Suicide et existence

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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AUgustindercrois
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Suicide et existence

Messagepar AUgustindercrois » 02 mai 2006, 16:45

A miam

Tu peux m'expliquer l'idée de l'analogie entre métamorphose et suicide dans ton comm' sur Zourabichvili?

Parce que si j'envisage Spin sous l'angle de la métamorphose, je peux dire que sa vie est empreinte de métamorphoses: son anti - conversion, lorsqu'il refuse de renier ses convictions, l'amène à l'affirmation, plutôt qu'à la négation.

Est - ce que Deleuze, et par - delà Zourabichvili, expliquent le suicide comme une métamorphose, qui serait comme une affirmation?

Si c'était le cas, il me semble qu'il y aurait trahison, parce que toute la pensée de Spinoza est une philosophie de vie, et non de mort.

Si Deleuze et Zourabichvili pensent si fort à SPinoza, à mon avis, c'est précisément en raison du pouvoir curatif que renferme la philosophie de Spinoza.

Je sais que tu es un bon lecteur de Deleuze, et ton avis m'intéresse.

Bien amicalemnt,

Augder

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Miam
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Messagepar Miam » 03 mai 2006, 13:47

Salut Auguste,

Bien sûr l’effort de chaque individu est affirmatif, tend à conserver l’individu, à persévérer dans son être, de sorte que « nulle chose ne peut être détruite sinon par une cause extérieure » (III 4). Bien sûr « un homme libre pense à aucune chose moins qu’à la mort » (IV 57). Mais cela n’exclut pas que le suicide puisse être naturel. Le suicide ne saurait être issu d’autres causes que des causes naturelles. Par conséquent, il est aussi une opération du conatus individuel et ne prive l’individu d’aucune perfection essentielle. Aussi trouve-t-on un contre-exemple à cette soi-disant impossibilité du suicide qui, selon certains, ferait problème chez Spinoza. Dans la Lettre 23 à Blyenbergh, Spinoza écrit : « si quelque homme voit qu’il peut vivre plus commodément suspendu à un gibet qu’assis à sa table, il agirait en insensé en ne se pendant pas ».

C’est dire que le suicide est en quelque manière « raisonnable » puisqu’il est toujours l’effet d’un conatus essentiel (le conatus étant l’essence actuelle de l’individu). Maintenant, il faut s’entendre sur ce « raisonnable ». Le problème est que l’on ne sait pas ce que traduit « insensé » : « demens », « insane » .. ? Parce qu’il ne saurait y avoir aucune exception à cette règle : on ne peut pas agir contre son conatus. L’insensé serait donc celui qui est totalement empêché par les causes extérieures d’agir son conatus. En ce sens c’est proprement l’ « aliéné ». Ce n’est même plus un individu et l’on peut l’exclure du problème.

Reste que, comme le montrent ce extrait et Zourabichvili (je n’ai malheureusement pas ses livres actuellement à disposition), le conatus peut bien se retourner contre la conservation de l’individu lorsqu’il suit l’ordre des affections, à savoir des effets des causes extérieures : ce que Spinoza appelle l’ « habitude ». Bref : quand ce sont les causes extérieures, plus puissantes qui, via les associations, dirigent le conatus, sans pour autant l’empêcher . Car ce conatus demeure toujours l’essence actuelle de l’individu. Ainsi, par exemple, un chatouillement, certainement « porté » par le conatus puisqu’il s’agit d’une joie, peut fort bien mener à la destruction de l’individu en raison d’un déséquilibre « habituel » entre les différentes parties du Corps. C’est ce qui fait dire à Zourabichvili que si l’enfant est impuissant et inconscient, il est pourtant derechef équilibré et procure un « potentiel conatif » semblable à la « démocratie naturelle » des Juifs à la sortie d’Egypte.

