La place de la conscience dans l'Ethique

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Vanleers
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Re: La place de la conscience dans l'Ethique

Messagepar Vanleers » 11 janv. 2015, 11:15

Revenons, plus directement, au sujet de ce fil : la place de la conscience dans l’Ethique, en citant la proposition E IV 8 :

« La connaissance du bien et du mal n’est rien d’autre que l’affect de Joie ou de Tristesse en tant que nous en sommes conscients. »

Spinoza explique dans la démonstration qu’être conscient de l’affect de joie ou de tristesse, c’est avoir l’idée de la joie ou de la tristesse, c’est-à-dire en avoir connaissance.
Ajoutons que cette conscience, c’est-à-dire cette connaissance, peut être adéquate ou inadéquate.
Avec cette proposition, nous retrouvons que, selon Spinoza :
a) chez l’homme tout est affectif : la connaissance du bien et du mal elle-même est un affect. Autre façon de dire qu’un affect, le désir, est l’essence de l’homme (E III Déf. des affects 1)
b) la raison, qui est une connaissance adéquate (E II 41), joue un rôle essentiel dans la vie affective car si nous avons une connaissance adéquate de nos affects, notamment de la joie et de la tristesse, nous avons nécessairement une connaissance adéquate du bien et du mal (de ce qui nous est utile ou de ce qui nous empêche de posséder un bien).
Tout le début de la partie V de l’Ethique montre ce que la raison peut sur les affects.
On retrouve ce pouvoir de la raison sur les affects dans « Le gouvernement des émotions » (Albin Michel 2014) de Pierre Le Coz qui écrit :

« [La raison] nous est nécessaire non pas comme instance morale mais en tant que faculté d’examen critique. Ce qu’on peut attendre des hommes ce n’est pas qu’ils utilisent leur raison pour contrôler leurs émotions mais qu’ils s’en servent pour interroger la nature exacte de ce qu’ils ressentent. Le rôle de la raison est de repérer les émotions qui nous gouvernent à notre insu, de cerner ce qui encombre de scories psychiques le chemin qui va des expériences émotionnelles aux valeurs, de débusquer la signification narcissique ou traumatique de certaines émotions inauthentiques. La raison n’a pas pour fonction de vaincre les émotions mais d’identifier les intrus affectifs : qu’en est-il, par exemple, des épisodes émotionnels qui portent la marque des aspects névrotiques de notre personnalité ou des aléas de notre histoire personnelle ? » (pp. 48-49).

On a dit que le spinozisme était un rationalisme absolu (Gueroult) mais, en matière éthique et, plus précisément dans le domaine de la régulation affective, le spinozisme se caractérise davantage comme un rationalisme critique (Popper).
Lorsque Spinoza fait état de deux affects actifs en E III 59 sc., il les définit comme des désirs sous la seule dictée de la raison. On peut comprendre ici qu’il s’agit de désirs qui ont fait l’objet d’un discernement critique rationnel et l’individu qui les éprouve en a une connaissance adéquate, c’est-à-dire une conscience juste.

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Re: La place de la conscience dans l'Ethique

Messagepar hokousai » 11 janv. 2015, 13:18

à NaOh


On fait grand cas de problèmes qui n' ont pas lieu d'être.

On ne focalise sur le cogito ( celui de Descartes exprimé par "cogito" ).
Et pourtant que Spinoza pense en première personne, cela nous semble évident. Pourquoi ne le serait- ce pas pour lui même?
Je dis que c'était si évident pour lui qu'il n'a pas pris la peine de le rappeler plus que succinctement.


