Comment une idée adéquate peut-elle devenir inadéquate ?

Questions et débats touchant à la nature et aux limites de la connaissance (gnoséologie et épistémologie) dans le cadre de la philosophie spinoziste.
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eccehomo
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Comment une idée adéquate peut-elle devenir inadéquate ?

Messagepar eccehomo » 05 mai 2010, 10:06

Bonjour,

Quelque chose pour le moment m'échape à propos de la possibilité de penser l'histoire des sciences à l'aide de la pensée de Spinoza. La connaissance scientifique évolue en remplaçant d'anciennes vérités par des nouvelles.

Je décris l'histoire des sciences à un niveau de généralité très grand parce qu'au fond de savoir exactement comment cette évolution se fait n'a pas grande importance ici : continuité, discontinuité, modification, évolution, révolution, etc. peu importe). Ce qui m'importe c'est qu'à un certain moment une idée était vraie et à un autre moment elle n'est plus vraie. (Par exemple, on a tenu pour vrai que l'atome était des électrons qui tournaient autour d'un noyau à la manière d'un système solaire, puis on l'a tenu pour faux au profit d'une nouvelle conception vraie de l'atome plus comme système d'équations mathématiques pour penser une réalité quantique assez insaisissable ; on a tenu pour vrai que les produits laitiers étaient bons pour la santé, on ne le tient plus pour vrai ; on a tenu pour vrai que l'échalote était plutôt du genre ail et maintenant on tient pour vrai qu'il est plutôt du genre oignon ; on a tenu pour vrai que la combustion se faisait grâce à l'air phlogistisé, puis tenu ceci pour faux en tenant pour vrai que la combustion se fait grâce à l'oxygène., etc, chacun mettra ses exemples préférés ou ce qui lui passe par la tête au moment de la lecture comme je le fais au moment de l'écriture.)

Comment une idée adéquate du second genre de connaissance (qui est le genre de la connaissance rationnelle et donc il me semble celui de la science) peut-elle devenir inadéquate c'est-à-dire fausse ?

Le fait qu'une idée adéquate soit en dieu comme en moi ne lui impose-t-il pas qu'elle soit vraie éternellement ?

Ou bien faut-il considérer que les affirmations de la science ne sont jamais des idées adéquates ?

Bonne journée

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Babah
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Messagepar Babah » 05 mai 2010, 14:26

il me semble que vous confondez une idée vraie (ou fausse) avec une idée tenue pour vraie (ou fausse).
Une idée (reconnue comme) fausse actuellement n'a jamais été vraie même si on a pu le croire. Par conséquent il ne s'agit pas pour une idée de devenir fausse de quelque manière, ni l'inverse non plus.

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Messagepar Dai » 14 juil. 2011, 16:00

Bonjour,
Une autre conception plus relativiste du vrai scientifique consiste à poser qu’est vraie toute proposition scientifiquement démontrée (conforme à un cadre épistémologique donné) tant qu'elle n’a pas été scientifiquement réfutée, en se fondant notamment sur les failles de la démonstration attaquée. Cela suppose un vrai qui n’est plus un Vrai ; et que le vrai n’a qu’un caractère provisoire… Il n'est donc pas "faux" si les conditions de sa production n'ont pas été entachées de biais dans le mode de production et le système donnés qui ont conduit à ce vrai. Mais nous sommes loin de la conception spinoziste du vrai ici ! :wink:
Au plaisir,
Dai

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Messagepar eccehomo » 17 juil. 2011, 19:33

Dai a écrit :Une autre conception plus relativiste du vrai scientifique (...) Mais nous sommes loin de la conception spinoziste du vrai ici ! :wink:


Précisément... votre réponse se tient assez loin de la conception spinoziste du vrai ;)

Je paraîtrai peut-être borné, mais je ne fais jamais que l'expérience d'un seul monde et j'aspire (pour mon bien être) à une pensée unifiée de cette expérience. Je ne peux me sentir bien en disant : d'un côté le discours de la science sur cette expérience, d'un autre côté le discours spinoziste et qu'il me soit impossible de penser l'articulation rationnelle de ces différents discours.

Or ma question concerne la façon de penser l'histoire des vérités scientifiques en spinoziste.

Il m'a semblé comprendre que le second genre de connaissance est celui de la connaissance scientifique.

