Immortalité et éternité

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Immortalité et éternité

Messagepar Epictete » 01 janv. 2012, 06:50

Bardamu a écrit :
Et concrètement, il me semble clair qu'on ne vit pas de la même manière quand on est dans l'idée "moi-mon corps-mes années à vivre" et quand on est dans l'idée "moi-la Nature-l'éternité". Dans le premiers cas, on est pressé par le temps qu'il nous reste, dans le second on est serein dans l'existence. Je dirais que Spinoza nous dit qu'il faut se presser de devenir serein, qu'on n'a que quelques années pour profiter de l'éternité.

En marge de vos deux idées du moi, je souhaiterais savoir si vous concevez aussi chez Spinoza un « moi qui cherche à persévérer dans son être au-delà de la durée de son propre corps ».

Dans son article intitulé Spinoza : vie, immortalité, éternité, Charles Ramond s’élève contre l’idée largement répandue selon laquelle la philosophie de Spinoza serait purement et uniquement une philosophie de l’éternité. Selon Ramond la méditation du sage est aussi et avant tout une méditation de ce qui dure et non pas de ce qui s’interrompt. En marge du "moi-la Nature-l'éternité", il y aurait donc aussi un moi qui tend vers l’immortalité en persévérant indéfiniment dans l’existence.

Car concrètement, et cela c’est moi qui le dit, si la partie éternelle, adéquate, de l’esprit de monsieur De Spinoza qui vécut dans la durée, entre les années 1632 et 1677, se trouve entièrement dans les pages de l’Ethique, nous pouvons constater que son esprit est depuis 1677 toujours vivant, toujours producteur d’effets dans la pensée et l’étendue, et cela au sens ou le sage ne cesse jamais d’être (EIV42s)? La preuve se trouvant dans toute la littérature secondaire, les émissions de radio et ce site lui-même.

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Messagepar hokousai » 01 janv. 2012, 23:18

Je ne vais pas contredire Ramond . Je ne connais pas le texte auquel vous faites référence . D'emblée je dirais qu'il a raison (en partie raison ) .

Il n'empêche que sur le fond (de mon point de vue) Spinoza a (dans la 5eme partie) une démonstration fondée sur l'essence (ce qui me pose bien des problèmes ).
Pour faire vite, c' est parce que nous pensons l' essence du corps, du notre, que nous pouvons démontrer (que Spinoza du moins démontre) qu'il reste quelque chose d'éternel de l'esprit humain.(prop 23/5)
Bien sûr pour Spinoza l'essence échappe à la durée . L'essence est distinguable de l'existence . En ce qu'elle est pensée distinguable.
C' est là tout le problème.
Est -ce qu'une pensée de l'éternité est éternelle ?
Comment démontrer cela ?

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Messagepar Epictete » 09 janv. 2012, 04:45

Oui, sauf que la question que je me pose est légèrement différente de la vôtre : est-ce qu’une pensée de l’éternité offre la possibilité d’une pensée immortelle dans la durée?

Vous ne pensez pas que si l’immortalité de l’âme n’est pas la condition nécessaire de l’éternité, au contraire c’est l’éternité qui est la condition de possibilité de l’immortalité. Cette idée de Chantal Jaquet est citée par Ramond dans son article.

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Messagepar Henrique » 11 janv. 2012, 02:58

Merci Epictete pour votre insistance à rester sur la question initiale, et ce malgré l'empressement à poser d'autres questions de notre cher Hokousai !

Tout d'abord, on pourra se faire une idée de l'article de Ramond ici :
http://www.spinozaetnous.org/wiki/Spino ... vie_(revue)

D'après ce que j'ai pu lire de l'article de Ch. Ramond, il est surtout question d'une immortalité des corps et pas forcément d'une pensée comme celle de Spinoza qui se perpétue à travers le temps, ce qui est donné à bien peu d'entre nous.

Mais on pourrait penser ici à ce que disait Kundera dans L'immortalité : il y a ordinairement deux formes d'immortalité accordée aux hommes : la grande et la petite. La grande, c'est la production d'une œuvre, artistique, scientifique, politique etc. qui marquera les générations futures et qui fera qu'on continuera d'exister et peut-être même de vivre d'une certaine façon dans l'esprit de beaucoup d'humains. N'est-ce pas là toujours plus ou moins la motivation profonde de ceux qui sacrifient tant de plaisirs communs à l'élaboration d'une telle œuvre ? Et il y a aussi la petite immortalité, plus commune : celle qui consiste à faire des enfants pour continuer d'exister à travers eux, par les façons d'être et de penser qu'on leur aura transmises. Qu'est-ce qui peut pousser à faire des enfants, avec tous les sacrifices que cela aussi implique, si ce n'est au fond le désir d'immortalité ? Et il est rare de pouvoir cumuler les deux immortalités : l'une a tendance à empêcher l'autre. Dans le meilleur des cas, cela consiste à "faire des choses", en s'engageant dans une action citoyenne par exemple, pour contribuer à un monde meilleur pour notre progéniture.

