Le MOI

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Messagepar sescho » 04 juin 2013, 12:50

hokousai a écrit :J 'avoue ne pas être du tout famillié de S Jourdain . J' ai lu Krishnamurti , il y a probablement une communauté de pensée entre les deux.

Ce sont deux éveillés selon toute vraisemblance, ce qui fait déjà la plus grande communauté qui puisse être, et au-delà même elle est telle que Jourdain a dit quelque part que s'il l'avait désiré il aurait pu n'avoir qu'à se glisser dans les chaussons de Krishnamurti (peut-être lui a-t-on proposé de prendre sa suite à Saanen et ailleurs), mais qu'il ne l'a pas désiré.

J'ai en bibliothèque, lu et entendu/vu l'intégralité de Jourdain (mais de mémoire j'ai zappé des passages entiers des ouvrages de "poésie en prose d'éveillé de longue date" - ce que j'ai appelé "aérien" - comme n'étant pas en état de l'apprécier à sa valeur.) Toutefois, je ne l'ai pas assez relu pour me passer de reprendre les textes exacts en vue de précisément le commenter.

Jourdain a passé des décennies à essayer d'exprimer (l'inexprimable) l'éveil de la façon la plus juste possible (tout en bazardant tout dès que l'intellectualisme apparaît s'emparer du doigt - mot, qui n'est qu'un pointeur - au lieu d'en suivre la direction vers la Lune, ou pour empêcher qu'il ne le fasse.) Il a choisi malgré cela plutôt l'expression de type philosophique occidentale, ayant construit sur ce point un scalpel d'une précision et d'un tranchant impressionnants. Il peut aussi effectivement développer des concepts parfaitement contre-intuitifs (et non destinés à perdurer lorsqu'ils ont fait leur office de mon point de vue), tel l'anti-universel "A = non-A." C'est nettement plus "hard" (bon il y a aussi pas mal de passages assez libres, avec langage fleuri, lors des entretiens) intellectuellement dans l'expression que celle de Krishnamurti, dont le message principal pourrait se résumer à cette formule de Swâmi Prajnanpad : "vous pensez que vous voyez, vous ne voyez pas que vous pensez."

Un "sacré asticot" ce Jourdain, ou plutôt un "asticot sacré..." :D

hokousai a écrit :
S Jourdain a écrit :« Il est bien une chose telle qu'une ultime identité de l'individu humain... Mais cette identité tient tout entière dans l'acte par lequel l'individu humain se reconnaît comme irréductible à toute sienne identité, serait-elle ultime.»


Je comprends et ne comprends pas .. surtout le "serait-elle ultime".
Parce que si elle-est ultime alors elle y est réduite ( ou identifiée ).

Il faudrait que je reprenne tout le passage pour faire un commentaire que j'estime suffisamment fondé, ce que je ne veux pas faire ici. Sans le faire et donc sous toute réserve, je dirais que le mot le plus important là est "sienne." L'individu humain trouve l'identité (et pas "son identité") ultime de "son être" (!) quand il a compris qu'il n'y a pas d'identité qui soit sienne, fut-elle ultime - en théorie - (il suffit d'essayer de le dire justement pour sentir combien tous les mots sont piégeux en la matière...) Autrement dit, le véritable Je - et Jourdain dit même "personne" - se manifeste quand il y a compréhension qu'absolument rien n'est personnel. On sent que le A = !A n'est pas loin...

Jourdain dit ailleurs - si je ne le trahis pas - qu'il y a à la base le "Je" créateur, impersonnel, éternel, vide plein de potentiel, rien porteur de tout (autrement dit "Dieu"), puis au deuxième niveau "la personne" créée (le sujet), émanée de la première et qui, elle, ne crée rien du tout, et que la grande catastrophe est que par un mystérieux mécanisme la seconde usurpe la place de la première et se prend pour le créateur...

C'est Spinoza qui n'est pas loin, là...

hokousai a écrit :Pour tout dire je doute que Dieu soit conscient tel que l'homme est conscient. Il y a une affirmation chez l' homme laquelle nécessité un effort. Même si l'effort n'est pas une volition consciente. Prendre conscience se fait au sein de l'inconscience et en sort. C est un acte.

