10:25

Durtal a écrit :
Si je devais pour finir donner ma position par rapport à celle de Serge voici ce que je crois pouvoir dire : Serge pense que nous ne pouvons connaître les choses singulières en tant que singulières, parce que cela implique- et je suis parfaitement d'accord avec lui sur ce point- que nous ayons des perceptions intuitives ( si c'est toutefois ce que signifie "connaître les choses singulières en tant que singulières) de toutes les choses et relations qui sont couvertes par ailleurs par nos notions communes, ce qui, d'après moi, n'est pas possible en effet. Là où nous sommes en désaccord peut être est que je fais une exception et une seule à cette maxime: à savoir le rapport interne que nous avons à nous même et qui est bien la perception intuitive d'une chose particulière, laquelle (et cette fois c’est à votre intention que je répète ceci) n'est pas une entité monadique "sans portes ni fenêtres" (c'est à dire sans aucun rapport avec les autres choses).


Je vous aime bien, Durtal. J'approuve. Je conçois qu'on puisse ne pas approuver.
Mais c'est propre, mais c'est net.

Amicalement

PhiPhilo
persévère dans sa puissance d'être ici
persévère dans sa puissance d'être ici
Messages : 148
Enregistré le : 24 juin 2008, 00:00

Messagepar PhiPhilo » 10 oct. 2009, 10:36

...
Modifié en dernier par PhiPhilo le 13 oct. 2009, 07:50, modifié 1 fois.

Avatar du membre
sescho
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1127
Enregistré le : 30 mai 2002, 00:00
Localisation : Région Centre
Contact :

Messagepar sescho » 10 oct. 2009, 12:45

Je pense que nous progressons. :)

Je reprends ici seulement quelques points :

1) Sur la dissolution des passions par le troisième genre :

E5P18S : … la tristesse, en tant que nous en concevons les causes, cesse d’être une passion (par la Propos. 3, part. 5) ; en d’autres termes (par la Propos. 59, part. 3) elle cesse d’être la tristesse ; d’ou il suit qu’en tant que nous concevons Dieu comme cause de la tristesse, nous éprouvons de la joie.

2) Sur Dieu « parfait » :

Je me suis déjà clairement expliqué plusieurs fois. J’ajoutais « si l’on veut se servir de ce mot » systématiquement au début. Dieu (et tout ce qui en découle) ne peut être proprement dit « parfait » : il est, c’est tout. Il n’est dit « parfait » à mon sens avec quelque raison, soit simplement pour trancher sur le fait qu’à Dieu et ses modes aucune imperfection ne peut être attachée, soit comme traduction de l’Amour de Dieu qui accompagne indissociablement sa connaissance réelle. Ajoutons que « parfait » signifie « auquel rien ne manque » (sans défaut, de quoi que ce soit), achevé, absolu,… tout cela étant des propriétés de Dieu.

3) Sur l’importance des lois chez Spinoza :

Je répète que le fait qu’on ne connaisse éventuellement pas le statut ontologique des lois ne justifie en aucune façon qu’on les passe sous silence. Ce serait tout simplement prendre une ignorance pour une raison… Spinoza en parle très abondamment (c’est un des premiers sujets en importance globalement), et comme étant l’essence même de Dieu, « ses décrets » (elles appartiennent à l’essence du Mouvement-repos, selon moi.) Donc : aucune étude sérieuse de Spinoza ne peut passer les lois par pertes (en plus, les propriétés - dynamiques, au moins - des choses et les propositions de l’Éthique sont des lois ou des expressions de lois.)

4)
hokousai a écrit : je vois comme une contradiction entre

"""" D'abord, il ne s'agit pas d'un mal théorisé et extérieur, mais d'un mal intérieur"""

Et """""la souffrance, prise en soi n'est pas un mal, car rien n'est mal en soi """""

Car » rien n'est mal en soi » ne répond justement pas à un mal intérieur

Je me suis exprimé à des niveaux différents de compréhension, et ceci rejoint très intimement la dissolution du mal par la connaissance du troisième genre illustrée plus haut.

Si je me place au plan de Dieu, aucun phénomène (sans exception) ne peut être dit « mal » (c’est pourquoi je peux dire absolument la seconde phrase.) Si maintenant je me place sur le plan de l’Homme (qui est en Dieu mais n’est pas Dieu), de deux choses l’une : soit 1) Un individu a pleine conscience de Dieu (infiniment rare) et alors il sait que rien n’est mal, mais d’un autre côté il ne vit plus rien de ce qui est appelé « mal » au sens du deuxième genre, soit 2) Ce n’est pas le cas et il vit donc plus ou moins le « mal » selon ce même sens. J’ai donc parfaitement droit à la première phrase aussi.

