Phobie sociale, autisme...et Spinoza

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 30 août 2007, 11:59

Flumigel a écrit :Louisa a écrit:

à mon sens, chez Spinoza on n'a pas le choix: on veut tous devenir plus heureux, c'est-à-dire plus puissants, c'est-à-dire plus sages ... . On peut l'appeler une obsession, si tu veux, mais c'est une obsession à laquelle nous sommes condamnés 'éternellement'.
La raison définit notre nature même. Faire dépendre davantage de nos actes de notre raison n'épuise pas notre énergie, au contraire, c'est précisément ce qui fait AUGMENTER le degré de notre puissance ... .

Flumigel:
Pourquoi dis-tu qu'on veut tous devenir plus sages ? Qu'est-ce qu'un sage pour toi ? N'est-ce pas une personne qui "choisit" d'être conduite par la raison, plutôt que par ses passions ? Pourquoi tout le monde aspirerait-il à devenir plus sage ? N'y a-t-il pas des êtres qui trouvent un malin plaisir à ne pas l'être ?


d'abord je crains ne pas avoir déjà développé une philosophie à moi. Pour l'instant, je ne fais qu'étudier la philosophie, pour voir COMMENT philosopher, comment construire une théorie qui dépasse la simple 'opinion' (et comme il n'y en a que quelques-uns par siècle qui arrivent à inventer une toute nouvelle philosophie, la chance est petite que je sois parmi eux ... :) ).
Je ne prétends donc pas du tout avoir ma propre théorie de la sagesse. Et je ne pourrais donc pas te dire ce que MOI je crois être un sage. Je constate seulement que d'une part chaque culture a ses sages (des gens fort différents selon la culture), et d'autre part que certains philosophes ont une théorie du bonheur et de la connaissence, théorie de laquelle découle également une idée très précise de ce que c'est qu'être sage. C'est le cas chez Spinoza.

Comme donc je parlais de Spinoza ci-dessus, si je crois que selon lui tous veulent devenir sage, c'est dans la mesure où tous s'efforcent à conserver leur être, et pour cela recherchent activement ce qu'ils croyent leur être utile. Or la connaissance de Dieu est le suprême bien, c'est-à-dire ce qui est le plus utile de tout. Et comme il est de la nature de l'Esprit de vouloir comprendre, tous aspirent à la compréhension. Seulement, on ne peut y aspirer qu'avec la puissance de penser qui définit à un moment x notre essence. Si celle-ci n'est pas très grande, la volonté de devenir sage ne sera pas très grande non plus. On est alors condamné à rester encore longtemps assez ignorants. Et c'est bien quelque chose de l'ordre de la condamnation, puisque pour Spinoza, notre impuissance n'est PAS ce qui nous définit, c'est ce qui est causée par des causes extérieures à nous.
En ce sens, justement, on n'a PAS le 'choix': on n'aspire à la sagesse que dans la mesure où des causes extérieures ne sont pas en train de nous détruire. Autrement dit, on ne peut PAS du tout choisir, chez Spinoza, entre se laisser conduire par la raison ou se laisser conduire par ses passions. Les passions nous conduisent, tandis que si nous agissons selon le commandement de la raison, alors nous nous conduisons nous-même. Au lieu d'un choix, on n'a donc que deux situations possibles: ou bien une cause extérieure détermine notre comportement, et alors nous pâtissons. Ou bien nous ne sommes pas déterminé par une cause extérieure, nous sommes déterminés par notre seule nature, et dans ce cas c'est la raison qui détermine notre comportement. Bref, agir selon la raison ou non ne dépend PAS d'un choix, cela ne dépend pas de nous! Ce n'est que QUAND il se fait que nous agissons selon la raison, que ces actes dépendent de nous.
Quant aux plaisirs qui ne sont pas liés au devenir sage: Spinoza les reconnaît, et leur donne un nom spécifique: il s'agit de 'Joies passives'. Ce sont donc de réelles augmentations de notre puissance de penser et d'agir, mais qui dépendent d'une cause extérieure. Mais il ne parle pas de 'malin plaisir à ne pas être sage', car justement, tout comme dans le cas de la sagesse, ce type de plaisir augmente déjà réellement notre puissance de penser et donc de comprendre. Le seul désavantage, c'est que, dépendant en partie d'une cause extérieure, on peut très vite perdre ces plaisirs et donc ces puissances. Le sage ne se définit pas par celui qui s'opposerait aux plaisirs, il se définit par la CONSTANCE de ses Joies, constance due au fait que ses Joies et plaisirs dépendent de lui seul, et ne sont plus soumises aux variations des causes extérieures.
Enfin, je n'ai pas l'impression que je l'explique très clairement ... . Il y a en tout cas des gens sur ce forum qui pourraient mieux le formuler.

L'essentiel, je crois, c'est qu'il faut oublier l'idée de choix, chez Spinoza. Penser qu'on a le choix, c'est prendre son ignorance de ce qui va se produire dans le futur et son ignorance de ce qui nous détermine pour une absence de causes et de détermination. La liberté humaine ne se définit donc pas non plus par le 'fait' d'avoir le choix. Elle consiste en un type d'actes très spécifiques, actes que nous posons lorsque nous comprenons quelque chose. Cela oblige à changer un tas de nos façons habituelles d'interpréter le comportement humain.

Flumigel a écrit :D'accord pour dire qu'on augmente notre degré de puissance en faisant dépendre nos actes de notre raison.


donc pour Spinoza c'est l'inverse: c'est QUAND il se fait qu'un acte dépend de notre raison seul, que nous sommes actifs, que ce sont nous et seulement nous qui 'faisons' quelque chose. Et quand un acte dépend de nous ET d'une cause extérieure, alors nous sommes passifs.
Or dans les deux cas, notre degré de puissance peut augmenter: pour cela, il faut seulement ressentir de la Joie. Et la Joie peut être active ou passive.

Flumigel a écrit : Mais en même temps, pourquoi le fait de faire systématiquement dépendre nos actes de notre raison ne pourrait-il pas nous épuiser, lorsqu'on est naturellement peu enclin à suivre sa raison ?


mais qu'est-ce qui te fait croire que nous sommes 'naturellement' peu enclin à agir selon la raison?
Pour Spinoza, ce n'est qu'aussi longtemps que nous sommes déterminés par AUTRE chose que notre nature seul, que nous pâtissons. Impossible donc d'épuiser notre essence, puisque notre essence est essentiellement PUISSANCE. Et non pas une puissance virtuelle, qui pourrait se réaliser ou non: notre essence est toujours ACTUELLE, en acte. Nous sommes donc par nature actif. C'est un effort, mais justement, nous n'avons PAS le choix, nous SOMMES cet effort. Ce n'est pas que nous sommes d'abord autre chose (quoi, d'ailleurs?), et puis y ajoutons un effort. Nous ne sommes rien d'autre que cet effort.
Si donc nous sommes 'naturellement' peu enclin à agir selon la raison, chez Spinoza cela ne peut vouloir dire qu'une seule chose: la Nature entière (le monde) détermine beaucoup plus fréquemment nos actes que notre nature seule. C'est pourquoi très souvent, notre degré de puissance est trop faible, comparé aux degrés de puissances des choses naturelles qui nous entourent, pour pouvoir déterminer seul nos actes. Et donc le plus souvent, nous pâtissons, c'est-à-dire nous ne sommes pas suffisamment puissant pour faire dépendre nos actes de nous seuls. C'est bien la Nature, qui s'en fout de nos Joies actives, qui fait que très souvent, notre raison ne peut pas déterminer à elle seule ce que nous faisons. Très souvent, la Nature est beaucoup plus puissante que notre nature. Mais cela n'empêche que chacun essaie de survivre le mieux possible, et donc cherche ce qu'il a compris être utile pour lui. En fonction de son degré actuel de puissance de penser, il aura mieux compris ce qu'il faut faire pour être Joyeux que quelqu'un d'autre ou que lui-même lors d'un moment où son degré de puissance est moins élevé.

