La "transition" 2e-3e genres de connaissance

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
Avatar du membre
Durtal
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 527
Enregistré le : 17 oct. 2006, 00:00

Messagepar Durtal » 06 oct. 2009, 17:47

Enegoid a écrit :Exercice, pour sortir des éternels exemples philosophiques insipides de "choses" : comment le dialogue de sourds, qui est une chose singulière, entre Louisa et Durtal, peut-il augmenter ma connaissance de Dieu ? (Je ne dis pas qu’il ne peut pas le faire…d’autre part, moi aussi, j’ai joué le sourd dans certains dialogues, donc je ne suis pas agressif)


Egenoid,

Suggestion informelle. Vous demandez des exemples de choses à connaître par le troisième genre de connaissance. Je ne saurais trop vous recommander tout d'abord d'abandonner celle que vous envisagez (laquelle ne vous conduira en effet, ni à la connaissance de Dieu ni à la connaissance de quoique ce soit d'autre d'ailleurs) en revanche vous retirerez sans doute plus de profit en considérant cet exemple de "chose" qu'est votre propre esprit. Car elle a un statut tout à fait particulier et qui pourrait vous intéresser: nous ne pouvons faire autrement que de la concevoir intuitivement lorsque nous la formons ( puisque en gros dans ce cas l'idée que nous avons: nous la sommes. Entre notre esprit et l'idée de notre esprit il n'y a qu'une distinction de raison) par ailleurs, cette chose est, comme toutes les autres, une chose de la nature, à ce titre une affection de la substance, ou Dieu en tant qu'il est affecté de l'idée d'une chose singulière.

Il peut donc ici se concevoir la possibilité d'une connaissance immédiate et intuitive d'une chose de la nature, donc de Dieu en tant qu'il est affecté d'une certaine modification, qui a nécessairement rapport à notre esprit, puisque la chose en question n'est rien d'autre, justement, que cet esprit.

L'illustration de E2 vise avant toute chose à donner une typologie des différentes façons dont l'esprit produit des perceptions et affirme pour lui même la vérité de quelque chose, cela de manière absolument générale et pour n'importe quel objet de perception. Or que l'exemple ne fonctionne plus soit avec des nombres plus importants soit en changeant la base est une remarque juste, mais qui à mon avis conduit à passer à coté de la propriété qu'entend exemplifier l'exemple: c'est à dire justement qu'avec des nombres très simples, l'esprit connaît la quatrième proportionnelle sans aucune opération ou calcul ( ce qu'il aurait au contraire besoin de faire si la base n'était pas la même ou si les nombres étaient plus importants). Le TIE donne un autre exemple plus "décevant" encore: si deux droites sont parallèles entre elles, et si une troisième est parallèle à la seconde alors elle est aussi parallèle à la première. Un élève de cours élémentaire, a donc au moins à l'endroit du parrallélisme des droites, des perceptions de l'esprit du 3eme genre. (ou 4eme en suivant la typologie du TIE)

Tel quel, je vous l'accorde, c'est pas bien "fameux" et on voit mal ce que Dieu vient faire là dedans.... Mais c'est aussi je crois qu'il ne vient en effet rien y faire du tout! Ce n'est pas ce que ces exemples ont en vue. En lecteurs trop pressés que nous sommes, nous voudrions qu'ils nous apprennent autre chose que ce qu'ils ont à nous apprendre au moment où ils sont produits et dans le contexte dans lequel ils sont produits.

