L'idée de l'idée ou la connaissance réflexive

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
Avatar du membre
Miam
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 946
Enregistré le : 28 févr. 2004, 00:00

L'idée de l'idée ou la connaissance réflexive

Messagepar Miam » 13 juil. 2004, 15:54

Est-il bien établi que le "ou" (AUT) de "l'idée de l'idée ou la connaissance réflexive soit non-exclusif? C'est ainsi qu'on le traduit. pourtant des latinistes m'ont affirmé qu'il s'agissait toujours d'un "ou" exclusif. Mais de fait Spinoza ne semble pas ailleurs le considérer ainsi. Si ce AUT est exclusif, la méthode est soit l'idée de l'idée soit la connaissance réflexive. "Connaissance réflexive" n'apparaît plus dans l'Ethique. Aussi ai-je pensé jusqu'il y a peu que Spinoza hésitait dans le TRE entre une conception cartésienne de la réflexivité (et de la conscience puisqu'à l'instar des Méditations, il commence par parler de lui-même) et ce qu'il développe dans l'Ethique.

Avatar du membre
bardamu
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1024
Enregistré le : 22 sept. 2002, 00:00

Messagepar bardamu » 24 juil. 2004, 00:16

Salut,
dans l'Ethique, il semblerait que le "aut" soit employé plusieurs fois dans le sens de "vel" ou "sive".
Cf l'article "aut", 1ere colonne page 71 du lexique latin de Gilles Louïse : http://perso.club-internet.fr/glouise/Lexique.pdf

Dans le TRE, nous avons au moins 2 usages consécutif du "aut" comme un "ou" non-exclusif :
37. Rursus methodus necessario debet loqui de ratiocinatione aut de intellectione; (..)
38. Unde colligitur, methodum nihil aliud esse, nisi cognitionem reflexivam aut ideam ideae(...)

37. La méthode doit nécessairement traiter de la faculté de raisonner et de la faculté de concevoir ;(...)
38. D'où il suit, en résumant ce qui précède, que la méthode n'est autre chose que la connaissance réflexive, c'est-à-dire l'idée de l'idée

Traduction de Saisset. A noter qu'il semble qu'il y ait une erreur de numérotation sur la version en ligne : 2 fois le numéro 37 et donc un décalage de tous les autres paragraphes.

Sinon, concernant les notions de réflexivité ou de conscience, je ne pense pas que Spinoza ait vraiment évolué du TRE à l'Ethique.
Alors que Descartes commence par tout réduire au "moi", Spinoza commence dans le TRE par la découverte du souverain Bien, et dans l'Ethique par Dieu. Le premier mouvement de Spinoza est vers l'extérieur.

Avatar du membre
Miam
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 946
Enregistré le : 28 févr. 2004, 00:00

Messagepar Miam » 25 juil. 2004, 13:18

8) Je continue à douter de la signification de "Aut". La "faculté de raisonner" est-elle la même que la "faculté de concevoir"? Et si oui, pourquoi ce redoublement? Dans l'Ethique on trouve souvent "... aut..., quod idem est". Si "Aut" correspond à "sive", "quod idem est" n'ajouterait rien. "x, c'est à dire y, x et y étant la même chose" = redondance. tandis que si l'on traduit "soit x, soit y, qui (par ailleurs) sont la même chose" la redondance disparaît et le deuxième membre de l'énoncé ajoute un sens.

Je ne peux pour l'instant avoir accès au lexique que tu m'indiques because pas d'acrobat sur cette machine.

Je reviendrai bientôt sur les rapports du TRE avec Descartes, dans la mesure où le Traité, comme les Méditations ou le Discours, commence par une sorte d'autobiographie intellectuelle ou, du moins, lie la suite du texte au sujet "je" de l'énoncé. Je remarque toutefois qu'il n'est plus fait mention de la "méthode réflexive" dans l'Ethique. Enfin, s'il n'y a pas d'évolution du TRE à l'Ethique, qu'est-ce qui bloque le TRE? Pourquoi n'est-il pas terminé? Il bute sur la "définition de l'entendement". Si, comme il l'avoue alors, Spinoza ne dispose pas alors d'une définition de l'entendement, comment pourraît-il le qualifier de réflexif au sens cartésien?