Spinoza a écrit : Prop 13/2. Si, en effet, le corps n'était pas l'objet de l'esprit, les idées des affections du corps ne se trouveraient pas en Dieu, en tant qu'il constitue notre esprit, mais en tant qu'il constitue l'esprit d'une autre chose, c'est-à-dire (par le corollaire de la proposition 11, partie 2)
( esprit ou âme selon les traducteurs )

Que les idées des affections du corps ne se trouveraient pas dans notre esprit. ( en Dieu certes mais en tant qu'il constitue notre esprit)
Il y a bien affirmation d 'une pensée (c'est évident) mais aussi d'un rapport à soi.
SI l'objet de l'esprit n'était pas constituant notre esprit il constituerait l' esprit d'autre chose, ce qui n'est bien sûr pas le cas. Et cela parce que nous avons l'idée des affections de notre corps.

Quel peut bien être le fondement de cette assertion ?
Estimez -vous qu'il s'agit là d' une connaissance du premier genre ? Et donc qu'il soit confus d 'estimer ( voire d' être certain) que l 'idée de mon corps est bien celle de MON coprs et pas celle du corps d un voisin.

Spinoza confirme par la suite*** cette certitude du rapport à soi de l'esprit. Le rapport à soi c'est la connaissance distincte .Un esprit singulier identifié comme celui d'un corps singulier ...
Et pour l'esprit : identifié par une idée, non seulement du corps, mais de l'identité de ce corps, distinguable donc par là des tous les corps extérieurs.
Ce qui s'appelle la conscience de soi comme corps (pathétique).
Spinoza certes focalise sur le coprs et son pathos plutôt que sur le "penser".( Mais Descartes dans un certain passage de la seconde méditation fait de même : videre videor)
...................................................
Ce court extrait appuie ce que je dis
de plus, relativise l' externalisme .

***scolie prop 13/2
Spinoza a écrit :Je me borne à dire en général qu'à mesure qu'un corps est plus propre que les autres à agir ou à pâtir simultanément d'un grand nombre de façons, il est uni à un esprit plus propre à percevoir simultanément un grand nombre de choses ; et plus les actions d'un corps dépendent de lui seul, en d'autres termes, moins il a besoin du concours des autres corps pour agir, plus l'esprit qui lui est unie est propre à la connaissance distincte.

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Re: La place de la conscience dans l'Ethique

Messagepar NaOh » 11 janv. 2015, 14:13

A Hokusai

Très rapidement: conscience n'est pas connaissance, que ce soit pour le "moi" de Spinoza, celui de Descartes, ou pour les opérations du corps propre de l'un et de l'autre. Vous ne tenez aucun compte de cette différence.

Bien à vous.

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Re: La place de la conscience dans l'Ethique

Messagepar NaOh » 11 janv. 2015, 16:54

A Vanleers,

Je commence par répondre à votre premier message en date du 06/01/2015 dans lequel vous défendez une position que j'ai bien peur de ne pas comprendre.

En substance vous expliquez que le « soi » de chaque individu constituant la Nature Naturée, est son essence éternelle, (ce dont je conviens) puis de là vous passez à l'idée que cette essence n'est pas individuée (son essence ne serait autre chose que l'essence infinie de l'attribut dont elle est un mode ?? ). A l'appui de cette assertion vous invoquez les changements qui - dans l'existence- affectent nécessairement les modes, d'où l'impossibilité de « fixer » une essence individuelle qui y « corresponde » dans l'éternité, puisque dans l'éternité nul changement ne saurait se concevoir.

Je répète qu'il se peut que mon résumé de votre position soit fautif attendu que je ne comprend pas vraiment ce que vous voulez dire. Si toutefois ce résumé devait convenir à peu près à ce que vous avez à l'esprit il me vient certaines objections.

Vous vous référez implicitement, en ce qui concerne la mutabilité des modes au scolie de la proposition 39 de la partie 4, dans lequel est exposé le fameux cas du poète espagnol. Spinoza y évoque également le passage de l'enfance à l'état adulte, comme relevant d'une de ces transformations du corps, au travers desquels celui-ci n'est cependant pas changé en cadavre.