Sinon, je maintiens comme une évidence pour moi, que l’objet de l’ Éthique est l’amendement personnel (qui comprend encore une fois la Générosité) et que le but n’est pas de théoriser le « mal » (mais c’est utile en première étape) - a fortiori pas de passer à côté de toute l’Éthique en confondant les plans divin et humain pour affirmer que de toute façon tout va bien puisque le « mal » n’existe pas, et que le problème c’est précisément qu’il existe une morale, soit le plus monumental contresens possible sur l’Éthique … - mais de le dissoudre en soi de fait.

hokousai a écrit :Vous écriviez le: 06/11/2004 22:48 """ il n’y a pas de connaissance du troisième genre d’un mal, parce que vivre un mal est être par là-même dans un état passif qui est contraire à la connaissance du troisième genre)"""""".

C’est très exactement E4P64 (et c’est logique ; il s’agit là de connaissance du premier genre) : La connaissance du mal est une connaissance inadéquate.

Démonstration : La connaissance du mal, c’est la tristesse, en tant que nous en avons conscience (par la Propos. 8, part. 4). Or, la tristesse, c’est le passage de l’homme à une moindre perfection (par la Déf. 3 des pass.), et par conséquent, elle ne se peut comprendre par l’essence même de l’homme (en vertu des Propos. 6 et 7, part. 3) ; d’où il suit (par la Déf. 2, part. 3) que c’est une affection passive qui ne dépend donc point des idées adéquates (par la Propos. 3, part. 3), et enfin que la connaissance de la tristesse ou du mal est une connaissance inadéquate (par la Propos. 29, part. 2). C. Q. F. D.

hokousai a écrit :Je vous demande par quel genre de connaissance est- ce que je connais Auschwitz qui ne soit pas bien entendu une connaissance purement factuelle .
Il est bien évident que je ( ni vous ) n’en ai pas une connaissance purement factuelle ( objective, froide et dépouillée de tout affect ).

Le premier genre, à moins que vous n’ayez démontré la possibilité (c’est-à-dire les circonstances nécessaires et suffisantes qui s’ajoutent aux lois de la nature humaine) d’Auschwitz par la démonstration. C’est alors du deuxième genre (je précise en passant que, normalement, « second » est réservé au cas où il n’y a que deux et non plus.)

hokousai a écrit :Excusez- moi mais je ne suis pas près d’ avaler cette couleuvre là :Ensuite, s'il s'agit de Dieu et de l'éternité, il n'y a ni bien ni mal

C’est très très clairement ce que Spinoza dit. Mais il dit aussi qu’il n’y a pas plus de mal à pendre les coupables…

5) Notions communes :

Je rappelle que le texte de Spinoza n’est très explicite (et en plusieurs endroits) sur la nature des notions communes qu’en cela : les notions communes sont les axiomes. Il y a forcément, dans ces conditions, un doute sur le statut qu’accorde Spinoza aux notions universelles (ou générales), voire même aux définitions (dont celle de Dieu, la base absolue.) C’est cependant une obligation logique que de les associer à la connaissance claire de près (définitions, dont Dieu) ou de proche (notions générales, dont l’Homme ; mais effectivement Spinoza reprend l’Homme par sa racine dans le cours du texte ; pas sûr que l’animal soit exclu facilement de cette « définition » en passant…) Quoiqu’il en soit, il est un fait monumental évident qu’il les utilise en permanence (et pour cause, encore une fois : le deuxième genre ne fonctionne absolument pas sur du particulier en tant que particulier), qu’elles sont donc ultra-validées par l’usage qu’en fait l’auteur lui-même, et que si l’on veut absolument que ce soient des idées très confuses, la cohérence élémentaire indique qu’il vaudrait mieux changer d’auteur…

Spinoza ajoute en outre qu’en tant qu’il sont intelligents (troisième genre avec Dieu en permanence à l’esprit comme cause de tout) les hommes conviennent (de fait) en nature, c’est-à-dire en essence, et aussi que le souverain bien est le même pour tous les hommes (ce qui est totalement cohérent, et seulement cela l’est, avec le reste : « essence de l’homme », « éternité des idées du troisième genre », etc.)

Durtal a écrit :… l'esprit, chose parmi les choses, se connaît toujours ainsi in situ dans le milieu des choses, et qu’inversement il n'y a pas de connaissance de choses qui ne soit en réalité connaissance de l'esprit par lui-même (en ce sens si vous voulez qu’il ne peut pas sortir à l’extérieur de lui-même pour aller se « promener » dans les choses).