Mais pour en revenir à Ramond, donc, il semble surtout parler de l'immortalité du corps. Je suis d'accord avec lui pour ne pas suivre la stigmatisation d'un tel thème dans l'histoire de la philosophie. Il est clair que tout être vivant tend à persévérer dans son être indéfiniment. Si la médecine nous permettait d'obtenir un breuvage qui éviterait le processus de vieillissement, par lequel la nature fait que le renouvellement de nos cellules commence à se dégrader vers l'âge de 20 ans, puis de plus en plus, qui pourrait refuser d'en bénéficier ? Jankélévitch a beau nous dire que si j'étais immortel, je n'aurais plus aucune raison de faire quoique ce soit pour donner sens à ma vie, puisqu'on n'aurait plus de raison de sacrifier notre tranquillité en nous laissant vivre, un spinoziste du moins sait que ce n'est pas l'idée de la mort qui donne sens à son existence, mais l'affirmation même de sa puissance d'exister.

Pour autant, Ramond n'ignore pas l'axiome d'Ethique IV, "Il n'existe dans la nature aucune chose particulière qui n'ait au-dessus d'elle une autre chose plus puissante et plus forte. De sorte que, une chose particulière étant donnée, une autre plus puissante est également donnée, laquelle peut détruire la première. " d'où il résulte que "La force, par laquelle l'homme persévère dans l'existence, est limitée, et la puissance des causes extérieures la surpasse infiniment." (prop. 3) Ainsi quand bien même nous disposerions du moyen de ne plus vieillir, les maladies, les accidents seraient toujours possibles, ce qui fait déjà qu'alors que l'espérance de vie raisonnable d'un humain moyen est d'environ 90 ans, on peut toujours mourir à 50 ans ou à cinq mois. Ramond indique que cela n'empêche pas de concevoir une immortalité qui consisterait à pouvoir vivre tellement longtemps, que cela deviendrait une question qui ne nous concernerait plus, comme ces séropositifs du sida dont les soins permettent aujourd'hui de repousser indéfiniment l'action du virus sur tout le corps. Mais ce serait alors finalement plutôt une immortalité subjective et non pas objective, la seule qui nous intéresse vraiment.

Et je dirais que pour quelqu'un qui se situe dans la pensée du nécessaire, et ainsi de l'éternité, comme le proposait Bardamu, il n'est pas nécessaire de pouvoir vivre 1000 ans, ni même 100 ans en conservant ses facultés principales, il n'est pas nécessaire, comme le dit Ramond, "d'imaginer que cet accident [la rencontre d'une puissance extérieure qui me détruit] soit repoussé encore et encore, toujours et toujours, si bien que la mort serait repoussée en un horizon si lointain qu'il finirait par ne plus nous concerner". Dores et déjà, la mort ne nous concerne que parce qu'on la considère comme une réalité positive qui pourrait être à craindre. Or la cessation de l'existence d'un corps n'est que transformation de celui-ci, non pas en quelque chose d'étranger à moi, mais plutôt en quelque chose de commun avec mon corps, à différents égards.

Pour autant, il n'y a pas je pense lieu d'opposer éternité et immortalité, mais immortalité du mental, c'est-à-dire de l'idée du corps : "on ne peut dire que notre âme dure, et son existence ne peut être enfermée dans les limites d'un temps déterminé qu'en tant qu'elle enveloppe l'existence actuelle du corps" (E5P23s) ce qui implique qu'en dehors de l'existence actuelle du corps, il peut bien y avoir une existence actuelle du mental qui ne serait pas "enfermée dans les limites d'un temps déterminé". Cela ndique ici bien sûr l'éternité mais n'interdit pas non plus la sempiternité, une durée infinie, continuation sans commencement ni fin de l'idée en Dieu de l'essence du corps d'un homme donné.

