Phobie sociale, autisme...et Spinoza

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 29 juil. 2007, 14:09

Miam a écrit :Soit Dieu a la même idée inadéquate que moi, quand bien même elle serait "composée" (????) avec d'autres, soit il ne l'a pas. Vous ne voyez pas où est l'incohérence?


Bon, voici donc où se trouverait selon vous l'incohérence, si je l'ai bien compris:
- soit Dieu a exactement la même idée inadéquate que moi, mais alors, vu qu'en lui toute idée est vraie, cette même idée inadéquate doit être néanmoins vraie en Dieu. Et donc il existe des idées vraies et inadéquates, au moins en Dieu. C'est votre point de vue, si je l'ai bien compris.
- soit Dieu n'a pas exactement la même idée inadéquate que moi, mais alors on ne peut pas dire que cette même idée en lui est inadéquate, puisqu'il n'a même pas cette idée, tout court. Autrement dit: l'inverse de votre point de vue est absurde.

Alors comme vous constatez que je ne suis pas d'accord avec votre conclusion (car je dis qu'il n'y a pas d'idées vraies et inadéquates), vous supposez que je me situe dans la deuxième partie de l'alternative, celle qui est absurde.

Mais c'est là que vous vous trompez (ou que je me suis mal exprimée, peu importe). Les deux alternatives ci-dessus contiennent un seul et même présupposé: Dieu PEUT avoir des idées inadéquates. Et c'est LÀ qu'on n'est pas d'accord, pour l'instant. Votre présupposé, c'est que Dieu peut avoir des idées inadéquates, mon présupposé, c'est que Dieu ne peut PAS avoir des idées inadéquates.

A partir de ce moment-là, on voit que l'idée que je défends n'est pas celle qui coïncide avec la deuxième partie de votre alternative. C'est l'alternative en tant que telle qui a mon sens n'est pas valide, car elle repose sur un présupposé auquel pour l'instant je ne crois pas. Et alors il s'agit d'essayer de tester/fonder ensemble les deux présupposés différents, le vôtre (Dieu peut avoir des idées inadéquates) et le mien (il ne peut pas en avoir). But de l'opération: très simple, juste mieux comprendre Spinoza.

Dans ce cas, pour d'abord essayer de mieux comprendre en quoi consistent ces présupposés, la première question à se poser est à mon sens la suivante: que voulons-nous dire par 'avoir des idées inadéquates'?

Voici ce que cela signifie pour ma part. J'ai l'impression que chez Spinoza Dieu n'a PAS d'idées inadéquates. AUCUNE. Pourquoi? Une idée inadéquate est une idée mutilée. Or seuls les modes peuvent avoir des idées mutilées. Dieu pas, puisque par définition, il com-prend tout. Il faut un point de vue local pour pouvoir arriver à une idée mutilée. Dieu n'a qu'un point de vue d'ensemble. Vous pourriez objecter qu'il est immanent, et donc qu'il n'a pas un point de vue SUR cet ensemble. C'est vrai, bien sûr, mais cela n'empêche qu'en lui, une idée ne peut être partielle, vu qu'immédiatement, elle est complétée par ce qu'il faut pour lui restituer son unité réelle. L'idée complète, ce n'est pas cette même idée mutilée qui s'est transformée. C'est une nouvelle idée, qui a l'idée inadéquate et les idées qui la complètent comme objet. On pourrait donc dire que les idées inadéquates sont des OBJETS de l'entendement divin, mais cet entendement lui-même n'est constitué que par des idées adéquates. Que Dieu a une idée de tout signifie que toute chose et toutes les idées sont les objets de son entendement. Dieu 'a' des idées adéquates au sens où celles-ci forment son entendement. Mais Dieu 'a' des idées inadéquates seulement dans la mesure où celles-ci sont des objets de son entendement, donc objet d'idées adéquates.

Pour le dire encore autrement: avoir une idée inadéquate (non pas comme objet mais dans son Esprit), c'est pâtir. Dieu ne pâtit pas, il ne peut qu'agir. Il ne peut donc avoir des idées inadéquates. Puis une partie des idées inadéquates sont des imaginations. Dieu a-t-il la capacité d'imaginer? Non, imaginer est une faculté purement modale.

