Entendement infini et entendement fini

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
Avatar du membre
Miam
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 946
Enregistré le : 28 févr. 2004, 00:00

Entendement infini et entendement fini

Messagepar Miam » 20 juil. 2004, 13:22

8) Quelqu'un pourrait-il me préciser la relation entre l'entendement infini de Dieu et l'entendement fini?
On sait que :

1) L'âme est une partie de l'entendement infini de Dieu (ce qui est déjà à expliquer : un mode fini est une partie d'un mode infini : l'infini est quantitatif au niveau de la nature naturée).
2) cet entendement infini est la condition formelle de l'idée de Dieu (côté objectif) de sorte que "Dieu se pense lui-même" en quelque manière, dans cette idée, que nous possédons ("habemus ideam veram" mais celle-ci est-elle directement l'idée de Dieu?)

Cela semble procéder d'une influence aristotélicienne. Mais :

1) Il n'y a d'entendement qu'en acte (EI17s), qu'il soit fini ou infini. Pas d'entendement en puissance.
2) L'entendement infini est la cause de l'entendement fini. C'est pourquoi, en l'absence de relation d'essence entre la cause et l'effet, "entendement" dans "entendement infini" et dans "entendement fini" ne manifeste qu'une homonymie du même type que celle qui lie "chien", animal aboyant et "chien", constellation. (D'où la question linguistique : comment le chien, animal aboyant peut-il être la cause du chien, constellation. Mais faut-il pousser l'analogie jusque là?)

Bref, ce que je ne parviens pas à concevoir clairement, c'est le statut de l'entendement fini. Si quelqu'un pouvait m'aider, cela me dispenserait de pas mal de travail. :D

Avatar du membre
bardamu
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1024
Enregistré le : 22 sept. 2002, 00:00

Re: Entendement infini et entendement fini

Messagepar bardamu » 24 juil. 2004, 00:37

Miam a écrit :8) Quelqu'un pourrait-il me préciser la relation entre l'entendement infini de Dieu et l'entendement fini?
On sait que :

1) L'âme est une partie de l'entendement infini de Dieu (ce qui est déjà à expliquer : un mode fini est une partie d'un mode infini : l'infini est quantitatif au niveau de la nature naturée).
2) cet entendement infini est la condition formelle de l'idée de Dieu (côté objectif) de sorte que "Dieu se pense lui-même" en quelque manière, dans cette idée, que nous possédons ("habemus ideam veram" mais celle-ci est-elle directement l'idée de Dieu?)

Cela semble procéder d'une influence aristotélicienne. Mais :

1) Il n'y a d'entendement qu'en acte (EI17s), qu'il soit fini ou infini. Pas d'entendement en puissance.
2) L'entendement infini est la cause de l'entendement fini. C'est pourquoi, en l'absence de relation d'essence entre la cause et l'effet, "entendement" dans "entendement infini" et dans "entendement fini" ne manifeste qu'une homonymie du même type que celle qui lie "chien", animal aboyant et "chien", constellation. (D'où la question linguistique : comment le chien, animal aboyant peut-il être la cause du chien, constellation. Mais faut-il pousser l'analogie jusque là?)

Bref, ce que je ne parviens pas à concevoir clairement, c'est le statut de l'entendement fini. Si quelqu'un pouvait m'aider, cela me dispenserait de pas mal de travail. :D


EIIP11Corollaire : Il suit de là que l'âme humaine est une partie de l'entendement infini de Dieu ; et par conséquent, lorsque nous disons que l'âme humaine perçoit ceci ou cela, nous ne disons pas autre chose sinon que Dieu, non pas en tant qu'infini, mais en tant qu'il s'exprime par la nature de l'âme humaine, ou bien en tant qu'il en constitue l'essence, a telle ou telle idée ; et lorsque nous disons que Dieu a telle ou telle idée, non plus seulement en tant qu'il constitue la nature de l'âme humaine, mais en tant qu'il a en même temps l'idée d'une autre chose, nous disons alors que l'âme humaine perçoit une chose d'une façon partielle ou inadéquate.

L'entendement divin n'est pas une sorte de compréhension réflexive comme la nôtre mais une expression de lui-même que nous plaçons sous l'attribut "Pensée". L'âme humaine est l'idée du corps, l'expression divine correspondant au corps, placée sous l'attribut "Pensée".
L'homme bouge et l'homme pense, 2 expressions parallèles d'un même acte divin, d'un même être.

