Immortalité et éternité

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Epictete
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Messagepar Epictete » 07 févr. 2012, 05:19

Shub-Niggurath a écrit :La question que je pose concernant l'immortalité ou l'éternité de l'intellect, c'est est-ce que celui-ci subsiste après la mort du corps seul et comme un simple mode de l'attribut pensant ou est-ce qu'il a la possibilité de s'unir à un nouveau mode d'un attribut autre.

En vérité, l'idée que l'intellect devienne éternel et subsiste pour ainsi dire détaché de tout est un peu étrange, non ?

Le fait que l'intellect, partie de l'intellect éternel de Dieu de toute éternité, soit actuellement lié à un corps, c'est-à-dire à un mode de l'attribut étendu, montre bien qu'avant le corps il existait aussi, même si encore une fois aucun souvenir n'en peut subsister, et donc qu'il existait lié également à un mode quelconque d'un quelconque attribut de Dieu.

C'est l'existence du corps qui est étrange et demande des explications, une fois qu'on a bien compris que l'intellect que nous sommes fondamentalement est une partie de l'intellect divin (cela est affirmé très clairement dans l'Ethique et dans d'autres ouvrages de Spinoza), et donc à ce titre est éternel comme lui. Pourquoi cet intellect est-il actuellement lié à un corps particulier et n'existe-t-il pas seulement dans l'attribut pensant ?

Je crois ces questions importantes pour bien comprendre la doctrine du salut chez Spinoza, questions qu'il élude à mon sens un peu vite dans la cinquième partie de l'éthique.


Il me semble que le salut chez Spinoza consiste à se comprendre soi, clairement et distinctement, comme une partie de Dieu; c’est-à-dire, à saisir la singularité de notre entendement propre comme partie de l’entendement infini de Dieu car l’entendement de Dieu n’est rien d’autre que la somme infinie des entendements humain.

Notre singularité fait donc l’expérience de son éternité mais aussi de son immortalité car elle continuera à produire des effets de manière indéfinie en Dieu.

De surcroit, puisque notre singularité ne mourra jamais, il n’y a pas lieu d’avoir peur de la mort car il n’y a pas de mort, tout est vie.

Voici de manière un peu succincte comment je comprends le salut chez Spinoza.

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Shub-Niggurath
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Messagepar Shub-Niggurath » 08 févr. 2012, 21:14

Merci pour votre réponse, je suis dans l'ensemble d'accord avec vous. J'ajouterais seulement qu'il est fort probable que nous ne soyons pas les seules créatures pensantes dans l'univers infini, et donc que l'entendement de Dieu a une portée bien plus étendue que la seule somme des entendements humains, mais qu'il est constitué également de tous les entendements éternels de tous les êtres pensants de l'univers.

Je constate avec joie que vous ne réduisez pas l'éternité de l'entendement à la durée indéterminée du corps, et que vous semblez tout comme moi comprendre le salut comme une durée infinie de l'existence de l'entendement, c'est-à-dire comme une vie éternelle de l'entendement dans l'attribut pensant.

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Lemarinel
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Messagepar Lemarinel » 20 févr. 2012, 12:16

A Epictète et Shub-Niggurath,

Je relève de graves contre-sens sur la question spinoziste de l'éternité. L'éternité spinoziste n'a rien à voir avec l'immortalité, précisément parce qu'elle n'a aucun rapport avec le temps. Lisez la proposition 23 de l'Ethique V, avec son scolie. Spinoza y explique clairement que l'âme, en tant qu'elle est l'objet du corps, n'a pas de vie antérieure ni ne saurait avoir de vie postérieure (post mortem). L'âme, en tant qu'elle est l'idée du corps, ne saurait préexister ni survivre au corps. Spinoza réfute par là, même s'il ne les cite pas, toutes les doctrines religieuses ou philosphiques des vies antérieures, des métempsychoses, des réincarnations et des "vies éternelles" (au sens d'immortelles). Ce sont là pour lui des fariboles superstitieuses.

Alors, me direz-vous, pourquoi Spinoza écrit-il dans l'énoncé de la proposition 23 que "l'âme ne saurait être entièrement détruite avec le corps, mais qu'il reste d'elle quelque chose d'éternel", et dans le scolie que "nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels"? Si vous lisez bien toute la proposition (énoncé, démonstration et scolie), il se dégage que si l'âme est mortelle "en tant qu'elle exprime L'EXISTENCE actuelle du corps", elle est éternelle "en tant qu'elle enveloppe L'ESSENCE du corps avec une sorte d'éternité", cd. en tant qu'elle enveloppe "une idée qui est en Dieu".