Inversement, quelles seraient pour vous les raisons qui permettent de supposer que Dieu est capable d'avoir une ideé inadéquate (donc pas en tant qu'objet de ses idées, mais en tant qu'une de ses idées à lui)? Et qu'est-ce qui vous semble éventuellement être peu spinoziste dans ce que je viens d'écrire?

Pour le reste de votre message: je vois qu'entre-temps Flumigel a ci-dessous déjà résumé l'essentiel de ce qu'on peut en dire, donc je viens de modifier ce message-ci pour essayer de mieux expliciter mon idée cc le sujet en discussion tout en laissant tomber mes autres remarques. Je tenais juste encore à rectifier ceci: dans les pages précédentes de ce fil de discussion et dans celui sur les paresseux, en ce qui concerne l'hermitage je défends systématiquement la même idée que vous, c'est-à-dire que chez Spinoza, le sage ne peut être un solitaire. Si vous croyez que je pensais l'inverse, il s'agit simplement d'une erreur.
louisa
Modifié en dernier par Louisa le 29 juil. 2007, 17:03, modifié 4 fois.

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Joie Naturelle
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Messagepar Joie Naturelle » 29 juil. 2007, 14:15

Miam a écrit :Vous vous lisez écrire comme d'autres s'écoutent parler, de sorte à sortir d'immenses tartines indigestes sans même lire le contenu des textes des autres, sans quoi je ne devrait pas me répéter. Soit Dieu a la même idée inadéquate que moi, quand bien même elle serait "composée" (????) avec d'autres, soit il ne l'a pas. Vous ne voyez pas où est l'incohérence? Tant pis pour vous.
Les idées composées, ce n'est pas du Spinoza mais du Descartes. Rabattre Spinoza sur Descartes (pour d'autres sur la scolastique), voilà une bonne façon de le désamorcer.

Spinoza en sage dans sa maison de campagne ? D'où tirez vous cela ? Spinoza n'est pas Heidegger. Il est mort jeune et a travaillait de ses mains. Votre idéal du sage philosophe isolé du monde dans son pré carré est d'une naïveté à faire plier de rire ! Non seulement vous n'avez pas lu Spinoza mais de plus vous ne connaissez pas sa biographie.

Votre rapport à la philo n'est rien d'autre que snobisme et remplissage d'une vie oisive. Vous usez de la philosophie comme d'une parure, je l'emploie comme une arme. Nous n'avons pas les mêmes valeurs. Aussi bien : allez au diable. Auprès de lui, peut-être vous aurez quelque chance de rattrapper la vie que vous n'avez pas vécue.


Franchement, Miam... Vous supportez à ce point si peu la contradiction ? Votre grossièreté et votre agressivité, envers une personne qui s'efforce simplement de réfléchir (et Dieu sait que ce n'est pas toujours simple), n'apportent pas davantage de crédibilité à vos propos, bien au contraire. Pensez-vous que c'est ainsi qu'on parvient à convaincre les autres, en se mettant à parler fort, à montrer les dents, ou à mépriser publiquement son interlocuteur ?

Je vous dis ce que j'en pense. Maintenant, vous pouvez m'agresser, me mépriser ou m'insulter moi aussi si bon vous semble. Il n'y a rien de plus facile, à vrai dire...

Enegoid
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Messagepar Enegoid » 29 juil. 2007, 16:43

1. Pour étudier les idées adéquates, je peux partir de leur définition. Celle que propose Spinoza donne une liste de propriétés : ce sont les mêmes que celle de l’idée vraie.
Il y a un débat logique : la phrase « une idée adéquate a telles propriétés » suppose-t-elle que la phrase « une idée qui a telles propriétés est une idée adéquate » soit vraie. Je réponds oui, sauf si la définition n’est pas parfaite, cad si elle ne touche pas l’essence.
Pour me faire comprendre : si je définis l’homme comme un animal à deux pieds sans plumes, est-ce que tout animal à deux pieds sans plume est un homme ? Quand on pense aux singes on réponds non, il y a des animaux à deux pieds sans plumes qui ne sont pas des hommes, mais on se dit aussi que la définition n’est pas bonne.
Donc ou bien la définition spinoziste est bonne et touche à l’essence, et alors il n’y pas d’idées vraies inadéquates, ou bien la définition spinoziste est imparfaite. Au choix.