Aller à contre courant (pour suivre notre raison) demande des efforts, et les efforts coûtent de l'énergie, donc fatiguent.


oui, mais cela uniquement quand tu penses sur base d'une énergie potentielle et une énergie cinétique: l'énergie non actualisée ou potentielle est maximale quand l'énergie cinétique, qui 'épuise' l'énergie potentielle, est minimale. Alors la chose est capable de produire un effort, mais ne le fait pas. En cela, elle conserve la capacité de faire quelque chose. Une fois toute l'énergie potentielle dépensée, l'énergie cinétique est maximale, mais la chose n'a plus d'énergie qui lui reste pour faire un 'effort' en plus.
Or chez Spinoza, il n'y a pas d'énergie potentielle: toute énergie est toujours déjà actualisée. Nous ne pouvons pas ne pas faire constamment un effort, puisque nous SOMMES cet effort. C'est pourquoi que s'efforcer à conserver son être ne 'coûte' pas d'énergie, chez lui. Vivre n'est pas 'dépenser' de l'énergie, c'est produire des effets. C'est très différent. Je ne sais pas si je fais bien ressentir cette différence?
Il faut vraiment essayer de s'imaginer une conception de l'homme où la raison n'est pas contre-nature, mais notre nature elle-même. Nous ne pouvons pas du tout nous empêcher, ne fût-ce qu'un instant, de ne pas essayer de vivre selon la raison. Seulement, quand notre impuissance est grande (donc quand nous sommes très fréquemment régis par des causes extérieures), nous comprenons peu de choses, et donc nous ne comprenons pas très adéquatement non plus ce que c'est que de vivre selon la raison. Nous ne suivons pas 'davantage' notre nature, dans ces cas-là, au contraire: nous sommes très peu capable d'agir en fonction de notre nature seule.

Flumigel a écrit :Aspirer à la sagesse, c'est une chose, mais faire en sorte de s'en approcher en est une autre, et cette dernière épuise lorsqu'on se sent devoir accomplir trop d'efforts de façon trop répétée.


il n'y a pas de 'devoir', chez Spinoza. Il ne croit pas à la morale. Dans un monde où tout est déterminé, le 'devoir' n'a plus de sens. Il faut penser pe sur base de termes kantiens pour pouvoir donner sens à la notion de devoir, c'est-à-dire il faut penser qu'il existe un 'empire dans l'empire', qu'il existe, à côté de la nature et des appétits, un deuxième 'royaume', celui de la liberté et du devoir. Chez Spinoza, la liberté est un appétit comme un autre. Il a seulement comme avantage de nous rendre plus Joyeux, et cela de façon plus stable. Poser un acte libre ne coûte pas d'effort ou d'énergie chez lui, c'est exactement l'inverse: c'est un acte qui se définit par une AUGMENTATION de notre puissance, une augmentation de notre énergie, si tu veux.

Je ne sais si je déraisonne. Je sens que tu vas me contredire...


je ne crois pas que c'est une question de déraisonner ou non ... . On ne peut pas dire que Kant ne raisonne pas. Seulement, il raisonne autrement que Spinoza. Il part d'autres hypothèses de base. Alors on peut se sentir plus attiré vers l'un ou vers l'autre, mais souvent, c'est simplement parce qu'on a déjà pris l'habitude de davantage regarder le monde de façon 'spinoziste' ou 'kantienne'. Aujourd'hui, dans une époque qui commence à être post-chrétienne, je crois qu'on a tous tendance à 'croire' en la moralité. Du coup, on interprète spontanément les comportements humains sur base d'un schéma moraliste. Cela n'est pas 'faux' en tant que tel, la seule chose que la philosophie nous apporte, je crois, c'est de permettre de prendre conscience du fait qu'il s'agit bel et bien d'UNE façon d'interpréter les choses, et qu'il en existe d'autres qui sont tout aussi cohérentes et logiques, et qui paraissent seulement plus étranges parce que nous n'y sommes pas habitués.

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Messagepar Louisa » 30 août 2007, 12:35

Flumigel a écrit :Spinoza pense donc que tous les êtres naissent utiles pour l'espèce, et qu'une nature "nuisible" n'existe pas ? Je laisse un peu de côté les termes de bon et de mauvais, puisque ceux-ci ne sont que des concepts humains qui n'existent pas dans la nature.


les termes de bon et de mauvais sont chez lui SYNONYMES des termes utiles et nuisible. C'est pourquoi on ne peut pas dire non plus que tous les êtres naissent utile pour l'espèce. L'espèce est une abstraction, Spinoza ne croit qu'en l'existence d'individus (= son 'nominalisme'). Comme l'espèce n'est pas un individu, elle n'est pas définie comme quelque chose qui s'efforce de conserver son être. Or être utile ne signifie rien d'autre qu'aider la conservation de son être. Comme l'espèce n'essaie pas de se conserver, il n'existe RIEN dans la nature qui peut lui être utile ou nuisible.
Les individus ne vivent donc pas 'en vue de' la conservation de l'espèce (d'ailleurs il y a pas mal d'arguments pour dire que cela vaut également chez Darwin, et que l'idée que les individus seraient là 'pour' sauvegarder l'espèce n'est pas très darwiniste, mais c'est une autre discussion).
Enfin 'bon' et 'mauvais' ne sont PAS des concepts humains, chez Spinoza. Ce sont des concepts 'modales', c'est-à-dire seul un mode de la substance, lorsqu'il est 'plongé' dans l'existence dans le temps et dans un lieu, se définit par l'effort de se conserver (donc tout mode, le caillou aussi bien que moi-même). Et donc seul un mode éprouve des jugements de bon/utile et mauvais/nuisible. Il n'existe donc pas de bien ou de mal en des termes absolus, c'est-à-dire au niveau de la Substance ou de la nature entière, puisque la nature entière a de toute éternité sa puissance maximale (tandis que ce qui est mauvais par définition fait diminuer le degré de puissance). Mais tout ce qui éprouve des variations de son degré de puissance, donc tout mode, ressent 'du bon' et 'du mauvais', en fonction de ce qui l'affecte. De nouveau, l'espèce n'était pas un 'mode' mais une idée abstraite, elle n'est pas une entité capable de 'juger' du bon ou du mauvais. Mais l'écran de mon ordinateur si ... .

Flumigel a écrit :Un être nuisible doit-il suivre sa nature sans jamais chercher à l'entraver ? Si la science découvre un jour des origines génétiques à certaines pathologies (comme la pédophilie par exemple), que faudra-t-il faire ?


Spinoza est assez clair sur ce point: il dit que quelqu'un qui est un grand criminel serait insensé s'il ne commet pas ses crimes. Autrement dit: pour lui, c'est le plus raisonnable de commettre des crimes. Ce n'est nuisible que pour les victimes, mais pas 'absolument parlant', puisqu'il n'existe pas de Bien ou de Mal dans le monde en tant que tel.
Bien sûr, Spinoza prône aussi une construction de société telle que celle-ci se comporte comme si elle était un individu. Et alors ce sont les lois de la société qui déterminent ce qui est bon et mauvais pour cette société en tant que telle. Et alors les criminels sont des gens qui font diminuer la puissance de la société, puisqu'ils s'opposent aux lois. C'est seulement cette opposition aux lois d'un pays qui définit le criminel, et rien d'autre. C'est pourquoi il faut que la société s'en occupe, plus même, elle aussi n'a pas le choix, la société s'occupe toujours de facto de ses criminels en fonction de sa puissance d'agir à elle. Mais d'autre part, les lois étant différentes de pays en pays, il est difficile de chercher chez Spinoza une possibilité de 'criminalité' innée .... . Comme il le dit: le péché est une 'dénomination extrinsèque': un acte criminel n'est criminel que parce qu'il va à l'encontre d'une loi civile, c'est tout. D'autres gens peuvent tout aussi bien causer du tort à certains individus, mais aussi longtemps qu'ils n'enfreignent pas une loi civile, on ne dira pas qu'ils sont criminels. Et quand les lois d'un pays changent, un certain nombre de gens qui étaient considérés comme des criminels ne le seront plus, tandis que d'autres du coup le seront.

Bien sûr, tout cela n'empêche qu'aujourd'hui le problème que tu soulèves se pose bel et bien. Mais donc ici aussi, je crois que l'intérêt de la philosophie, c'est de nous faire comprendre que ces problèmes impliquent toujours certains hypothèses de base, hypothèses qui quant à elles ne sont PAS nécessaires, mais qui déterminent notre façon de concevoir la société et ses problèmes.
Alors en ce qui concerne les gènes, la seule chose dont on est capable aujourd'hui, c'est de constater des corrélations statistiques entre la présence de certains gènes et le comportement (social et/ou chimique) d'un organisme. Or qui dit corrélation statistique, ne dit pas encore lien causal. Pour qu'il y ait un lien causal, il faut réellement comprendre le mécanisme causal, ce qui n'est possible que si l'on maîtrise tous les facteurs déterminants. Comme je le disais déjà pour les surdoués: même si un jour on découvrirait un gène responsable d'une plus grande production de myéline, RIEN ne laisse prévoir, à la naissance, si l'individu surdoué va inventer de grandes innovations hautement utiles pour la société, ou devenir un malade psychique. Il est donc indéniable que l'environnement social est également un facteur déterminant. Le tout est de savoir comment les deux s'articulent. Aussi longtemps que l'on n'a pas compris ses articulations, toute intervention risque de créer plus de mauvaises choses que de choses utiles. Ce qui n'empêche qu'en attendant, il faut bien faire quelque chose, bien sûr ... .