A cet égard, et quoique les commentateurs aient souvent eu tendance à rejeter le Court traité comme œuvre de jeunesse voire apocryphe, tant il contient d'éléments qui contreviennent à leurs interprétations, on peut en citer la partie II, chap. 26 et qui va dans le sens d'une immortalité du mental en même temps que (plutôt qu'après) son éternité. Je ne pense pas que sur un point aussi important, les disciples de Spinoza auraient tordu sa pensée.

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Messagepar hokousai » 11 janv. 2012, 11:47

à Epictète

Il se trouve que j' ai répondu à la question laquelle n'était pas si évidente lors du premier message
la question serait donc <b>est-ce qu’une pensée de l’éternité offre la possibilité d’une pensée immortelle dans la durée?</b>

je réponds qu'il n' y a rien qui prouve qu'une pensée de l'éternité est éternelle. Ce n'est pas l'opinion de Spinoza . Il y a chez Spinoza des modes de la pensée qui sont éternels . Ils constituent tous ensemble l'intellect éternel de Dieu .(scolie prop 40/5)

Pour être plus précis je vous ramènais à la source de la démonstration de la partie éternelle de l'esprit humain .
C' est parce que nous avons une idée de l'essence du corps et que cette idée est éternelle .
la phrase capitale est celle ci:
<b> ce qui se conçoit avec une certaine nécessité éternelle par l'essence même de Dieu n' en est pas moins quelque chose ce quelque chose qui appartient à l'essence de l'esprit sera nécessairement éternel .</b>

Pour résumer ce que je conçois comme éternel est éternel .
<b>C'est là où j' émets un doute .</b>
Moi je veux bien parler d'autres choses, de l 'espoir d une vie éternelle etc etc mais mais c'est pour le coup un autre sujet .
....................................................................
Sur ce que dit Jacquet:
L'éternité peut être légitimement conçue comme nécessairement garante de l'immortalité de ce qui est éternel c'est à dire la Nature . Encore qu'immortalité soit mal venu en fait immortalité signifie là éternité.
On est cependant en pleine tautologie: l'éternité est garante de l'éternité de ce qui est éternel ,pas plus.

Spinoza conscient du problème et qui a entre les mains des modes qui ne sont pas éternels est <b>obligé</b> de surajouter des<b> modes qui le sont</b> .
Sans entrer dans le détail des modes infinis et finis .
Certains modes (apparemment finis et singuliers ) de la pensée sont donc éternels alors que les modes singuliers de l' étendue ne le sont pas et que certains modes de la pensée( l'imagination ) ne le sont pas non plus .

Pour moi dans la logique du système : la pensée singulière de l' éternité est un mode de l'attribut pensée . L' attribut est éternel pas ses modes .
En fait pour Spinoza ce n'est pas l' homme singulier qui pense les idées adéquates c'est Dieu lui même (si j!ose dire ) . Donc ce qui de la partie de l'esprit humain est éternel c'est Dieu .

Pour simplifier quand nous pensons Dieu éternel et nécessaire ce n'est pas vous ou moi qui pensons c'est Dieu qui pense .
C' est une thèse qui bien évidemment légitime puissamment la manière qu'a Spinoza de penser Dieu . Hegel a la même manière de procéder .

................
PS: De mon point de vue une question appelle une réponse, certes, mais une questions peut aussi appeler d'autres questions .

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Messagepar Epictete » 20 janv. 2012, 06:08

J’ai relu l’article de Ramond dans son intégralité et en effet comme le souligne Henrique il s’oriente principalement sur une immortalité du corps. Cela dit, l’approche de Ramond repose essentiellement sur une méditation de ce qui dure, et donc aussi sur une immortalité de la pensée.

Hokousai nous rappelle que l’homme participe de la pensée divine. En effet, Dieu est vérité, éternité, nécessité, existence, puissance. Selon que nous avons des idées adéquates ou inadéquates, nous sommes dans le vrai ou dans le faux, dans l’éternité ou dans la durée, dans la puissance ou dans la passion, nous existons ou nous n’existons pas, nous persévérons ou nous ne persévérons pas dans l’existence de manière indéfinie.

Certes nous avons des pensées éternelles, mais ces pensées continuerons indéfiniment a produire des effets bien au delà de la durée de notre propre corps. La singularité de notre être pensant dure indéfiniment et peut donc tendre vers l’immortalité.