Dieu "viendra y faire quelque chose" en revanche quand il sera question de connaître non plus des rapports simples entre des nombres ou des postulats élémentaires de géométrie, mais quand il sera question de connaître l'union que l'âme humaine a avec Dieu comme avec toutes les autres choses de la nature, connaissance qui se décline de la même manière qu'en son temps Spinoza la déclinait à propos de la quatrième proportionnelle:

a) nolens volens dans la confusion imaginative et passionnelle je perçois l'union de mon âme avec la nature, puisque ces choses sont les effets sur mon esprit de cette même union et par conséquent enveloppent l'idée de leur cause mais confusément et vaguement

b) Quand je vis tant soit peu sous l'ordre de la raison, ma perception de cette union se conclut au travers de notions générales dont l'adéquation est fondée et nécessitée par les propriétés que mon propre corps a en commun avec toutes les autres choses, (donc est uni à elles en ce sens là, ce qui produit des effets pratiques interessants, en particulier pour celles de ces propriétés qui fondent mon union avec les autres hommes) propriétés sur lesquelles mon esprit se régle pour penser les choses.

c) Quand je perçois enfin ( si cela arrive )cette même union selon le troisième mode possible de fonctionnement de l'esprit je conclus directement à elle de ce que je suis effectivement uni à Dieu. ( je veux dire: mon esprit a toujours été uni à Dieu, ce qui n'a pas toujours été le cas, en revanche c'est de tirer la connaissance que j'en ai de cette union elle même).

Et à cet égard la connaissance que j'ai de moi et de Dieu, est du même type ( au sens de la typologie des modes de perceptions de l'esprit) que celle par laquelle je perçois, que la quatrième proportionnelle est 6 dans l'exemple proposé, qui n'est pas un résultat que j'ai calculé mais qui est simplement l'expression brute et nue ( pour ainsi parler) dans mon esprit de ce fait que la quatrieme proprotionnelle est effectivement 6 (et non 57 ou n'importe quel autre nombre) mon esprit réfléchit alors comme un miroir (bien poli) ce qui est, il produit l'idée du résultat comme un effet dont la nécessité des mathématiques elle même est la cause prochaine et immédiate.

Cela étant dit et pour terminer là dessus, il y aurait un malentendu à penser que le troisième genre de connaissance est la meilleure des perceptions pour faire des mathématiques,ou pour faire de la physique, je crois que Spinoza ne pense pas du tout que l'esprit humain puisse parvenir à faire de la physique et des mathématiques en enchaînant continuement ses perceptions, d'intuitions intellectuelles en intuitions intellectuelles. Pour ce qui est de la compréhension des rapports de proportion entre les nombres, ou des modes de compositions "des petits corps les plus simples", on ne peut pas aller trés loin par "science intuitive". "L'automate sprituel" se met assez rapidement à avoir des "ratés", et il doit en revenir aux calculs et aux démonstrations dès qu'il sort des petits nombres ou aux expériences et inférences dès qu'il s'agit de comprendre (par ex) les propriétés du salpêtre.

Mais la raison en est simplement me semble-t-il que, connaissance du 3eme genre ou pas, l'esprit humain reste une chose finie et limitée, (dont Spinoza souligne qu'il ne connaît la nature que par "bribes", "nul ne sait ce que peut un corps"etc.) il ne saurait donc se mettre à produire les idées comme Dieu le fait c'est à dire effectivement par une intuition intellectuelle infinie de lui même (peut être en revanche que Spinoza pense que c'est ce qui se passe après la "destruction du corps" ou peut être pas. Je n'en sais rien )

Mais inversement, faire des mathématiques ou mener l'entreprise indéfinie, collective, aléatoire; de la connaissance des choses de la nature, n'est pas non plus la voie la plus directe et la plus effective ethiquement parlant et nous n'avons pas besoin de connaître toutes les choses de la nature par le 3eme genre de connaissance (heureusement d'ailleurs: nous ne le pouvons certainement pas), pour le but qui est celui de Spinoza: le salut et la béatitude de l'homme.

Il suffit en effet comme je le disais en commençant que cela se fasse pour une seule de ces choses: notre propre esprit et ce qui lui arrive.