Flumigel a écrit :Excuse-moi par avance si mes raisonnements te paraissent primaires. Je suis conscient que la pensée de Spinoza ne doit pas se résumer à si peu de choses. Mais je n'ai aucune formation de philosophie. Je n'ai fait de la philo que l'année de mon bac, en 1989, et rien depuis. Je n'ai commencé à m'intéresser à Spinoza qu'en 2006, et en autodidacte complet. Il est donc normal que certaines choses m'échappent encore.


en tout cas, je ne prétends pas DU TOUT avoir déjà tout compris de Spinoza non plus (d'autres gens sur ce site sont certes plus avancés déjà que moi). Or ce sont plutôt des discussions avec d'autres gens qui s'y intéressent aussi qui te font avancer, je crois. Que tu ne t'occupes de lui que très récemment ou, comme c'est mon cas, déjà depuis deux ans, n'y change rien. Il suffit d'avoir envie de mieux comprendre pour que toute discussion devient potentiellement très intéressante, indépendamment du fait qu'on ait déjà beaucoup étudié un sujet ou qu'on vienne de s'y lancer. Donc disons qu'en ce qui me concerne, des questions ou réflexions soi-disant 'primaires' de 'débutants' sont tout aussi aptes à faire avancer la pensée que des questions très pointues.
A bientôt,
Louisa

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Messagepar Joie Naturelle » 30 août 2007, 21:31

Louisa a écrit :Sur base de cela, on dirait que si la 'sagesse' était 'innée', comme tu le dis, cela ne peut pas être correlé au QI, puisqu'avoir un QI élevé dans beaucoup de cas est plutôt un désavantage qu'un avantage, et ne donne lieu à de vrais 'sages' que dans certaines circonstances très spécifiques, plutôt rares. Et pourtant, le QI est quelque chose que l'on peut déjà mesurer chez des enfants de 6 ans, et qui est censé rester stable pendant toute sa vie. S'il fallait donc chercher un facteur inné, ce serait un bon candidat.


Pour moi, les questions relatives au QI doivent être prises avec beaucoup de précautions, et de méfiance. Par ailleurs, je pense qu'il se peut très bien que les performances liées au QI proviennent d'un facteur génétique, et qu'elles se traduisent malgré tout par un désavantage socialement parlant. Car ceux qui s'imposent le mieux en société ne sont pas forcément les plus intelligents ni les plus doués. Ce sont avant tout ceux qui communiquent le mieux. Or la communication n'est pas l'intelligence. Spinoza me contredirait-il sur ce point ?

Louisa a écrit :Or comme tu dis aussi: pour devenir véritablement un sage, il faut bien acquérir un savoir très spécifique, qu'un enfant n'a pas encore. C'est pourquoi j'ai l'impression - provisoire - qu'il est difficile de lier la sagesse à une quelconque 'prédestination'. Certes, on parle actuellement des surdoués comme étant des gens à 'haut potentiel', mais cela précisément parce que dans beaucoup de cas, ce potentiel ne se réalise jamais, à cause de l'absence d'un environnement adapté à leur mode de fonctionnement. Mais cela ne fait que renforcer l'idée que devenir sage est un réel processus, non seulement parce qu'il faut effectivement acquérir un certain type de savoir (lequel, d'ailleurs?), mais aussi parce que celui qui a a priori potentiellement davantage de capacités de sentir et de penser, doit encore apprendre à maîtriser ces capacités au lieu d'en être la première victime.


Apprend-on tant que ça à se maîtriser ? Je me pose la question, quand je vois que ceux qui savent se maîtriser ne font biensouvent eux-mêmes que suivre des facilités naturelles pour ce faire. Par ailleurs, si devenir sage est un réel processus, il fait nécessairement intervenir l'intelligence, laquelle n'est autre chose que le jugement critique. L'intelligence ne nous est-elle pas donnée dès le départ ? Ne perçoit-on pas déjà des différences d'intelligence et de développement chez les enfants de la première enfance ? On m'objectera que l'éducation a déjà fait son oeuvre à ce stade, mais je ne suis pas convaincu par ce point de vue.

Il se peut que la génétique ne soit pas à l'origine de tout. C'est même probablement l'hypothèse la plus vraisemblable. Mais il me semble aussi que si l'éducation joue un rôle plus ou moins important, c'est en fonction de la force de caractère de la personne. Telle éducation marquera à jamais une personne, tandis qu'elle n'aura qu'une influence secondaire sur une autre. Et ce en raison même du caractère donné de ces personnes. C'est ce que je pense, mais il m'est impossible de prouver ce que j'affirme. Je ne le tiens que de mon observation, de ma réflexion personnelle, et il se peut aussi que celles-ci soient fausses et que je me trompe sur toute la ligne. La génétique n'était pas connue du temps de Spinoza. Qu'aurait dit selon toi Spinoza sur le sujet s'il avait vécu à notre époque ?

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Messagepar Joie Naturelle » 31 août 2007, 21:17

Louisa a écrit :
Flumigel a écrit :L'auteur cite ensuite Delbos : "La liberté véritable n'est originairement que la puissance naturelle de l'individu comprise dans la puissance totale de l'univers; et comme la puissance de l'individu n'est autre chose que son essence actuelle, que le développement réel de cette puissance est identique au développement géométrique de cette essence, on peut dire que pour tout individu, comme pour Dieu, la liberté est au fond la nécessité d'agir selon ce qu'il est. Seulement, la liberté des individus dans l'univers est une liberté naturée, tandis que la liberté de Dieu est une liberté naturante."


il faudrait peut-être dire comment tu interprètes ce passage pour savoir en quoi cela te semble être contradictoire avec ce que j'ai écris?


Je ne sais pas s'il est possible de l'interpréter de diverses manières. La liberté est la nécessité d'agir selon ce qu'on est (idem pour Dieu, sauf que la liberté de Dieu est naturante car Dieu est le créateur et le principe de toute action). Voilà ce que me semble dire Delbos.

Je ne dis pas que ce passage est contradictoire avec ce que tu écris. J'essayais juste de comprendre à quel moment Spinoza admet l'homme libre. Delbos se trouve simplement cité à cet instant.

A quel moment l'homme vit-il sous le commandement de la raison, à quel moment est-il conduit par la seule raison ? Peut-être Spinoza admet-il l'homme libre dans le cas de Descartes, lorsque ce dernier découvre qu'en pensant il prouve son existence. Spinoza lui-même passera pour un homme libre, alors, dans ce sens restreint qu'il "vit suivant le commandement de la raison" (Ethique IV, 47).

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Messagepar Joie Naturelle » 31 août 2007, 23:45

Louisa a écrit :Comme donc je parlais de Spinoza ci-dessus, si je crois que selon lui tous veulent devenir sage, c'est dans la mesure où tous s'efforcent à conserver leur être, et pour cela recherchent activement ce qu'ils croyent leur être utile.


Si la sagesse consiste dans l'effort à conserver son être, effectivement, tous les hommes souhaitent en principe devenir sages. Mais ce n'est pas la signification que j'entendais pour le mot "sage" dans mon message peu spinoziste écrit plus haut.

Un pédophile recherche des enfants parce qu'il croit qu'ils lui seront utiles pour satisfaire ses pulsions sexuelles. Il s'efforce ainsi à conserver son être, à augmenter sa puissance d'être. Au sens spinoziste il est sage car il suit sa pente naturelle, son instinct de préservation et de culture de son être. Or, je n'entendais pas ce sens précis pour le mot "sage". Je parlais du sage qu'on se représente usuellement : celui qui souhaite être conduit par la raison, même si la raison lui impose de réprimer certains penchants naturels moralement non acceptables. Dans mon propos, le pédophile qui ne renie pas sa nature n'a rien d'un sage, puisqu'il ne se conforme pas à la raison qui voudrait qu'il s'abstienne de tout trafic avec des enfants.

J'ai compris l'acception spinoziste, et bien sûr Spinoza a raison dans ce qu'il affirme, mais il faut bien parler aussi de ce qu'on peut et doit faire en société. C'est de cela que je parlais, et il me semble que Spinoza lui-même reconnaît la nécessité de respecter des règles dans la société, qui par définition se distingue de ce qui prévaut dans la nature.

Louisa a écrit :Or la connaissance de Dieu est le suprême bien, c'est-à-dire ce qui est le plus utile de tout. Et comme il est de la nature de l'Esprit de vouloir comprendre, tous aspirent à la compréhension.


