Quelques réflexions en vrac (je me soulage pour respirer…
) :
- Je ne peux pas considérer (comme Miam, de mémoire ; je parle de la nature de la connaissance, pas de son objet) le deuxième genre comme voisin du premier. Même si les termes sont confondus par endroit par Spinoza (mais pas tout le temps), « adéquat » s’applique plutôt au deuxième genre, et « clair et distinct » au troisième.
Comme je l’ai dit n fois, dans le deuxième genre strict c’est la logique de la démonstration qui emporte l’adhésion, pas la conclusion (théorème) en elle-même (ce que la chose doit être, mais pas ce qu’elle est.) C’est beaucoup plus pauvre (et en reste quelque part à un plan verbal : j’associe plusieurs choses de façon non-contradictoire et même cohérente, mais je ne vois pas l’association en vérité.) Ce n’est qu’un doigt qui pointe, il reste encore à regarder ce que le doigt pointe, et pas le doigt lui-même (suivant l’adage universellement connu.) C’est d’ailleurs ce que Spinoza dit lui-même dans les extraits plus haut.
Dans ces conditions, je vois une nette différence de nature entre le doigt et ce qu’il pointe…
- Soit une connaissance claire (troisième genre) est déjà en nous, mais éventuellement enfumée par des idées confuses, soit elle n’y est pas et on se demande bien alors comment elle pourrait s’y « révéler » (je parle bien du troisième genre.) Dieu ne conçoit rien par raisonnement, et une idée claire en l’homme est telle en Dieu, soit instantanément. Comment dans ces conditions une connaissance claire pourrait-elle survenir ?
- Pourtant, on connaît bien une infinité de cas qui semblent tels : tant que je n’ai pas étudié le rebond des balles en caoutchouc, je n’en ai aucune idée ferme. Si je passe sérieusement à cette étude, je pourrais faire des prédictions assez précises, et même passer à ce que j’ai appelé (peut-être à tort au titre d’exemple du troisième genre) au « sens physique » à ce sujet : percevoir tout de suite ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, etc. J’aurais donc acquis une connaissance du troisième genre. On peut prendre l’exemple plus simple de la géométrie : tant que je ne me suis pas posé de questions au sujet des triangles, je n’ai pas de raison d’en voir les propriétés, mais si…
- On en vient à émettre l’hypothèse que le « troisième genre » c’est le deuxième (cumulé dans l’ordre, depuis Dieu) mais effectué à toute vitesse, sans gros effort… L’exemple des proportions tend à cela. Mais d’un autre côté aucun exemple n’est parfait (toujours le doigt) et une généralisation de ce point particulier à partir de lui me semble donc illégitime.
- Ceci pose plus généralement la question de savoir ce qui en Sciences est du troisième genre, et ce qui est en fait irréductiblement du deuxième et même du premier (beaucoup à mon avis, malgré des exposés récapitulatifs qui posent tout cela en termes de certitudes.)
- En parlant d’union immédiate avec la chose, Spinoza tend à écarter cette hypothèse cependant, et à réintroduire l’instantanéité de l’entendement divin (duquel le nôtre participe, lorsqu’il est clair, précisément.) Mais alors, à nouveau, s’il y a instantanéité, on ne voit pas ce qui le créerait…
- Il reste par ailleurs ce gros « problème » que j’ai souligné plusieurs fois : la connaissance du troisième genre c’est surtout sinon uniquement de connaître Dieu (comme cause de toute chose, qui est en lui) or Dieu est une prémisse – notion commune (mais Spinoza dit en même temps que l’
existence de Dieu n’est pas aussi claire qu’une notion commune), laquelle est réputée être perçue clairement par tout le monde…
En fait si elle était perçue clairement par tout le monde, il n’y aurait aucun lieu d’écrire l’
Éthique (et tout particulièrement les commentaires de Spinoza visant à conforter l’idée de Dieu, mais en fait c’est même toute l’œuvre qui est dirigée vers cela.) Les passions viennent essentiellement de la croyance au libre arbitre, qui est une négation de la claire connaissance de Dieu
per se.
D’un autre côté, Spinoza confirme bien que nous avons une idée adéquate de Dieu, qui est immédiate (donc les notions communes, prémisses du raisonnement et donc du deuxième genre, appartiennent au troisième genre ; avec en passant un problème avec les notions universelles, qui elles pourraient avoir à faire avec le premier, quoique Spinoza distingue bien « l’essence de l’homme prise dans toute sa généralité » des idées confuses / incomplètes du type « animal bipède sans plume. »)
Il faut donc admettre, comme je l’ai déjà proposé, qu’il y a deux choses simultanément dans l’
Éthique :
1) Un exposé linéaire hiérarchisé qui part de Dieu comme d’une notion effectivement commune (ce qu’elle n’est pas de fait dans la société, puisqu’elle heurte au contraire de pleine face la superstition si répandue ; encore que « chose étant en soi et conçue par soi ayant une essence présentant une infinité d'aspects » est susceptible de convenir à tout le monde dans un premier temps.)
2) Une voie d’amendement de l’homme réel standard (ou plutôt au-dessus du standard mais au-dessous du sage) visant à faire de Dieu (clairement perçu) une véritable notion claire.
Dans ces conditions, il convient de ne pas confondre les démarches, même si elles s’expriment d’une unique façon. Ou plutôt : savoir qu’on n’a compris l’
Éthique que quand on a effectivement acquis une idée claire de Dieu (ce qui suppose en particulier la disparition de l’ego basé sur la croyance – de fait – dans le libre-arbitre ; rarissime de fait...)
Mon sentiment pour l’instant : Spinoza met (fermement) en avant la démarche discursive pour remplir son objectif premier, de loin le plus massivement justifié : dissoudre l’égotisme et la superstition. Cette démarche discursive tend donc essentiellement à mettre en lumière des mécanismes d’enfumage de quelque chose qui est déjà présent (ou ces mécanismes mêmes) : la vision de ce qui est, dont Dieu – Nature universel. C’est un pointage de doigt. Je ne vois pas que Spinoza ait exclu (et puisse exclure, puisque c’est une prémisse) par-là les très rares cas de sages précoces, ayant d’emblée la vision claire de Dieu – Nature.
Mais elle permet aussi de préciser certaines choses (élimination d’hypothèses ouvertes, expression de mécanismes) qui ne seraient pas perçues sans elle. Dans ce cas (et même dans le précédent : qu’est-ce qui fait qu’il y a bascule ? Je ne suis pas sûr qu’il y ait une réponse d’ailleurs), le « problème » de la transition avec le troisième genre se pose toujours…
Serge
Connais-toi toi-même.