Je suis d’accord (et avec le reste), mais je voudrais faire la distinction suivante : les trois genres de connaissance ne sont pas du tout similaires de ce point de vue :

- Le premier genre est dans les représentations des choses singulières, mais sans ordre, tel un compactage d’impressions (plus ou moins généralisées à tort ensuite) ; bref la mémorisation confuse de sensations, et éventuellement élaboration de pseudo-lois à partir de là.

- Le deuxième genre c’est l’opposé : Spinoza le répète à l’envi : les choses extérieures sont d’une essence étrangère à la nôtre, elles changent tout le temps, elles ne nous donnent aucune idée de Dieu, etc., etc. La seule base qu’elle trouve dans la Nature ce sont les quelques notions communes (axiomes, et …), connaissance immédiate liée à une communauté de nature de fait entre les corps. Ensuite, elle ne fait que développer la Logique, et c’est là un processus totalement interne (connaître l’entendement, appartenant à l’essence pure de l’Homme, et ses lois et tout construire à partir de là.) Les choses comprises par l’entendement sont invisibles. « L’ordre commun de la Nature » (extérieure, ici) s’oppose à « l’ordre de l’entendement. »

- Le troisième genre revient aux choses réelles, mais pas du tout dans le même rapport que dans le premier genre : il s’agit alors de voir en acte ce que le deuxième genre à dégagé par le raisonnement, c’est-à-dire l’ordre ontologique (Dieu-Mouvement-Corps, ou Dieu-Entendement infini-idée parfaitement claire) et les lois, directement, sans raisonnement verbalisé (si toutefois ce n’est pas un pléonasme.)

- Par ailleurs « esprit » est une notion universelle ; il n’y a que des idées singulières et il n’est pas possible d’avoir une idée claire et distincte (troisième genre) d’une idée confuse.

Durtal a écrit :Si je devais pour finir donner ma position par rapport à celle de Serge voici ce que je crois pouvoir dire : Serge pense que nous ne pouvons connaître les choses singulières en tant que singulières, parce que cela implique- et je suis parfaitement d'accord avec lui sur ce point- que nous ayons des perceptions intuitives ( si c'est toutefois ce que signifie "connaître les choses singulières en tant que singulières) de toutes les choses et relations qui sont couvertes par ailleurs par nos notions communes, ce qui, d'après moi, n'est pas possible en effet. Là où nous sommes en désaccord peut être est que je fais une exception et une seule à cette maxime: à savoir le rapport interne que nous avons à nous même et qui est bien la perception intuitive d'une chose particulière, laquelle (et cette fois c’est à votre intention que je répète ceci) n'est pas une entité monadique "sans portes ni fenêtres" (c'est à dire sans aucun rapport avec les autres choses).

Pour ce qui est de « chose singulière en tant que singulière », j’ai été obligé de l’utiliser pour démêler les pires écheveaux. Si, confondant une fois de plus le plan divin et le plan humain, je dis qu’il n’existe de vrai que les choses singulières « tel-que », et que la Raison, basée sur les notions générales, ne vaut rien (ou toute phrase qui dit cela tout en ne disant pas complètement cela, etc., et sans m’étendre sur ce que c’est toute l’Éthique, entièrement du deuxième genre, qui est dite ne rien valoir par-là), il faut être conséquent : non pas définir ce qu’on entend par « chose singulière » en général, car c’est là-encore une notion universelle : « chose finie en acte », mais ne parler par exemple que de cette table-là telle qu’elle est en cet instant précis. Et sans le droit de dire « table » même, puisque c’est aussi une notion universelle. Juste un pointé de doigt vers une chose finie en acte : « cela. »

C’est cela que j’appelle « chose singulière en tant que singulière » ou « chose singulière prise dans sa singularité », pour bien marquer que je ne prends pas "chose singulière" en général, ni même ne parle d’une notion universelle, telle « Homme », qui pourtant marque la communauté réelle d’essence (ce que n’acceptent pas les ayatollah de l’essence singulière) entre toutes les choses singulières réelles du genre (notion du deuxième genre) Homme.