Je remarque enfin que nous ne sommes pas d'accord sur ce point. Je m'en réjouis, sans surprise cependant puisque, hormis Macherey et peut-être Ramond, peu de commentateurs infirment expressément la notion de réflexivité chez le dernier Spinoza, bien au contraire (voir Misrahi). Cette question me paraît capitale pour l'originalité de la pensée spinoziste dans l'histoire de la constitution de notre modernité. Sur ce point, si j'ai raison, Spinoza inaugurerait une "autre modernité" loin de Descartes, de la "réflexivité" au sens moderne et, partant, dans une toute autre direction que celle qui aboutit à Husserl et la phénoménologie qui, comme on le voit dans les universités, constitue aujourd'hui la pensée dominante en philosophie. A bientôt donc, cher Bardamu.

Avatar du membre
Miam
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 946
Enregistré le : 28 févr. 2004, 00:00

Messagepar Miam » 27 juil. 2004, 14:20

8) Cher, Bardamu,

Je pense que, pour plus de clarté, il convient d’exposer le problème, du moins tel qu’il s’expose à mes yeux.

Cognitionem reflexivam, aut ideae ideam est lu de différentes façons :

:arrow: 1. selon que l’on tienne les deux syntagmes pour synonymes et les rapporte à la réflexivité de la conscience dans son acception moderne, c’est-à-dire, comme on le verra plus loin, post-(ou méta-)cartésienne. Exemple : Misrahi dans tout ses écrits sur Spinoza. C’est cette lecture là que je tente d’infirmer. C’est la plus simple et celle qui demande le moins d’explication, puisqu’elle n’a pas à exposer une pensée originale.
:arrow: 2. selon que l’on tienne les deux syntagmes pour synonymes et les rapporte à l’œuvre de Spinoza lui-même, sans s’occuper d’un éventuel hiatus entre le TRE et l’Ethique. C’est la position de Deleuze.
:arrow: 3. selon que l’on distingue une signification pour chaque syntagme et les rapporte à l’œuvre de Spinoza seule, sans percevoir un éventuel hiatus entre le TRE et l’Ethique. C’est la lecture de Ramond.
:arrow: 4. selon que l’on infirme expressément toute réflexivité dans l’ ideae idea de l’Ethique, sans s’occuper du TRE. C’est ce que fait Macherey dans sa lecture de l’Ethique t. II.
:arrow: 5. selon que l’on distingue une signification pour chaque syntagme et les rapporte à un éventuel hiatus entre le TRE et l’Ethique. C’est, disons, ma perspective actuelle, purement hypothétique, et qui jusqu’ici n’a que le mérite d’exister.


1.a. La première lecture suppose l’examen de la conscience réflexive cartésienne. Il apparaît que les notions de « réflexivité » et de « conscience » ne possèdent pas le même sens dans la tradition aristotélicienne ou scolastique et la tradition augustino-cartésienne. Or c’est de cette dernière que sont issues leurs acceptions modernes. J’y reviendrai.

2.b. Dans Spinoza et le problème de l’expression, Deleuze réfère l’expression au couple « puissance de penser » - « puissance d’exister », qui est liée à la distinction entre les parallélismes « épistémologique » et « ontologique » que j’esquisse dans « entendement infini et entendement fini » :

« C’est dire que la méthode, sous son premier aspect, est essentiellement réflexive : elle consiste dans la seule connaissance de l’entendement pur, de sa nature, de ses lois et de ses forces » (p. 114)

On reconnaît là le dessein du TRE, qui reconduit au problème du statut de l’entendement fini dans « entendement infini et entendement fini ».