Henrique, vous dites que « la pensée de Spinoza se perpétue à travers le temps, ce qui est donné à bien peu d’entre nous. » Mais vous ne pensez pas que la pensée de Spinoza est tout simplement la pensée de Dieu, qui est aussi la votre et celle de ceux qui tendent vers la sagesse, qui tendent à être Deus Quatenus, Dieu d’une certaine manière ?

C’est peut-être en ce sens que notre « esprit-philosophique-singulier » est éternel et immortel et que « le sage ne cesse jamais d’être. » Car si nous comprenons clairement que nous ne cesserons jamais d’être nous pouvons aussi comprendre que notre sagesse n’est nullement une méditation de la mort car il n’y a pas de mort puisque tout est vie.

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Messagepar hokousai » 20 janv. 2012, 13:17

cher Epictète

J’ai relu l’article de Ramond dans son intégralité et en effet comme le souligne Henrique il s’oriente principalement sur une immortalité du corps.

Je n'ai pas lu l'article et pour le coup je ne comprends pas . Aucun Spinoziste et Ramond est spinoziste (me semble t il ) sinon excellent commentateur , aucun ne peut orienter le lecteur vers l'immortalité du corps.
Pour revenir sur l'immortalité de l'esprit . Je pense que Spinoza n'estimait pas pertinent l' idée dune immortalité" subjective" de l'esprit .
Mais le mot immortalité ne convient pas . Il faut parler d'<b>éternité</b> d' une partie de notre esprit .

Pour penser ainsi il faut ( je me répète ) qu' une partie des idées soient éternelles . Ces idées idées adéquates sont en fait les idées de Dieu , ce sont des idées dépersonnalisées, désubjectivisées.

Supposons que vous pensiez les vérités mathématiques comme des vérités éternelles alors la partie de votre esprit qui les pense est éternelle . Je dirais bien que vous êtes alors pensé par les mathématiques plutôt que d'être un sujet qui les pense .

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Messagepar Shub-Niggurath » 20 janv. 2012, 17:55

La question que je me pose à ce sujet est de savoir si (l'esprit humain possédant une part éternelle, unie à l'attribut pensant d'un lien plus fort que celui qui l'unit au corps) c'est à une forme de renaissance perpétuelle que nous devons nous attendre, puisque la parcelle éternelle n'a pas attendu la naissance du corps pour commencer à être, ou bien à une sorte de survie éternelle dans l'attribut pensant seulement ?

Je pencherait plutôt pour la première solution, car l'idée d'un "devenir éternel" à partir d'une naissance me paraît absurde. Soit on naît éternel, et on est éternel, soit on le devient, mais qu'est-ce qu'une éternité qui aurait un début ? Ce serait là une sorte de semi-éternité tout à fait illogique, vers laquelle penchait en son temps Gilles Deleuze. Tandis qu'une série infinie de naissances et de renaissances, comme dans les philosophies et religions orientales, me paraît beaucoup plus adaptée à recueillir un esprit éternel par nature, qui connait de toute éternité l'attribut pensant dans lequel il vit.

Comme d'autre part il n'existe pas d'espace en dehors de Dieu, puisqu'il est infini et que Dieu est partout vivant, il ne peut pas se faire que la partie éternelle que nous sommes fondamentalement passe dans une sorte d'espace réservé aux âmes des morts, comme dans les religions et philosophies occidentales, et subsiste détaché de tout mode autre que le mode de la pensée qu'il est, puisqu'alors il n'agirait plus et se contenterait de contempler éternellement l'idée qu'il est sans pouvoir accroître sa puissance d'exister.

La parcelle éternelle qui est un mode de l'attribut pensant doit donc nécessairement s'unir à nouveau à un autre mode d'un autre attribut afin de continuer à agir et à exister d'une manière plus parfaite, c'est-à-dire plus forte et plus vivante que si elle demeurait dans l'attribut pensant uniquement.

C'est la raison pour laquelle, me semble-t-il, nous existons actuellement aussi en tant que corps, bien que notre esprit soit une partie de l'intellect éternel de Dieu, et ce de toute éternité et pour toute l'éternité.

Encore une fois, l'idée d'un devenir éternel a quelque chose d'incompréhensible pour moi, mais peut-être avez-vous une autre opinion sur cette étrange question.

Car alors l'idée même du salut se vide, si j'ose dire, de sa substance, or le salut de l'esprit humain est une question importante dans le spinozisme. Mais peut-être faut-il voir dans le salut une simple question de plus ou de moins : certains, unis à leurs corps, découvrant leur éternité seulement après la mort du corps, d'autres, plus philosophes, connaissant dés cette vie l'éternité de leur intellect, mais demeurant ignorant et des modes auxquels ils furent unis avant ce corps, et de ceux auxquels ils seront unis après par la puissance divine.