Est-il toujours dans la nature de l'esprit de vouloir comprendre ? Il me semble aussi parfois que la nature de l'esprit est de vouloir croire. Il suffit pour s'en convaincre de compter le nombre d'adhérents à une quelconque religion. La connaissance et la vérité ne les intéressent pas ou leur font peur.


Louisa a écrit :Seulement, on ne peut y aspirer qu'avec la puissance de penser qui définit à un moment x notre essence. Si celle-ci n'est pas très grande, la volonté de devenir sage ne sera pas très grande non plus. On est alors condamné à rester encore longtemps assez ignorants. Et c'est bien quelque chose de l'ordre de la condamnation, puisque pour Spinoza, notre impuissance n'est PAS ce qui nous définit, c'est ce qui est causée par des causes extérieures à nous.
En ce sens, justement, on n'a PAS le 'choix': on n'aspire à la sagesse que dans la mesure où des causes extérieures ne sont pas en train de nous détruire.


Je croyais notre essence immuable, ou presque, et voilà que tu me parles d'une essence qui varie en fonction du moment donné. Je m'interroge sur ce que tu dis, et je crains de ne pas disposer de tous les atouts pour bien le comprendre. Je doute, pour tout dire, de mes facultés à saisir le sens précis des mots, et à répondre de façon adéquate à tes propos. En clair, j'ai peut-être atteint ici mes limites. Il me faudrait beaucoup plus de temps et d'acquis sans doute.

J'imagine que tu parles à présent de la sagesse au sens que j'entendais plus haut. Si pour Spinoza, l'impuissance ne peut être causée que par une cause extérieure, que faut-il entendre par cause extérieure ? La schizophrénie, par exemple, source de tant d'impuissance, est-elle assimilée à une cause extérieure, ou intérieure ?

Il faut que je m'arrête là pour cette fois. Je ne parviens plus à réfléchir.

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Vagabond
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Messagepar Vagabond » 01 sept. 2007, 06:19

Philomag
Inné et acquis : les réponses d'Henri Atlan

Ancien chef de biophysique à l'hôpital de l'Hôtel Dieu, membre pendant 17 ans du Comité consultatif national d'éthique, pionnier des théories de la complexité et de l'auto-organisation du vivant, auteur de nombreux travaux en biologie cellulaire, philosophe et spécialiste de l'éthique, Henri Atlan a bien voulu répondre à nos questions sur la grande controverse philosophique de cette présidentielle. Un ouvrage collectif consacré à son oeuvre paraît en juin aux Editions La Découverte.

Propos recueillis par Frédéric Joignot


Jusqu'à quel point peut-on parler de déterminisme génétique chez l'homme ? C'est-à-dire : qu'entend-on par « détermination », « causalité » ici ?

1 -Le déterminisme génétique existe chez l'homme comme chez tous les êtres vivants. Mais comme dans tout organisme, même le plus "simple" limité à une seule cellule, il s'agit d'un ensemble de causes partielles, associées de façon complexe, à beaucoup d'autres causes où interviennent d'autres molécules que les ADN constitutifs des gènes: protéines, graisses, sucres, ions et autres petites molécules. On a cru autrefois, aux débuts de la génétique moléculaire, qu'un gène causait de façon totale et linéaire un caractère, suivant le schéma “un gène → une enzyme (une protéine) → un caractère“. Et cette idée, du fait de sa simplicité, a encore la vie dure alors qu'on sait depuis plusieurs dizaines d'années qu'elle est fausse.

2 -Un fragment d'ADN oriente – on dit qu'il code – la synthèse de plusieurs protéines différentes en association avec d'autres fragments d'ADN. Réciproquement, une protéine est codée par plusieurs fragments d'ADN. En outre, et c'est relativement plus nouveau, une même protéine peut avoir des fonctions différentes, et donc contribuer au développement de plusieurs caractères, suivant son environnement physicochimique dans la cellule, indépendamment du gène – l'ensemble des fragments d'ADN – qui l'a codée. En effet, une protéine est une longue chaîne d'acides aminés (de petites molécules) et c'est cette séquence linéaire qui est codée dans la structure linéaire des ADN. Mais cette chaîne se replie sur elle-même comme une pelote en trois dimensions, et l'activité de la protéine dépend de sa façon de se replier, qui, elle-même, dépend d'interactions multiples avec d'autres molécules qui constituent son environnement.

3 - Il résulte de tout cela, qu'à l'exception de cas très rares où l'ancien schéma un « gène → un caractère » peut encore être approximativement conservé, la causalité génétique s'inscrit dans des réseaux très compliqués de causalités biologiques multiples, dont beaucoup restent encore à découvrir,où les séquences d'ADN – les "gènes" ainsi identifiés et incriminés – ne sont en fait que quelques unes des molécules en interactions en boucles multiples avec beaucoup d'autres.
C'est pourquoi la biologie est entrée dans une nouvelle ère, dite post-génomique (2), “épigénétique“, ou “biologie des systèmes“, ou “biocomplexité“, etc…, dans laquelle la génétique moléculaire sert de point de départ, pour des programmes de recherches, en fournissant des outils d'analyses ponctuelles puissants plutôt que des schémas explicatifs globaux satisfaisants. Autrement dit, les performances techniques sont très en avance sur la théorie.

4 -Les maladies monogéniques rares, comme la maladie de Huntington, la mucoviscidose et quelques autres, où un gène peut être identifié comme cause nécessaire et suffisante de la maladie, sont des exceptions dans ce contexte, et encore pas complètement, car l'âge d'apparition de la maladie et sa gravité peuvent varier. Très rares aussi, mais bien étudiées, sont les "erreurs innées du métabolisme" (telles que Phénylcétonurie, Maladie de Gaucher,…) où un gène anormal empêche la synthèse d'une protéine fonctionnelle. Ce n'est pas le cas des maladies les plus fréquentes et encore moins des troubles du comportement. Dans les cas de cancers, maladies cardiovasculaires, neurodégénératives, mentales, il ne s'agit que de corrélations statistiques plus ou moins rigoureuses, laissant place à des interprétations multiples, sans aucune preuve directe de causalité. On parle alors de "gènes de prédisposition", expression dont la signification est très variable suivant les cas. C'est un de ces domaines dans lesquels le maniement des statistiques se révèle très difficile, parfois même pour les experts, et parfois même dangereux.

5 – Il vaudrait mieux proscrire, ou limiter au maximum, dans les discours biologiques qui se veulent explicatifs, y compris de la part de spécialistes, un certain nombre d'expressions qui sont devenues populaires. Celles de "patrimoine génétique" ou de "programme génétique" sont des métaphores trompeuses qu'il vaut mieux proscrire totalement. L'expression "gène de ceci", "gène de cela" souvent utilisée dans des annonces spectaculaires doit être strictement limitée à ces cas rares de maladies monogénétiques, et à l'identification de séquences d'ADN codant pour des protéines dont les fonctions normales ou pathologiques sont connues, ainsi que les mécanismes causaux, divers génétiques et épigénétiques, par lesquels ces protéines produisent les effets incriminés. Ceci aurait pour effet de relativiser, déjà au niveau de la recherche biologique fondamentale, la part des gènes dans le développement et les fonctions des organismes, tant il est clair aujourd'hui que l'organisme contrôle le génome au moins autant que le génome contrôle l'organisme. Il s'agit là d'une révolution dans les mentalités qui a commencé à pénétrer le monde de la recherche en biologie moléculaire et cellulaire, mais qui a du mal à passer non seulement dans le grand public, mais encore dans l'information médicale.

6- La sempiternelle question de l'inné et de l'acquis est une source sans cesse renouvelée de faux problèmes et de malentendus. Ce furent des scientifiques de haut niveau, relayés par les media, qui ont annoncé que toutes les maladies seraient guéries grâce au projet génome humaine, y compris les pathologies sociales comme la criminalité et même la pauvreté. Les choses ont changé, comme je vous l'ai dit, en partie grâce aux résultats inattendus de ce projet. Et il est généralement admis que des facteurs d'environnement sont associés aux déterminismes génétiques et c'est évidemment un progrès par rapport au réductionnisme du même nom. Mais la question rebondit aussitôt quand on croit pouvoir "mesurer" la part innée – ou génétique, bien que cela ne soit pas la même chose – et la part acquise. Les revues scientifiques de haut niveau publient encore des études sur de telles estimations, bien que les méthodes statistiques sophistiquées utilisées reposent sur des hypothèses erronées, et que cela ait été dénoncé régulièrement par des articles critiques depuis plus de trente ans. Ces calculs n'auraient de valeur que si l'on admettait que les effets des gènes et de l'environnement s'ajoutent les uns aux autres de façon indépendante. Or il n'en est rien : les effets des gènes dépendent de l'environnement et réciproquement. Une part d'inné peut être de 40% dans un environnement donné et de 10% ou 75% ou n'importe quoi d'autre dans d'autres environnements.