Donc, un « homme singulier en tant que singulier » c’est untel en un instant précis, avec parmi tant d’autres détails jusqu’au plus petit, à cette seconde, sa manière unique de se souvenir de sa grand-mère unique, lui préparant des profiteroles au chocolat uniques en été (il a généralisé un peu) à Cassis, avec le soleil qui, …

Ou alors, il va falloir m’expliquer ce qu’on entend (en général…) par « chose singulière telle qu’elle existe réellement » si ce n’est pas pour la prendre telle qu’elle est…

Connaître ce qu’elle est dans son intégralité, de façon parfaite, il apparaît clairement à un enfant de trois ans que ce n’est pas possible à une infinité de points de vue (et Spinoza le dit bien explicitement.) Outre les limites très nettes de nos sens, « une chose singulière » est déjà une approximation en soi : 1) Elle ne peut pas être dissociée absolument de son environnement. 2) « Elle » change tout le temps tant soit peu dans cet ordre (et d’ailleurs « elle » n’a pas d’essence, « elle » en incarne une, c’est tout ; en fait, même, « elle » n’existe pas en propre et c’est seulement Dieu qui se manifeste en permanence de cette manière changeante selon les lois du Mouvement dans l’Etendue ; « seul Dieu a une essence et les choses n’en ont pas ».)

Sinon oui : il y a des choses singulières que nous pouvons connaître par le troisième genre : les idées du troisième genre mêmes, soit toutes nos idées claires et distinctes.

Après nous sommes aussi dans le Monde changeant, et sans doute la « nourriture d’impressions » nous est-elle nécessaire dans ce cadre, éclairée, et cela reste l’essentiel, par la véritable connaissance de Dieu éternel. Par ailleurs, la connaissance vraie de Dieu ne peut pas se perdre ; une fois révélée elle illumine tout, accompagnée de l’Amour, sans interruption.


Serge

P.S. Je crois que j'ai fait long...
Modifié en dernier par sescho le 10 oct. 2009, 19:56, modifié 1 fois.
Connais-toi toi-même.

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 10 oct. 2009, 14:05

à PhiPhilo



scolie de la prop 31/1
non est, quia concedo, ullum dari intellectum potentia, sed


Pautrat : n'est pas que j'accorde qu'il y ait aucun intellect en puissance


Saisset:ce n'est pas que j'accorde qu'il y ait aucun entendement en puissance (entendement au lieu d’intellect chez Saisset et Apphun lequel traduit sinon comme Pautrat et Saisset )


Caillois(et Misrahi d' ailleurs ): je parle ici d’un entendement en acte non parce que j’ accorde l’existence d’un entendement en puissance ( ce qui est notablement différent je l 'admets bien )

……………………………………………………………………………
J’aurais tendance à accepter la traduction de Pautrat /Saisset / Apphun
Mais bref

L'intellect en puissance Spinoza ne l'admet pas dans les termes de l'en puissance scolastique Reste qu'il tient à distinguer à tout le moins à éviter une confusion .Il précise donc en acte .

Sur le fond Spinoza parle ici (prop 30 et 31/1)de l’intellect en acte fini ou infini qui doit être rapporté à la nature naturée non à la naturante . On en est donc à tout ce qui suit de la nécessité de la nature de Dieu .Ce sont les choses qui sans Dieu ne peuvent ni être ni se concevoir

En parlant d'intellect en acte Spinoza dit qu’il ne veut pas entretenir de confusion . Mais de confusion avec quoi ?
IL n’a voulu parler que de la chose perçue par nous ,mais par différence d’avec quoi ? à mon avis par différence avec l’idée infinie de Dieu .

Or le statut ontologique de l’idée de Dieu est de la nature naturante (me semble t il démentez moi )
Dieu peut penser une infinité de chose d’une infinité de manière . Oui mais aussi longtemps que les chose singulières n’existent pas leur être objectif autrement dit leur idée n’existe pas .

Je veux bien que l’idée de Dieu ne soit pas un en puissance de mais il est douteux d’aligner l' acte de l’idée de Dieu sur l’acte de la nature naturée .comme vous le faite( à moins que je ne perçoive pas dans votre courte intervention 07/10/2009 17:46 une distinction que vous feriez )

et c’est tout ce que je voulais signifier .

hokousai

(et quand je veux signifier je lance une fusée )

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 10 oct. 2009, 14:41

cher Serge

Si je me place au plan de Dieu, aucun phénomène (sans exception) ne peut être dit « mal » (c’est pourquoi je peux dire absolument la seconde phrase.)



Cette indifférenciation est des plus redoutables .
Si vous opérez un déplacement des termes vers le bon et le mauvais, l’ utile et l'inutile vous évitez l'indifférenciation .
Ce que Spinoza est contraint de faire .

