Messagepar Miam » 10 déc. 2005, 21:40
Salut.
Excusez-moi, je suis dans Maimonide et Avicenne alors je décroche quelque peu.
A Hokusai 1.
« peut être, là dessus il faudrait des référence précises ,mais . ce qui n’est pas une théorie du signe mais une théorie de la définition . »
Ah bon ? En réalité il ne s’agit pas de la définition des affects mais de leur appellation : de la façon dont on les appelle (vocatur). Ne lit-on pas en III A 20 ex, comme le rappelle Bardamu :
« Je sais que ces noms signifient autre chose dans l’usage commun. Mais mon dessein n’est pas d’expliquer la signification des mots mais bien la nature des choses, et d’indiquer celles-ci par des vocables dont la signification qu’ils ont usuellement ne s’éloigne pas entièrement de la signification que j’emploie ; que cela soit observé une fois pour toute. » (Il ne s’agit pas encore ici de distinguer « appeler » (appelare) et « appeler » (vocare) ni le « nom » (nomen) du « vocable » (vocabulum)).
Ce n’est pas de la définition des affects dont il s’agit ici. Celle-ci exprime la nature, c’est à dire la production de l’affect. C’est du « nom » de l’affect dont il s’agit : de la façon dont on appelle (vocat) une chose, non dont on l’entend (intelligit).
Si l’on doit passer par là, c’est que l’examen des affects doit être d’ordre phénoménologique. La saisie adéquate de tout affect nécessite une idée claire et distincte de cet affect qui soit elle-même un affect actif, de sorte que la connaissance adéquate d’un affect passif transforme celui-ci en affect actif. En fin de compte c’est là le pivot de l’épistémologie spinozienne. Mais comment alors avoir l’idée d’un affect passif en tant que passif ? En lui imposant un nom.
Ici on ne peut plus se reposer sur l’activité de son propre affect à l’instar de la certitude des notions communes qui me livrent un « propre » ou l’essence d’une partie de l’ objet. L’ objet c’est à présent l’affect lui-même, fût-il passif, et non un objet affecté de telle ou telle manière. Le « nom » de l’affect sert alors à retenir l’objet visé, à savoir l’affect passif, bien qu’il soit transformé en un autre objet, à savoir un affect actif, par la seule connaissance de ses causes. Le « nom » ou le « vocable » par lequel on « appelle » un affect sert ici d’auxiliaire de l’imagination, au même titre que les signes (« chiffres ») cartésiens dans les Regulae. Il s’agit du rapport purement « référentiel » (au sens de la logique moderne), non de la définition réelle expressive.
Mais certes, dans le seul cas des affects, leurs définitions exigent préalablement la détermination de ce rapport référentiel. Alors évidemment on peut vouloir nommer ce rapport référentiel « définition nominale ». Mais précisément : Spinoza emploie ici une expression que l’on retrouve presque littéralement dans la Logique de Port-royal. Et dans la Logique, cette expression consiste à couper court à la très pascalienne dérive des noms-signifiants qui s’entredéfinissent nominalement à l’infini. La Logique y coupe court par la notion d’usage qui, dans l’augustino-cartésianisme, et à l’inverse de Spinoza, demeure entièrement dépendant de la représentation et par conséquent de ces significations immédiates que sont les natures simples. Ici aussi, Spinoza contraint la définition nominale, en principe arbitraire puisqu’il y s’agit de désigner une chose par un nom, « à ne pas trop s’éloigner de l’usage commun ». La grande différence est que cet usage est à présent indépendant de la représentation, qu’il s’identifie bien plutôt à l’habitus de l’imagination et ne garantit donc plus la signification immédiate de ces éléments analytiques que sont les natures simples dans les définitions réelles. L’usage ne garantit pas la bonne définition de l’affect, mais seulement une référence commune à l’auteur (locuteur-écrivain) et à ses lecteurs-auditeurs dans la mesure où toute vérité doit être communicable, fût-ce, comme il est écrit dans le TRE, « ad captum vulgi ».
Bref, chez Spinoza, la définition de la chose ne dépend pas du nom par lequel on appelle cette chose. Mais cela n’empêche pas que toute théorie de la définition, dans la mesure ou une définition est un énoncé, exige une théorie du signe, y compris chez Spinoza où l’essence est saisie par une idée adéquate, la nature par une idée claire et distincte qui suit discursivement de cette idée adéquate, tandis que la définition contient ces idées sous une forme verbale. Du reste on voit mal comment serait née la logique aristotélicienne si Aristote n’avait supposé (par exemple dans le Peri Hermaneias) une correspondance entre les mots écrits ou parlés, les idées et les choses.
