Moreau, le sens et la signification

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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bardamu
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Messagepar bardamu » 05 déc. 2005, 00:33

hokousai a écrit :à miam
(...)
Le mot émis par la voix n ‘est pas d’une autre nature que celui écrit (ce que vous affirmez ) et il y a là une double dérive
1)cabaliste en ce que le(...)
2 )naturaliste assez sommaire qui ferait découler les mots de cris primaires épousant les mouvements du corps ainsi de certaines onomatopées ,ce qui se révèlent assez court comme explications du langage constitué .

hokousai


E3 Déf. des affect. 20, explication
sed meum institutum non est verborum significationem sed rerum naturam explicare easque iis vocabulis indicare quorum significatio quam ex usu habent, a significatione qua eadem usurpare volo, non omnino abhorret,
mais mon dessein n'est pas d'expliquer la signification des mots mais la nature des choses et de les désigner par des vocables dont la signification qu'ils ont dans l'usage ne soit pas complètement incompatible avec la signification avec laquelle je veux les employer.

Je pense que Miam veut indiquer une différence entre "verbum" et "vocabulum", l'un correspondant plutôt au mot pris dans le langage et son histoire, l'autre étant un désignant direct des choses, ayant un sens natif.
Dans ce qu'il dit ci-dessus, Spinoza choisit des vocables pour désigner directement des choses en essayant de ne pas trop s'éloigner des mots du langage. En fait, il crée son propre langage et il se pourrait bien qu'il y ait effectivement chez lui une différence entre le "vocabulum" comme instrument univoque de désignation et le "verbum" comme terme équivoque du langage commun.
Là où il tente de rester proche du langage commun, Leibniz aura l'ambition d'un véritable langage nouveau, univoque et universel, un langage mathématico-philosophique.
Un petit lien sur les travaux de logique de Leibniz : http://logique.uqam.8m.com/histoire6.htm

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Messagepar hokousai » 05 déc. 2005, 13:00

à bardamu

"""""""""""""En fait, il crée son propre langage et il se pourrait bien qu'il y ait effectivement chez lui une différence entre le "vocabulum" comme instrument univoque de désignation et le "verbum" comme terme équivoque du langage commun. """""""""""""""

peut être, là dessus il faudrait des référence précises ,mais . ce qui n’est pas une théorie du signe mais une théorie de la définition .
Passez de l'équivocité à l'univocité peut fonctionner avec n'importe quelle théorie du signe . Thomas d' Aquin et Okham cherchent ( et tout philosophe cherche) à clarifier les équiviocités et ce sur des théorie du signe différentes . La démarche de clarification est d' ailleurs plus propédeutique que théorétique . Il est de la philosophie de bien définir le sens des mots ce qui n'implique pas directement ce sens .
Si vous voulez analogiquement la théorie du syllogisme comme forme logique n’ implique pas les syllogismes que l'on peut faire ensuite sur certaines prémisses .IL y a deux activités différentes . Expliquer le pourquoi on définit bien et puis bien définir dans le contexte d’une philosophie de la connaissance ,l’image , la représentation , le mot ,le concepts, l’ idée que sais- je, ce sont deux activité philosophiques différentes .

Je n’ai pas probablement pas bien compris ce que voulait dire miam , il faut avouer qu’il n’est pas très synthétique . Mais monsieur ne réécrit pas ces textes à l'usage des mal comprenants .

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Messagepar Faun » 05 déc. 2005, 17:03

Miam a écrit :A Faun :

II 49s : « Parce que, en effet, beaucoup d’hommes ou bien confondent entièrement ces trois choses : les images, les mots (verba) et les idées, ou bien ils ne les distinguent pas avec assez de soin, ou enfin n’apportent pas à cette distinction assez de prudence, ils ont ignoré complètement cette doctrine de la volonté, … »

(C’était donc dans la deuxième et non dans la première partie de l’Ethique). S’il faut distinguer ces trois choses, j’en déduis que les mots doivent être distingués des images. Ce qui ne veut pas dire que la constitution du signe-mot n’est pas fondée sur l’imagination, comme le montrent II 18s et II 40s2. Le mot est fondé sur une simultanéité d’images qui produit une association : une simultanéité, c’est à dire pas une ressemblance ou une contiguïté spatiale propres à ces images. C’est au contraire ici la simultanéité qui produit la ressemblance du signifié avec le désigné. Bref, le mot n’est pas une image. Spinoza le dit expressément et ne dit jamais le contraire.