« La connaissance réflexive est l’idée de l’idée. Nous avons vu que l’idée de l’idée se distinguait de l’idée, pour autant que nous rapportions celle-ci dans son être formel à la puissance d’exister, celle-là dans son être objectif à la puissance de penser. » (p. 115)

Rappelons que la « puissance d’exister ou d’agir » est l’essence absolue de Dieu dans son être formel, exprimée par une infinité d’attributs infinis. La « puissance de penser » est cette même essence absolue de Dieu dans son être objectif, par laquelle « Dieu se comprend ou s’exprime objectivement » et pense une infinité de chose en une infinité de mode. En effet chaque mode de l’attribut « pensée » consiste alors en une infinité d’idée se rapportant à chaque mode de chaque attribut (parallélisme épistémologique). C’est là ce que l’on pourrait appeler la « réflexivité de Dieu » et/ou (aut ?) de son entendement infini. Car elle dépend de la position de l’entendement infini de Dieu comme mode immédiat de l’attribut « pensée » et de son corrélat objectif, l’idée de Dieu qui, de ce fait, est la cause de toutes les idées. On comprend alors que c’est cette « réflexivité » - dont on verra l’origine aristotélicienne – qui exige la réflexivité de la connaissance de l’entendement pur, dont l’entendement infini de Dieu est la cause. Reste la question du statut de cet entendement, sur laquelle achoppe précisément le TRE.

« On voit donc que l’idée de l’idée, c’est une idée considérée dans sa forme, en tant qu’elle possède une puissance de comprendre ou de connaître (comme partie de la puissance absolue de penser). En ce sens, forme et réflexion s’impliquent » (p. 115).

C’est la « forme de l’idée vraie ». « La vérité est norme (règle) d’elle-même » écrit Spinoza dans l’Ethique, et c’est pourquoi il suffit de savoir pour savoir que l’on sait (E II, 43 et TRE, 34-35). Par contre je ne comprend pas pourquoi, selon Deleuze, « Il suffit d’avoir une idée vraie pour qu’elle se réfléchisse » puisque toute idée « réfléchie » n’est pas pour cela vraie. En effet, E II, 29 énonce « L’idée de l’idée d’une affection quelconque du Corps humain n’enveloppe pas la connaissance adéquate de l’Ame humaine ». Comme l’écrit Deleuze, l’idée de l’idée réfléchit sa puissance de penser, mais selon moi elle n’est pas « vraie » pour autant. Par cette « réflexion de sa puissance de penser », je verrai plutôt le caractère logico-affectif de toute idée.

La suite plus tard.
Miam miam!
Votre dévoué dévorant. :twisted:

Avatar du membre
bardamu
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1024
Enregistré le : 22 sept. 2002, 00:00

Messagepar bardamu » 28 juil. 2004, 00:23

J'ai plus ou moins répondu sur l'autre fil.
En fait, j'avais pas vu que tu posais ici la question de la réflexivité... et le "plus ou moins" est dû au fait que j'ai peu de temps pour faire des réponses vraiment réfléchies.
Mais j'ai l'impression qu'il y a pas mal de confusion entre les divers sens de reflexivité, conscience, connaissance etc.
Lorsque Deleuze dit que l'idée vraie se réfléchit forcément, je suis d'accord avec lui si il parle d'une "réflexion" mécanique, une réflexion qui n'est pas une cogitation (?), qui n'est pas une réflexion discursive. On sait que l'on sait, entre autre parce qu'on est affecté de joie, que notre puissance est augmentée.
Il faudrait peut-être définir ce que signifie "savoir" dans le système de Spinoza.

Avatar du membre
Miam
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 946
Enregistré le : 28 févr. 2004, 00:00

Messagepar Miam » 28 juil. 2004, 17:17

:? Suite du précédent:

3.a. Dans son Vocabulaire de Spînoza, p. 39-41, qui conclut l’ « introduction à la lecture du Traité de l’entendement » in Spinoza et la pensée moderne (L’Harmattan, 1998), Ramond distingue « le plan de la certitude, sans réflexivité (je n’ai pas besoin, pour savoir, de savoir que je sais, parce que la certitude provient de la perception directe du rapport existant entre l’idée vraie et son idéat), du plan de la méthode, qui enveloppe la réflexivité (c’est-à-dire la présentation et le savoir de ce rapport). La méthode est ainsi le savoir (réflexif secondaire) de ce qui produit la certitude (directement) dans l’idée vraie. » (p.41)

Ramond s’appuie sur l’apparente contradiction – voire l’ « hésitation » - entre le « je n’ai pas besoin, pour savoir, de savoir que je sais » et la définition de la méthode comme « connaissance réflexive » de TRE 27. La certitude serait alors issue de l’idée de l’idée comme la « perception directe du rapport existant entre l’idée vraie et son idéat », tandis que la méthode serait un savoir réflexif secondaire « de ce qui produit la certitude dans l’idée vraie », c’est-à-dire la puissance de l’entendement.
Pourtant, dans l’énoncé que nous étudions, l’idée de l’idée n’est pas moins qualifiée de « méthode » que la connaissance réflexive.