Je pense pour ma part que Dieu ne pense pas, sauf en tant que les modes pensants pensent (et ce n'est qu'en distordant outrageusement le texte de Spinoza qu'on peut le dire à partir de Spinoza lui-même.) La scission absolue entre pensée et matière est indéfendable (et donc avec cela la notion d'attribut, le parallélisme, etc.), et source des plus grandes et interminables erreurs. Ce n'est d'ailleurs même pas pensée-de-la-matière comme je l'ai dit, mais pensée-de-matière, car "matière" est déjà une vue d'un sujet (donc pensant ; il s'agit donc d'une pensée) modal particulier.

Maintenant je pense que malgré les complications et difficultés inévitables que cela pose, on pourrait s'apercevoir que l'erreur étant faite à la base, la position de Spinoza est celle qui se rapproche le plus de la vérité.

Par ailleurs, si j'admets (c'est un non-sens en fait) par réductionnisme scientiste que la pensée est de l'électricité (qui est elle-même en fait une pensée-de-matière), je peux l'inverser en disant que l'électricité est de la pensée ; et comme il y en a partout, aussi fruste soit-elle (électrodynamique quantique)... Et encore une fois, comme on ne peut pas relier "penser" et "physique" autrement que de façon rapportée, dire que la pensée est parallèle à un phénomène physique dans le cerveau et dire que c'est la même chose ne fait aucune différence...

hokousai a écrit :Si Dieu affirme éternellement il ne fait pas d' "effort".Dieu n' a pas de conatus ( de mon point de vue )

J'en profite pour refaire un tour sur le sujet...

Déjà je dirais que rien n'"a" de conatus. "Le" conatus, c'est la tendance à persévérer dans l'être (c'est un concept), soit à la base le principe d'inertie qui fait qu'un système isolé ne change pas (en rappelant ce que disait Galilée en substance (relativité) : un objet en mouvement rectiligne uniforme (isolé donc) est exactement comme s'il ne bougeait pas : pour lui rien ne se passe...)

Spinoza cherche à "faire" dériver le désir de l'essence actuelle même, sans avoir à ajouter de "faculté désirante."

Lorsque le système n'est plus isolé (ce qui est inévitable comme le dit Spinoza lui-même) il est donc en interaction avec les systèmes voisins. A noter en passant que lorsque "le système" n'est plus isolé il s'agit d'une simple vue de l'esprit : le véritable système est constitué de l'ensemble desdits systèmes en interaction. Spinoza dit : le principe d'inertie précédent se traduit par une résistance à la déformation (le système tend "par lui-même" à conserver sa forme - indéfiniment ne voulant pas dire éternellement, juste que la tendance prise seule n'a aucune raison de s'annuler elle-même, ce qui est impossible.) Autrement dit, quoique tout soit en Dieu-Nature, globalement, comme celui-ci est et ne peut ne pas être, l'essence actuelle (en acte, manifestée) qu'est une chose singulière (finie en acte ; vue de l'esprit, donc, dans un cadre d'interdépendance) s'affirme dans l'être-là, et par-là même ne peut affirmer son contraire, ou s'annuler, savoir autoriser par elle-même (mais ce "par elle-même" est aussi une vue de l'esprit) la moindre modification de celle-ci.

Autrement dit, quelque part, fondamentalement, "conatus" et "essence actuelle" (affirmation pure dans l'être-là et pas autre chose) c'est la même chose... C'est d'ailleurs ce que dit E3P7... Dans un cadre d'interdépendance, cela peut être dérivé en Loi de l'action et de la réaction.

En vertu du parallélisme, "la chose" étant affectée dans "son" essence (où "à la marge de "son" essence" ?) par la pression extérieure, Spinoza dit qu'elle - un individu humain comme une pierre, aussi fruste cela soit-il - a conscience de son effort pour résister (dans mon esprit ceci n'est valable qu'en cas d'interaction, pas de mouvement linéaire uniforme en espace libre, le cas échéant, donc ; on peut même se poser la question pour un système statique... tout cela est d'un maniement très difficile, en fait...)