Avatar du membre
Miam
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 946
Enregistré le : 28 févr. 2004, 00:00

Messagepar Miam » 25 juil. 2004, 12:30

:arrow: Si si, d'accord. Toutefois je n'interroge pas ici le statut de l'âme (mens) humaine, mais de l'entendement (intellectus) fini. Aussi ne réponds-tu pas à ma question. Par ailleurs il ne va pas de soi que notre compréhension, selon Spinoza, soit réflexive. C'est une autre question, corrélative, que j'aimerais également approfondir comme on le voit dans mes autres messages.

Avatar du membre
bardamu
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1024
Enregistré le : 22 sept. 2002, 00:00

Messagepar bardamu » 26 juil. 2004, 00:01

Miam a écrit ::arrow: Si si, d'accord. Toutefois je n'interroge pas ici le statut de l'âme (mens) humaine, mais de l'entendement (intellectus) fini. Aussi ne réponds-tu pas à ma question.


Reprenons :

dans E1P30, l'entendement est le fait d'avoir une idée sur un objet. Il s'agit de l'acte de comprendre.
dans EIP31, Spinoza indique que l'entendement est un mode de penser, par contraste avec, par exemple, l'amour ou le désir.
dans EIP17Scholie, il est dit que l'entendement infini n'a de relation que nominale avec l'entendement humain.
dans EIIP11 Corollaire, il est dit que l'entendement fini participe de l'entendement infini, que nos idées sont aussi celle de Dieu.
dans EIIP43 Scholie, il est précisé que en tant que notre âme a des idées vraies elle participe de l'entendement infini.

Comment agencer tout ça...
Il y a l'attribut Pensée dont un mode est l'entendement. Des êtres que nous percevons par l'entendement comme étant des êtres de pensée sont placés sous le mode "entendement", ce sont les idées vraies.
L'entendement infini, c'est quoi ?
C'est l'infinité des êtres de pensée qui correspondent à des idées adéquates à leur objet. Seulement, pour Dieu, il n'y a pas de séparation entre l'idée et l'objet de l'idée. Dieu comprend forcément tout, son intelligence est égale à sa puissance, son existence.
Donc, à proprement parler, l'entendement infini ne qualifie pas Dieu mais correspond à l'infinité des idées vraies qui entrent dans les choses pensantes. L'entendement se dit de la Nature naturée et non de la naturante (E1P31).
Par ailleurs il ne va pas de soi que notre compréhension, selon Spinoza, soit réflexive. C'est une autre question, corrélative, que j'aimerais également approfondir comme on le voit dans mes autres messages.

Les idées vraies s'obtiennent soit par le second genre de connaissance, la raison soit par le troisième, la science intuitive.
Il y a donc un entendement réflexif (raison) et un entendement intuitif.
A noter que les 2 sont conscients : on sait qu'on a une idée vraie en ayant l'idée vraie.

Avatar du membre
Miam
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 946
Enregistré le : 28 févr. 2004, 00:00

Messagepar Miam » 26 juil. 2004, 12:09

:P Par "Dieu se pense lui-même" (entre guillemets) je voulais montrer que:
-comme l'entendement infini de Dieu est un mode (infini immédiat) de l'attribut "pensée"
- comme l'idée de Dieu constitue l'essence objective (le contenu si on veut) de ce même entendement
- comme l'idée de Dieu est, comme le dit Spinoza lui-même, l'idée de la substance et de ses affections (par d'internet chez moi donc pas de références exactes sauf de mémoire, désolé)
- il s'ensuit que l'idée qui a comme contenu la substance et ses affections, (cad tout le schmilblick) "contient" également l'entendement infini comme mode de l'attribut "pensée"...etc...
- c'est pourquoi l'attribut pensée possède une sorte de suprématie sur les autres puisque à chaque mode de chaque attribut correspond une idée. C'est ce que Deleuze nomme le "parallélisme ontologique" par opposition au "parallélisme épistémologique" qui concerne les deux seuls attributs que nous connaissons.