2. Je peux aussi étudier les idées adéquates à partir de leurs conditions d’existence : conditions liées à la distinction entre nos idées considérées comme celles de Dieu en tant qu ‘il constitue la nature de l’esprit humain et les idées de Dieu en tant qu’il est infini et possède l’idée d’autres choses.
Je crois comprendre ce que veut dire Spinoza, mais il y a aussi des difficultés : si nos idées sont des idées des affections du corps et seulement cela, alors il ne nous est pas possible d’avoir une seule idée adéquate. Par contre je peux avoir des idées vraies. Ainsi je peux avoir l’idée d’un cheval ailé, et avoir l’idée que j’ai une idée d’un cheval ailé, deux idées vraies, mais inadéquates, non pas parce que le cheval ailé n’existe pas mais parce que l’idée du cheval ailé est causée par des affections de mon corps dont je n’ai pas l’idée adéquate.
Aucune idée vraie ne serait adéquate !


3. Mais heureusement, il y a les fameuses choses qui sont dans la partie et dans le tout de tous les corps, qui « gomment » en quelque sorte la distinction entre les idées qui sont en Dieu infini et celles qui sont en Dieu affecté du corps humain, et qui sont à la source des notions communes. Mais Il y a là aussi quelques difficultés…


4. Les paragraphes ci-dessus montrent que je trouve la question des idées adéquates très obscure. Beaucoup de choses m’échappent. Et je trouve remarquable que certains esprits comme celui de Miam en aient forgé une conception aussi certaine, (mais pas si claire, tant que les contradictions logiques ne seront pas levées ou expliquées, donc encore présumée inadéquate).


5. Enfin, Miam, je ne crois pas que vous arriverez sur ce forum à régler vos comptes avec l’Institution Universitaire. Mais, ok, ça fait du bien de se lâcher…de temps en temps.

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Faun
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Messagepar Faun » 29 juil. 2007, 22:39

Louisa a écrit : Je tenais juste encore à rectifier ceci: dans les pages précédentes de ce fil de discussion et dans celui sur les paresseux, en ce qui concerne l'hermitage je défends systématiquement la même idée que vous, c'est-à-dire que chez Spinoza, le sage ne peut être un solitaire.


Saviez vous qu'on trouve dans la bibliothèque de Spinoza "la vie solitaire" d'un certain Pétrarque ? Sa lecture est délicieuse, et pour ce qui est du modèle de vie qu'il propose, il est trés proche de celui de Spinoza.
Même affirmation de la nécessité de l'amitié philosophique et de la fuite devant l'agitation vaine des cités, même dénonciation des vices qui assaillent les riches et tous ceux qui recherchent les honneurs, même amour de la nature puissante et de la culture savante, etc. etc.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 30 juil. 2007, 16:28

Faun a écrit :Même affirmation de la nécessité de l'amitié philosophique et de la fuite devant l'agitation vaine des cités, même dénonciation des vices qui assaillent les riches et tous ceux qui recherchent les honneurs, même amour de la nature puissante et de la culture savante, etc. etc.


Mais comment croire qu'il y ait chez Spinoza une "affirmation de la fuite devant l'agitation vaine des cités", quand l'E4P73 dit littéralement l'inverse ... :? ?

"L'homme que mène la raison est plus libre dans la cité, où il vit selon le decret commun, que dans la solitude, où il n'obéit qu'à lui-même."

Ne faut-il pas en conclure exactement l'inverse de ce que vous écrivez, c'est-à-dire que seul l'homme qui ne vit PAS sous la conduite de la raison, va fuire la cité? Que fuir la cité (j'y ajouterais pour Miam: et les universités), c'est l'inverse d'un comportement 'raisonnable'? Autrement dit:

L'arme qu'a créée Spinoza, n'est-ce pas une arme qui est censée nous rendre capables de vivre (Joyeusement!) PARMI les hommes, de nous débarrasser de toute Haine et de les aider à comprendre davantage, au lieu de nous apprendre à les mépriser et à les fuir?
(question posée à Faun ET à Miam)?