Je vous accorde que je suis allé un peu vite en besogne dans mon premier message, et qu'en effet spinoza distingue entre les mots et les images.
Et sans doute les hommes ont ils commencé à parler et à se communiquer entre eux leurs idées bien avant de tracer des images des mots qu'ils employaient. Cependant il ne me semble pas faire dire à Spinoza autre chose que ce qu'il dit lorsque j'affirme qu'il n'y a aucun lien entre le mot en tant que son, le mot en tant qu'image et le concept qui est dans l'esprit de celui qui parle. C'est pourquoi à un seul concept peut correspondre une infinité de mots différents, c'est à dire une infinité de sons différents auxquels peut à nouveau correspondre, arbitrairement, une infinité d'images visuelles différentes.
Du temps de Spinoza on ignorait que l'histoire humaine durait depuis à peu près deux millions d'années, personne n'avait connaissance des peintures rupestres datant d'il y a trente mille ans, et beaucoup pensaient que le monde, c'est à dire la terre et tout l'univers avait été créé par Dieu d'un coup de baguette magique quatre mille ans auparavant. Il n'est donc pas étonnant qu'on ait confondu le langage de la bible avec le premier langage humain, ce qui serait tout à fait étonnant (et pour tout dire totalement absurde) compte tenu de l'ancienneté prodigieuse de notre espèce.
A Faun :

III, 22s ? Il doit y avoir erreur. Ou bien vous être vraiment très fort pour déduire ceci de cela.


J'avais écris :
"C'est pourquoi il existe des mots auxquel ne correspond aucun concept, et inversement des concepts auquel ne correspond aucun mot (voir Ethique, partie 3, prop. 22, scolie). "
Car dans ce scolie il est dit : "mais de quel nom nommer la joie qui naît du bonheur d'autrui, je ne sais pas." C'est un exemple de Spinoza concernant un concept pour lequel en latin il n'existe pas de mot permettant d'en parler.

Précisément, le mot, c’est à dire le signe, n’est pas que le signifiant. C’est quand même fondamental de distinguer le signe du signifiant non ? Spinoza le fait aussi, comme le fait tout le monde à son époque et encore aujourd’hui. Mais vous apparemment non. Curieux. Attention aussi à la traduction ! le « mot » « pomme » qu’entend ou lit le Romain de II 18s, n’est pas un mot mais une voix (vocis « pomi ») = un signifiant. Alors qu’en II 40s2 il s’agit bien des mots (verbis) et des signes (signis). Par ailleurs que le signe soit fondé sur une simultanéité d’images ne permet pas moins de contenir une idée (certes de l’imagination) comme l’atteste II 40s2.


Je n'ai jamais lu dans tout Spinoza le mot de "signifiant" tel qu'il est employé aujourd'hui, je n'ai même aucune idée de ce que cela signifie, pour tout vous dire. peut être pourriez vous m'éclairer là dessus ?
Pour ma part je sais que les mots ne sont que des obstacles lorsque l'on veut penser, et qu'ils ne servent qu'à produire un voile d'illusion entre l'esprit qui pense et les choses en soi. Le langage est en réalité un instrument de pouvoir, un moyen d'oppression, la cause fondamentale de l'esclavage universel.