Il est enfin inutile j'espère d'insister ici sur le fait que ces buts précisément parce qu'ils ne sont pas les mêmes (pas concurrents) ne sont pas mutuellement exclusifs, on peut très bien s'efforcer de faire progresser la médecine (c'est la période des prix nobels : grands praticiens de la connaissance du 2eme genre) et s'efforcer dans le même temps ( pas besoin pour cela d'aller dans une grotte et de renoncer au monde et à ses semblables) de "bien vivre et de bien agir" selon le 3eme genre. (c'est une petite pique- amicale- à destination de Sinuxis)
Modifié en dernier par Durtal le 08 oct. 2009, 03:04, modifié 1 fois.

Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 07 oct. 2009, 03:48

Enegoid a écrit :PS. Exercice, pour sortir des éternels exemples philosophiques insipides de "choses" : comment le dialogue de sourds, qui est une chose singulière, entre Louisa et Durtal, peut-il augmenter ma connaissance de Dieu ? (Je ne dis pas qu’il ne peut pas le faire…d’autre part, moi aussi, j’ai joué le sourd dans certains dialogues, donc je ne suis pas agressif)


la question me semble être pertinente, d'un point de vue spinoziste. Car en effet, "on ne règle pas sa vie sur les mathématiques", donc le troisième genre de connaissance ne peut pas seulement porter sur des exemples de mathématiques.

Tentative de réponse donc. Je dirais que d'un point de vue spinoziste, assister à un dialogue de sourd entre deux personnes peut augmenter la connaissance que la personne tierce qui y assiste a de Dieu, si et seulement si elle se demande en quoi quelque part chacun des deux "a raison", c'est-à-dire exprime une puissance purement affirmative, qui ne contient rien de négatif, ou de destructif (de Méprisant, de Haineux, ...). Bien sûr, dans un dialogue de sourd on risque de rencontrer assez régulièrement du Mépris et de la Haine, et il ne s'agit pas de nier cela, ou de faire comme si ces Affects n'existent pas. Je crois qu'il s'agit bien plutôt d'essayer de voir en quoi Mépriser quelqu'un n'est pas seulement une Passion, n'est pas seulement agir sous une influence externe qui diminue la puissance de celui qui Méprise, mais exprime aussi partiellement la puissance de celui qui Méprise. Seulement, dans la mesure où le Mépris est une expression partielle de la puissance de celui qui Méprise, il y a nécessairement quelque chose qui "résiste" à la Passivité, dans le Mépris, une réaction qui en tant que telle ne vise en rien de faire moins de cas qu'il n'est juste de l'autre.

C'est lorsqu'on arrive à comprendre cela, je crois, qu'on peut voir quelque chose de positif dans le Mépris, non pas le fait de Mépriser, bien sûr, mais le fait que le Mépris n'est qu'une tentative, de la part de celui qui méprise, de se maintenir dans l'existence, de persévérer dans son être, et en tant que tel est en train de témoigner de sa propre éternité.

Enfin, je peux m'imaginer que cela reste assez abstrait. Essayons de le concrétiser à l'aide d'un autre exemple. Prenons celui que Spinoza mentionne lui-même (traduit en mes propres termes): quelqu'un au troisième étage est en train de netoyer, touche par hasard un pot de fleurs qui se trouve à côté de la fenêtre, celui-ci tombe et touche quasiment la tête un voisin qui se promène à ce même moment dans la rue, et qui aurait été mort s'il était en-dessous de la fenêtre une seconde plus tôt. Si la "rencontre fortuite" qu'il a fait jusque-là avec la nature lui a déjà fait Haïr quelque part sa voisine, il tombera immédiatement dans l'idée qu'elle l'a fait exprès. Et il la Méprisera. Alors qu'elle était en train de faire quelque chose qui n'avait rien à voir avec la volonté de le tuer. On peut s'imaginer que le dialogue qui s'en suivra ne sera pas des plus "Joyeux". Comprendre en quoi les deux personnages expriment néanmoins Dieu, c'est comprendre la partie éternelle de leur essence singulière, c'est-à-dire c'est comprendre en quoi ni l'un ni l'autre au fond ne veut du mal à qui que ce soit, mais essaie tout simplement de se maintenir dans la vie, sachant qu'un tas d'idées imaginaires par définition rendent son Esprit confus et font que ses actes pour se maintenir dans la vie et essayer de devenir plus heureux, quelque part ne sont pas aussi efficaces qu'il pourrait l'espérer.