Car pour la "dénonciation des vices" dont vous parlez: idem. Je crois que Spinoza dit littéralement l'inverse, c'est-à-dire qu'il ne faut surtout PAS s'occuper à dénoncer les vices, que dénoncer des vices, c'est pénible et pour les autres, ET pour soi-même. Et les deux thèmes sont intrinsèquement liés, comme le montre l'E4Ch.13:

"Et donc, pour supporter chacun avec son tempérament et se retenir d'imiter leurs affects (problème qui se pose bien sûr quand on vit en ville), il faut une singulière puissance d'âme (c'est déjà ce qu'il dit dans la citation ci-dessus: c'est seulement l'homme qui vit sous la conduite de la raison qui a assez de puissance pour vivre en ville). Et ceux qui, aux contraire, s'entendent à critiquer les hommes, à réprouver les vices plutôt qu'enseigner les vertus, et, au lieu d'affermir les âmes d'hommes, à les briser, ceux-là sont pénibles à soi et aux autres"

Conclusion (que j'ai déjà écrite ici plusieurs fois, et où je ne vois toujours pas quel est votre argument pour prétendre que Spinoza dit l'inverse):

"et c'est pourquoi beaucoup, l'âme trop impatiente, et dans un faux zèle de religion, préfèrent vivre parmi les bêtes plutôt que parmi les hommes."

Comment, quand un philosophe écrit ceci, croire qu'il serait "proche" de quelqu'un qui prône une 'vie solitaire' .... ??? A mon avis, si Pétrarque opte pour la vie solitaire, aux yeux de Spinoza il ne peut être rien d'autre qu'un impatient, ayant une âme peu puissante et vivant peu sous la conduite de la raison, bref un 'passif', non? Sinon comment arriver à la conclusion inverse, telle que vous le faites, tout en respectant ces citations de Spinoza ci-dessus?
Cordialement,
louisa
Modifié en dernier par Louisa le 31 juil. 2007, 00:44, modifié 1 fois.

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Ulis
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Messagepar Ulis » 30 juil. 2007, 17:41

Un rappel à Louisa
"Seuls les hommes libres sont très reconnaissants les uns à l'égard des autres" P: LXXI- EIV.
Le sage ne recherche que la compagnie des sages. Il fuit le vulgaire.
ulis

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Louisa
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Messagepar Louisa » 30 juil. 2007, 18:08

Ulis a écrit :"Seuls les hommes libres sont très reconnaissants les uns à l'égard des autres" P: LXXI- EIV.
Le sage ne recherche que la compagnie des sages. Il fuit le vulgaire.


serait-il possible de démontrer comment arriver à votre conclusion à partir de la citation de Spinoza?

D'accord, le sage est reconnaissant, surtout vis-à-vis d'un autre sage. En quoi cela impliquerait-il qu'il devrait fuir le vulgaire au lieu de l'instruire et de "oeuvrer à ce que beaucoup d'autres entendent la même chose que ce que j'entends, afin que leur entendement, et désir aillent au plus loin dans leur accord avec mon entendement et désir." (TIE)

Comment les sages vont-ils faire pour que BEAUCOUP d'autres comprennent autant qu'eux-mêmes, s'ils s'enferment entre eux ... ?

Voici ce que conseille Spinoza par rapport à ce vulgaire dans le TIE, B17:
"Car ce n'est pas peu de profit que nous pouvons acquérir de lui, sous condition que nous fassions des concessions à ce qui le séduit, autant que faire se peut; ajoute que d'une telle manière ils tendront des oreilles amicales pour écouter la vérité."

Les sages vont-ils créer ces 'oreilles amicales' chez le vulgaire, quand ils s'en fuient tous ensemble dans leur tour d'ivoire ... ? Le vulgaire va-t-il pouvoir écouter la vérité, si les sages la gardent joyeusement pour eux et laissent le vulgaire souffrir dans sa misère?

Le sage ne se distingue-t-il pas du vulgaire par sa Générosité? Donc par sa capacité de se lier d'amitié avec tous? Comment va-t-il exercer cette Générosité, s'il n'aime que le petit nombre de sages qui se promènent dans le monde, et s'il maintient sa Haine pour le vulgaire?
louisa
Modifié en dernier par Louisa le 31 juil. 2007, 01:24, modifié 1 fois.