Ensuite, Spinoza fait dériver (E3P12-13) la "pulsion de puissance" et le "désir" de ce principe d'inertie : l'âme fait effort pour imaginer (inadéquat) ce qui favorise la puissance du corps, et l'exclusion de ce qui la diminue ; ceci suivant une opération / démonstration qui me semble critiquable (j'en parlerai à l'occasion mais là j'arrête).

Bref...

Dieu n'est contraint par rien puisqu'il est tout. Il ne résiste à rien. Il est, c'est tout. Le conatus pour lui c'est lui-même (c'est la même chose que le mouvement linéaire uniforme pour la chose particulière) sans aucune affection possible. Il ne désire rien. Etc., etc.

hokousai a écrit :Ce qui le gêne dans cette idée de conscience pure, c' est qu' à partir de la conscience humaine on infère une supposée compréhension de la conscience de Dieu.

Ce que j'en ai dit pourrait se résumer (c'est encore un ballon d'essai) dans ce cadre à : la conscience pure est l'idée de Dieu même, et donc Dieu même, qui est impersonnel (on sent revenir Jourdain...) ... si ce n'est que le couple sujet-objet m'indique que Dieu est plus grand que la manifestation modale qui "me" "colle" par ailleurs...

Et aussi que "ma conscience pure" extrapolée à "la conscience de Dieu" c'est délirant dans l'expression même, de même que la scission pensée-matière...

:twisted:
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Messagepar Vanleers » 04 juin 2013, 14:00

A Hokousai

Je reprends la question soulevée dans la démonstration d’E III 9 :
« L’Esprit (par la prop. II 23) est nécessairement conscient de soi »

L’esprit humain est une idée dont l’objet est le corps.
Le corps étant une chose complexe, l’esprit est une idée complexe et, je dirai, un complexe d’idées.
Dire que l’esprit humain est conscient de soi, c’est dire qu’il se connaît , ou encore que ce complexe d’idées contient l’idée de ce complexe d’idées : l’idée de l’idée du corps.

A titre d’image, mais d’image seulement et en utilisant un langage ensembliste, on pourrait dire que l’esprit humain est un ensemble d’idées et on se demanderait si cet ensemble contient l’idée de l’ensemble (je passe sur les paradoxes logiques soulevés par Russell).

Or, ce que démontre Spinoza, c’est que l’esprit humain est une idée du corps qui ne contient pas l’idée de l’idée du corps mais seulement le complexe des idées des idées des affections du corps.

Il le démontre en deux temps : il montre d’abord que l’esprit humain contient les idées des idées des affections du corps (E II 19 à 22) et il montre ensuite que l’esprit humain ne contient pas d’autres idées d’idées du corps que celles-là (E II 23).

La démonstration repose essentiellement sur le corollaire de E II 11 dont je cite le début :
« De là suit que l’Esprit humain est une partie de l’intellect infini de Dieu ; et partant, quand nous disons que l’Esprit humain perçoit telle ou telle chose, nous ne disons rien d’autre sinon que Dieu, non en tant qu’il est infini mais en tant qu’il s’explique par la nature de l’Esprit humain, autrement dit en tant qu’il constitue l’essence de l’Esprit humain, a telle ou telle idée »

Je comprends ce corollaire comme allant dans les deux sens : de l’Esprit à Dieu et de Dieu à l’Esprit, ce qui permet de bien comprendre la démonstration d’E II 22 :

1) Les idées des affections du Corps sont dans l’Esprit humain : E II 12
2) Elles sont donc en Dieu en tant qu’il constitue l’essence de l’Esprit humain : E II 11 cor.
3) Mais, en Dieu, les idées des idées des affections suivent en Dieu de la même manière que les idées mêmes des affections : démonstration identique à celle d’E II 20
4) Ceci est vrai en Dieu en tant qu’il constitue l’essence de L’Esprit humain
5) Donc les idées des idées des affections du Corps sont dans l’Esprit humain : E II 11 cor. (dans l’autre sens)

Quelques remarques encore.