Il ne découle de la nature de Dieu que la réalité( donc la perfection ) soit !. Mais cette réalité n’est pas indifférenciée ( ce n’est pas un chaos et chez Spinoza moins qu’ ailleurs ) Il faut se pencher sur la signifiance de cette réalité et ce parce qu’ en bout de chaîne il y a notre appréhension des malheurs du monde comme étant des malheurs du monde (très signifiant).

Je regrette mais aucun sage ( et même rarissime ) ne peut demeurer indifférent à Auschwitz sauf à avoir perdu son humanité .
Je ne peux admettre l’insignifiance de la nature de Dieu s‘exprimant dans telle réalité précise . Ma question n’est pas pourquoi de l’être plutôt que rien mais pourquoi cette réalité précise plutôt qu’une autre( et Spinoza ne se lasse pas de parler de précision) .

Hokousai

Avatar du membre
sescho
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1127
Enregistré le : 30 mai 2002, 00:00
Localisation : Région Centre
Contact :

Messagepar sescho » 10 oct. 2009, 19:12

Cher Hokousai,

hokousai a écrit :Si vous opérez un déplacement des termes vers le bon et le mauvais, l’ utile et l'inutile vous évitez l'indifférenciation .
Ce que Spinoza est contraint de faire .

Pas vraiment. Le "bien", le "bon" et l'"utile" c'est la même chose (en général, pas forcément dans les contextes particuliers du discours.) Rien ne peut non plus être dit "utile" ni "inutile" au plan de Dieu.

hokousai a écrit :Il ne découle de la nature de Dieu que la réalité( donc la perfection ) soit !. Mais cette réalité n’est pas indifférenciée ( ce n’est pas un chaos et chez Spinoza moins qu’ ailleurs ) Il faut se pencher sur la signifiance de cette réalité et ce parce qu’ en bout de chaîne il y a notre appréhension des malheurs du monde comme étant des malheurs du monde (très signifiant).

Je regrette mais aucun sage ( et même rarissime ) ne peut demeurer indifférent à Auschwitz sauf à avoir perdu son humanité .
Je ne peux admettre l’insignifiance de la nature de Dieu s‘exprimant dans telle réalité précise . Ma question n’est pas pourquoi de l’être plutôt que rien mais pourquoi cette réalité précise plutôt qu’une autre( et Spinoza ne se lasse pas de parler de précision) .

Effectivement, le plan de l'Homme n'est pas le plan de Dieu. L'Homme ressent en fonction de sa nature particulière, endure la souffrance - physique ou psychologique - comme un "mal" (sauf qu'il ressent souvent le mal-être sans avoir du tout identifié les causes) et a la notion vraie du "mal", etc.

Il n'est pas forcément utile de parler des sentiments des sages rarissimes. Serions-nous au-dessus pour en juger ?

Mais on entend des histoires de sages d'une extrême réputation, et d'une bonté et d'une patience infinies en toute circonstance, qui n'ont pas ressenti, ou alors très passagèrement, de tristesse à la mort d'un enfant pourtant très aimé de son vivant. Quand on sait que tout est en Dieu, qui est éternel, on ne peut pas se morfondre d'un phénomène particulier quel qu'il soit, et on n'est nullement "insensible" pour cela : il s'agit d'êtres humains extrêmement sensibles, au contraire. Mais délivrés des passions de tous ordres.

On parle aussi de sages qui ont ressenti une grande tristesse, mais dans le "substrat" immuable de la conscience sans forme, laquelle tristesse a passé sans laisser de traces.

De l'autre côté, il est assez courant que nous prenions nos passions (que nous n'avons pas identifiées comme telles) pour de la "sensibilité" qui devrait s'imposer comme règle morale à tout le monde. En fait nous prenons nos émotions négatives, parties du "mal", pour le contraire de ce qu'elles sont.

Si je pense à la Shoah de façon spontanée, c'est terrible. Pour un seul individu, déjà ; alors pour des millions... Tant de gens qui ne demandaient qu'à vivre en bon voisinage, aimants, travailleurs, cultivés, ..., ces enfants pleins de joie de vivre, qu'on a fait souffrir atrocement, qu'on a massacrés (aux différents sens du terme.) Comme le dit Spinoza lui-même, si un homme n'est mené à l'égard d'autrui ni par la générosité ni par la pitié, il ne mérite pas le nom d'Homme. Alors là...

Et pourtant ce sont des hommes qui l'ont fait, et des hommes en Dieu comme tous les hommes, et tout ce qui est. Car tout se produit en fonction des lois divines éternelles, et Dieu est donc parfait pris absolument. En fait, c'est cette même violence qui se trouve partout, dans le pervers narcissique qui harcèle sans répit et pousse au suicide, par exemple, mais massive et planifiée avec la discipline et l'efficacité teutonnes (et un certain secret, quand-même ; peu savaient - beaucoup se doutaient sur place, sans doute -, et même les alliés n'ont pas désigné les camps de la mort comme objectif même secondaire des bombardements, et ont été sidérés de leurs découvertes lors de la libération.)