Servais
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Messagepar Servais » 30 juil. 2007, 19:13

J'incline à être d'accord avec Louisa. Mais j'ai retrouvé cette lettre de Spinoza - retranscrite par Fabrice dans un message de l'année dernière -, où il décline la proposition d'une chaire par l'Electeur palatin. Là, il semble adopter pour lui-même une attitude de retrait afin de préserver sa liberté, sa tranquillité. Il y déclare expressément vivre dans la solitude.
Est-ce que poursuivre la même béatitude que Spinoza implique nécessairement d'adopter les mêmes modes de vie que lui? Certains métiers, certains modes de vie dans la société sont-ils incompatibles avec la pratique de la sagesse spinoziste? En exclut-il les hommes investis de responsabilités ou de hautes fonctions? Un militaire spinoziste, est-ce concevable?

À MONSIEUR LOUIS FABRICIUS,
PROFESSEUR À L’ACADÉMIE D’HEIDELBERG ET CONSEILLER DE L’ÉLECTEUR PALATIN,
B. DE SPINOZA.


Si j’avais désiré jamais entrer dans l’enseignement des facultés, il m’eût été impossible de ne pas préférer à toute autre position celle que veut bien m’offrir par votre intermédiaire le sérénissime électeur palatin, surtout quand je songe à la liberté de philosopher que ce très-excellent prince eût daigné m’accorder. Et je ne parle point ici du désir que j’éprouve depuis longtemps de vivre sous le gouvernement d’un prince dont la sagesse fait l’objet de l’admiration universelle ; mais n’ayant jamais eu dessein d’enseigner en public, je ne puis consentir à profiter de l’occasion si honorable qui m’est offerte, bien que j’aie longtemps hésité, je l’avoue, à prendre ce parti. Mon premier motif, c’est que les soins que je donnerais à l’instruction de la jeunesse m’empêcheraient d’avancer moi-même en philosophie. Je considère, en second lieu, que j’ignore en quelles limites il faudrait enfermer cette liberté de philosopher qu’on veut bien me donner sous la condition que je ne troublerai pas la religion établie ; car la cause des schismes, ce n’est pas tant l’ardeur du zèle religieux que la diversité des passions humaines et cet esprit de contradiction qui fait condamner et envenimer les choses les plus innocentes. Or comme j’ai déjà fait l’épreuve de ces travers des hommes, moi simple particulier, qui vis dans la solitude, il est hors de doute que j’aurais à les redouter bien plus encore, si je m’élevais à une si grande dignité. Vous voyez, Monsieur, que ce n’est point l’espoir d’un sort plus brillant qui détermine mon refus, mais l’amour de la tranquillité, ce bien précieux dont je ne crois pouvoir me flatter de jouir qu’à condition de renoncer à toute espèce de leçons publiques. Je vous demande donc avec instance de prier le sérénissime électeur qu’il me laisse du temps pour délibérer encore ; veuillez aussi me maintenir dans les bonnes grâces de ce très-excellent prince, et vous redoublerez ainsi les sentiments de gratitude de celui qui se dit,
Monsieur,
Votre tout dévoué.

B. D. S.


La Haye, 30 mars 1673.

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Faun
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Messagepar Faun » 30 juil. 2007, 21:27

Louisa a écrit :Le sage ne se distingue-t-il pas du vulgaire par sa Générosité? Donc par sa capacité de se lier d'amitié avec tous? Comment va-t-il exercer cette Générosité, s'il n'aime que le petit nombre de sages qui se promènent dans le monde, et s'il maintient sa Haine pour le vulgaire?