Ce sur quoi insiste Spinoza dans ce passage à mon avis est que sous la continuité de la figure du corps, peut intervenir une discontinuité du rapport de mouvement et de repos qui seul caractérise réellement l'individu et inversement que sous la transformation continue de la figure du corps, peut se jouer une identité du rapport de mouvement et de repos. C'est ainsi qu'il me semble, à propos du passage de l'enfance à l'état adulte, que Spinoza n'affirme pas vraiment que nous ne sommes plus le même mais plutôt que nous avons du mal à concevoir cette identité. Il y a par ailleurs une théorisation de la croissance des corps « sans changement de forme » dans la « petite physique » (lemme 6).

En bref, je pense qu'un corps individuel se caractérisant par un rapport de mouvement et de repos, peut très bien être une essence éternelle. Il est la seule chose qui au travers du changement ne change pas. Que l'individu meure, c'est à dire que le rapport de mouvement et de repos qui le caractérise soit changé pour un autre, n'ôte rien à son éternité car « Les idées des choses singulières (ou modes) qui n'existent pas doivent être comprises dans l'idée infinie de Dieu, comme sont contenues dans ses attributs les essences formelles de ces choses. ». La différence est que ce rapport cesse d'être effectué, mais il n'en reste pas moins, comme tout ce qui suit de Dieu, que ce rapport était nécessaire, donc éternellement donné. De même une paire donnée de rectangles égaux suit de la nature du cercle qu'on la trace ou qu'on ne la trace pas.

Bien à vous.
Modifié en dernier par NaOh le 11 janv. 2015, 18:57, modifié 1 fois.

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Re: La place de la conscience dans l'Ethique

Messagepar hokousai » 11 janv. 2015, 17:37

NaOh a écrit :Très rapidement: conscience n'est pas connaissance, que ce soit pour le "moi" de Spinoza, celui de Descartes, ou pour les opérations du corps propre de l'un et de l'autre. Vous ne tenez aucun compte de cette différence.


Dans ce cas vous n'avez pas à assimiler ce que je dis "conscience" à une connaissance, qui plus est à la connaissance du premier genre. Ce que vous faites.

Maintenant il faut me montrer que Spinoza n' a pas conscience de son corps ET que ce n'est pas de cela dont il parle dans ce que j 'ai cité.
Le mot conscience serait- il rarement employé par Spinoza, rien ne laisse penser qu il n'avait pas conscience ... si vous voulez :wink: ... qui plus est qu 'il ne le savait pas.
Modifié en dernier par hokousai le 11 janv. 2015, 22:37, modifié 1 fois.

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Re: La place de la conscience dans l'Ethique

Messagepar NaOh » 11 janv. 2015, 18:14

no comment....

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Re: La place de la conscience dans l'Ethique

Messagepar Vanleers » 11 janv. 2015, 20:23

A NaOh

Vous écrivez :

« puis de là vous passez à l'idée que cette essence n'est pas individuée (son essence ne serait autre chose que l'essence infinie de l'attribut dont elle est un mode ? ?) »

Vous m’avez mal compris. Lorsque je parle de l’essence éternelle d’une chose (sous-entendu d’une chose singulière), j’entends l’essence éternelle singulière de cette chose singulière. Comment pourrait-il en être autrement, compte tenu de la définition de l’essence (E II déf. 2), ce qui m’a conduit à ajouter que l’essence éternelle d’une chose n’était autre que la chose elle-même considérée sub specie aeternitatis.