Cette appartenance au second genre m'empêche de comprendre que la connaissance scientifique puisse avoir une histoire (quelque soit la façon de penser cette histoire : "à la Kuhn" par révolution et changement de paradigme comme vous le suggérez ou d'une autre manière).

Par exemple que deviendront les connaissances vraies produites par le modèle standard de la physique des particules si pour finir l'on ne parvient pas à observer le boson de Higgs ? Ces connaissances deviendront fausses, non ?

Ces connaissances du modèle standard appartiennent-elles au second genre et donnent-elles une connaissance adéquate de la nature ou non ?

Si la réponse est "non" alors sont-elles des connaissances imaginaires et inadéquates ? (ce que semble dire la première personne Babah ayant répondu).

Je dois reconnaître que j'ai du mal à les tenir pour imaginaires... tout aussi réductionniste, etc. que je puisse être.

A vous lire

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Henrique
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Messagepar Henrique » 20 juil. 2011, 15:11

Je pense en effet qu'il faut distinguer la vérité des productions scientifiques en général. Le vrai, en tant qu'accord de l'idée et de son objet (PM, 1,6,3 ou [url=http://www.spinozaetnous.org/wiki/Éthique_I#]E1A1[/url]), est immuable si son objet l'est également. Or les sciences, au sens où nous entendons ce terme aujourd'hui, ont pour objet principal de connaître les lois qui régissent les phénomènes naturels. Mais comme elles se bornent aux phénomènes, i.e. ce qui est observable directement ou indirectement de façon sensible autant que quantifiable, il ne peut être question pour elles de prétendre à la vérité. Popper l'a bien montré : une hypothèse ou une théorie scientifiques se reconnaissent à ce qu'elles sont falsifiables, elles ne peuvent atteindre l'irréfutabilité du fait même qu'elles sont une reconstruction de l'expérience commune. Une proposition "scientifique" n'est ainsi jamais définitivement vraie, mais la plus vraisemblable. Une hypothèse qui est confirmée par l'expérimentation n'est pas vérifiée, au sens de rendue vraie, mais corroborée jusqu'à preuve du contraire. Il est donc normal que les sciences connaissent une histoire en perpétuel mouvement.

La philosophie, elle, et notamment celle de Spinoza, reste capable de prétendre à des vérités éternelles car elle a pour objet non les phénomènes en tant que tels mais leurs essences. On peut douter qu'il existe de telles essences, mais c'est bien souvent à partir d'une incompréhension de ce que les philosophes comme Spinoza entendent par là. Quoiqu'il en soit, quand Spinoza parle des notions communes ou des essences singulières qu'il s'agit de comprendre intuitivement, il parle de quelque chose qui ne peut se ramener à des idées tirées abstraitement de notre expérience sensible. Mais c'est un autre sujet. Retenons que la science contemporaine utilise l'intellect et la raison pour comprendre des faits sensibles, en partant d'eux pour revenir à eux par le biais de l'instrument mathématique notamment ; la philosophie utilise l'intellect et la raison pour comprendre des essences, qui sont en quelque sorte des faits intellectuels.

Ainsi, pour reprendre un de vos exemples, quand on a affirmé que le lait était bon pour la santé, c'était à partir de statistiques sur la consommation de ce produit naturel, jamais à partir d'une compréhension du rapport essentiel qu'il y aurait entre ce produit et la santé, car on serait bien en peine d'y parvenir. Il ne s'agit donc pas ici d'idées adéquates.

Pour répondre à votre question je dirai donc que l'histoire des sciences n'est pas celle des vérités mais des hypothèses les plus rationnelles qu'on peut élaborer pour comprendre ce que nous percevons sensiblement dans la nature. La philosophie quant à elle se propose de comprendre ce que nous pouvons percevoir ou plutôt concevoir intellectuellement. En conséquence, une théorie scientifique qui a été dépassée n'a jamais été vraie, elle s'est simplement révélée incompatible avec les progrès de nos connaissances empiriques. Celle qui la remplace n'est jamais que mieux à même de faire corps avec cet ensemble de connaissances. Mais les unes comme les autres ne sont pas pour autant imaginaires ou relevant de la simple opinion vulgaire. Elles sont les meilleures constructions intellectuelles qu'on peut concevoir à un moment donné pour rendre compte de nos perceptions sensibles.