Le corollaire d’E II 11 montre qu’il faut être attentif à la façon de nous exprimer.
Lorsque nous disons que l’esprit perçoit, cela signifie que Dieu a une idée ou, encore, qu’une idée se forme dans l’esprit alors que nous aurions tendance à assimiler l’esprit à une personne qui perçoit.
Selon Spinoza, Dieu n’est pas une personne, et l’être humain non plus.
Comme je l’ai déjà écrit, il n’est plus question d’« ego », de « je », de « moi », de « soi », de « personne », de « sujet ».
Désencombrement radical : le spinozisme est un antihumanisme théorique, comme l’écrit Frédéric Lordon (qui ajoute que c’est un humanisme pratique)

Quant à ce que vous dites de l’affirmation du corps par l’esprit, j’en ai déjà parlé dans un précédent message.

Bien à vous

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Messagepar hokousai » 04 juin 2013, 19:07

à vanleers

Or, ce que démontre Spinoza, c’est que l’esprit humain est une idée du corps qui ne contient pas l’idée de l’idée du corps mais seulement le complexe des idées des idées des affections du corps.


Il démontre ça Spinoza ?

Préambule
On est obligé de supposer la ressemblance des idées chez Spinoza et chez son lecteur.

L'idée que Spinoza avait de son coprs doit ressembler à l'idée que j' ai de mon corps lequel d'emblé ne m 'apparait pas comme un complexe.
De plus une idée ne peut contenir , jamais, l'idée de cette idée.
L'idée de l'idée est une autre idée. Si ce sont des poupées russes jamais la plus petite ne contient la plus grande.
Donc quelle que soit l'idée du corps elle ne contient pas l’idée de l’idée du corps. ( ce qui n'est même pas à démontrer).
.............................
Bon déjà sur le début de votre message je ne suis guère d'accord.
............................

Vous avez une tendance à substantialiser l 'esprit humain lequel contiendrait comme récipient, une certain nombre x d' idées. Que signifie chez vous :l'esprit humain "contient".

alors que nous aurions tendance à assimiler l’esprit à une personne qui perçoit.
Cette remarque ne me concerne pas.Je ne vois pas quel philosophe elle concerne, aucun n assimile l'esprit à une personne.

Moi qui ai tendance à assimiler l' esprit humain un esprit qui pense (qui a des idées actuelles /en acte) je le désencombre de sa capacité récipiendaire.
..................

D' une manière générale sur votre message qui ne semble pas du tout réondre aux miens
Je n'ai jamais parlé ainsi
Vanleers a écrit :Dire que l’esprit humain est conscient de soi, c’est dire qu’il se connaît , ou encore que ce complexe d’idées contient l’idée de ce complexe d’idées : l’idée de l’idée du corps.


Je n' ai pas parlé de la conscience de soi de l'esprit humain . J'ai parlé de la conscience . Bien que j'ai suggéré en petite référence ( à la prop 23/2) que dans une certaine mesure l'esprit humain se connait lui même. C'est Spinoza qui le dit .
Evidemment que j'ai comme Spinoza une idée d'ensemble des mes idées des affections, celles dont le corps est affecté .
Mais ce n'est pas la question de la conscience ça . Question à laquelle vous ne semblez pas du tout ouvert .

Alors quoi n' y a- t -il pas une différence entre l'état de somnambulisme, et l 'état d éveil et encore celui de la conscience d' une présence hic et nunc. N' y a t il pas quelque différence de clarté donc de certitude ? Parce que c'est à ça que ça renvoie chez Spinoza . Ça renvoie à la certitude de l'idée vraie .
.

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Messagepar sescho » 05 juin 2013, 20:12

- L’esprit humain est une notion générale (universel : volonté = entendement au sens large ; E2P49, E2P49C, E2P49CDm, E2P49S) qui n’a aucune réalité en tant qu’entité (pas de « faculté » derrière, E2P48S.) Il ne représente que l’essence commune à toutes les idées : l’affirmation de quelque chose (et non pas rien, quoi que cela soit) dans la Pensée.

- La connaissance de l’esprit, c’est effectivement en fait la vision de l’idée présente dans sa qualité intrinsèque, totalement indépendamment de ce qu’elle représente, ou d’un supposé accord ou non avec une chose supposée extérieure (E2D4 p.ex., TRE, etc.) Qui a une idée claire et distincte le sait immédiatement par la clarté et la distinction : la vérité est norme d’elle-même (et il n’y a aucune alternative défendable à cela.) E2P43, E2P49S, TRE, ...