Des sages semblent se contredire radicalement en disant à la fois "acceptez tout ce qui est" et "vous ne pouvez pas accepter cette situation." En fait ils ne parlent pas au même plan : il faut accepter tout fait (parce que c'est là ; "aurait dû" est une invention), mais ne pas accepter qu'un malheur se prolonge si on peut l'éviter (c'est la dimension "désirante" de l'Homme qui s'exprime alors : sa capacité à planifier des actions dans la direction d'un résultat escompté ; mais à nouveau le résultat réel est purement accepté comme tout fait. C'est toutefois alors un sentiment totalement positif - la Générosité - qui s'exprime, et non la pitié - ou le sentimentalisme, etc.)

Un hypothétique pur sage peut donc considérer profondément la Shoah sans ressentir de tristesse, et faire tout ce qui est en son pouvoir (enseigner la sagesse en particulier, car tout vient de là ou de son contraire) pour que cela ne se reproduise pas. A ce titre, il pourrait être d'une sainte sévérité - autant que nécessaire dans toutes les directions : ni trop ni trop peu - contre les mouvements sectaires de quelque farine que ce soit (y compris ceux qui bénéficient de la faiblesse coupable du politiquement correct, en passant.) Mais il peut aussi, je pense, en outre très bien considérer que certaines exécutions capitales sont nécessaires. Le tout dans le plus parfait Amour vrai.

Ne jugeons pas à l'aune de nos passions.


Serge
Connais-toi toi-même.

Avatar du membre
Durtal
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 527
Enregistré le : 17 oct. 2006, 00:00

Messagepar Durtal » 10 oct. 2009, 21:42

Sinusix a écrit :Mais c'est propre, mais c'est net.



Merci Sinuxis, vous ne pouviez trouver meilleur compliment pour moi que celui-ci.

j'aime bien aussi votre petite mise au point, à coté, sur la question du salut...

D.

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 11 oct. 2009, 00:04

Car tout se produit en fonction des lois divines éternelles, et Dieu est donc parfait pris absolument.


Ce qui est tout à fait intrigant c'est le passage d'un Spinoza, pas si éloigné de Hobbes sur le constat pessimiste , au troisième genre de connaissance et surtout à cet amour intellectuel de Dieu .
Dans amour intellectuel il y a quand même amour .

Pas besoin de lire l 'un et l'autre pour s'avouer que le spectacle de la nature sur le fond ne nous convient pas . Après tout on peut avoir avis que ces lois éternelles sont fort mal faites .

Ceux à qui cela ne convient pas seraient dans l'imaginaire ou jugeraient selon leurs passions et puis les rares qui mettraient leur mouchoir dessus tant d' horreur seraient des êtres de raison .
Que Spinoza veuille m' administrer un remède contre mon affliction ou qu'il veuille d ailleurs se l'administrer à lui même au premier chef ,certes,l'effort est louable , louable mais incertain quand à l'effet .

hokousai

Ps
Je précise que je ne vous tiens pas pour quelqu'un qui met son mouchoir par dessus. Mon ton est polémique envers une certaine résignation rationaliste qui ne va pas chercher plus loin .
Je ne vise pas Spinoza non plus lequel effectivement cherche plus loin .

Je pense et je l'ai suggéré plusieurs fois que Spinoza a eu ( ou est dans) une expérience qui tient de la mystique. Ce n'est pas la nuit de feu de Pascal , ils n'avait pas le même tempérament mais l'effet est analogue.

Aller parler de mystique dans certains cercles rationalistes relève de l'exploit.
J ai connu un philosophe rationaliste (universitairement titré et loin d être sot ) prétendu spinoziste mais qui n'avait pas compris, de son propre aveux , la cinquième partie de l'Ethique . Non seulement pas compris mais qui y était hostile .Qui n'avait très exactement pas compris comment Spinoza avait pu écrire cela .
""Spinoza une mystique sans mystère ""dit Gueroult .. non pas , car cette mystique est justement mystérieuse .
Mystérieuse car il fait silence là dessus ....ou bien nous ne savons pas lire .