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Messagepar Miam » 20 juil. 2011, 17:45

Salut à tous. Ca fait longtemps.
Je suis d'accord avec Henrique dans la mesure où il répond à partir du point de vue et du vocabulaire de l'épistémologie moderne commune.
Spinoza dit la même chose en des termes différents.
D'abord ses notions du vrai et du faux ne sont pas les mêmes que les nôtres. "Toutes les idées, en tant qu'elles sont rapportées à Dieu, sont vraies" (Ethique II, 32). Toutes les idées sont vraies pour autant qu'on les conçoivent comme les idées de Dieu et non pas issue de l'arbitraire de notre volonté. L'idée adéquate (II, 11s, etc...), c'est tout autre chose.

L'idée vraie, c'est la condition de possibilité des idées adéquates. "Nous avons l'idée adéquate de l'essence éternelle et infinie de Dieu", c'est à dire de deux de ses attributs. Mais si nous ne concevions pas ces attributs comme étant "de Dieu", c'est à dire les idées de ces attributs comme des idées vraies qui sont "de Dieu", nous n'aurions pas d'idée adéquate de l'essence de Dieu.

L'idée adéquate n'est pas un rapport direct à Dieu (refertur ad deum), comme l'est l'idée vraie. Elle se fonde sur les notions communes, c'est à dire la production d'un "commun" entre notre corps et les corps extérieur. L'étendue, et dans une moindre mesure le mouvement, sont ces premiers communs parce que nous produisons immédiatement de l'étendue et du mouvement. Bref, l'idée adéquate, c'est la production d'un individu, que celui-ci soit considéré comme partie (cas des propres communs) ou comme totalité (cas de la connaissance d'une essence). Quant à la Raison, que l'on peut assimiler à la science au sens contemporain, elle est issue "de ce que (ex eo, je souligne) nous avons des notions communes" (Ethique II 49s2), qui sont au premier chef des idées adéquates (Ethique II 37 et 38.). La raison est composée des idées "claires et distinctes" (au sens cartésien aussi) qui "suivent" des notions communes adéquates. C'est pourquoi elles sont elles aussi adéquates, mais par déduction et non par production directe. C'est seulement avec la Raison que l'on trouve des énoncés discursifs qui peuvent être dits "vrais" ou "faux" au sens de la science actuelle.

Il résulte que Spinoza assume totalement l'historicité et le caractère expérimental des sciences. Sans en être en contradiction, la physique newtonienne n'a plus grand chose à voir avec la physique relativiste d'Einstein ou avec la physique quantique. Mais c'est parce qu'il s'y agit là de deux différents discours issus de notions communes différentes, autrement dit de deux raisons discursives qui se fondent sur des expériences qui semblent incompatibles, parce que l'une découvre un "commun" beaucoup plus profond que l'autre, dans la mesure où tout commun est un individu qui fait partie d'un autre individu et comprend lui-même des individus comme parties, ad infinitum. Dans tous les cas il s'agit pourtant d'une même nature (divine), dont on prend connaissance par une même méthode scientifique (les notions communes).

C'est pourquoi la physique newtonnienne reste valide dans une certaine mesure. L'astronomie ptoléméenne est aussi valide dans une certaine mesure. La connaissance par notion commune est universelle et éternelle. Seules les idées claires et distinctes qui suivent de cette connaissance et demeurent par là dépendantes de l'expérimentation elle-même et de ses conditions comme production d'un "commun", peuvent se contredire.

C'est pourquoi pour Spinoza le cercle n'est pas défini comme le fait Descartes qui part de la seule raison discursive fondée sur les idées claires et distinctes. La définition spinozienne du cercle, c'est l'idée de la production du cercle : ce que produit le mouvement d'un compas (cf. TRE). La définition cartésienne du cercle comme "la figure dont les rayons sont égaux" "confond les idées et les mots" et n'énonce que les propriétés du cercle, comme le dit Spinoza : ce qui suit (est déduit) de la production du cercle. C'est là l'erreur principale de Descartes, par suite incapable d'appréhender l'historicité de la connaissance. C'est d'ailleurs là aussi, l'erreur de la raison dite "instrumentale" des modernes. Du reste, dans un espace non euclidien (minkovskien ou lobatchevskien), un cercle tel que le définit Spinoza reste un cercle, tandis qu'un cercle tel que le définit Descartes n'en sera plus un. Mais cela je l'ai déjà dit, je crois.