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Messagepar Miam » 05 déc. 2005, 18:32

Bon. Je continue…

Je veux simplement montrer ce que peut apporter le TTP en matière de théorie spinozienne du langage. Je ne conclus encore rien, contrairement à Hokusai : j’ai remarqué que la signification première de « ruagh » était son sens natif. Qu’il y avait donc un « sens originaire ». Mais je n’ai jamais parlé ni de la cabale ni d’une origine naturaliste tout simplement parce que Spinoza n’en parle pas. La langue est selon lui conventionnelle ou arbitraire (TRE). Mais partout ailleurs il montre que la langue est un usage (usus), c’est à dire une habitude (habitus) conative (II 18). Il ne parle jamais de l’origine des langues. On ne peut donc conclure. Il faudrait encore savoir à quoi renvoie le terme de « sens » chez Spinoza. Le sens est beaucoup plus que la signification première : il est rapport à Dieu, il est exprimé (on use d’une signification pour exprimer (ad exprimendum) un sens, etc… Du reste ici il s’agit du sens « natif » et pas du sens tout court. Donc le sens n’est pas nécessairement originaire. Quant à savoir quelle est la conception spinozienne de l’origine des langues, et plus particulièrement de l’hébreux, je n’en sais rien car il n’en parle pas, sauf peut-être dans sa Grammaire hébraïque (j’en sais rien). Peut être pourrait-on l’indiquer mais certainement pas avec si peu de matière.

Ce que montre également le TTP (puisque telle est ma motivation), c’est qu’il n’y a pas de discontinuité absolue entre l’expression au sens deleuzien et le signe. Cela, on l’avait déjà remarqué incidemment dans l’Ethique où « exprimer » est déjà utilisé au sens linguistique. Dans le TTP on signifie par les signes. Mais on utilise telle significatio de la vox pour exprimer un sens (par ex. TTP I, 23 et 24). Par ailleurs le signe ne paraît pas se rapporter nécessairement au mode impératif comme semble le dire Deleuze. Le signe se retrouve dans tous les genres rhétoriques : signes démonstratifs (concernant la connaissance naturelle), signes délibératifs (concernant l’utilité, l’espoir et la crainte), signes judiciaires, ...Il semble que le signe embrasse aussi bien la certitude intellectuelle, la certitude morale et l’incertitude des genres de connaissance inférieurs. Il y a une certaine continuité de l’expression et l’explication (qui sont linguistiques dans le TTP) à la « prescription » (praescriptio, praescribere) des lois en passant par l’ « enseignement » (docere) de la doctrine, c’est à dire du sens de l’Ecriture, la narration (narratio, narrare) des récits, la communication (communicare), la transmission (tradere), sans oublier les variations de style (stylus), de figures (phrases) et des manières de parler (modi loquendi), etc… La théorie du langage spinozienne ne se confine pas au genre démonstratif ou au genre impératif mais inclut la rhétorique et la poétique à la dimension proprement logique de l’Organon aristotélicien (c’est pourquoi j’avais parlé de l’Organon 8). Bref : je pense que Deleuze sépare indûment le domaine linguistique et la notion d’ « expression » dans son acception ontologico-épistélmologique…

Enfin, pour répondre à Faun, je remarque que l'exemple qu'il donne montre qu'il y a des affects (et non des concepts) qui n'ont pas de nom, et non comme il le croit l'inverse : à savoir des mots auxquels ne correspond pas de "concept". Disons d'ailleurs plutôt d'idées, car s'il y a certainement des mots qui ne correspondent à aucune idée claire et distincte, le mot suppose bien une "idée ressemblante", comme le dit expressément Spinoza en II 40s2.

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Messagepar Faun » 05 déc. 2005, 18:59

Miam a écrit :Enfin, pour répondre à Faun, je remarque que l'exemple qu'il donne montre qu'il y a des affects (et non des concepts) qui n'ont pas de nom, et non comme il le croit l'inverse : à savoir des mots auxquels ne correspond pas de "concept". Disons d'ailleurs plutôt d'idées, car s'il y a certainement des mots qui ne correspondent à aucune idée claire et distincte, le mot suppose bien une "idée ressemblante", comme le dit expressément Spinoza en II 40s2.



Il existe également des mots auxquels ne correspond aucun concept, par exemple "le néant". Cela n'empèche personne de l'imaginer, et d'employer ce mot.