Car voir quelqu'un selon le troisième genre de connaissance, c'est le voir dans la partie de son Esprit qui est éternelle, c'est-à-dire dans tout ce qui est "puissant" en lui, à savoir dans ses idées adéquates, donc dans ce qui en lui est nécessairement "bon" pour nous. Aussi longtemps qu'on fait l'inverse, qu'on voit en lui "du Mal" ou des Passions, on n'a qu'une idée confuse de lui (puisqu'une Passion est par définition un "mélange" entre qui la personne est et une cause extérieure), donc une idée inadéquate, et donc on n'y comprend pas grand-chose, et donc on ne pourra pas voir Dieu en elle.

PS à Phiphilo

considero (dans toutes les formes du verbe, bien sûr) est quasiment aussi fréquent dans l'Ethique que contemplor: plus de 80 occurrences pour l'un, plus de 100 pour l'autre. Si je continue à croire qu'il vaut mieux traduire par "considérer" et "contempler", c'est parce que cela permet au lecteur francophone de se rendre compte du fait qu'originairement (c'est-à-dire dans le texte original en latin) il s'agit de deux mots différents. Et en effet, comme le suggère déjà Sinusix, lorsqu'on étudie de plus près leur contexte, on voit qu'ils se distinguent assez nettement. Spinoza utilise le considero souvent lorsqu'il veut dire qu'il faut considérer une chose dans tel ou tel aspect (en tant qu'elle est un mode de l'Etendue, par exemple; surtout la forme considerata est souvent associée au quatenus), alors que contemplor est très souvent utilisé en combinaison avec "une chose comme présente". Contemplor réfère donc à l'idée d'avoir une chose présente à l'Esprit, de la regarder au sens où notre attention est orientée vers elle, alors que considero est plus "actif", si j'ose dire, puisqu'il s'agit de décider de prendre une chose, de l'avoir présente à l'Esprit, et ensuite de ne prendre en considération que tel ou tel aspect de la chose. Certes, si Spinoza utilisait contemplor que + inf., alors il faudrait traduire par "je considère que", comme le stipule aussi le Gaffiot. Or en vérifiant rapidement, je n'ai rencontré aucune occurrence où contemplor est utilisé dans ce sens. Encore une fois, je comprends bien que "contempler" a des connotations assez différentes de "regarder attentivement", en français, alors que souvent on a l'impression que Spinoza ne veut dire que cela en utilisant ce terme, mais comme déjà dit, à mon sens Spinoza était parfaitement au courant de cette connotation, qui était tout aussi présente en latin, donc s'il a décidé de néanmoins l'utiliser, je ne vois pas en quoi il serait justifié d'en décider autrement en tant que traducteur?

(ma connexion internet étant sur le point de rendre l'âme, j'envoie ce message tel quel ... désolée pour les fautes de frappe etc.)

PhiPhilo
persévère dans sa puissance d'être ici
persévère dans sa puissance d'être ici
Messages : 148
Enregistré le : 24 juin 2008, 00:00

Messagepar PhiPhilo » 07 oct. 2009, 17:46

...
Modifié en dernier par PhiPhilo le 13 oct. 2009, 07:50, modifié 1 fois.