Un cerveau humain offrant un un million de milliards de connexions possibles, se construisant au cours d'une vie, comment 30.000 gènes détermineraient-ils tout le comportement – notamment nos affections psychologiques, la délinquance, le comportement suicidaire, l'invention de la sexualité ?

1 - La question n'est pas tant le nombre de gènes qui serait insuffisant pour déterminer les synapses. On pourrait imaginer des combinaisons de gènes et des combinaisons de combinaisons en nombre aussi grand que l'on veut. La question est celle du nombre de niveaux d'organisation qui séparent le niveau moléculaire des gènes et des protéines de celui du cerveau, dans sa structure et son fonctionnement. Deux vrais jumeaux – qui ont donc les mêmes gènes – ont des systèmes nerveux, et aussi des propriétés d'autres systèmes, comme le système immunitaire par exemple, différents car les phénomènes épigénétiques, d'auto-organisation et autres, qui comportent une part importante de hasard, jouent un rôle déterminant dans leur développement, depuis l'embryon et pendant toute la vie. Ceci prive souvent de sens la question même du déterminisme génétique – c'est-à-dire moléculaire – d'un fonctionnement cérébral aussi complexe que ce qu'on appelle un "comportement".

2 - Les maladies organiques, même multifonctionnelles, sont relativement bien définies et l'on sait de quoi l'on parle quand on recherche les causes, génétiques ou autres, d'un diabète, d'un cancer ou d'un infarctus du myocarde. Dans certains cas, pas très nombreux, des gènes de prédisposition peuvent être identifiés avec des probabilités estimées de façon relativement fiable, qui ne suppriment pas d'ailleurs les difficultés d'interprétation et d'utilisation. C'est déjà plus problématique quand il s'agit de maladies mentales, dont les définitions et classifications – par exemple la dépression est-elle un symptôme ou une maladie ? – sont régulièrement révisées. Elles sont en outre variables suivant les cultures. Des manifestations chamaniques de cultures traditionnelles feraient porter le diagnostic de schizophrénie dans nos sociétés.
Quant aux troubles du comportement, c'est bien pire. On englobe dans un même mot, par exemple, violence, criminalité, des comportements en fait très différents les uns des autres. Un auteur d'attentat suicide, un dictateur sanglant, un auteur de hold-up, un tueur en série, un violeur, un homme qui bat sa femme (ou l'inverse) sont "agressifs" ou "violents", éventuellement des criminels dont les comportements sont en fait dépendants d'ensembles de conditionnements sociaux très différents, ce qui ne diminue pas, rappelons-le, leur responsabilité indépendamment de ce qui leur reste de libre arbitre, éventuellement réduit à zéro. Parler ainsi de gènes de la violence ou de la criminalité n'a tout simplement aucun sens parce que l'effet dont on incrimine une cause n'est pas défini de façon univoque. Les corrélations statistiques de marqueurs génétiques recherchées – et parfois annoncées – n'ont aucun sens puisque l'on ne sait pas vraiment avec quoi elles sont établies (3).

3 - Considérer nos comportements comme déterminés même quand ils nous semblent librement choisis, indépendamment de gènes plus ou moins imaginaires qui en seraient les causes, nous ramène à notre première question. La génétique du comportement, comme domaine de la psychiatrie dont le statut scientifique n'est pas encore vraiment établi, fonctionne le plus souvent suivant le "principe du réverbère", qui consiste à chercher ses clefs sous un réverbère parce que c'est là qu'il y a de la lumière. Cette méthode de recherche est plus fréquente qu'on le croit dans le développement des sciences. Elle consiste tout simplement à utiliser les outils dont on dispose. Comme telle, elle est d'ailleurs bien légitime, à condition d'être conscient des limites de son pouvoir explicatif. Sinon, elle estune source, fréquemment rencontrée dans l'histoire des sciences et notamment en génétique, d'extrapolations et de généralisations abusives de connaissances partielles, ignorance qui s'ignore dont je parlais en commençant, danger encore plus grand pour la liberté par la connaissance que l'illusion du libre arbitre.

4 - Nous ne naissons certes pas homosexuels ou hétérosexuels. Nous avons des pulsions hétéro- ou homosexuelles plus ou moins fréquentes et nous passons à l'acte ou non suivant la force de ces pulsions et les effets facilitateurs ou inhibiteurs de toutes sortes, d'origine externe (sociale) ou interne. Un comportement extrême en ce domaine est celui qu'au moins depuis Platon, certaines églises, certaines traditions en Occident et en Orient, recommandent sous la forme d'une sexualité "sublimée", "platonique", comme idéal de l'amour. Tout cela est en effet le propre de l'homme, dont la sexualité est différente de la sexualité animale. Et tout cela est de l'ordre de nos passions, joyeuses ou tristes, et pas forcément l'expression de notre liberté.
5 - Tant que des biologistes continueront à répéter avec l'aide de media, que les gènes sont ce qui nous définit – la référence aux empreintes génétiques renforce cette idée reçue, mais c'est comme si on disait que nos empreintes digitales, encore plus individualisées puisque différentes chez des vrais jumeaux, nous définissent –, et que la connaissance des gènes permettra de prévenir toutes les maladies, on ne doit pas s'étonner de déclarations intempestives de politiques qui les reprennent à leur compte. Nous, scientifiques et journalistes, devons balayer devant notre porte, en amont des jugements idéologiques et moralisateurs politiquement corrects ou incorrects. Proscrire les expressions "gène de ceci ou de cela" en-dehors de cas particuliers très strictement limités, enterrer une bonne fois pour toutes les problèmes d'inné et d'acquis, contribueront à sortir du "fétichisme du gène" récemment dénoncé dans un avis du Comité National d'Ethique sur la non opportunité de transmettre systématiquement une information – pourtant parfaitement exacte – sur des enfants porteurs sains d'un gène de mucoviscidose. Car ce fétichisme continue à sévir dans les esprits, parfois transformé en démonisation, comme dans la peur généralisée devant tout OGM, qui refuse même d'entrer dans les détails sur le gène considéré et sur les avantages et inconvénients qu'on peut en attendre.

Toute la pensée scientifique est tournée vers le déterminisme, mais le serait-elle – tout le comportement humain s'expliquerait – cela condamne-t-il la liberté humaine ?

1 -Il est tout à fait légitime de dénoncer les insuffisances et le simplisme du réductionnisme génétique, tout en acceptant la possibilité d'un déterminisme de la nature, y compris des comportements humains, comme postulat de base de la recherche scientifique visant à découvrir les causes des phénomènes. Car outre les déterminismes génétiques, il existe d'autres déterminismes, biologiques non génétiques, historiques, géographiques, sociaux, psychologiques, et environnementaux au sens large.
Cela dit, pour répondre à votre question, cette hypothèse ne condamne pas la liberté humaine, mais elle en change la nature.

2 -Il ne peut plus s'agir du libre arbitre qui permettrait de choisir "librement" entre plusieurs voies possibles, c'est-à-dire sans que le choix ne soit lui-même l'effet d'un enchaînement de causes. Très souvent, nous croyons décider librement de notre comportement tout simplement parce que nous ignorons les causes de nos décisions. On sait aussi que bien souvent la satisfaction de notre "désir", qui serait le nec plus ultra de l'expression de notre liberté, est le fait d'un désir aliéné dans des déterminations internes et externes, inconscientes et conscientes. Reste pourtant une autre sorte de liberté, ou plutôt une libération progressive, celle que peut conférer la connaissance de ces aliénations et la distinction entre déterminismes externes et internes. La connaissance permet une orientation possible de "ce qui dépend de soi", comme disaient les Stoïciens, ou encore l'exercice partiel de ce que Spinoza appelait "libre nécessité". Cette liberté consiste alors en une sorte d'acquiescement, aussi joyeux que possible, à ce que la nature produit en nous, en-dehors de nous et à travers nous. La connaissance scientifique et la réflexion philosophique peuvent contribuer à cette libération qui, en cela, ne se réduit pas à une à une résignation fataliste passive.