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Messagepar hokousai » 05 déc. 2005, 23:45

A miam

Je vais vous reprendre ligne à ligne ou presque .

et d'abord
Pour moi le SIGNE c’est le mot ou le geste ou une marque sur le sol etc ...le signe signale , c’est un signal , donc c’est le MOT ( vocal ou écrit ) ce qui me fairt refuser à peu près tout ce que vous dîtes ?

Le signe ce n 'est pas le mot + l’image + le sens + l’idée auquel cas on ne distingue plus rien .La sémiotique peirceienne c’est une autre affaire et de toutes façons Peirce distingue le mot du sens .Une icône est un signe qui se réfère à l’objet qu’il dénote
……………………………………………..

""""""""""""Ce que montre également le TTP (puisque telle est ma motivation), c’est qu’il n’y a pas de discontinuité absolue entre l’expression au sens deleuzien et le signe. """""""""""""

Je ne connais pas un seul philosophe occidental qui établisse une discontinuité absolue entre le signe et l’expression de ce dont il est le signe
C’est à dire ( je suppose ) entre l’IDEE ou le concept (je dis OU car on peut distinguer les deux ) et le MOT( vocal puis écrit) ( le chinois pose un problème que ne connaît pas l’occident ).

Donc """""« exprimer » est déjà utilisé au sens linguistique""" me parait un truisme . Certes on peut exprimer non linguistiquement mais quand on exprime linguistiquement il n’ y a pas de discontinuité absolue entre l 'idée et le mot . ( pas théoriquement , jamais , dans aucune théorie )
..............................................................

""""""""""""Que » Dans le TTP on signifie par les signes. Mais on utilise telle significatio de la vox pour exprimer un sens """""""""

Ce n’ est pas clair du tout .
Une signification de la voix , cela a quel sens . Est -ce -que le chuchotement ,le cri , le parlé mezzo vocce aurait une signification ontologique pour Spinoza ?Car pour moi voilà des significations de la voix .
………………………………………………………..
"""""""Le signe se retrouve dans tous les genres rhétoriques nouveau truisme """""". Si le signe est le mot alors certes il se retrouve etc etc ….
……………………………………………………….

""""""Bref : je pense que Deleuze sépare indûment le domaine linguistique et la notion d’ « expression » dans son acception ontologico-épistémologique…"""""""""""

On parle de qui de Deleuze ou de Spinoza ?


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Messagepar hokousai » 06 déc. 2005, 00:11

A Faun

Vous vous aventurez .
La langue est pragmatique , les mots qui ne servent à rien ,qui donc ne renvoient à aucun autre ,sont sans signification . Ces mots à tout dire n’ ont qu’une supposition d ‘existence , il n’en est pas . Il n’y a pas de mot non -signifiants .

Vous pouvez créer des vocables ils ne seront « mot » que s »ils renvoient à d’ autres que s’ils s’insèrent dans un contexte , que s’ils ont du sens . IL n’y pas de mots privé de sens .
Le mot néant à un sens je ne dis pas que ce qui est dénoté existe, ça c’est une autre affaire la licorne n’existe pas non plus .
.
Qu’ est ce qu’ un concept ?Au sens cartésien c’ est ce qui est conçu dans une généralité .
Et certains mots ne renvoient pas à un concept mais sont des noms propres (prénom ou patronyme par ex ) ils ont un sens, ils dénotent . Ils représentent .

Sur concept Spinoza semble plus ouvert que Descartes (cf explication de def 3 part 2)

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Re: Moreau, le sens et la signification

Messagepar Faun » 06 déc. 2005, 17:21

Miam a écrit :Ils oublient qu’on ne saurait s’élever au dessus du langage pour saisir le sens. Car le « sens vrai » n’est pas le « vrai sens ». La raison donne son assentiment (ou non) au sens vrai seulement a posteriori. C’est a posteriori que le « sens vrai » devient « vérité ». Ce n’est pas la raison qui établit seule le « sens vrai » mais le domaine de l’usage de la vie et de la langue elle même : son usage rationnel, autrement dit : c’est le travail de la raison sur la langue et à l’intérieur de cette langue, déterminée pourtant par l’usage, c’est à dire par l’habitude historique.[...]
La certitude morale n’est pas provisoire chez Spinoza. Elle s’inscrit dans l’usage de la vie, dans la recherche commune d’un sens dans et de l’histoire, dont l’histoire de la langue, comme production de sens : de ce même sens qui est a priori exposé dans l’Ethique par la notion d’une substance expressive infinie.