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Messagepar QueSaitOn » 21 juil. 2011, 16:25

Bonjour,

L'idée adéquate est une idée en cohérence avec elle même, donc sans forcément en rapport avec l'objet dont elle est l'idée. L'adéquation résiderait donc plutôt dans la "puissance" de cette idée à un moment donné. Historiquement, une vérité scientifique est une vérité qui permettrait d'augmenter notre puissance d'agir à un moment donné.

A la limite, le fait que la Terre soit plate peut être vécu comme une telle puissance issue du commun comme le souligne Miam. Le fait que la Terre soit plate est une vérité scientifique si elle est adéquate au sein de la chaînes des raisonnements en accord avec les notions communes, et permettant de développer la puissance d'exister à un moment donné.

Dans la vie de tous les jours, ne nous appuyons nous pas d'ailleurs sur des présupposés localement adéquats mais scientifiquement inadéquats (comme le fait que le soleil semble tourner autour de la Terre, cette idée scientifiquement inadéquate ne nous est elle pas en fin de compte "utile" et corporellement adéquate ?).

Ce sont juste quelques questions et réflexions ...

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Messagepar Int » 22 juil. 2011, 15:59

Bonjour,

Si je comprends bien vos réponses (en tant que tout jeune lecteur de "L'éthique"), j'en déduis qu'une idée adéquate, conforme aux déterminations intrinsèques du vrai, n'est pas nécessairement une idée vraie, qui doit aussi être conforme aux déterminations extrinsèques du vrai. Au contraire, une idée vraie est forcément adéquate (un peu comme le carré qui est un rectangle particulier alors que le rectangle n'est pas nécessairement un carré).

Si je comprends bien, encore, une idée adéquate peut être une illusion qui se donne des allures d'idées vraies (cf les nombreux exemples du topic, celui sur le lait, par exemple). Comme si il y avait un moyen terme entre le premier et le second genre de connaissance, en ce qui concerne la science. Cela voudrait donc dire qu'une illusion peut augmenter ma puissance de comprendre?

Mes excuses si je suis complètement à coté.

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Messagepar Miam » 24 juil. 2011, 22:34

La différence qui nous intéresse ici ne réside pas entre l'idée vraie (au sens de Spinoza) et l'idée adéquate. Elle se recèle bien plutôt entre la notion commune (adéquate), qui est une position expérimentale - tant corporelle que conceptuelle - et les idées claires et distinctes qu'on en déduit analytiquement (de sorte qu'elles soient elles aussi adéquates) mais sans plus aucune référence à la position originaire d'une notion commune. Celle-ci est fatalement datée historiquement puisqu'elle dépend d'une expérience humaine circonstanciée et non (comme lors de la déduction), de la simple logique (entendue comme langage scientifique). Si l'on en reste à cette logique déductive des propriétés, c'est à dire aux énoncés scientifiques, ceux-ci peuvent apparaître comme faux plus tard parce que les conditions de l'expérience dont ils sont déduits a changé. En revanche, si l'on considère les circonstances expérimentales de la notion commune originaire, celle-ci demeure telle quelle, éternellement.
Autrement dit : la production d'un cercle par un compas est éternellement vraie (au sens courant), mais les propriétés du cercle que l'on en déduit restent dépendants de l'espace de référence dès qu'on les considère comme des énoncés isolés de la production du cercle.

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Messagepar Lemarinel » 26 févr. 2012, 21:44

A Eccehomo,
en réponse à sa question,

Pour Spinoza, à ma connaissance une idée adéquate ne peut pas devenir inadéquate, à moins de régresser dans un genre de connaissance inférieur ( le premier); et une idée inadéquate ne peut devenir adéquate qu'en passant à un genre de connaissance supérieur (comme le 2ème ou le 3ème).
La question est la suivante : si une idée est adéquate, comment peut-elle cesser de l'être ? Idem pour la connaissance ou l'idée inadéquate : si elle devient adéquate, peut-on dire qu'il s'agit de la même idée ? Ce n'est pas facile de trancher : la seule certitude, c'est qu'une idée ne peut devenir autre qu'elle n'est qu'en passant par le creuset d'un genre de connaissance autre...
Quant aux épistémologies bachelardienne ou poppérienne que vous suggérez et qui s'appuient sur les géométries non-euclidiennes ou la physique moderne (relativiste ou quantique), Spinoza comme vous vous en doutez ne pouvait pas les connaitre, et son histoire des sciences devait se ramener aux seuls mathématiciens grecs comme Euclide ou Pythagore.


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