Cela est effectivement lié à l’idée, et pas – directement au moins – lié à ce qu’on « entend » généralement par « conscience, » soit un substratum de l’idée…

Par contraste, l’idée inadéquate doit se caractériser par sa confusion. Mais il n’y a pas d’idée adéquate de l’idée inadéquate, donc de l’inadéquation (E2P29 consolidée par E2P35, E2P42, E4P64, …)

- Spinoza met dans les idées inadéquates toute idée relative à la sensation, y compris, sauf erreur – ce qui me choque toujours un peu –, la sensation même, prise en elle-même, sans aucune « extrapolation ».., avec E2P28 / E2P28S…) Mais peut-être est-ce alors l’ « image peinte », qui quoique perçue ne serait pas à proprement parler une idée…

- Il est évident qu’au sujet des modes finis, et évidemment surtout aux individus humains, Spinoza s’inscrit à plein dans le couple sujet-objet. On peut vouloir changer les mots – « sujet » ne signifie pas « en soi » dans ce couple, qui est d’ailleurs indissociable absolument –, mais encore faut-il effectivement en proposer d’autres, car le sens reste, et massivement. On peut rappeler, entre multiples autres exemples, déjà citée, E2P13Dm (la liaison au corps, distinct des autres corps, l’impose directement.)

Même les animaux, qui sont supposés ne pas se faire en permanence des nœuds au cerveau comme les hommes, agissent de toute évidence suivant le couple sujet-objet.

Mais de là à séparer l’objet du sujet : non ! Comme Pensée-Matière (qui est directement en rapport), c’est un couple qu’on ne peut pas dissocier. Mais un couple quand-même…

C’est certes, et sans dérogation possible, Dieu avant tout, par dessus tout, en quoi tout est, mais il reste chez Spinoza non seulement Dieu mais : Dieu, soi et les choses, que l’être de l’homme n’est pas celui de la Substance (E2P10), etc., etc.

On peut prendre « intérieur-extérieur », mots utilisés par Spinoza, et en relation la notion clairement spinozienne d’ « individu. » Le problème c’est que cela tend à gommer que le point de vue de celui qui parle et dont il est question… relève de l’intérieur dans cet aspect des choses…, ce que « sujet » laissait, lui, bien entendre per se

- A partir du moment où la sensation (idée d’affection du corps) est l’incontournable premier lieu de l’idée il n’y a idée que (ce instantanément, bien sûr) s’il y a sensation (celle ci comme déjà dit devant être étendue aux fourmillements du corps lui-même, à la mémoire et à l’imagination, et donc à toute forme de pensée discursive ; ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes secondaires...)

Que serait alors la conscience – vu comme un substratum constant de la sensation dans toute sensation, de la perception dans toute perception, … – dans ce cadre ?

J’ai beau chercher ailleurs, il n’y a rien : l’unique solution possible est donnée par la monumentale série E2P45-47, amorcée dès E2P37 (et qui précède donc E5 de beaucoup.) C’est – comme il a déjà été signalé par Henrique, je crois, il y a longtemps – le pic de l’éthique en matière d’enseignement (sur Dieu, entre l’alpha Dieu, et l’omega Dieu... :) )

LA notion commune c’est Dieu.

LA seule certitude possible, la seule chose claire et distincte c’est « Il-y-a » (quelque chose, et non pas rien, etc.) ; la seule certitude, c’est Dieu. Renversant, non ? :)

YHWH : « Je suis Il-y-a » ; « Je suis Suis »

L’affirmation commune à toutes les idées est « Il-y-a. »

Le mot suprême dans E2P47 (déjà signalé ici) est « comme étant en acte » : Dieu est l’Être, en quoi qu’il se manifeste de particulier, et alors même que de façon incontournable le particulier est vu de manière inadéquate en tant que particulier.

La conscience ne peut pas être autre chose ; il n’y a rien d’autre… Ce que nous appelons « conscience » est la perception de l’être, de ce qui s’affirme, sous quelque forme qu’il se manifeste, le « comme étant en acte »… Il n’y a aucune différence entre Conscience – de fait, apparaissant plus particulièrement en l’absence de pensée : vide plein, impersonnelle, sans référence au temps et donc éternelle, … - et l’idée de Dieu, donc Dieu. Et c’est DANS Conscience, ou Dieu, y compris "Matière", que se manifeste le ceci et le cela, etc.