« Passez de l'équivocité à l'univocité peut fonctionner avec n'importe quelle théorie du signe . »
Je ne comprend pas ce que veut dire « passer de l’équivocité à l’univocité ». Il y a les pensées de l’univocité, pour lesquelles être (esse) se dit dans le même sens pour les choses créées et pour Dieu (par exemple Spinoza). Les pensées de l’équivocité, selon laquelle il se dit dans des sens différents (par exemple Maïmonide) et des pensées de l’analogie, selon lesquelles être se dit également de Dieu et des choses créées mais par analogie seulement (par exemple Descartes et Thomas). Et vous ne leur ferez pas changer d’avis.
« Thomas d' Aquin et Okham cherchent ( et tout philosophe cherche) à clarifier les équiviocités et ce sur des théorie du signe différentes » .
Et alors ? Qu’est-ce que cela montre ?
Enfin : la forme logique du syllogisme suppose la possibilité d’une expression linguistique propositionnelle qui corresponde à cette forme logique ; que ce soit par une correspondance entre les modi significandi, intelligendi et essendi (pour les modalistes) ou par des « signa intellectus » (pour les terministes). Ce que l’on peut montrer à partir de là, c’est qu’une même forme logique peut être expliquée par différentes théories de la signification, mais non qu’une forme logique puisse demeurer indépendante d’une théorie de la signification.
A Faun (comment dites-vous ?)
« Il existe également des mots auxquels ne correspond aucun concept, par exemple "le néant". Cela n'empèche personne de l'imaginer, et d'employer ce mot. »
S’il existe un mot « néant » c’est qu’il existe une image du néant (par exemple un lieu vide, un fond totalement blanc ou totalement noir, …) et par conséquent l’idée de cette image. Que cette idée soit imaginaire n’enlève rien au fait que c’est une idée. (j’ai déjà parlé plus haut de l’équivocité que vous laissez subsister en usant de « concept » plutôt que d’ « idée »).
A Hokusai 2.
« Pour moi le SIGNE c’est le mot ou le geste ou une marque sur le sol etc ...le signe signale , c’est un signal , donc c’est le MOT ( vocal ou écrit ) ce qui me fairt refuser à peu près tout ce que vous dîtes ? »
Mais alors pourquoi une chose signifie-t-elle et une autre non ? Vous pouvez bien affirmer que le mot est une chose. Mais vous n’expliquez pas par là ce qu’est un mot ou un signe. Si vous alléguez un signe, vous ne pouvez pas le définir comme tel sans expliquer sa capacité à signifier ou à être utilisé pour signifier.
« Le signe ce n 'est pas le mot + l’image + le sens + l’idée auquel cas on ne distingue plus rien. »
Si le mot n’est ni une image ni une idée, ni une relation entre des images et leurs idées, le mot ne plus rien être du tout (du moins chez Spinoza). Quant à votre capacité à distinguer…
« La sémiotique peirceienne c’est une autre affaire et de toutes façons Peirce distingue le mot du sens .Une icône est un signe qui se réfère à l’objet qu’il dénote ».
Je n’ai jamais assimilé Spinoza à Peirce. Je voulais juste montrer que la sémantique spinozienne était triadique, non que cette triade était comparable à celle de Peirce. Ensuite Spinoza aussi distingue le mot du sens. Enfin, une icône, pour Spinoza, n’est pas un signe mais une image.
""""""""""""Ce que montre également le TTP (puisque telle est ma motivation), c’est qu’il n’y a pas de discontinuité absolue entre l’expression au sens deleuzien et le signe. """""""""""""
"Je ne connais pas un seul philosophe occidental qui établisse une discontinuité absolue entre le signe et l’expression de ce dont il est le signe »
J’ai bien dit « expression au sens deleuzien » c’est à dire précisément en un sens idéel et non pas linguistique. Il reste que chez Deleuze, le signe demeure du genre impératif et relève du théologico-politique. Cela pose maints problèmes quant à l’usage des signes pour la connaissance naturelle. Mais cela, c’est le problème de Deleuze, pas le mien.
« quand on exprime linguistiquement il n’ y a pas de discontinuité absolue entre l 'idée et le mot . ( pas théoriquement , jamais , dans aucune théorie ) »
Si, dans le mysticisme, et même dans certaines théories non mystiques de l’équivocité où le sens (plutôt que l’idée) est constitué par la négation du mot, comme en creux (par exemple chez Maïmonide).