Avatar du membre
Sinusix
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 172
Enregistré le : 14 juin 2008, 00:00
Localisation : L'HAY LES ROSES (94)

Messagepar Sinusix » 07 oct. 2009, 17:55

Cher Durtal,

Durtal a écrit :
Il est enfin inutile j'espère d'insister ici sur le fait que ces buts précisément parce qu'ils ne sont pas les mêmes (pas concurrents) ne sont pas mutuellement exclusifs, on peut très bien s'efforcer de faire progresser la médecine (c'est la période des prix nobels : grand praticiens de la connaissance du 2eme genre) et s'efforcer dans le même temps ( pas besoin pour cela d'aller dans une grotte et de renoncer au monde et à ses semblables) de "bien vivre et de bien agir" selon le 3eme genre. (c'est une petite pique- amicale- à destination de Sinuxis)


Je ne la prends même pas comme telle, tant votre synthèse m'agrée.

Vous avez fort bien fait de couper court à toute interprétation infantilisante de la quatrième proportionnelle, qui n'a effectivement vocation que de fixer une typologie, ce que d'ailleurs, me semble-t-il, Spinoza lui-même précise quelque part (je rechercherai).

Par ailleurs, concernant les limites de notre intuition en tant que chose singulière finie, je crois utile de rappeler une des difficultés attachées aux notions communes : s'agissant d'idées adéquates, on en conclut que l'entendement humain les a comme l'entendement divin les a, ce qui peut prêter à confusion. En effet, l'idée de Dieu ne contenant que des essences, et les notions communes n'en étant pas, il ne faut pas oublier que Dieu n'a connaissance des notions communes qu'en tant qu'elles sont contenues dans les essences singulières.
C'est certainement la raison pour laquelle il est "exclu" de les chercher autrement que par le deuxième genre et de laisser au troisième les seules recherches fondamentales qu'il mérite, pour ceux qui auraient la chance de l'atteindre, à savoir la Béatitude salutaire.

Amicalement

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 07 oct. 2009, 18:56

à phiphilo vous écrivez

il n'y a pas d'essence autre que la puissance en acte (cf. Lettre XIX à Blyenbergh) ou, ce qui revient au même, d'idéalité autre que l'idée d'un corps en acte (cf. Lettre LXIV à Schuller). Donc, s'il existe une réalité infiniment parfaite (Dieu), la perfection ne peut être autre que l'infinie puissance actuelle ou, ce qui revient au même, de l'infinie réalité actuelle de la Nature dont chacun est un mode fini.


Spinoza ne refuse pas expressément un intellect en puissance

Enegoid
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 452
Enregistré le : 10 févr. 2007, 00:00

Messagepar Enegoid » 08 oct. 2009, 19:14

A Durtal

Vous écartez d’un revers de main la possibilité d’augmenter ma connaissance de Dieu à travers la connaissance d’un événement ou d’une situation donnée (j’avais pris pour exemple votre dialogue avec Louisa. Rassurez-vous, je n’insiste pas.)

Puis, à travers l’exemple de notre esprit comme « chose » à connaître, vous développez votre perception des 3 genres de connaissance et de l’articulation avec Dieu. J’ai trouvé ce développement très bien vu et intéressant. Je n’y reviens pas. Comme dit Sinusix, il « m’agrée ».

Je reviens par contre sur votre revers de main (en quittant un peu le 3ème genre mais en restant sur le thème de la connaissance de Dieu). Que veut dire Spi selon vous quand il écrit en 5, 24 que « plus nous connaissons les choses singulières, plus nous connaissons Dieu » ?
J’observe que le genre de connaissance n’est pas précisé, et que l’argument de démonstration (qui est le corollaire de E1,25), est que toute chose singulière est un mode fini de Dieu. C’est tout bête, tout est Dieu, donc plus je connais de choses et plus je connais Dieu.
La connaissance des lois, chère à Sescho, n’est pas suffisante car les lois ne sont pas des modes. On ne sait pas trop ce que c’est, en fait.
Donc, je repose ma question : comment une chose quelconque (étant d’accord avec vous sur la place éminente de notre esprit en tant que chose) peut-elle nous conduire à Dieu ? Et inversement comment la connaissance de Dieu (du 3ème genre, obtenue par la connaissance de l’âme, comme vous le dites) nous permet-elle de connaître « les choses » par le 3ème genre (E5, 31 dem) ?