Cette question a quelque chose d'abyssal, j'en convient, et l'idée d'une survie de l'intellect seulement en tant que mode de l'attribut pensant peut être plus rassurante qu'une renaissance perpétuelle dans l'infinité des attributs, qui demeurent, pour nous, étrangement mystérieux.

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Messagepar Henrique » 22 janv. 2012, 00:44

A Shub-Niggurath,
Ramond ne parle bien sûr pas d'une éternité du corps mais seulement de la possibilité de son immortalité. Et Spinoza de l'éternité de l'essence du corps (qui pourrait être le désir que j'ai toujours eu d'être ce que je suis, qui est au fond la seule chose qui reste malgré tous mes changements possibles).

On peut opposer Ethique V, 21 à l'idée d'une métempsycose dont Platon avait déjà parlé, à la suite de Pythagore (histoire de rappeler que ce n'est pas qu'une idée orientale) :
Le mental ne peut rien imaginer, ni se souvenir d'aucune chose passée, si le corps ne continue pas d'exister puisque le mental n'est qu'idée du corps. Cela remet sérieusement en cause les témoignages de vies antérieures.

Mais le souvenir et l'imagination se rapporte aux images des choses, non à leur essence. Mais à vrai dire, ce qui fait que je suis l'idée d'un même corps à travers le temps alors que celui-ci ne cesse de changer, qui est le désir de se conserver alors même qu'on se modifie en permanence, ne relève pas de l'imagination mais bien de l'intuition intellectuelle. Le désir que j'ai aujourd'hui de préserver ce que je suis et tout ce qui compte pour moi n'est pas différent sur le fond de celui que j'avais à 10 ans mais seulement sur la forme. Et si je peux me souvenir de ce que j'étais à 10 ans, alors que mon corps n'a du point de vue de ses composants et de sa puissance plus rien à voir avec ce que j'étais à cette époque (Eth. IV, 39 scol. , alors le "je" est quelque chose qui peut ne pas se réduire à l'image du corps, dans la continuation actuelle de son existence.

On peut aussi envisager que quelque chose subsiste du corps alors que sa forme et sa matière changent, quelque chose de matériel et non de pensant, que Spinoza connaît très bien et que les anciens hébreux appelaient ruagh, les grecs pneuma, les latins spiritus, qu'on peut traduire en français par souffle, voire inspiration et qui ne peut être confondu avec ce que Spinoza appelle par ailleurs mens que je propose donc de traduire par mental.

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Messagepar Shub-Niggurath » 30 janv. 2012, 16:16

Bien sûr que la mémoire disparaît avec le corps, mais cela ne remet pas en cause l'idée que l'intellect puisse s'unir à un nouveau mode d'une nouvel attribut après la mort du corps. Je n'ai nulle part invoqué de témoignages de souvenirs de vies antérieures, cela aurait été absurde.

La question que je pose concernant l'immortalité ou l'éternité de l'intellect, c'est est-ce que celui-ci subsiste après la mort du corps seul et comme un simple mode de l'attribut pensant ou est-ce qu'il a la possibilité de s'unir à un nouveau mode d'un attribut autre.

En vérité, l'idée que l'intellect devienne éternel et subsiste pour ainsi dire détaché de tout est un peu étrange, non ?

Le fait que l'intellect, partie de l'intellect éternel de Dieu de toute éternité, soit actuellement lié à un corps, c'est-à-dire à un mode de l'attribut étendu, montre bien qu'avant le corps il existait aussi, même si encore une fois aucun souvenir n'en peut subsister, et donc qu'il existait lié également à un mode quelconque d'un quelconque attribut de Dieu.

C'est l'existence du corps qui est étrange et demande des explications, une fois qu'on a bien compris que l'intellect que nous sommes fondamentalement est une partie de l'intellect divin (cela est affirmé très clairement dans l'Ethique et dans d'autres ouvrages de Spinoza), et donc à ce titre est éternel comme lui. Pourquoi cet intellect est-il actuellement lié à un corps particulier et n'existe-t-il pas seulement dans l'attribut pensant ?

Je crois ces questions importantes pour bien comprendre la doctrine du salut chez Spinoza, questions qu'il élude à mon sens un peu vite dans la cinquième partie de l'éthique.


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