Atman = brahman.

Et c’est le seul véritable « Je » : s’il y a bien un « Je, » il faut bien qu’il se manifeste par la constance qu’il sous-entend d’emblée. Et cela seul a cette constance ; tout le reste naît et passe. Le véritable « Je » est impersonnel. A = !A. :)

- Scinder Pensée et Matière, c’est scinder la perception de l’être d’avec l’être, alors qu’il n’y a qu’un : perception de l’être = révélation de l’être. Matière est une perception, une pensée. Pensée-de-Matière.

Néanmoins, le couple sujet-objet – et spécialement l’inadéquation irréductible sur une infinité de choses particulières – m’indique quand-même, me semble-t-il toujours (mais cela a quelque chose de bizarre tout en même temps) : Dieu est néanmoins plus vaste que ce que je peux concevoir… C’est bien ce que dit Spinoza à de multiples reprises, et aussi Ma Ananda Moyi, de mémoire, et Jourdain avec son « personnel… », etc.

Quelque part je vis que je suis « du Dieu » mais pas « Dieu » in extenso, alors même que « Dieu » se révèle comme « Je, » et que limité par hypothèse, je ne peux pas sortir de mes limites pour les voir…

L’essentiel est « Il-y-a » ; et il n’y a rien de plus simple que « Il-y-a. » C’est dans le détail – auquel il semble quand-même que « Je » soit spécifiquement lié de ce point de vue secondaire du « en-Dieu » – que la limite se fait clairement sentir… Mais si c’est du secondaire… :)
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Messagepar hokousai » 06 juin 2013, 00:00

dans mes réponses je m'en suis tenu à cela

Sescho a écrit :- La connaissance de l’esprit, c’est effectivement en fait la vision de l’idée présente dans sa qualité intrinsèque, totalement indépendamment de ce qu’elle représente, ou d’un supposé accord ou non avec une chose supposée extérieure (E2D4 p.ex., TRE, etc.) Qui a une idée claire et distincte le sait immédiatement par la clarté et la distinction : la vérité est norme d’elle-même (et il n’y a aucune alternative défendable à cela.) E2P43, E2P49S, TRE, ..

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Messagepar hokousai » 06 juin 2013, 00:13

J 'ai un problème voyez- vous avec les éveillés . Je ne sais pas ce qu'ils pensent. A tout le moins je ne suis pas trop certain de la ressemblance entre ce que je pense et ce qu'ils pensent.

J'ai posé un préambule dans un message à Vanleers.

Préambule
On est obligé de supposer la ressemblance des idées chez Spinoza et chez son lecteur.

Effectivement je suis obligé de supposer qu' à Spinoza la conscience faisait le même effet qu' à moi .
Si je ne présuppose pas cela je cesse toute tentative de compréhension .

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Messagepar sescho » 06 juin 2013, 12:13

hokousai a écrit :J 'ai un problème voyez- vous avec les éveillés . Je ne sais pas ce qu'ils pensent. A tout le moins je ne suis pas trop certain de la ressemblance entre ce que je pense et ce qu'ils pensent.

J'ai posé un préambule dans un message à Vanleers.

Préambule
On est obligé de supposer la ressemblance des idées chez Spinoza et chez son lecteur.

Effectivement je suis obligé de supposer qu' à Spinoza la conscience faisait le même effet qu' à moi .
Si je ne présuppose pas cela je cesse toute tentative de compréhension .

Oui, je fais pareil : si je ne le sens pas, je ne m'y lance pas. Cela a beau relever peu ou prou de l'imagination, on ne peut progresser qu'à sa propre marge...

Mais là je dirais quand-même : "c'est FORCEMENT, à la base, la même chose que pour vous, que pour moi, que pour tout le monde." Ils le disent tous : l’Éveil, quelque part, est déjà là en tout le monde sans exception. Il a toujours été là, et ne peut pas ne pas être là, tout le temps. C'est le simple du simple dans le réel, tel qu'il est (déjà.) MAIS la confusion liée à l'imagination fait prendre des vessies pour des lanternes, lesquelles masquent les lanternes pourtant toujours là. Il ne s'agit surtout pas d'acquérir mais de lâcher (des illusions.)