Il me semble que l'on peut comprendre la thèse que soutient Miam à l'aide de ces deux paragraphes de son premier message. Mais cela me paraît n'avoir aucun lien avec la philosophie de Spinoza. En effet Spinoza tente d'exprimer par des mots tirés de l'histoire humaine des concepts éternels, conçus par l'entendement sous l'aspect de l'éternité. Et il emploie pour cela des mots latins en leur donnant des définitions qui conviennent avec les concepts éternels que forme l'esprit humain, c'est à dire Dieu (ou la Nature) en tant qu'il constitue l'esprit humain. Dans le TTP il me semble que Spinoza cherche à montrer précisément l'inverse de la thèse que soutient Miam, à savoir que l'Ecriture (la Bible) est une oeuvre de prophètes, qui utilisent seulement l'imagination pour communiquer des opinions morales, valables seulement en un certain temps et un certain lieu, et non de philosophes qui utilisent la raison (intellect) pour communiquer des idées éternelles. Donc Spinoza ne fait rien d'autre que ruiner totalement l'autorité des textes soit disant sacrés de la Bible, tandis que Miam, au contraire, cherche à établir l'autorité morale de la Bible en noyant le poisson à l'aide d'une discussion sans queue ni tête sur le sens natif des mots hébreux, comme si les hommes avaient jamais eu besoin des délires prophétiques pour comprendre qu'il leur était plus utile d'être honnêtes et généreux entre eux que l'inverse ! peut-on s'éloigner plus loin du sens du TTP ? Le passage qu'a cité Bardamu prouve bien que Spinoza emploie les mots en leur donnant d'autres significations que celles qu'ils ont d'habitude, ce qui montre on ne peut plus clairement que les concepts n'ont aucun lien ni avec les sons ni avec les mots écrits, puisque les concepts appartiennent à l'attribut Pensée (l'Esprit, l'intellect), et les mots à l'attribut Etendue (ils sont formés par les corps humains, et donc par l'imagination seule).

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Messagepar hokousai » 06 déc. 2005, 23:31

Mais enfin quoi ? Le sens natif ,le vrai sens ,c’est le sens d 'avant son incorporation dans le discours des prophètes . Richard Broxton Onians a fait un travail remarquable sur les mots grecs en leur sens natif puis de leur évolution en mots de la philosophie .

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Messagepar Miam » 10 déc. 2005, 21:40

Salut.
Excusez-moi, je suis dans Maimonide et Avicenne alors je décroche quelque peu.

A Hokusai 1.

« peut être, là dessus il faudrait des référence précises ,mais . ce qui n’est pas une théorie du signe mais une théorie de la définition . »

Ah bon ? En réalité il ne s’agit pas de la définition des affects mais de leur appellation : de la façon dont on les appelle (vocatur). Ne lit-on pas en III A 20 ex, comme le rappelle Bardamu :

« Je sais que ces noms signifient autre chose dans l’usage commun. Mais mon dessein n’est pas d’expliquer la signification des mots mais bien la nature des choses, et d’indiquer celles-ci par des vocables dont la signification qu’ils ont usuellement ne s’éloigne pas entièrement de la signification que j’emploie ; que cela soit observé une fois pour toute. » (Il ne s’agit pas encore ici de distinguer « appeler » (appelare) et « appeler » (vocare) ni le « nom » (nomen) du « vocable » (vocabulum)).

Ce n’est pas de la définition des affects dont il s’agit ici. Celle-ci exprime la nature, c’est à dire la production de l’affect. C’est du « nom » de l’affect dont il s’agit : de la façon dont on appelle (vocat) une chose, non dont on l’entend (intelligit).