4.a. Je ne pense pas que dans sa lecture de l’Ethique, Macherey mentionne l’expression du Traité. Il semble d’accord avec Ramond pour exclure toute réflexivité dans l’idée de l’idée. Si je me souviens bien (car je n’ai pas l’ouvrage à disposition), il écrit qu’ « il n’y a pas la place pour une réflexivité dans l’idée de l’idée ». Toute idée possède immédiatement une idée d’idée. Il conçoit celle-ci plutôt comme la « forme » de l’idée, au sens aristotélicien du terme et s’appuie – si ma mémoire ne me fait pas défaut – sur E II, 21 : « Cette idée de l’Ame est unie à l’Ame de la même manière que l’Ame elle-même est unie au Corps. » Or l’Ame perçoit les affections du Corps et les idées de ces affections (EII, 22) mais aussi : « L’Ame humaine ne connaît le Corps humain lui-même et ne sait qu’il existe que par les idées des affections dont le Corps est affecté » (E II, 19). Et « L’Ame ne se connaît elle même qu’en tant qu’elle perçoit les idées des affections du Corps » (E II, 23). Ce qui pourrait être issu, j’essaierai de le montrer plus loin, de la distinction aristotélicienne entre l’eidos eidôn et l’eidos aisthètôn. Je crois me rappeler également que Macherey suppose un « Corps du Corps » pour soutenir une symétrie avec cette « Ame de l’âme ».


5.a. Ma position consiste à distinguer les acceptions aristotéliciennes et augustino-cartésiennes des termes « idée de l’idée » « réflexion » « réflexivité » et par suite « conscience ». Mon hypothèse est que l’ « échec » du TRE s’explique par la nécessité pour Spinoza de préciser sa position face à ces deux acceptions. Selon moi cette nécessité se concrétise dans l’Ethique par l’alliance d’une théologie et d’une anthropologie qui conditionne la « méthode », celle-là même qu’invoque par le TRE suivant l’ordre de la démarche cartésienne. Les deux seules occurrences de « méthode » (méthodo), dans l’Ethique, sont mineures. Dans l’introduction de la troisième partie, elle semble identique à la connaissance par la cause, tandis que « connaissance réflexive » ou « idée réflexive » y brillent par leur absence. Loin de moi la pensée que Spinoza serait aristotélicien contre Descartes. Il évite aussi bien que ce dernier la régression épistémique à l’infini (« pour savoir, je dois savoir que je sais, et pour savoir que je sais, je dois savoir que je sais que je sais, etc… ») que la hiérarchie aristotélicienne des formes et des intellects. D’ailleurs il refuse l’hylémorphisme (forme d’une matière passive) aristotélicien. Mais il critique l’aristotélisme tout autrement que Descartes ne le fait et, selon moi, certainement pas en caractérisant la pensée par la conscience, entendue comme la référence intérieure et spontanée à un moi, présent à notre esprit avant de se poser comme sujet d’une re-présentation cad comme un « pour soi », pour user d’une terminologie moderne.

Avatar du membre
hokousai
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 4105
Enregistré le : 04 nov. 2003, 00:00
Localisation : Hauts de Seine sud

Messagepar hokousai » 31 juil. 2004, 00:17

"rep à miam

"""""Ma position consiste à distinguer les acceptions aristotéliciennes et augustino-cartésiennes des termes « idée de l’idée » « réflexion » « réflexivité » et par suite « conscience ».""""""