C'est pourquoi Franck Terreaux par exemple (j'ai mis, en lien avec ce qui précède, un extrait d'un de ses livres ici) parle pour l’Éveil de dé-survenir...

Je ne sais pas ce qui motive exactement cette réticence que vous ressentez. Il est bien clair que de partir (implicitement sinon explicitement) de l'opinion d'un "Moi modal," personnellement personnel, est un gros obstacle, de même et conjointement que de partir d'un "Dieu extérieur." Mais c'est valable tant pour Spinoza (qui dément tant le premier que le second) que pour les éveillés (si tant est que Spinoza ne soit pas à mettre tout simplement de leur nombre...)

Ramana Maharshi disait généralement : demandez-vous QUI - stable sinon il n'y a pas la moindre entité - pose la question. On peut (on doit ?) épuiser jusqu'au tréfonds toutes les possibilités qui se présentent : un nom ?, un corps ?, une mémoire ? un être en soi ? etc., etc.

Au final : il reste : rien, sauf... Sauf la conscience ("attention non attentive", dit Terreaux), qui n'est pas rien puisqu'elle est tout, mais est impersonnelle, est non formée avant d'être formée (la forme, l'être-ceci ou cela, différentié, manifeste de l'être indifférencié, mais être quand-même, immuable, vide plein, etc.) et cela n'est autre que... Dieu même, qui n'a rien d'extérieur (quel extérieur à la conscience qui révèle tout être ?) E2P47.

"Je" = Conscience = perception de l'être = perception de l'Être = Être...

(J'hésite à mettre "révélé" après Être - rapport au couple sujet-objet, secondaire...)

Pensée = conscience de Matière = Matière.

...
Modifié en dernier par sescho le 06 juin 2013, 14:57, modifié 3 fois.
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Messagepar hokousai » 06 juin 2013, 12:52

à Sescho

Je ne sais pas ce qui motive exactement cette réticence que vous ressentez.

C'est très simple. Supposons que je sois éveillé, comment le saurai -je ? Je veux dire objectivement.
Je suis incapable de savoir ce que ça fait d' être éveillé pour un autre qui m' en parle. Je ne peux comparer ( d' où la non objectivité ).

Il se peut que ce soit un état mental que je connais souvent
Pire : supposons que je soit éveillé depuis ma naissance . Comment le saurais -je ?

Je ne suis même pas certain de savoir ce que ça fait d" être conscient pour un autre.
Je présuppose que ça lui fait le même effet qu' à moi ...mais c' est un préambule.

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Messagepar sescho » 06 juin 2013, 13:56

Je dirais, pour la réponse :

C'est simple : vous êtes éveillé quand il n'y a plus rien à changer (ce qui ne veut pas dire pour autant que "vous" n'agissez pas en vue d'orienter les choses "extérieures" ; cette phrase peut être répétée à chaque fois), il n'y a rien de plus à comprendre dans le fondamental, il n'y a plus rien à faire dans le fondamental, il n'y a plus de "faiseur" pour lequel vous vous prenez dans le fondamental - il n'y a que du "déjà-là" -, il n'y a plus ni "bien" ni "mal" dans le fondamental, etc. Et tout ce qui est en second lieu - le couple sujet-objet, le couple pensée-matière, le mode, etc. - se tient dans le fondamental, comme émanation du fondamental.

Vous savez ce que "clair et distinct" veut dire absolument, et aussi ce que vous ne verrez jamais à cette hauteur, savoir tout le reste à part Dieu ("Je suis Il-y-a"). Quelle que soit "votre" existence "de mode" (qui reste infiniment diverse : il n'y a aucun "profil de sage" de ce point de vue) - avec, ce qui est inévitable dans le monde changeant, ses situation "favorables" tout comme ses situations "défavorables" ; ce qui garde un sens, tout relatif soit-il - elle est ressentie parfaite. Que quelle que soit cette existence "dans le monde" elle se déroule dans un "vide plein", un silence fait d'être : "Je" = conscience = Dieu. Etc.