C'est précisément pour conserver sa joie et son amour que le philosophe évite la foule, non par haine de l'humanité ni de la vie. La haine, le racisme, l'homophobie, etc. ne sont pas le fait des sages, qui aiment Dieu, mais bien de cette foule ignorante, malade des affects contagieux qui se répandent en elle et par elle.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 30 juil. 2007, 21:46

Servais a écrit :J'incline à être d'accord avec Louisa. Mais j'ai retrouvé cette lettre de Spinoza - retranscrite par Fabrice dans un message de l'année dernière -, où il décline la proposition d'une chaire par l'Electeur palatin. Là, il semble adopter pour lui-même une attitude de retrait afin de préserver sa liberté, sa tranquillité. Il y déclare expressément vivre dans la solitude.
Est-ce que poursuivre la même béatitude que Spinoza implique nécessairement d'adopter les mêmes modes de vie que lui? Certains métiers, certains modes de vie dans la société sont-ils incompatibles avec la pratique de la sagesse spinoziste? En exclut-il les hommes investis de responsabilités ou de hautes fonctions? Un militaire spinoziste, est-ce concevable?


ce sont des questions intéressantes en effet. Quelques premières 'associations', qui valent ce qu'elles valent:

Peut-on déduire quelque chose de la vie qu'un philosophe a mené concrètement, dans le but de mieux comprendre sa philosophie? Sa vie personnelle ajoute-t-elle quelque chose à la 'théorie'? Ou peut-elle constituer une réfutation de certaines de ses propositions néanmoins démontrée more geometrico? Sa vie personnelle oblige-t-elle à comprendre sa philosophie autrement? Ou est-ce que la philosophie doit être recherchée uniquement dans les livres qu'écrivent les philosophes?

J'avoue être plutôt réticente à faire des liens entre les deux. La question des 'intentions' de Spinoza me semble être difficile à répondre, et on ne saura jamais s'il se comptait lui-même parmi les sages ou non. Il prétendait seulement avoir trouvé un chemin qui y mène, et qui peut être 'communiqué à tous'. Spinoza lui-même aurait-il voulu que l'on essaie de comprendre sa philosophie (donc l'esquisse de ce chemin) à la lumière de sa vie personnelle? J'en doute. Est-ce que sa philosophie n'est pas avant tout une tentative de créer un tout nouveau concept de liberté? Si oui, en quoi sa vie personnelle pourrait-elle être considérée comme une 'composante' de ce concept?

L'intérêt de cette lettre pourrait peut-être résider dans le fait d'obliger à spécifier ce qu'on veut dire par 'vie solitaire'. En effet, il y a certains métiers qui demandent beaucoup de temps qu'il faut passer seul, sans d'autres hommes à côté de soi. La philosophie est un de ces métiers, l'art sans doute aussi (un pianiste ne fait pas ses gammes en pleine salle de concert), tandis que forcément, être chauffeur de camion implique une grande solitude.

Mais est-ce la même chose qu'une solitude qui consiste à fuir la ville et les ignorants, voir à les mépriser? Je crois que non, en fait. Comme Spinoza le dit dans cette lettre: si quelqu'un croit pouvoir créer une toute nouvelle philosophie, alors il a simplement besoin de TEMPS. Et il se fait qu'écrire un livre, cela marche mieux en le faisant seul (souvent). Comment Spinoza aurait-il pu décliner cette offre sur base d'une Haine ou un Mépris pour l'université en tant que telle, lui qui justement voulait inventer une philosophie qui ne combat qu'un seul ennemi: la Haine et les passions tristes, dans toutes leurs formes et variations (Mépris et autres)?

Si au contraire il ne fait que répéter que cela fait partie de sa béatitude de s'efforcer sans cesse à ce que beaucoup l'acquièrent avec lui, j'ai tendance à croire que chacun doit aider un maximum d'autres, mais cela avant tout en fonction de ses propres capacités. Il se fait que les capacités de Spinoza, c'était de pouvoir inventer une grande et nouvelle philosophie. Alors en écrivant l'Ethique, il a légué un 'produit' à la postérité qui effectivement ne peut qu'aider un tas de gens, gens souvent assez ignorants avant de lire l'Ethique, bien sûr.