Avatar du membre
sescho
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1127
Enregistré le : 30 mai 2002, 00:00
Localisation : Région Centre
Contact :

Messagepar sescho » 11 oct. 2009, 19:31

hokousai a écrit :Ce qui est tout à fait intrigant c'est le passage d'un Spinoza, pas si éloigné de Hobbes sur le constat pessimiste , au troisième genre de connaissance et surtout à cet amour intellectuel de Dieu .
Dans amour intellectuel il y a quand même amour .

Et le plus grand, qui plus est ; le seul grand, même, qui n'a pas de contraire, qui ne peut se muer en haine (nul ne peut avoir Dieu en haine.) L'Amour qui est à l'amour ce que la Béatitude est à la joie.

Cela n'empêche pas de voir les choses telles qu'elles sont : par rapport au souverain bien (comparaison / rapport - ratio, raison - qui ne peut être que de l'ordre du deuxième genre) il est clair que l'essentiel de l'humanité nage dans l'erreur, et pollue son environnement.

hokousai a écrit :Pas besoin de lire l'un et l'autre pour s'avouer que le spectacle de la nature sur le fond ne nous convient pas . Après tout on peut avoir avis que ces lois éternelles sont fort mal faites .

Pas en suivant Spinoza... Les lois de la Nature sont parfaites, et il n'y a rien à quoi les rapporter pour les juger. Dieu s'impose par lui-même et sans rapport à rien, en totale positivité.

Dans ces conditions, la logique et la plus grande probabilité, c'est que nous n'avons pas encore tout compris...

hokousai a écrit :Ceux à qui cela ne convient pas seraient dans l'imaginaire ou jugeraient selon leurs passions et puis les rares qui mettraient leur mouchoir dessus tant d' horreur seraient des êtres de raison .

Ceci n'a rien à voir avec la Raison. Encore une fois, la Raison peut même dire qu'il faut pendre les coupables...

Spinoza est pour moi (et pour d'autres) l'aboutissement du stoïcisme (la grande philosophie morale - entre autres parties - de l'Antiquité qui régna sept siècles ; même Cicéron, qui se revendiquait pourtant de l'Académie sauf erreur, y est régulièrement rattaché ; je dis bien l'"aboutissement", je ne dis pas Spinoza seulement stoïcien.) Eh bien trainent encore aujourd'hui, comme à l'époque stoïcienne et à celle de Spinoza, toujours ces mêmes "objections" qui n'en sont pas : "si Dieu est responsable de tout alors il est aussi responsable de tout le mal que font les hommes ; c'est un blasphème !" (voir Blyenbergh et Osten / Velthuyssen.)

Non, ce qui est un blasphème c'est de penser qu'une part de l'Homme est hors de Dieu, et que donc il serait Dieu - ou Diable, peu importe ici - lui-même, de son côté...

Le grand Chrysippe a même dû s'échiner (en pure perte) pour "sauver" une part de responsabilité propre afin d'éviter l'accusation d'amoralisme.

L'erreur fondamentale est la croyance au libre-arbitre, comme le dit Spinoza. On "veut du coupable" (en soi ; pas seulement la responsabilité au titre de cause prochaine de l'acte comme l'entend la Loi) ; et derrière de la punition et de la vengeance. Et de l'autre côté on se monte le col de ses réalisations, on se compare pour s'y inventer une (fausse) valeur propre, etc. C'est le même axe, dans les deux directions.

Comme déjà dit, que tout sans exception soit déterminé par les lois divines n'exclut déjà aucune "sanction." Toujours la même parole attribuée à Zénon de Kition (Diogène Laërce, de mémoire): à un esclave voleur, battu pour cela, lui disant "c'était mon destin de voler" il répondit : "et aussi d'être battu."

Mais ce n'est pas tout : il y a le plan de Dieu et il y a le plan de l'Homme. La première part est forcément à Dieu : le fait est le fait et en tant que tel est neutre et divin. La seconde part est à l'Homme : par les lois de la Nature, toujours, la Vigueur et la Générosité s'imposent à l'homme de bien. Ces désirs actifs le poussent à l'action en ce sens. Que tout soit déterminé n'implique en aucune façon l'inaction, au contraire. Ce n'est que vaincu par le Mental passionnel qui ne se résigne pas à abandonner l'idée du libre-arbitre tout en voyant qu'elle ne tient pas debout, qu'on tire cette fausse conclusion.

A quoi cela sert-il de dire "aurait dû", "n'aurait pas dû" ? La Raison c'est : "Pas ce qui devrait être mais ce qui est." Toujours "oui" à ce qui est (Prajnanpad / Desjardins.) A quoi cela sert-il d'accuser (au sens du libre-arbitre), de reprocher, de s'indigner du passé, de s'en morfondre, etc. ? A rien ; c'est du bruit mental, hors la Raison.