Votre position n'est pas claire ,mais l 'effort est estimable et les intuitions sont prometteuses . S’il y a un problème d importance dans la relation de Spinoza à la conscience et d' abord au discours en première personne, je ne sais si on peut d'emblée en faire le porte étendard dune contestation de la phénoménologie ( ou d’une tradition augustino cartésienne ) que vous supposez impériale actuellement, ce qui est assez faux . En effet le débat autour de la réflexivité de la pensée de ce que c’est que penser de la conscience de ce que c’est qu’avoir conscience est largement ouvert à différentes traditions au sein par exemple de la philosophie analytique . Les passerelles entre la phénoménologie et la philosophie analytiques sont nombreuses .Il en existent également entre les sciences cognitives et la philosophie , voire encore entre les neuro-sciences et ce qui se dit encore " philosophie " .
Les traditions dont vous parlez se retrouvent au sein mêmes des écoles ( phénoménologique et analytique et ce ne sont pas ces traditions qui permettent une distinctions des écoles de pensées ,distinctions pour tout dire assez malaisées à faire .Tout au plus peut on faire des distinctions entre des philosophes puis les rattacher plus ou moins justement à telle ou telle école .Certains étant plus typiques que d’ autres .

Pour tout dire votre questionnement est d'actualité et le restera tant que neurophysiologie ,elle, n'aura pas tout emporté qui assimilerait la pensée de l'homme ( ou de l animal ) à celle des machines .
Maintenant il est vrai que la conscience chez Spinoza n’est pas un concept fort .
Je remarque ( et cela devrait être remarqué ... non ? ) que les première pages de l 'éthique sont écrites à la première personne ( intelligo , dico ... non dubito )
Comparez avec les catégories d' Aristote : " on dit " et non pas" Je dis" ..
Le dernier Scolie de l 'éthique est à la première personne .il y a peut être un point aveugle chez Spinoza celui du discours en première personne .mais c'est à vous d'en faire apparaître innocuité éventuelle ..chez lui d' abord dan la philosophie en général ,ensuite .

Hokousai
( absent pour les deux semaines à venir )

Avatar du membre
Miam
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 946
Enregistré le : 28 févr. 2004, 00:00

Messagepar Miam » 31 juil. 2004, 12:26

8) Si je m'explique, je dois écrire au moins vingt pages. C'est pourquoi je préfère répondre au coup par coup... pour autant qu'on m'interroge sur des points précis de mon discours.

Je vois bien que l'on cherche une passerelle entre la philosophie analytique et la phénoménologie, mais précisément ces deux sont issues de ce que je nomme la tradition augustino-cartésienne. On ne peut nier que la phénoménologie comme la philosophie analytique supposent tout deux un fond platonicien et une sémantique augustinienne. J'inclus dans cette tradition (ici augustino-platonicienne évidemment puisque Descartes n'est pas encore) Thomas lui-même dans la mesure où celui-ci n'a jamais que récupéré Aristote et combattu son caractère subversif qu'expose par exemple Averroës. Le combat contre la soit-disante théorie des "trois imposteurs" vient de là et, je le remarque, n'est pas encore fini.

Si vous dites : "c'est faux", il faut encore le montrer. Je parle d'impérialisme (en fait c'est vous qui utilisez ce terme) en connaissance de cause par ma fréquentation de plusieurs universités et je doute que la situation soit différente en France et en Belgique (à mon avis, elle doit être pire en France vu l'empire de la tradition cartésienne).

Enfin, je ne parle pas d'"unocuité" de la première personne dans l'Ethique. Je dis qu'elle est différente du "je" cartésien et sans doute même du "je" du TRE. De plus vous ne remarquez rien du tout puisque c'est votre serviteur qui a attiré l'attention sur les "dico" et "intelligo" de l'Ethique. Et last but not least : je n'aime pas votre ton professoral, voire paternaliste quant à "mon effort estimable" et mon intuition "prometteuse". D'ailleurs il ne s'agit pas d'une intuition mais d'un an de travail.

Avatar du membre
bardamu
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1024
Enregistré le : 22 sept. 2002, 00:00

Messagepar bardamu » 04 août 2004, 23:06

Si j'ai bien compris, l'objectif de ta démarche est de montrer que "connaissance réflexive" et "idée de l'idée" ne sont pas la même chose.
Tu prends "connaissance réflexive" dans un sens proche de Descartes et tu l'opposes à "idée de l'idée" comme notion proprement spinozienne.