Mais nous, simples lecteurs de Spinoza, suffit-il de nous retirer entre semblables pour déjà offrir autant à l'humanité ce que Spinoza a fait? Il est clair que non. LIRE l'Ethique toute sa vie, loin du 'vulgaire', c'est tout autre chose que d'ECRIRE l'Ethique. On peut tout aussi bien lire l'Ethique dans un appartement parisien ou dans un gratte-ciel newyorkais que partout ailleurs. Ici, je ne vois pas quelle pourrait être 'l'excuse', pour ainsi dire, de s'isoler autant. Et surtout, je ne vois pas en quoi on aide les autres en faisant cela. On s'aide peut-être déjà un peu soi-même, ça oui, quand on est très impuissant et qu'on n'a pas encore trop appris à 'supporter les offenses d'une âme égale'. Et pour ceux qui ont une toute petite puissance d'âme, c'est même peut-être déjà beaucoup, en tant que 'cadeau' à l'humanité. Mais cela pourrait-il être l'idéal de vie prôné par Spinoza? Je ne vois pas comment cela pourrait être possible. C'est seulement parce que celui qui a un degré de puissance très petit, et qui donc pâtit constamment, donc ne peut que sentir beaucoup de Haine envers soi et les autres, s'isole des autres et ainsi ne les embête plus qu'on pourrait dire que cette isolation peut avoir un avantage pour l'humanité.

Puis Spinoza ne vivait pas avec une 'secte' de spinozistes, il vivait précisément parmi 'des vulgaires'. Cela ne lui semble avoir posé aucun problème (discutant par ailleurs constamment avec des gens qui ne peuvent pas toujours être appelé 'sage spinoziste' non plus). Et si l'on s'imagine qu'il faut bien une singulière 'puissance d'âme' pour pouvoir inventer et écrire l'Ethique, on ne peut qu'y trouver une 'preuve' du fait qu'il est tout à fait possible de NE PAS vivre parmi des sages, et de faire néanmoins preuve de sagesse soi-même.

Enfin Spinoza vit à l'époque des guerres de religion. C'était donc bel et bien mortellement dangereux d'aller exposer certaines opinions sur la place publique, surtout quand on avait sa propre petite idée sur la notion de Dieu, notion pour laquelle des centaines de milliers d'hommes ont trouvé la mort. Qu'alors on croit qu'on va mieux pouvoir aider l'humanité en écrivant l'Ethique qu'en exposant ses idées, totalement inacceptables à l'époque, dans une des plus grandes universités, cela ne me semble qu'être du simple bon sens, je ne vois pas ce qu'il faudrait en tirer comme conséquence par rapport à la théorie spinoziste en tant que telle. En revanche, on peut difficilement dire qu'aujourd'hui, défendre sa propre interprétation de la philosophie spinoziste signifie risquer sa vie. On peut changer de religion autant que l'on veut, il n'y a plus aucun risque de rencontrer à cause de cela un fou dans la rue qui sort un couteau. Aussi longtemps qu'on ne commence pas à insulter les musulmans, on peut même aujourd'hui publier n'importe quel livre de philosophie durant sa vie sans courir d'autre risque que de passer inaperçu. Chose totalement inconcevable à l'époque de Spinoza.

Donc non, de premier abord je ne crois pas que l'on doit 'imiter' la vie de Spinoza pour atteindre la béatitude. Si c'était si simple que cela, lire sa biographie suffirait, il n'aurait pas dû écrire l'Ethique (ou inversement: si c'était si simple que ça, il faudrait non seulement se retirer AVEC l'Ethique, mais se retirer en laissant après sa mort un livre qui vaut autant que l'Ethique). Si donc dans l'Ethique il écrit que le sage ne fuit pas la cité, à mon sens, c'est bien cela qu'il voulait faire passer comme message concernant le chemin qui mène à la béatitude. Et même si sa vie avait semblé être à l'opposé de tout ce qu'il a démontré more geometrico, cela ne réfuterait en rien cette théorie en tant que telle. On ne peut réfuter une philosophie ou une interprétation de cette philosophie qu'en se basant sur le texte.

Existe-t-il un militaire spinoziste? Si je me souviens bien, le TP montre en tout cas que Spinoza n'est pas contre l'armée, au contraire. Et qu'il le trouve très important qu'il y a un service militaire obligatoire. La puissance de l'homme étant nulle sans un Etat puissant pour le protéger, surtout aussi contre des attaques d'autres Etats, à première vue (mais ce n'est qu'une impression), je ne peux pas m'imaginer qu'il serait contre les militaires. Mais un militaire peut-il atteindre la béatitude? Pas d'idée .... .
louisa
Modifié en dernier par Louisa le 31 juil. 2007, 01:22, modifié 1 fois.


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