Que veut dire : considérer une chose singulière sous l’aspect de l’éternité ?
Je donne à nouveau le début d’une citation de Sévérac :

« Si notre éternité [voir E I déf. 8] n’est rien d’autre que notre existence conçue comme suivant de la définition d’une chose éternelle (un autre mode, un attribut, Dieu) […] »

J’entends donc que considérer une chose sous l’aspect de l’éternité, c’est simplement comprendre que l’existence éternelle de cette chose suit nécessairement de la définition d’une chose éternelle, c’est-à-dire :
a) de la définition de l’attribut Etendue, si nous considérons la chose sous l’aspect étendue (le corps).
b) de la définition de l’attribut Pensée, si nous considérons la chose sous l’aspect pensée (l’esprit).
c) de la définition de Dieu, si nous considérons la chose « en soi » (voir la fin du scolie d’E II 7)

Notre discussion, si on veut bien la rapporter au sujet du fil (la place de la conscience dans l’Ethique) concerne ce qu’écrit Spinoza dans le scolie d’E V 42 :

« le sage […] étant, par une certaine nécessité éternelle, conscient de soi, de Dieu et des choses […].

J’entends ceci comme signifiant que le sage comprend son éternité et celle des autres choses, c’est-à-dire son existence éternelle ainsi que celle des autres choses comme suivant nécessairement de la définition de Dieu, comme exposé ci-dessus.
On peut traduire cela en disant qu’il est conscient de son essence éternelle (de son « soi » éternel) ainsi que de l’essence éternelle de toute chose.
Cela suffit à sa béatitude et il n’a donc pas à se soucier de questions concernant l’invariabilité dans le temps du rapport de mouvement et de repos de son corps. Notez d’ailleurs qu’à la fin du scolie d’E IV 39 auquel vous vous référez, Spinoza préfère laisser la question en suspens.

Bien à vous

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Re: La place de la conscience dans l'Ethique

Messagepar hokousai » 11 janv. 2015, 22:37

NaOh a écrit :no comment....


Je vous en prie. :)

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Re: La place de la conscience dans l'Ethique

Messagepar Vanleers » 12 janv. 2015, 10:21

A NaOh

En complément à mon précédent post, je vous adresse un extrait du livre de Sévérac qui souligne l’enjeu éthique de la formule du scolie d’E V 42 : le sage est, par une certaine nécessité éternelle, conscient de soi, de Dieu et des choses.
L’Ethique n’est pas un livre de science et elle ne vaudrait pas une heure de peine si elle ne nous rendait pas, sinon heureux, du moins plus heureux.
Avec la connaissance du troisième genre, Spinoza nous invite à une conversion du regard et de la pratique :

« Pour considérer l’esprit comme un être pleinement réel, c’est-à-dire éternel, il faut l’appréhender à travers son union avec Dieu. Telle est la conversion du regard (et de la pratique en même temps) que promeut la science intuitive : il s’agit de concevoir notre esprit non plus dans son union avec un corps existant dans la durée, mais dans son union avec l’essence corporelle elle-même ; ce qui signifie : considérer son propre corps sous un regard d’éternité (sub specie aeternitatis). C’est ainsi que nous devenons capables de saisir qu’essence et existence ne se distinguent plus, en tant qu’elles sont appréhendées à partir de leur union avec les attributs divins : notre essence n’est jamais que notre action d’exister, comprise comme modalité de l’existence de Dieu ; notre existence, entendue comme éternité, n’est jamais que la puissance de notre essence, comprise comme partie expressive de la puissance divine. » (p. 250)

Bien à vous

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Re: La place de la conscience dans l'Ethique

Messagepar NaOh » 16 janv. 2015, 10:10

Bonjour Vanleers,

Je suis entièrement d'accord avec vous et avec les différentes citations de Sévérac que vous avez posté. Cependant je n'arrive pas à comprendre un élément de votre position. Il s'agit de ce que vous écrivez lorsque vous dites "et, de nouveau, on pourrait se poser la question : de quel corps, dans quel état, à quel moment de la vie de cet homme, s’agit-il ?
Questions absurdes, évidemment, et qui n’ont donc pas de réponses."
Dans la même veine vous rejetez comme non pertinent ce que j'avais souligné : qu'il y a un élément d'invariabilité du corps et de l'âme qui est un bon "candidat" à l'éternité. Je vous serais gré de revenir là dessus parce que c'est un point qui m'intéresse.

Bien à vous.


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