Ce que montre bien Zourabichvili, c’est que de cette « incorporation » d’habitudes est corrélative d’un ralentissement de la régénérescence continuelle qu’exige la bonne santé du corps. On tombe alors sur ce paradoxe qu’une « bonne » individuation nécessite une transformation permanente, si par « transformation », on entend le remplacement continuel de toutes les parties d’un corps conservant un même rapport de mouvement et de repos. Or l’enfant est plus facilement sujet à ces transformations puisqu’il n’a pas eu le temps d’incorporer de fortes habitudes. L’adulte, au contraire, est le plus souvent condamné à ce déséquilibre. Il se sclérose, dirais-je. Si bien qu’une solution à cette sclérose pourrait bien être, non plus la transformation rendue impossible, mais la « métamorphose » du fameux poète espagnol (Gongora) de IV 39s. C’est presque un suicide puisque ce poète change carrément d’individualité. Son corps ne possède plus le même rapport de mouvement et de repos. Pourtant il apparaît comme le même homme et n’a pas oublié sa langue. Il est devenu, comme le dit Spinoza, « comme un enfant ». Il a retrouvé un équilibre dans les parties de son corps. Et il est alors fort logique qu’il n’ai pas oublié sa langue. Car comme poète, on peut supposer qu’il avait une connaissance adéquate de celle-ci. Par conséquent, cette connaissance devait produire des affects actifs. Or, les affects actifs, ce sont des joies actives, c’est-à-dire des joies qui concernent l’ensemble du corps. La connaissance adéquate ou l’affect actif n’est rien d’autre qu’une joie équilibrée. Et l’on comprend alors pourquoi le poète n’a pas oublié sa langue en se rééquilibrant sur la base d’un autre rapport de mouvement et de repos (qu’on suppose relativement proche de la première) et en changeant d’individualité.

C’est pour cette raison que je faisais référence à la « tangente » et au « Corps sans organe » de Deleuze, en rapport avec le suicide. Zourabichvili comme Deleuze et Spinoza posent tous trois le problème de l’individu et de l’individuation, comme le font du reste, tous ceux qui se demandent encore ce que peut bien signifier « dire quelque chose » (legein ti).

A+
Miam.

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Messagepar Pourquoipas » 03 mai 2006, 14:42

Bonjour, Augustin, Miam et tous,

Merci pour votre savante, documentée et profonde analyse.
Nous y réfléchirons...

Juste une chose : le premier exemple donné par Spinoza dans le IV 20 S, qui est en fait un meurtre (un individu armé mais qu'un autre plus costaud contraint à enfoncer sa propre arme contre lui-même), peut sans doute s'éclairer à la lumière de ce qui quelque deux cents ans plus tard va être travaillé sous le nom d'« inconscient », à savoir il peut arriver chez un individu qu'un élément extérieur à lui (un ordre reçu dans l'enfance, un blocage créé dès les premières années de la vie, etc.) mais intériorisé, et donc devenu « sien », réapparaisse ensuite dans le cours de l'existence à l'occasion de tel ou tel événement ou parole, que nous ne pouvons connaître ni les étrangers ni sans doute la victime elle-même (les « causes extérieures cachées (latentes) », et provoque une contradiction telle que la poursuite de l'existence dans le temps est ressentie comme impossible (et donc l'arme qui est mienne et sert à exercer ma puissance va être retournée contre moi-même)...

Il me semble souvent (et je ne suis pas le seul, il y a Max Dorra, par exemple) que Spinoza, sans jamais employer le terme d'« inconscient », qui n'est pas de son époque, ouvre et crée l'espace théorique qui va être travaillé quelque deux ou trois siècles plus tard par un peu Schopenhauer, puis surtout Freud puis Lacan. Mais cela est un autre sujet (proche cependant).

Quant aux certains qui évoquent une « soi-disant impossibilité du suicide », celle-ci m'a été nettement affirmée par quelqu'un que vous respectez, Pierre-François Moreau, qui m' a écrit un jour, alors que j'évoquais cette question : « Non, pour Spinoza, le suicide est une impossiblité. » (Je n'affirme pas qu'il ait raison.)

Respects à tous.
Portez-vous bien.
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Messagepar Pourquoipas » 03 mai 2006, 17:35

Re-bonjour à tous,

Trop de mots, trop de phrases de notre part à tous.

En fait C162 avait raison, pour une fois : je vais suivre son conseil et vous laisser.

Portez-vous bien.
Modifié en dernier par Pourquoipas le 07 mai 2006, 11:05, modifié 1 fois.
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Messagepar Pej » 04 mai 2006, 14:09

Comment le spinozisme contemporain prend-il en compte les récentes théories biologiques selon lesquelles la mort serait "programmée", que ce soit au niveau de l'organisme dans son ensemble ou au niveau cellulaire ? (pour le premier niveau, la mort serait une stratégie permettant l'innovation, puisqu'elle "contraint" les organismes à se reproduire et ainsi laisser la place à de possibles mutations germinales ; pour le second niveau, la mort cellulaire apparaît indispensable au maintien de l'organisme, puisque c'est elle qui assure son fonctionnement, l'immortalité cellulaire = cancer conduisant alors à la mort de l'organisme).


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