Enfin : la vox, c’est le son par lequel on appelle (vocat) une chose selon une relation de désignation. La significatio de la vox, ou signifié, c’est l’idée (et son image) ressemblante à la chose désignée (II 40s2) par la vertu de la simultanéité conative (II 18s). Enfin le mot ou la parole (verbum) c’est le moyen par lequel nous signifions quelque chose à quelqu’un selon l’usage. La vox suppose une communauté de signifiants. La significatio de la vox (ou signifié) suppose une communauté de désignation d’une même chose imaginaire : si « ruagh » et « animus » ont un signifié commun, c’est qu’ils désignent une même chose à laquelle ressemble ce signifié. Ce n’est possible que dans le domaine linguistique où la ressemblance est immédiatement conditionnée par la simultanéité de la vox et de la chose, mais non dans le seul domaine imaginaire, où la ressemblance dépend des associations, des habitudes et, d’une manière générale, d’un usage de la vie « contingent » du point de vue du mode. Quant au mot ou à la parole (verbum), elle suppose une communauté d’usage non seulement en ce qui concerne les associations imaginaires, mais aussi en ce qui concerne la langue. Par conséquent, l’usage de mots pour signifier quelque chose à quelqu’un consiste toujours en un travail sur la langue et son usage, tandis que l’usage d’une « vox » (comme ci-dessus tout en haut) retient seulement telle ou telle significatio sans considération pour le travail de signification dû à la l’usage collectif d’une langue (et donc à son usage individuel pour signifier à autrui).
En d’autres termes, la significatio d’une « vox » est commune à tout ceux qui ont une désignation et une imagination commune, mais non nécessairement à ceux qui participent à un usage commun de la langue, puisque 1° une même significatio peut constituer le signifié de deux vox différentes (par exemple « ruagh » et « animus ») et 2° Quand bien même la vox (communauté de désignation) et la significatio de la vox (communauté d’imagination) seraient communes, la signification du mot par lequel je signifie n’est pas nécessairement commun parce que l’usage de la langue de ces interlocuteurs n’est pas nécessairement commune avec les autres interlocutions qui constituent cette langue (dépendance du contexte, constitution active et simultanée de la signification d’autrui, etc… et enfin, dans cette activité communautaire : constitution d’un sens)..
A Faun (et pourtant prolixe) 2.
Spinoza n’utilise-t-il pas des mots ? La connaissance naturelle comme l’imagination des prophètes ne doivent-elles pas toutes deux être formulées en mots pour être communicables ? Le terme de « prophétie » et de « révélation » conviennent d’ailleurs aussi à la connaissance naturelle (TTP I, 1). Et le sens de la Bible, à savoir l’usage de la vie par la charité et la justice est également saisissable par la connaissance naturelle comme certain, bien que la connaissance naturelle ne saisisse pas ce sens à travers l’obéissance (TTP XV, 7) et doute (certitude morale seulement) qu’on puisse arriver à cette connaissance de l’usage de la vie par l’obéissance seule. A vous entendre, il y aurait un langage de l’entendement qui passe par des mots non fondés sur une simultanéité d’images. Il y aurait des mots qui ne sont pas d’origine corporelle et imaginaire : ce qui est explicitement et maintes fois dénié par Spinoza. Il y aurait selon vous d’une part le langage de la connaissance naturelle et d’autre part le langage religieux : ce qu’avançait Maïmonide, non Spinoza. Que je cherche à rétablir l’autorité de la Bible est la chose la plus drôle que j’ai entendue depuis longtemps. Si vous êtes athée, comment ce fait-il que vous êtes plus proche en cette matière de Maimonide que de Spinoza ?
Enfin, remarquez que la citation qu’ont faites Bardamu et moi-même plus haut se situe dans l’Ethique, en régime de connaissance naturelle, et non dans le TTP. Spinoza travaille toujours le langage, mais au sein du langage. Il n’y a pas de langage intellectuel extérieur au langage, ou alors il ne se fonde plus sur des signes et ceux-ci sur l’imagination, et on ne peut plus l’appeler langage au sens spinozien : à moins bien sûr de revenir à St Augustin, à Ockham ou à la sémantique augustino-cartésienne qui demeure fort en vogue chez certains « athées » - avec d’énormes guillemets. Pour dire bref, si l’athéisme doit devenir une secte religieuse (avec un langage propre et exclusif), alors je ne veux pas être appelé « athée ».
A Hokusai 3
« Mais enfin quoi ? Le sens natif ,le vrai sens ,c’est le sens d 'avant son incorporation dans le discours des prophètes » .
A bon ? Il dit cela, Spinoza ?
Miam.