En fait, je reste sur ma faim : si les exemples de Spi sur la proportion sont trop simples pour impliquer Dieu, et si les choses complexes sont trop complexes pour être atteintes par le 3ème genre, alors que reste-t-il d’autre effectivement que notre esprit, comme objet de connaissance ? Et s’il n’y a rien d’autre, où sont passées les « choses » ?
Dieu modifié en Allemands a tué Dieu modifié en dix mille Turcs...

Enegoid
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 452
Enregistré le : 10 févr. 2007, 00:00

Messagepar Enegoid » 08 oct. 2009, 19:41

Louisa a écrit :Car voir quelqu'un selon le troisième genre de connaissance, c'est le voir dans la partie de son Esprit qui est éternelle


Ah.

Si ça vous dit de développer (vous savez faire :twisted: ...) çà m'intéresse.
(J'ai personnellement beaucoup de mal à identifier la partie éternelle de mon esprit car celui-ci est la plupart du temps accroché quelque part à des choses périssables. Alors, voir la partie des autres, vous pensez :roll: ...)
Dieu modifié en Allemands a tué Dieu modifié en dix mille Turcs...

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 09 oct. 2009, 00:44

En effet, l'idée de Dieu ne contenant que des essences,


cher sinusix


ça c'est discutable

on est au coeur de ce qui me semble le plus difficile à comprendre chez spinoza (en tant que métaphysicien )
ce sur quoi il dit ""un exemple je ne pourrais vous en donner aucun qui explique la chose dont je parle vu qu'elle est unique "" ce à quoi il s' emploie néanmoins scolie pro 8/2

il dit dans la prop 8/2 et le corollaire que les idées des choses singulières n'existent pas tant que les choses n' existent pas mais qu'elles(les idées ) doivent être comprises dans l'idée infinie de Dieu.(tout comme les essences formelles( ie les corps réels ayant une forme) qui sont des modes sont contenus dans les attributs .

Comprises ( ou contenues, je veux bien , mais Spinoza dit comprises ) tel que dans l' idée d'un cercle sont contenus(là il dit contenus) une infinité de rectangles ... qui pourtant n'existent pas que quand ils existent .

( si j'insiste pour que Louisa me commente le scolie prop8/2 c'est que je le tiens pour fondamental dans la compréhension de la métaphysique de Spinoza ....ou bien on comprend ce scolie ou bien on ne le comprend pas ***.)

hokousai

***je ne prétends pas comprendre, je pointe la question .

Avatar du membre
Durtal
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 527
Enregistré le : 17 oct. 2006, 00:00

Messagepar Durtal » 09 oct. 2009, 18:13

Enegoid a écrit :A Durtal

Vous écartez d’un revers de main la possibilité d’augmenter ma connaissance de Dieu à travers la connaissance d’un événement ou d’une situation donnée (j’avais pris pour exemple votre dialogue avec Louisa. Rassurez-vous, je n’insiste pas.)


Mais…mais….je n’ai rien écarté du tout moi! D’une part je faisais un peu d'ironie ce que vous avez sans doute compris et d’autre part le fait d’évoquer l’esprit, ne constitue nullement une façon d’annuler la question de la connaissance d’une chose ou d’une situation singulière. Prenez garde en effet que ce que vous appelez la « connaissance d'un événement singulier » engage bel bien votre esprit qui connaît la chose ou l'évènement parce que l'esprit, chose parmi les choses, se connaît toujours ainsi in situ dans le milieu des choses, et qu’inversement il n'y a pas de connaissance de choses qui ne soit en réalité connaissance de l'esprit par lui-même (en ce sens si vous voulez qu’il ne peut pas sortir à l’extérieur de lui-même pour aller se « promener » dans les choses).