3 - De telles pédagogies de la liberté associées à la conscience aigüe du déterminisme absolu de la nature, ont été développées par plusieurs philosophies dans des civilisations diverses. Outre le stoïcisme et plus près de nous Spinoza, puis Nietzsche et Freud, on en trouve des expressions diverses, notamment dans certains courants du bouddhisme, et des traditions juives et musulmanes. Pour la théologie, la question a pris la forme de l'opposition entre deux articles de foi contradictoires, le libre arbitre et l'omniscience-omnipotence de Dieu, repris et laïcisés dans les apories kantiennes de la raison pure. Mais, c'est chez Spinoza, surtout dans l'Ethique et dans sa correspondance, qu'on trouve l'analyse la plus précise de ces rapports entre liberté, déterminisme absolu et illusion du libre arbitre.
On ne peut ici qu'en évoquer quelques aspects…

Tout d'abord, le déterminisme absolu de la nature que postule cette attitude n'est pas une prédestination au sens où le futur serait inscrit quelque part à l'avance dans le passé. Il s'agit d'un déterminisme intemporel, sans passé ni futur, dont nous faisons l'expérience chaque fois que, par la raison, nous avons accès à une "vérité éternelle", c'est-à-dire à une vérité mathématique. "2+2=4" est une vérité intemporelle de ce type, ainsi que les lois de la physique mathématique qui servent de modèles à cette connaissance rationnelle "sous une espèce d'éternité". C'est pourquoi cette connaissance ne supprime pas nos expériences de libre choix, même si nous admettons leur caractère illusoire lié à notre ignorance des causes de ces choix. Car ces expériences coïncident avec notre existence dans le temps, où le passé se transforme en présent et le futur, encore inconnu, permet d'imaginer des possibles; comme l'expérience du "soleil à 200 pieds", ou celle du soleil tournant autour de la Terre, ne disparaissent pas, même si nous savons qu'elles sont des illusions de notre imagination sensible, dans les conditions de notre existence finie.

4 - Cette double appartenance, à un monde intemporel auquel nous fait accéder cette connaissance “sous une espèce d'éternité“ et aux conditions qui sont les nôtres d'une existence temporelle finie, nous force à exercer ce qui nous apparaît toujours comme des possibilités de choix libres, sur le mode du "comme si", tant que nous n'en connaissons pas les causes. Autrement dit, nous sommes condamnés – nous n'avons pas le choix ! – quand nous sommes confrontés à des choix dans la vie de tous les jours, à jouer le rôle du libre arbitre. C'est peut-être dans ce sens qu'on peut comprendre le "Nous sommes condamnés à être libres" de Sartre.

5 - Croire en la réalité du libre-arbitre n'est pas la seule illusion aliénatrice dans laquelle nous sommes embarqués comme dans une illusion inévitable, faisant partie de notre condition, comme "le soleil à 200 pieds" de Spinoza. Il en est une autre, peut-être plus grave et plus dangereuse, qui tient cette fois à la confusion entre connaissances partielle et totale. Tandis que l'illusion du libre arbitre peut être une illusion qui se connaît comme telle, l'illusion de connaissance totale est une illusion qui ne se connaît pas comme telle. Croire qu'on a découvert la cause d'un phénomène alors qu'on n'a fait qu'en identifier une cause parmi beaucoup d'autres est le danger d'extrapolation ou de généralisation abusive et de connaissance d'autant plus illusoire qu'elle s'ignore comme telle. Car la connaissance qui nous libère est aussi celle de ce que nous ignorons. Rien de pire donc que d'extrapoler et généraliser une cause partielle vraisemblable. L'histoire des sciences, de la biologie en particulier, est pleine d'exemples d'illusions de ce type.

6 - Cette conception de la liberté différente du libre-arbitre, bien que plus difficile, a un grand avantage. Les progrès de la connaissance des déterminismes de nos comportements – même s'ils ne conduiront probablement jamais à une connaissance totale de tous les déterminismes et ne pourront donc pas "prouver" la thèse du déterminisme absolu – restreignent de plus en plus les domaines du libre-arbitre, réduits à ces comportements dont nous ne connaissons pas (encore ?) les causes. Au contraire, l'expérience de la liberté par la connaissance voit son champ s'élargir au fur et à mesure que s'élargit le champ de notre connaissance. Ceci suppose évidemment que celle-ci ne soit pas illusoire, c'est-à-dire notamment qu'elle ne soit pas limitée à quelque cause partielle, occasionnelle, extrapolée et généralisée de façon confuse sous l'effet de notre imagination et de notre volonté de puissance. C'est là que la connaissance scientifique des lois de la nature permet à la raison de jouer un rôle de garde-fou indispensable. Sans garantie, toutefois, de ne pas tomber elle-même dans le piège de l'illusion de la connaissance totale.

6 - Deux précisions sont nécessaires pour éviter tout malentendu sur les conditions de notre vie en société.
D'abord, la liberté politique ne doit pas être confondue avec le libre arbitre. Elle ne s'oppose pas au déterminisme absolu de la nature, mais aux contraintes exercées par le pouvoir ou par d'autres dans la société et susceptibles notamment de limiter la liberté de penser et de connaître.
Les libertés politiques, notamment les libertés individuelles, sont un acquis de la démocratie – et de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme – qui facilite la recherche de la liberté mais qui ne la garantit pas. Au XXe siècle, la libération de la condition féminine et la libération sexuelle sont des exemples parmi les progrès – sinon les révolutions – qui ont le plus marqué l'évolution de la modernité. Mais elles ne sont pas toujours l'expression d'une vraie liberté. Elles n'empêchent pas le désir d'être aliéné, comme dans la consommation, par des effets d'imitation, de conformisme et de pressions sociales, telles que par exemple une quasi-injonction de jouir. Nous découvrons souvent après coup que certains de nos désirs n'étaient pas aussi libres qu'on l'avait cru, sans que, pour autant, ils aient été déterminés génétiquement. Les gènes, réels ou imaginaires, ne sont pas les seuls à aliéner nos désirs. Mais tout cela vaut encore mieux, évidemment, que la contrainte plus ou moins brutale de nos désirs par des désirs d'autrui, et c'est le grand mérite des libertés politiques de nous protéger contre ces contraintes, même dans un monde où le libre arbitre serait une illusion.
Ensuite, la responsabilité morale et juridique doit être dissociée de la notion classique, d'origine théologique, qui veut que nous ne soyons responsables que de ce que nous avons choisi librement. La responsabilité n'est pas liée au libre arbitre. Nous sommes responsables aussi – bien que pas nécessairement coupables – de ce que nous n'avons pas choisi (et même, à la limite, de ce que nous sommes). Ceci est d'ailleurs reconnu pour la responsabilité civile, administrative et politique. Seule la responsabilité pénale emboîte le pas d'une responsabilité morale qui ne saurait être reconnue que si le délit a été commis "librement", ce que l'on admet sans discussion dès lors qu'il n'a pas été commis dans un état "d'abolition du discernement". Or l'application de cette règle "d'irresponsabilité" pénale associée à l'absence de libre arbitre, présumée anormale et due à un discernement aboli, est de plus en plus difficile à appliquer. Les experts psychiatres ont de plus en plus de mal à ne pas voir les causes évidentes, de natures diverses, biologiques, hormonales et autres, sociales, psychologiques, aux comportements délictuels ou criminels, alors même qu'un discernement apparemment normal a pu aider, préméditer et planifier le délit. Les rapports entre pathologie et criminalité sont de plus en plus évidents, tandis que les comportements "normaux" apparaissent eux-mêmes, aussi, de plus en plus déterminés. Devant cet état de choses, une réforme en profondeur du droit pénal apparaît nécessaire à de plus en plus d'experts, avec, entre autres, une réflexion renouvelée sur la finalité de la peine, qui ne peut plus être une punition automatique d'un choix supposé "libre" d'avoir transgressé.

Quels grands mythes nous ont déjà aidé à réfléchir à ces questions ?
On peut citer le "Destin qui régit toutes choses" chez les anciens Grecs, le Karma et la réincarnation en Inde et en pays bouddhistes, certains courants de la Kabbale juive et de l'Islam, où l'on trouve sous des formes diverses cette association à un déterminisme de la nature, d'un libre-arbitre d'ignorance qui jouerait le rôle d'une illusion inévitable (5)


NOTES

(1) L'histoire du lancement médiatique du projet génome humain, avec des promesses mirobolantes inconsidérées, et de la façon dont s'en sont emparé les hommes politiques, en parallèle avec quelques compagnies de biotechnologies, est racontée avec beaucoup de talent dans le libre de Gérard Lambert, La légende des gènes. Anatomie d'un mythe moderne, Dunod, 2003, 2006 ).