Bref, cela rejoint l'eudémonisme à 100% (et rien d'autre ne peut se justifier : le Bien est forcément le bien ultime ressenti de facto) : vous êtes éveillé lorsque par où que vous preniez les choses, elles sont parfaites ; tout (ce qui est) est parfait (ce qui est équivalent à dire - non par raisonnement mais dans le même mouvement sans distinction - "Dieu est parfait.") Il n'y a rien à changer (tout en restant, je le répète, dans l'action justifiée d'elle-même au niveau relatif ; Jourdain dit même d'ailleurs même pour "Eveil", comme vous par ailleurs, que ce n'est pas un "état" mais un acte permanent ; un verbe et non un substantif.)

Le détail nous échappe, mais peu importe. De mémoire, le bouddha Shakyamuni disait (sans la moindre trace d'orgueil) : "Oui, je sais tout." "Savez-vous alors combien il y a de feuilles dans cet arbre ?" "Non, je ne connais pas le détail, mais je sais tout..." Tout est clarté et distinction, pour l'essentiel. Vous savez clairement et distinctement tout ce qu'il y a à savoir de tel.

La recherche est finie, ou plutôt la recherche s'est volatilisée devant la vérité - ressenti interne pur, comme le dit Spinoza. Reste la vie éternelle, en particulier dans sa manifestation temporelle.

Bref, "vous" êtes éveillé quand "vous" (re)connaissez pleinement, purement, Dieu, "vous" en Dieu, "vous" - et tout ce qui est - comme Dieu (Spinoza, à 1 000 reprises...)
Modifié en dernier par sescho le 06 juin 2013, 14:25, modifié 3 fois.
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Messagepar Vanleers » 06 juin 2013, 14:16

Dans le scolie de la proposition 57 de la troisième partie de l’Ethique, Spinoza écrit :

« C’est pourquoi, bien que chaque individu vive content de la nature dont il est constitué, et s’en réjouisse, cette vie néanmoins dont chacun est content, et cette réjouissance ne sont rien d’autre que l’idée ou l’âme de cet individu, et partant la réjouissance de l’un s’éloigne de la réjouissance de l’autre autant que l’essence de l’un diffère de l’essence de l’autre. »

Pascal Sévérac (Spinoza Union et Désunion – Vrin 2011 p. 115) commente :

« Le terme qu’utilise Spinoza pour nommer cette réjouissance est gaudium : il désigne un contentement, une jouissance intime, une satisfaction intérieure. Ce gaudium n’a donc rien à voir avec du narcissisme : il relève de l’idée que je suis, non de l’idée que j’ai de moi-même. Il est non pas une représentation qu’a l’individu de lui-même, mais « l’âme » même de cet individu, entendue comme le sentiment de la vie en soi. C’est pourquoi ce sentiment n’est pas à proprement parler une joie, au sens d’une augmentation de la puissance d’agir, mais une réjouissance, au sens d’une jouissance de sa propre puissance : n’est pas senti un accroissement de perfection (une joie), mais la perfection même qui nous constitue (un gaudium). »

Dire que la réjouissance (gaudium) est notre âme ou, comme l’écrit aussi Sévérac, qu’il y a identité entre nature individuelle et jouissance d’être, amène à voir les questions du « sujet » et de la « conscience » de l’être humain sous un angle différent en disant que ce gaudium est le « fond » (hupokeimenon) de notre être et qu’il s’agit d’un « se réjouir » réflexif (conscient).

En E V 35, Spinoza démontre que « Dieu s’aime lui-même d’un Amour intellectuel infini »
Il écrit, dans la démonstration, que « la nature de Dieu se réjouit d’une infinie perfection » (Dei natura gaudet infinita perfectione – traduction Misrahi)

Dans le scolie d’E V 36, Spinoza écrit :
« que cet Amour se rapporte à Dieu ou à l’Esprit, c’est à bon droit qu’on peut l’appeler Satisfaction de l’âme (animi acquiescentia) »

La joie dont il est question à la fin de l’Ethique est désignée par le triplet gaudium – acquiescentia – beatitudo.

Nous avions compris, en lisant la partie I de l’Ethique, qu’un être humain était un mode de la Substance. A la fin de la partie V, nous comprenons qu’il est une expression particulière, une manière de Gaudium (un autre nom de Dieu).


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