J'avais pris soin d'ailleurs d’indiquer en ce sens: "connaître son esprit et ce qui lui arrive " or que voulez vous qui lui arrive si ce n’est « quelque chose de singulier » ?


Donc je ne méconnaissais pas, je crois, le sens de votre question, et si je vous disais « que vous seriez intéressé…etc » c’est parce que j’estime que c’est bien ainsi qu’elle se pose.

Enegoid a écrit :
Je reviens par contre sur votre revers de main (en quittant un peu le 3ème genre mais en restant sur le thème de la connaissance de Dieu). Que veut dire Spi selon vous quand il écrit en 5, 24 que « plus nous connaissons les choses singulières, plus nous connaissons Dieu » ?
J’observe que le genre de connaissance n’est pas précisé, et que l’argument de démonstration (qui est le corollaire de E1,25), est que toute chose singulière est un mode fini de Dieu.


Il s'agit décidément d’un malentendu. La connaissance (quel qu’en soit le genre) est toujours -si j'ose dire- un ménage à trois: Dieu, mon esprit et les choses (même dans le cas des notions communes qui ontologiquement parlant dépendent de notre corps particulier et de la présence en lui de certaines propriétés qu'il instancie mais qui "jettent un pont" entre lui et tous les autres corps de la nature quand tous quels qu’ils soient l'instancient également). Et, partant, plus celui qui connaît Dieu se connaît soi même et les choses, plus celui qui connaît les choses se connaît soi même et Dieu etc... Je suis donc en fait d'accord avec vous si vous vouliez attirer mon attention sur le fait qu'il est aussi question de connaître des "choses"

Si j'insistais sur l'esprit ce n'était pas dans l'intention de rejeter les choses (un esprit cela pense nécessairement des choses ce n'est pas optionnel et rencontrer de l'altérité est constitutif de ce que c'est qu'est un esprit fini) c'était pour souligner que l'objet électif ou privilégié du 3eme genre est l'esprit. Mais d'autre part connaître son esprit c'est connaître ses affects et comme les affects ne sont rien d'autre que la traduction dans l'esprit du commerce que le corps entretient avec les autres corps, la connaissance de l'esprit implique celle des choses par le biais des affections qu’il reçoit d’elles ou au à l’inverse qu’elles reçoivent de lui.


Du reste il était surtout question dans ce que je disais de connaître une union ce sont moins les choses en tant que telles qui importent ici que la connaissance que j'ai de ce que je suis unis à elles ( unis à elle « en et par Dieu » qui n’est pas un « objet » cognitif, mais une forme, l’espace dans lequel ma pensée circule : c’est pourquoi certaines formes de relations que l’esprit entretient avec une chose quelconque constituent d’elles-mêmes directement ce que Spinoza appelle « connaître » simultanément Dieu , soi-même et les choses).

Enegoid a écrit :

C’est tout bête, tout est Dieu, donc plus je connais de choses et plus je connais Dieu.


Oui mais…. :D connaître les choses et Dieu, cela se fait de différentes façons…Or ce sont ces façons qui importent, parce que sur le fond nous connaissons toujours les choses par Dieu et Dieu par les choses, y compris dans le pire des états passionnel. (mais il est vrai dans ce cas: "confusément et vaguement"... c'est là tout le problème )

Enegoid a écrit : La connaissance des lois, chère à Sescho, n’est pas suffisante car les lois ne sont pas des modes. On ne sait pas trop ce que c’est, en fait.



Encore une fois d'accord mais la question et qui est cruciale d’après moi dans cette histoire est: "pas suffisante" pour quoi exactement?