(2) Plusieurs ouvrages ont déjà été consacrés à cette évolution de la biologie actuelle. Outre celui de G. Lambert déjà cité, on pourra consulter H. Atlan, La fin du tout-génétique ? Vers de nouveaux paradigmes en Biologie, INRA Editions, 1999 , et Evelyn Fox-Keller, Le siècle du gène , Gallimard, 2003 (préfacé par François Jacob, dont le mérite est d'autant plus grand, étant donné le rôle éminent dans le développement de la génétique moléculaire ; ce qui illustre une fois de plus qu'un nouveau maradigme en histoire des sciences ne peut apparître que sur la base d'outils et de résulats développés produits par l'ancien paradigme).

(3). Sur le faux problème inné/acquis et sur les mésusages des statistiques en médecine, notamment en psychiatrie, voir, après beaucoup d'autres: H.Atlan, Les Etincelles de hasard, tome II, Seuil, 2003, chapitre 8, "Statistiques et temporalité". A l'occasion du massacre de Virginia Tech, le journal Newsweek (Sharon Begley "The Anatomy of Violence", Newsweek, 30 Avril, 2007, p. 26-32) a présenté une bonne revue des derniers avatars et des échecs des tentatives d'identifier des facteurs prédictifs de violences de ce type, soit des gènes – comme le gène de l'agressivité du chromosome X qui a eu son heure de célébrité -, soit des régions particulières d'hyperactivité ou d'hypoactivité dans le cerveau. Le scénario est toujours le même. Des corrélations statistiques préliminaires, avec pourtant quelque essai de rigueur méthodologique comme par exemple des définitions un peu plus circonscrites des types d'agressivité étudiée – violences "non criminelles" distinguées de celles de la guerre et d'autres violences légales, ou agressivité "réactive" c'est-à-dire répondant à une autre agressivité, réelle ou imaginaire, distinguée d'agressivités "proactives", prenant l'initiative – sont d'abord présentées avec beaucoup de bruit comme des découvertes prometteuses. Elles sont ensuite contredites, plus discrètement, par des études plus sérieuses.

(4) Un rapport du CCNE en 1995 ( « Avis no 45 sur les questions éthiques posées par la transmission de l'information scientifique relative à la recherche biologique et médicale ») tentait d'analyser une part des problèmes posés par ces relations difficiles. Plus récemment (2006), un rapport documenté et critique sur l'usage des tests génétiques a été publié par le Comité d'Ethique de l'INSERM à propos de l'annonce trompeuse de commercialisation d'un test génétique de diagnostic précoce de l'autisme, ainsi que d'un rapport, fortement contesté, d'un groupe d'experts de l'INSERM lui-même sur la prédiction précoce de troubles du comportement chez de très jeunes enfants.

(5) Voir H. Atlan, La science est-elle inhumaine ? Essai sur la libre nécessité, Bayard, 2002 ; et H. Atlan et R.-P. Droit, Des chemins qui mènent ailleurs, Dialogues philosophiques, Stock, 2006).

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Messagepar Louisa » 02 sept. 2007, 16:18

Flumigel a écrit :Louisa a écrit:

Comme donc je parlais de Spinoza ci-dessus, si je crois que selon lui tous veulent devenir sage, c'est dans la mesure où tous s'efforcent à conserver leur être, et pour cela recherchent activement ce qu'ils croyent leur être utile.


Si la sagesse consiste dans l'effort à conserver son être, effectivement, tous les hommes souhaitent en principe devenir sages.


il ne faut pas confondre la sagesse (le fait d'être sage) et le devenir sage ou le désir de devenir sage. L'effort à conserver son être n'est PAS, chez Spinoza, synonyme de sagesse. Il est synonyme d'une recherche constante de que nous CROYONS (dans l'état de connaissance dans laquelle nous nous trouvons au moment x) être le plus utile pour nous.

Or l'essence de l'Esprit consiste en la compréhension. Ce qui est le plus utile pour lui, est donc ce qui lui fait comprendre davantage. Cependant, au moment où il n'a pas encore compris grand-chose, il ne se rend pas encore réellement compte de la grande utilité de la compréhension. Il ne va donc pas encore la chercher pour elle-même, il essaie simplement de devenir aussi heureux possible dans son état de connaissance actuelle.

Ce n'est donc que dans la mesure où nous avons pu vivre des moments de réelle Liberté, que le désir de devenir sage s'intensifie. Personne n'a donc un plus grand désir de devenir sage que le sage lui-même. Mais ce n'est pas PARCE QUE il aurait eu ce désir aussi grand dès le début qu'il l'est devenu, est parce qu'il est devenu un si grand sage que son désir pour la sagesse est si grand.

Inversément, l'effort de conserver son être n'est un désir de comprendre davantage que dans la mesure où nous comprenons déjà pas mal de choses. Avant cela, l'effort de conserver son être consiste en un tas d'idées inadéquates, et seulement quelques idées adéquates.

C'est ce qu'on voit chez le bébé: sa puissance d'agir et de penser est quasiment nulle, comparée à celle d'un adulte. S'il a déjà un désir de comprendre, il n'aura pas encore le désir de comprendre tous les détails du fonctionnement de la bourse, pe (ou autre chose un peu compliquée et qui appartient à la vie de (certains) adultes). Il faut bien qu'il acquière d'abord un tas d'idées adéquates, avant qu'il désire devenir sage pe. Et c'est parce que la puissance d'agir et de penser est si différente chez un bébé par rapport à ce qu'elle est chez le même bébé devenu adulte, que Spinoza dit qu'on peut à raison se demander dans quelle mesure il s'agit encore de la même essence singulière, du même individu (puisque cette essence se définit par un degré de puissance).

Flumigel a écrit :Un pédophile recherche des enfants parce qu'il croit qu'ils lui seront utiles pour satisfaire ses pulsions sexuelles. Il s'efforce ainsi à conserver son être, à augmenter sa puissance d'être. Au sens spinoziste il est sage car il suit sa pente naturelle, son instinct de préservation et de culture de son être. Or, je n'entendais pas ce sens précis pour le mot "sage".


à mon avis ce n'est pas non plus ce que Spinoza entend par le mot 'sage'. Si le pédophile a bien compris comment augmenter SA puissance d'agir et de penser, cela ne suffit pas encore pour faire de lui un sage. Le sage est celui qui a une conscience élevée ET de lui-même, ET de Dieu, ET d'un maximum de choses singulières.

Alors bon, difficile de nier que le pédophile (du moins celui qui passe à l'acte; pour autant que je sache, cela est loin d'être toujours le cas) a peu d'idées adéquates concernant les enfants pe, puisque déjà une partie d'entre eux croit que l'enfant était consentant, tandis qu'une autre partie ne comprend pas en quoi violer un enfant signifie le traumatiser gravement.

A cela s'ajoute le fait que les pédophiles criminels ont souvent été confrontés avec la justice. Dans un pays où la loi interdit les actes pédophiles, une idée adéquate du sens des lois (non pas au sens de 'signification' de chaque loi, mais de l'utilité et de la nécessité d'une législation pour la société humaine et donc pour chaque individu qui y vit, le pédophile y compris) aurait déjà eu comme effet qu'ils s'abstinent. Un pédophile criminel n'a donc pas encore compris la nécessité de la loi, il n'en a pas d'idées adéquates.

Enfin un pédophile criminel (donc celui qui est passé à l'acte) est également quelqu'un qui est capable de sacrifier beaucoup (son droit de vivre hors une prison) pour obtenir un plaisir qui n'est que fort local, lié à une seule capacité de son Corps. A cela Spinoza répond que le fait d'occuper son Esprit seulement avec la recherche de plaisirs 'partiels' (dont le plaisir sexuel, pédophile ou non) est précisément ce qui empêche de diversifier la capacité de notre corps d'être affecté et d'agir. Cela n'est donc PAS très utile, sur le long terme. C'est pourquoi ici de nouveau le pédophile fait preuve d'une toute petite puissance de penser et d'agir, dès qu'il passe à l'acte.

Conclusion: le pédophile, au sens spinoziste est tout sauf sage. Il fait un tas de choses qui montrent qu'il n'a qu'une toute petite puissance d'agir et de penser. Bien sûr que comme tout le monde il fait tout pour conserver son être, et donc il est constamment à la recherche de Joies et de compréhension lui aussi. Mais cette recherche est peu intense, elle n'aboutit pas à une quantité impressionnante d'idées adéquates. La raison n'en est pas que, plus que le sage, le pédophile suivrait son 'instinct de préservation', au lieu de chercher les idées adéquates, car l'instinct de préservation s'identifie à la recherche d'idées adéquates, chez Spinoza (pas d'opposition nature-culture!!!). Seulement, le sage est celui qui a déjà acquis énormément d'idées adéquates, le pédophile criminel pas encore.