Pas donc d'immortalité, mais à la fois une mortalité et une éternité. Toute la difficulté est de savoir maintenant si ce sont là deux points de vue (celui des essences ou de l'eternité, celui des existences ou du temps), ou si ce sont là deux parties de l'âme (l'une étant détruite avec le corps, l'autre subsistant en tant qu'exprimant une "éternelle nécessité"). Si ces questions sont difficiles, il n'en demeure pas moins évident que le concept d'éternité de Spinoza n'a rien à voir avec l'immortalité dont vous parlez. Libres à vous de vous tourner vers les religions et de croire à une vie dans l'au-delà; mais il faut alors renoncer au spinozisme car ce sont là deux orientations absolument incompatibles.

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Messagepar Shub-Niggurath » 20 févr. 2012, 13:11

Ce n'est pas parce que nous ne nous souvenons pas d'avoir existé avant que notre corps existe, que le mode éternel de la pensée que nous sommes n'existait pas. Sinon il faudrait donner un tout autre sens au mot éternel.

"nous avons remarqué que l'âme peut être unie ou bien au corps dont elle est l'idée, ou bien à Dieu, sans lequel elle ne peut être ni être conçue.
On peut voir facilement ainsi : 1° que, si l'âme est seulement unie au corps et que périsse ce corps, elle doit aussi périr (...) Mais 2° si l'âme est unie à autre chose qui est et reste inaltérable, elle doit aussi demeurer inaltérable."

Court traité, chapitre 23, de l'immortalité de l'âme.

"Par éternité j'entends l'existence même, en tant qu'on la conçoit comme suivant nécessairement de la seule définition d'une chose éternelle."

Ethique, définition 8 partie 1.

Donc si Spinoza dit que nous sommes éternels, alors notre existence ne saurait s'expliquer par la seule existence du corps, mais bien par celle de Dieu, qui est cause de notre essence éternelle, et donc aussi de l'existence éternelle de notre esprit.

Il n'est donc pas absurde de parler de vie éternelle en ce qui concerne la partie de l'esprit qui subsiste à la destruction du corps, puisque Dieu est la vie (pensées métaphysiques, chapitre 6.)

Cela se comprend également très bien par le simple fait que notre esprit est une partie de l'intellect éternel et infini de Dieu. (scolie proposition 40 partie 5.) Si donc notre esprit n'était pas éternel mais avait commencé à exister en même temps que le corps, et finissait d'exister avec lui, cela voudrait dire que l'intellect éternel et infini de Dieu pourrait naître et périr, ce qui est absurde.

"L'entendement vrai ne peut jamais périr, car il ne peut y avoir en lui aucune cause de destruction. Et puisqu'il n'est pas produit par des causes extérieures, mais par Dieu, il ne peut subir de leur part aucun changement, et, puisque Dieu l'a produit immédiatement de par son activité de cause intérieure, il s'ensuit nécessairement que l'entendement ne peut périr aussi longtemps que cette cause demeure. Or cette cause est éternelle, donc il est lui aussi éternel."

Court traité, chapitre 26.

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Messagepar Lemarinel » 21 févr. 2012, 10:17

A Shub-Niggurath

Je vous remercie pour votre éclairage sur la notion d'éternité par la définition de l'Ethique et le chap.23 du Court Traité. Je comprends personnellement que nous sommes éternels en tant que notre âme est une idée qui est en Dieu de toute éternité (dans son entendement infini).
Comme souvent chez Spinoza, il est facile de dire ce qu'il ne pense pas (l'éternité comme survie de l'âme avec le corps post mortem) et difficile de préciser ce qu'il pense, même si l'on voit à peu près où il veut en venir (de là nos messages pour nous entraider par nos lectures respectives).
Je pense que sur cette question, il faut lire et je lirai quelque jour "Spinoza l'expérience et l'éternité" de Moreau. Spinoza est décidément un auteur ardu et s'il faut commencer par lire Spinoza, il est nécessaire de prolonger notre lecture de son oeuvre par des lectures de commentateurs. C'est d'ailleurs là une difficulté inhérente à la philosophie de Spinoza : il ne cesse d'en appeler à des idées claires (et distinctes), et ses idées sont tellement difficiles à saisir que nous ne les comprenons parfois que confusément.
Les religions ont de l'avenir devant elles, car au moins elles proposent des messages simples à comprendre, alors que le spinozisme est difficile à comprendre même pour un philosophe (voyez sur ce point les difficultés de certains de ses interlocuteurs éclairés dans la correspondance).


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