Car à tout prendre, tous les genres de connaissance sont autant de types de connaissances de Dieu (pour la raison parfaitement triviale ici que Dieu s’exprime en effet en toute chose et en tout acte de l’esprit), et donc en toute rigueur et à ce titre chacun est « suffisant » ou « parfait » dans son propre genre. Dieu ce n’est pas une chose que l’on connaît « au surplus », il n’y a pas moyen « d’y couper » quelque soit le régime de production d’idées dans lequel l’esprit est engagé, donc pas non plus lorsque nous pensons par notions communes. Evidemment lorsque cela se fait nous pensons Dieu, les choses et notre esprit, mais sur un mode qui n'est pas le même que lorsque nous connaissons -toujours la même chose- Dieu nous même et les choses, selon le 3em genre de connaissance)

Donc ce n’est pas une question accessoire mais essentielle de se demander ici quels sont les critéres mobilisés pour formuler cette appréciation. Car ce qui est insuffisant à un certain égard ne le sera pas forcément à un autre et inversement.

Si l’on parle de la connaissance de la nature au sens de ce que (pour aller vite) nous appelons la "connaissance scientifique", c'est plutôt la connaissance particulière de notre propre esprit et du fort petit nombre de choses qui l'affectent qui n'est pas "suffisante" , si nous parlons en revanche du pouvoir qu’a une connaissance sur les affects alors le rapport s'inverse et c'est la connaissance scientifique et ses larges structures qui deviennent insuffisantes ou "décalées" (comme telles, elles ont un pouvoir d’affection sur l’esprit plutôt faible : on peut être un physicien génial et par ailleurs...complètement suicidaire et dépressif).

Spinoza explique cela lorsqu'il affirme que le savoir théorique et démonstratif que mon esprit est uni aux autres choses et à Dieu, même si -assure-t-il- le fait a été démontré dans l'Ethique "au delà de tout doute concevable", cette démonstration n'a pas le même pouvoir d'affecter l' esprit que lorsque la chose elle-même est conçue in situ, c'est-à-dire lorsque l’esprit en est affecté, pour ainsi dire, en son particulier. En effet cette connaissance s’identifie alors nécessairement à un affect de joie. (Il n'est pas possible en effet étant donné ce que sont dans le système la joie d'une part et l'idée adéquate d'autre part, que je puisse concevoir clairement et distinctement l’union que mon esprit- chose singulière qui se perçoit singulièrement- a avec Dieu et avec les autres choses, sans le faire au travers d'un affect de joie)

Si je devais pour finir donner ma position par rapport à celle de Serge voici ce que je crois pouvoir dire : Serge pense que nous ne pouvons connaître les choses singulières en tant que singulières, parce que cela implique- et je suis parfaitement d'accord avec lui sur ce point- que nous ayons des perceptions intuitives ( si c'est toutefois ce que signifie "connaître les choses singulières en tant que singulières) de toutes les choses et relations qui sont couvertes par ailleurs par nos notions communes, ce qui, d'après moi, n'est pas possible en effet. Là où nous sommes en désaccord peut être est que je fais une exception et une seule à cette maxime: à savoir le rapport interne que nous avons à nous même et qui est bien la perception intuitive d'une chose particulière, laquelle (et cette fois c’est à votre intention que je répète ceci) n'est pas une entité monadique "sans portes ni fenêtres" (c'est à dire sans aucun rapport avec les autres choses).

D.

Avatar du membre
Sinusix
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 172
Enregistré le : 14 juin 2008, 00:00
Localisation : L'HAY LES ROSES (94)

Messagepar Sinusix » 10 oct. 2009, 10:08

hokousai a écrit :
En effet, l'idée de Dieu ne contenant que des essences,


cher sinusix


ça c'est discutable

on est au coeur de ce qui me semble le plus difficile à comprendre chez spinoza (en tant que métaphysicien )


Avec tout le respect que je vous dois, je crains que ce ne soit pas discutable, comme le prouve la démonstration de E1P21.
L'idée de Dieu est un mode infini immédiat de l'attribut Pensée.
"Donc l'idée de Dieu dans la pensée,......, ne peut avoir de durée déterminée ; mais, par cet attribut, ce quelque chose est éternel."
Donc l'idée de Dieu ne contient que des essences.

Amicalement


Retourner vers « La connaissance »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 46 invités