Si l’on doit passer par là, c’est que l’examen des affects doit être d’ordre phénoménologique. La saisie adéquate de tout affect nécessite une idée claire et distincte de cet affect qui soit elle-même un affect actif, de sorte que la connaissance adéquate d’un affect passif transforme celui-ci en affect actif. En fin de compte c’est là le pivot de l’épistémologie spinozienne. Mais comment alors avoir l’idée d’un affect passif en tant que passif ? En lui imposant un nom.

Ici on ne peut plus se reposer sur l’activité de son propre affect à l’instar de la certitude des notions communes qui me livrent un « propre » ou l’essence d’une partie de l’ objet. L’ objet c’est à présent l’affect lui-même, fût-il passif, et non un objet affecté de telle ou telle manière. Le « nom » de l’affect sert alors à retenir l’objet visé, à savoir l’affect passif, bien qu’il soit transformé en un autre objet, à savoir un affect actif, par la seule connaissance de ses causes. Le « nom » ou le « vocable » par lequel on « appelle » un affect sert ici d’auxiliaire de l’imagination, au même titre que les signes (« chiffres ») cartésiens dans les Regulae. Il s’agit du rapport purement « référentiel » (au sens de la logique moderne), non de la définition réelle expressive.

Mais certes, dans le seul cas des affects, leurs définitions exigent préalablement la détermination de ce rapport référentiel. Alors évidemment on peut vouloir nommer ce rapport référentiel « définition nominale ». Mais précisément : Spinoza emploie ici une expression que l’on retrouve presque littéralement dans la Logique de Port-royal. Et dans la Logique, cette expression consiste à couper court à la très pascalienne dérive des noms-signifiants qui s’entredéfinissent nominalement à l’infini. La Logique y coupe court par la notion d’usage qui, dans l’augustino-cartésianisme, et à l’inverse de Spinoza, demeure entièrement dépendant de la représentation et par conséquent de ces significations immédiates que sont les natures simples. Ici aussi, Spinoza contraint la définition nominale, en principe arbitraire puisqu’il y s’agit de désigner une chose par un nom, « à ne pas trop s’éloigner de l’usage commun ». La grande différence est que cet usage est à présent indépendant de la représentation, qu’il s’identifie bien plutôt à l’habitus de l’imagination et ne garantit donc plus la signification immédiate de ces éléments analytiques que sont les natures simples dans les définitions réelles. L’usage ne garantit pas la bonne définition de l’affect, mais seulement une référence commune à l’auteur (locuteur-écrivain) et à ses lecteurs-auditeurs dans la mesure où toute vérité doit être communicable, fût-ce, comme il est écrit dans le TRE, « ad captum vulgi ».

Bref, chez Spinoza, la définition de la chose ne dépend pas du nom par lequel on appelle cette chose. Mais cela n’empêche pas que toute théorie de la définition, dans la mesure ou une définition est un énoncé, exige une théorie du signe, y compris chez Spinoza où l’essence est saisie par une idée adéquate, la nature par une idée claire et distincte qui suit discursivement de cette idée adéquate, tandis que la définition contient ces idées sous une forme verbale. Du reste on voit mal comment serait née la logique aristotélicienne si Aristote n’avait supposé (par exemple dans le Peri Hermaneias) une correspondance entre les mots écrits ou parlés, les idées et les choses.

« Passez de l'équivocité à l'univocité peut fonctionner avec n'importe quelle théorie du signe . »

Je ne comprend pas ce que veut dire « passer de l’équivocité à l’univocité ». Il y a les pensées de l’univocité, pour lesquelles être (esse) se dit dans le même sens pour les choses créées et pour Dieu (par exemple Spinoza). Les pensées de l’équivocité, selon laquelle il se dit dans des sens différents (par exemple Maïmonide) et des pensées de l’analogie, selon lesquelles être se dit également de Dieu et des choses créées mais par analogie seulement (par exemple Descartes et Thomas). Et vous ne leur ferez pas changer d’avis.

« Thomas d' Aquin et Okham cherchent ( et tout philosophe cherche) à clarifier les équiviocités et ce sur des théorie du signe différentes » .

Et alors ? Qu’est-ce que cela montre ?