Sur le fond, je suis d'accord qu'il y a une image de la Pensée chez Spinoza qui n'est pas celle de Descartes ni celle de la phénoménologie et que la question de la "réflexivité" est symptomatique de cette divergence.
Mais je ne pense pas que la différence soit clairement visible dans le vocabulaire, et notamment ce "aut".

Le regroupement que tu fais de diverses pensées dans une forme augustino-cartésienne, me semble correspondre à une position où il y a un sujet et un objet, un observateur séparé de l'observé. C'est ce que je ferais correspondre à la notion de "réflexivité".

En dépit de son côté "interactif", la phénoménologie reste dans l'idée de réalité indépendante du phénomène, détachant la pensée d'un être en-soi, la cantonant à la "fiction". On se retrouve alors avec des notions de vérité qui passent par des accords intersubjectifs où des sujets discutent pour savoir lequel à le meilleur modèle représentatif des phénomènes qu'ils ont partagés. Impératif catégorique pour trouver le sens commun ou consensus scientifique.

Du côté de Spinoza, le "vrai" est une sorte d'affect qui fait que l'on est certain. Il mène à la Béatitude.
On a alors une vérité qui porte sur les essences singulières. Il ne s'agit plus de partager un consensus de sujets sur des objets mais il s'agit de savoir où se place dans le monde l'expression de la Nature que je suis. On retrouve l'authenticité nietzschéenne, la vérité du destin propre de chacun. La vérité utile à la vie.

A mon avis, si la conception phénoménologique l'emporte dans le milieu savant, c'est qu'elle est adaptée à la communication des savoirs. Dès lors qu'il s'agit de publier, de produire un savoir commun et non pas d'exprimer un savoir personnel, dès lors qu'il s'agit de faire de la science au sens strict, on en vient à la phénoménologie.

Peut-être que ce que peut apporter sociologiquement Spinoza, c'est une image de la vérité et de la raison qui n'est plus celle de l'objectivité mais au contraire celle de la singularité. Le rôle des sciences devient alors de nous aider à rencontrer les choses pour avoir une chance de trouver notre vérité.
Il ne s'agit plus de chercher l'accord intersubjectif ou de construire des impératifs catégoriques mais plutôt d'offrir des possibilités de construction des vérités individuelles, de faire penser plutôt que de faire accepter.
Cela implique de changer les discours de vérité, de passer du "ceci est comme cela" à "voyez-vous ce que je vois ?".

Pour revenir à ta problématique : la détermination du statut de la réflexivité me semble une conséquence de la détermination du statut de la Pensée en général. Dans les notes du TRE, Spinoza dit plusieurs fois qu'il expliquera dans sa Philosophie (ce qui sera l'Ethique) l'origine de la première idée vraie. Cette question est fondamentale pour la distinction par rapport à Descartes. Chez Descartes, c'est Dieu qui va fonder miraculeusement l'accord de la pensée au monde et Spinoza est obligé d'expliquer tout son univers pour montrer que la pensée est accordée spontanément au monde. Sans cette base, tous les développements du TRE restent fragiles.
Il s'agira donc de préciser les positions de substance, attributs et modes, de faire apparaitre le côté concret de la Pensée, de la montrer comme expression directe du réel et je verrais plutôt là, la raison de l'inachèvement du TRE.

A noter que Deleuze a évoqué la question dans son petit bouquin "Spinoza, philosophie pratique", mais je ne l'ai pas sous la main. J'en ai conservé l'idée qu'entre le TRE et l'Ethique Spinoza avait concrétisé la Pensée, ce qui correspond au développement ci-dessus.

P.S. : le lexique de G. Louïse est accessible en HTML : http://perso.club-internet.fr/glouise/ , cf en bas de la page.
Pour la lettre A, c'est direct par ici : http://perso.club-internet.fr/glouise/A.htm

Avatar du membre
Miam
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 946
Enregistré le : 28 févr. 2004, 00:00

Messagepar Miam » 05 août 2004, 14:59

8O Spinoza en penseur individualiste, malgré les notions communes, les choses qui ont quelques choses en commun et dont le concept de l'une enveloppe le concept de l'autre, la "similitudo", l'intersubjectivité affective et (last but not least) le Traité politique???


Retourner vers « La connaissance »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 27 invités