En ce sens "Dieu se pense lui-même". Je garde les guillemets parce que Dieu n'est pas le sujet de la pensée mais la pensée elle-même.
En ce sens également, comme les "anciens Hébreux" que loue Spinoza l'ont compris, Dieu et l'entendement de Dieu, c'est la même chose.
Cela me semble issu d'Aristote pour lequel l'intelligent (nouus), l'intellection (noésis) et l'intelligible (noentov ou quelque chose comme ça) sont une seule et même chose. Et c'est pourquoi, chez Aristote, Dieu constitue l'objet de connaissance suprème de sorte que connaître Dieu, c'est également se connaître soi-même et connaître tout le reste.

Voilà qui nous ramène à la réflexivité puisque, dans l'Ethique la "connaissance de soi" (sui conscius) est tributaire de la connaissance de Dieu dans la cinquième partie de l'ouvrage. Et c'est pourquoi je nie qu'ily ait réflexivité avant le troisième genre de connaissance, du moins au sens moderne de conscience de soi quin'apparaît qu'avec Descartes (selon Lewis, et Locke selon Balibar) dans son "je me représente à moi-même". Selon moi, cette réflexivité au sens moderne (que par ailleurs Husserl postule sans plus) est un effet de langage et, plus précisément d'un retour sur le signe au moyen d'une sorte de signifiant flottant (le "mana" de Lévy-Strauss) qui, en philosophie prend la forme du "quelque chose" en général et indéterminé. Cela pour montrer ma réflexion générale. Je préciserai en temps utile.

Enfin, si la réflexivité (en ce sens) est l'apanage de la substance - comme le montre aussi l'autoconstitution infinitaire de la substance (là où les attributs constituent et en même temps expriment tandis qu'au niveau de la nature naturée le mode exprime ce qui le constitue ("constare" ou "constituere") - elle n'est plus l'apanage immédiat de l'homme individuel (chez Descartes) ou d'une quelconque "conscience transcendantale. La réflexivité est nécessaire à la connaissance, mais précisément la réflexivité de la substance et sa constitution infinitaire : condition de possibilité de la connaissance. Et non une faculté qui est postulée chez l'homme (et de plus uniquement chez lui). Comme disait Nietzsche : "comment un estomac pourrait-il se digérer lui-même ?". Par contre, chez Nietzsche aussi, le monde se digère lui-même, se produit lui-même de toute éternité (autoconstitution) ("un monstre de forces,dur comme l'airain, ... qui se dévore lui-même", etc... dans les "Posthumes").

Voilà ma conception. Et voilà Spinoza comme machine de guerre contre la prétention de l'Homme qui diminue l'homme.

Cela a mettre en rapport avec :
- les paradoxes logiques de la réflexivité
- les paradoxes mathématique de l'infini
- la sémantique et la théorie du langage
Et enfin la notion moderne de conscience qui n'existe pas avant Descartes et ne me paraît pas correspondre au "conscius" de Spinoza... voir mon prochain message dans "idée de l'idée,..." dans "lecture cursive du TRE".

En gros,pour montrer où je veux en venir. Mais cela ne m'éclaire toujours pas sur le statut précis de l'entendement fini, sinon qu'ilest l'effet (et juste l'effet) de cette "réflexivité divine".

Avatar du membre
Miam
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 946
Enregistré le : 28 févr. 2004, 00:00

Messagepar Miam » 27 juil. 2004, 13:59

:lol: Aux propositions sur l'entendement fini il faut ajouter qu'en E II, 48, Spinoza rejette l'existence de facultés absolues dans l'âme et déclare que ces facultés "ou sont absolument fictives ou ne sont que des êtres métaphysiques, autrement dit des universaux".

Avatar du membre
bardamu
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1024
Enregistré le : 22 sept. 2002, 00:00

Messagepar bardamu » 27 juil. 2004, 23:49

Salut,
je crois que je saisis mieux ta problèmatique.
En fait, ce que tu cherches pourrait être le fonctionnement de "l'idée de l'idée".
Plutôt que des facultés "magiques" (intelligence, volonté etc.) venues de Dieu ou d'ailleurs, les modes de pensée sont des manières qu'a la pensée de fonctionner sur une base simple. Dans le cas de la conscience, il s'agit simplement de prendre pour objet une autre idée. Il n'y a pas de différence particulière par rapport à l'acte immédiat de perception d'une chose : si l'idée qui est objet d'une autre idée est une affection du corps, nous prenons conscience d'un contact extérieur, sinon, nous prenons conscience d'une autre idée.
L'entendement fini n'a pas de statut particulier, ce n'est pas une chose extraordinaire qui nécessiterait une position à part.