Donc, suivant la Raison : dans un premier temps, je prends tout fait comme acte divin, donc neutre vis-à-vis des notions humaines de bien et de mal. Je marque une pose. Et ensuite j'exprime la Vigueur et la Générosité (qui implique de faire la part du Bien et du Mal, qui ont un sens pour l'Homme ; la Générosité c'est aussi de vouloir que les autres hommes - certains seulement en tenant compte des limites de la force humaine - jouissent du souverain Bien ; encore faut-il en avoir une notion suffisamment correcte soi-même...)

C'est pourquoi on peut dire à la fois : "accepter pleinement tout fait" et "désirer que telle chose ne dure pas, et agir dans la même mesure" (soit "ne pas accepter" en version condensée, qui peut prêter à confusion vis-à-vis de la première assertion.)

hokousai a écrit :Je pense et je l'ai suggéré plusieurs fois que Spinoza a eu ( ou est dans) une expérience qui tient de la mystique.

Ce n'est pas un gros mot ! Il n'y a qu'une Sagesse, et des mystiques y ont leur part, donc inversement tous les sages ont en quelque acception part à la mystique (il faudrait très précisément définir le mot pour faire la part des choses.)


Serge
Connais-toi toi-même.

Enegoid
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 452
Enregistré le : 10 févr. 2007, 00:00

Messagepar Enegoid » 11 oct. 2009, 20:27

Idées en vrac. Je ne conclue rien, je réagis aux deux fils en cours à partir de la réponse de Durtal.

1. Il faudrait quand même arriver à se mettre d’accord sur ce que Spi appelle la « connaissance des choses », au pluriel.

Et je voudrais éviter la reprise de l’éternel débat sur la singularité de ces choses. Je suis bien d’accord qu’une chose quelconque ne peut être identifiée, parmi le magma des perceptions brutes que par référence à un genre : je ne connais Pierre qu’après avoir implicitement accordé à Pierre la qualité d’homme, donc, même singulier Pierre est « un homme ». Et la première chose que nous faisons devant une perception confuse est de classer cette chose dans un genre. Nous ne pouvons pas faire autrement, et ce classement est bien une loi éternelle de l’esprit. Ceci étant il y a une différence entre la connaissance de l’homme et la connaissance de Pierre, et je dirais que, la plupart du temps, la connaissance de Pierre nous importe plus que celle de l’homme.

2. Je suis frappé par l’argument de Spinoza concernant le fait que nous « sentons et savons par expérience que nous sommes éternels ». Cette phrase m’a longtemps parue obscure. Je n’avais pas bien lu le « car » causatif qui justifiait cette phrase : « car l’âme ne sent pas moins les choses qu’elle conçoit par un acte de l’entendement que celles qu’elle a dans la mémoire ». Je comprends que nous sentons que nous sommes éternels quand nous utilisons notre entendement (par opposition au séquencement des associations d’idées produites par notre mémoire). En ce sens toute opération de pure logique mérite la mention « esprit éternel ». Le tout est de savoir à quelles « choses » s’applique l’opération. D’où l’enjeu de savoir de quoi on parle quand on parle de choses.

3. Je suis également sensible au fait que Spinoza tenait Machiavel en grande estime. Je suppose qu’il avait reconnu une parenté entre la vision de Machiavel et son projet, à lui Spinoza, de considérer les choses humaines comme on étudie « les lignes, les surfaces et les solides ». Ce projet ne peut s’arrêter devant Hitler, sinon, il est invalidé. Nous qui avons la chance de ne pas avoir souffert directement de cette période de l’histoire, et donc d’être épargnés dans nos affections, utilisons notre esprit pour connaître. L’indignation est une affection facile je dirais. Pensons à ce que nous pourrions dire aujourd’hui si Hitler avait gagné la guerre (idée qui fait partie de l’essence de Dieu, mais qui ne s’est pas réalisée, comme parmi les rectangles de Spinoza, certains passent à l’existence d’autres non).

4. Exemples de « choses » : une table, un tableau, un événement, une personne, une situation, etc. Ce qui est difficile pour moi quand on parle de 3ème genre, c’est que ce genre consiste seulement à voir (je force le trait) que toute chose, composée de corps et de pensées, existe comme mode de la substance étendue et de la substance pensante, soit Dieu. J’avoue que pour moi, la béatitude n’est pas au rendez-vous. Vous si ?
Dieu modifié en Allemands a tué Dieu modifié en dix mille Turcs...


Retourner vers « La connaissance »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 33 invités