Enfin : la forme logique du syllogisme suppose la possibilité d’une expression linguistique propositionnelle qui corresponde à cette forme logique ; que ce soit par une correspondance entre les modi significandi, intelligendi et essendi (pour les modalistes) ou par des « signa intellectus » (pour les terministes). Ce que l’on peut montrer à partir de là, c’est qu’une même forme logique peut être expliquée par différentes théories de la signification, mais non qu’une forme logique puisse demeurer indépendante d’une théorie de la signification.

A Faun (comment dites-vous ?)

« Il existe également des mots auxquels ne correspond aucun concept, par exemple "le néant". Cela n'empèche personne de l'imaginer, et d'employer ce mot. »

S’il existe un mot « néant » c’est qu’il existe une image du néant (par exemple un lieu vide, un fond totalement blanc ou totalement noir, …) et par conséquent l’idée de cette image. Que cette idée soit imaginaire n’enlève rien au fait que c’est une idée. (j’ai déjà parlé plus haut de l’équivocité que vous laissez subsister en usant de « concept » plutôt que d’ « idée »).

A Hokusai 2.

« Pour moi le SIGNE c’est le mot ou le geste ou une marque sur le sol etc ...le signe signale , c’est un signal , donc c’est le MOT ( vocal ou écrit ) ce qui me fairt refuser à peu près tout ce que vous dîtes ? »

Mais alors pourquoi une chose signifie-t-elle et une autre non ? Vous pouvez bien affirmer que le mot est une chose. Mais vous n’expliquez pas par là ce qu’est un mot ou un signe. Si vous alléguez un signe, vous ne pouvez pas le définir comme tel sans expliquer sa capacité à signifier ou à être utilisé pour signifier.

« Le signe ce n 'est pas le mot + l’image + le sens + l’idée auquel cas on ne distingue plus rien. »

Si le mot n’est ni une image ni une idée, ni une relation entre des images et leurs idées, le mot ne plus rien être du tout (du moins chez Spinoza). Quant à votre capacité à distinguer…


« La sémiotique peirceienne c’est une autre affaire et de toutes façons Peirce distingue le mot du sens .Une icône est un signe qui se réfère à l’objet qu’il dénote ».

Je n’ai jamais assimilé Spinoza à Peirce. Je voulais juste montrer que la sémantique spinozienne était triadique, non que cette triade était comparable à celle de Peirce. Ensuite Spinoza aussi distingue le mot du sens. Enfin, une icône, pour Spinoza, n’est pas un signe mais une image.

""""""""""""Ce que montre également le TTP (puisque telle est ma motivation), c’est qu’il n’y a pas de discontinuité absolue entre l’expression au sens deleuzien et le signe. """""""""""""

"Je ne connais pas un seul philosophe occidental qui établisse une discontinuité absolue entre le signe et l’expression de ce dont il est le signe »

J’ai bien dit « expression au sens deleuzien » c’est à dire précisément en un sens idéel et non pas linguistique. Il reste que chez Deleuze, le signe demeure du genre impératif et relève du théologico-politique. Cela pose maints problèmes quant à l’usage des signes pour la connaissance naturelle. Mais cela, c’est le problème de Deleuze, pas le mien.

« quand on exprime linguistiquement il n’ y a pas de discontinuité absolue entre l 'idée et le mot . ( pas théoriquement , jamais , dans aucune théorie ) »

Si, dans le mysticisme, et même dans certaines théories non mystiques de l’équivocité où le sens (plutôt que l’idée) est constitué par la négation du mot, comme en creux (par exemple chez Maïmonide).