Si je devais faire une analogie corporelle de la conscience serait l'accélération : vitesse d'une vitesse.
On saisit un mouvement et on fait le mouvement saisit, on l'accélère.
La conscience est un accélérateur de connaissance mais elle reste dans le même système dynamique qu'une connaissance sans conscience.
Et je serais tenté de dire que le troisième genre de connaissance et le passage direct à la vitesse infini, une sur-accélération dont l'aspect réflexif n'est pas évident. Il n'y a plus là d'évolution discursive de cause en cause, on est d'emblée dans la saisie de l'idée et de l'idée de l'idée et de l'idée de l'idée de l'idée... série infinie qui se résout dans un perception immédiate, synthétique, d'une essence singulière, d'un être-là.
Dire que cette connaissance est réflexive me semble plutôt inadéquat car elle est fait entrer dans l'univocité de la Substance et que j'aurais tendance à associer réflexivité à l'équivoque, aux systèmes abstraits signifiés-signifiants.
Pour ma part, je réserverais la réflexivité au 2nd genre de connaissance, à la raison, dont l'effet réflexif provient de son aspect discursif : c'est parce qu'on va d'idée en idée qu'on peut croire que l'une est le "reflet" de l'autre.
Il y aurait donc un entendement réflexif (ou spéculatif) et un entendement intuitif.

Une réponse d'Henrique qui se rapproche du thème : http://tempo.phpnet.org/spinoza/modules ... cle&sid=19

Avatar du membre
Miam
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 946
Enregistré le : 28 févr. 2004, 00:00

Messagepar Miam » 31 juil. 2004, 12:13

:P Ton explication est trop analogique et deleuzienne pour moi. Par ailleurs, EI 11c parle de l'âme et non de l'entendement fini. Enfin, quant à EI 17s, il est énoncé que SI l'entendement constitue l'essence de Dieu il diffère de notre entendement comme l'homonymie chien-animal/chien-constellation. Or, l'entendement infini est un mode et, partant, ne constitue pas l'essence de Dieu. Cette différence homonyme ne se réfère donc pas à l'entendement infini tel que le conçoit Spinoza. En outre, puisqu'il n'y a pas de facultés dans l'âme sinon comme universaux ou fictions, cad manières de parler issues des affections signitives qui constituent les idées inadéquates, il faudrait conclure que l'entendement infini est cause d'une manière de parler. Peut-on aller plus loin et dire que l'entendement infini (identique à Dieu lui-même selon les Hébreux, bien que seulement mode) en tant qu'il exprime sur le plan modal l'autoconstitution infinitaire de la substance et donc ce que j'appelle, dans un sens anticartésien, sa réflexivité, est cause du langage lui-même en tant que celui-ci est solidaire d'une certaine réflexivité?.

Avatar du membre
Miam
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 946
Enregistré le : 28 févr. 2004, 00:00

Messagepar Miam » 31 juil. 2004, 18:31

:? On pourrait peut-être trancher en disant, comme nous l'affirme Spinoza dans la cinquième partie de l'Ethique, que l'entendement constitue la partie active de l'âme. Par suite, la puissance de l'entendement n'est rien d'autre que la puissance de l'âme (E V intro). Il n'y a évidemment pas d'intellect en puissance chez Spinoza. Tout entendement, toute connaissance est en acte. Il écrit ailleurs (2è partie je crois) que lorsqu'une idée se rapporte en Dieu en tant qu'il constitue l'âme humaine, la connaissance est en acte. On comprend alors qu'il n'est pas d'entendement fini comme faculté, mais aussi comment, en ce sens, l'entendement infini est cause de notre "entendement", cad de la partie active de l'âme, par la puissance de penser de Dieu (et partant sa "réflexivité") On comprend mieux également pourquoi le TRE nécessitait une théologie et une anthropologie pour définir l'entendement. Ce n'est pas le cas par exemple chez Descartes. Reste qu'il demeure évident pour moi que l'entendement infini, tel que le conçoit Spinoza, est issu de la notion d'intellect agent au sens de l'aristotélisme judéo-arabe (référence aux "anciens Hébreux").


Retourner vers « La connaissance »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 18 invités