Enfin : la vox, c’est le son par lequel on appelle (vocat) une chose selon une relation de désignation. La significatio de la vox, ou signifié, c’est l’idée (et son image) ressemblante à la chose désignée (II 40s2) par la vertu de la simultanéité conative (II 18s). Enfin le mot ou la parole (verbum) c’est le moyen par lequel nous signifions quelque chose à quelqu’un selon l’usage. La vox suppose une communauté de signifiants. La significatio de la vox (ou signifié) suppose une communauté de désignation d’une même chose imaginaire : si « ruagh » et « animus » ont un signifié commun, c’est qu’ils désignent une même chose à laquelle ressemble ce signifié. Ce n’est possible que dans le domaine linguistique où la ressemblance est immédiatement conditionnée par la simultanéité de la vox et de la chose, mais non dans le seul domaine imaginaire, où la ressemblance dépend des associations, des habitudes et, d’une manière générale, d’un usage de la vie « contingent » du point de vue du mode. Quant au mot ou à la parole (verbum), elle suppose une communauté d’usage non seulement en ce qui concerne les associations imaginaires, mais aussi en ce qui concerne la langue. Par conséquent, l’usage de mots pour signifier quelque chose à quelqu’un consiste toujours en un travail sur la langue et son usage, tandis que l’usage d’une « vox » (comme ci-dessus tout en haut) retient seulement telle ou telle significatio sans considération pour le travail de signification dû à la l’usage collectif d’une langue (et donc à son usage individuel pour signifier à autrui).

En d’autres termes, la significatio d’une « vox » est commune à tout ceux qui ont une désignation et une imagination commune, mais non nécessairement à ceux qui participent à un usage commun de la langue, puisque 1° une même significatio peut constituer le signifié de deux vox différentes (par exemple « ruagh » et « animus ») et 2° Quand bien même la vox (communauté de désignation) et la significatio de la vox (communauté d’imagination) seraient communes, la signification du mot par lequel je signifie n’est pas nécessairement commun parce que l’usage de la langue de ces interlocuteurs n’est pas nécessairement commune avec les autres interlocutions qui constituent cette langue (dépendance du contexte, constitution active et simultanée de la signification d’autrui, etc… et enfin, dans cette activité communautaire : constitution d’un sens)..

A Faun (et pourtant prolixe) 2.

Spinoza n’utilise-t-il pas des mots ? La connaissance naturelle comme l’imagination des prophètes ne doivent-elles pas toutes deux être formulées en mots pour être communicables ? Le terme de « prophétie » et de « révélation » conviennent d’ailleurs aussi à la connaissance naturelle (TTP I, 1). Et le sens de la Bible, à savoir l’usage de la vie par la charité et la justice est également saisissable par la connaissance naturelle comme certain, bien que la connaissance naturelle ne saisisse pas ce sens à travers l’obéissance (TTP XV, 7) et doute (certitude morale seulement) qu’on puisse arriver à cette connaissance de l’usage de la vie par l’obéissance seule. A vous entendre, il y aurait un langage de l’entendement qui passe par des mots non fondés sur une simultanéité d’images. Il y aurait des mots qui ne sont pas d’origine corporelle et imaginaire : ce qui est explicitement et maintes fois dénié par Spinoza. Il y aurait selon vous d’une part le langage de la connaissance naturelle et d’autre part le langage religieux : ce qu’avançait Maïmonide, non Spinoza. Que je cherche à rétablir l’autorité de la Bible est la chose la plus drôle que j’ai entendue depuis longtemps. Si vous êtes athée, comment ce fait-il que vous êtes plus proche en cette matière de Maimonide que de Spinoza ?

Enfin, remarquez que la citation qu’ont faites Bardamu et moi-même plus haut se situe dans l’Ethique, en régime de connaissance naturelle, et non dans le TTP. Spinoza travaille toujours le langage, mais au sein du langage. Il n’y a pas de langage intellectuel extérieur au langage, ou alors il ne se fonde plus sur des signes et ceux-ci sur l’imagination, et on ne peut plus l’appeler langage au sens spinozien : à moins bien sûr de revenir à St Augustin, à Ockham ou à la sémantique augustino-cartésienne qui demeure fort en vogue chez certains « athées » - avec d’énormes guillemets. Pour dire bref, si l’athéisme doit devenir une secte religieuse (avec un langage propre et exclusif), alors je ne veux pas être appelé « athée ».

A Hokusai 3

« Mais enfin quoi ? Le sens natif ,le vrai sens ,c’est le sens d 'avant son incorporation dans le discours des prophètes » .

A bon ? Il dit cela, Spinoza ?

Miam.


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