Flumigel a écrit :Je parlais du sage qu'on se représente usuellement : celui qui souhaite être conduit par la raison, même si la raison lui impose de réprimer certains penchants naturels moralement non acceptables. Dans mon propos, le pédophile qui ne renie pas sa nature n'a rien d'un sage, puisqu'il ne se conforme pas à la raison qui voudrait qu'il s'abstienne de tout trafic avec des enfants.


oui, on peut bien sûr fonctionner avec la représentation actuellement la plus courante de la sagesse. Seulement, depuis le début de la philosophie, c'est ce qu'on appelle 'l'opinion'. Le but de la philosophie est de créer d'autres modes de représentation, et cela parce que l'inventeur en question croit que ce nouveau mode de représentation est mieux, offre davantage de bonheur à la société que celui qui règne à un certain moment et dans une certaine culture.

Alors dans la représentation actuelle, la sagesse est définie comme une affaire de 'bonnes intentions'. Comme tu le dis, en principe est 'sage' celui qui SOUHAITE être conduit par la RAISON, et qui pour cela RENIE sa NATURE.

Mais pour Spinoza les bonnes intentions, cela ne compte pas. Il veut des résultats ... 8-) . Et alors il préfère une conception cohérente du monde dans laquelle est sage non pas celui qui souhaite le devenir, mais celui qui de facto possède un grand nombre d'idées adéquates. Et la possession de ces idées CHANGE la nature de quelqu'un, pour Spinoza. Le sage ne doit pas combattre sa 'basse nature instinctive', il a changé de nature. Revers de la médaille: l'ignorant n'est pas celui qui 'choisit' de suivre ses bas instincts, il est simplement celui qui n'a pas encore beaucoup d'idées adéquates, et donc dont l'Esprit ne réussit pas encore à bien comprendre en quoi la compréhension est ce qui lui est le plus utile. Il ne l'a compris que de façon minimale.

C'est bien pourquoi aussi il n'oppose pas le sage au 'pécheur', pe. Le sage n'est PAS celui qui, en ayant eu le courage de combattre sans cesse à sa propre nature, a atteint la vertu, et qui reçoit à la fin la récompense, celle-ci étant la béatitude (ceci est la conception chrétienne du bonheur). Chez Spinoza, le sage s'oppose simplement à l'ignorant. Et c'est bien dans la mesure qu'il est ignorant qu'il est également malheureux et peu puissant. C'est pourquoi ne sage ne doit 'attendre' aucun bonheur comme compensation de ce qui fait qu'il est devenu sage. Le sage est constamment aussi joyeux qu'il est sage. Car chaque nouvelle idée adéquate qu'il acquiert, est par définition une Joie. Cela vaut d'ailleurs également pour l'ignorant, et de nouveau, c'est bien parce que l'ignorant a peu d'idées adéquates qu'il a peu d'occasions d'éprouver la véritable béatitude.

Flumigel a écrit :J'ai compris l'acception spinoziste, et bien sûr Spinoza a raison dans ce qu'il affirme, mais il faut bien parler aussi de ce qu'on peut et doit faire en société. C'est de cela que je parlais, et il me semble que Spinoza lui-même reconnaît la nécessité de respecter des règles dans la société, qui par définition se distingue de ce qui prévaut dans la nature.


oui, mais ce qui est très différent chez lui, c'est que la culture ne se construit pas en combattant la nature. Le droit, chez lui, n'est rien d'autre que la puissance, pe (voir la fin de la 4e partie de l'Ethique). Sans organisation consciente de la société humaine, la puissance de chacun, de fait, est quasiment nulle. La loi est donc nécessaire pour AUGMENTER la puissance d'agir d'un maximum de gens. Et la loi, tout en étant une invention humaine, n'en est pas moins pour autant ENTIEREMENT NATURELLE. La culture fait partie de la nature, chez lui. Elle ne s'en 'élève' aucunement. Elle ne demande pas de combattre certains besoins (les besoins sexuels pe), elle demande seulement de mieux comprendre nos besoins, pour pouvoir mieux organiser la nature en fonction de ce qui pourrait y répondre.

Flumigel a écrit :Louisa a écrit:

Or la connaissance de Dieu est le suprême bien, c'est-à-dire ce qui est le plus utile de tout. Et comme il est de la nature de l'Esprit de vouloir comprendre, tous aspirent à la compréhension.


Est-il toujours dans la nature de l'esprit de vouloir comprendre ? Il me semble aussi parfois que la nature de l'esprit est de vouloir croire. Il suffit pour s'en convaincre de compter le nombre d'adhérents à une quelconque religion. La connaissance et la vérité ne les intéressent pas ou leur font peur.


de nouveau, cela c'est l'opinion commune d'aujourd'hui. Dire que c'est une opinion ne la rend pas fausse (comme le disait déjà Platon, il y a des opinions vraies), tandis que dire qu'une autre idée est 'philosophique' ne la rend pas encore du coup 'vraie'.
Seulement, reconnaître les opinions communes permet de comprendre que ce n'est pas parce que pensons spontanément les choses comme cela, que c'est déjà la meilleure façon de les penser. La philosophie, à mes yeux, est une vaste entreprise invitant ses lecteurs à concevoir les choses quelques instants autrement, afin de tester en quoi changer de conception ne pourrait éventuellement déjà permettre de changer la réalité.

Alors voilà, Spinoza propose de partir de l'idée que TOUS veulent comprendre, et veulent la vérité. Cela n'est qu'une hypothèse de travail, bien sûr, mais la suivre un instant oblige à chercher d'autres explications pour le comportement des adhérents d'une religion, pe, que d'utiliser spontanément une explication qui oppose vérité et croyance/religion.

Flumigel a écrit :
Louisa a écrit:
Seulement, on ne peut y aspirer qu'avec la puissance de penser qui définit à un moment x notre essence. Si celle-ci n'est pas très grande, la volonté de devenir sage ne sera pas très grande non plus. On est alors condamné à rester encore longtemps assez ignorants. Et c'est bien quelque chose de l'ordre de la condamnation, puisque pour Spinoza, notre impuissance n'est PAS ce qui nous définit, c'est ce qui est causée par des causes extérieures à nous.
En ce sens, justement, on n'a PAS le 'choix': on n'aspire à la sagesse que dans la mesure où des causes extérieures ne sont pas en train de nous détruire.


Je croyais notre essence immuable, ou presque, et voilà que tu me parles d'une essence qui varie en fonction du moment donné. Je m'interroge sur ce que tu dis, et je crains de ne pas disposer de tous les atouts pour bien le comprendre.


tout dépend de ce que tu veux dire par 'notre' essence. Avons nous aujourd'hui la même essence que celle que nous avions à notre naissance? Spinoza croit que cela, c'est peu probable. Si toute essence est éternelle, pour lui ce que notre société actuelle appelle un seul et même individu peut passer d'une essence à une autre ... .
De nouveau, cela nous oblige à commencer à repenser un tas de choses, un tas d'idées que nous prenons d'habitude comme étant 'évidentes'. Mais repenser tout cela demande pas mal de temps, bien sûr.

Flumigel a écrit : Je doute, pour tout dire, de mes facultés à saisir le sens précis des mots, et à répondre de façon adéquate à tes propos. En clair, j'ai peut-être atteint ici mes limites. Il me faudrait beaucoup plus de temps et d'acquis sans doute.


je ne sais pas s'il existe 'une réponse adéquate' à ce que j'écris ... . Il y en a peut-être autant qu'il y a des gens qui s'intéressent à y réfléchir? En tout cas, en ce qui me concerne je peux difficilement m'imaginer qu'on pourrait atteindre des 'limites' dans la compréhension. Il se fait que toute compréhension d'une nouvelle idée prend du temps, ça oui. Mais la compréhension ne vient pas toute seule non plus, elle arrive souvent lorsqu'on se pose des questions, lorsqu'on discute. Comme je t'ai déjà dit: tes questions me permettent de me rendre compte de tout ce que je n'ai pas encore compris, chez Spinoza, et sont en ce sens autant de 'raisons' pour aller revoir le texte, vérifier certaines choses, repenser d'autres ... la compréhension est un processus qui ne s'arrête jamais, je crois. Ses limites sont toujours 'actuelles', c'est-à-dire tu ne vas pas comprendre à un moment x davantage que ce que tu as déjà compris à ce même moment x. Mais comment t'empêcher d'avoir une autre petite idée adéquate au moment x + 1? Je ne vois comment cela serait possible. Ainsi les limites de la compréhension se déplacent sans cesse.

Flumigel a écrit :J'imagine que tu parles à présent de la sagesse au sens que j'entendais plus haut. Si pour Spinoza, l'impuissance ne peut être causée que par une cause extérieure, que faut-il entendre par cause extérieure ? La schizophrénie, par exemple, source de tant d'impuissance, est-elle assimilée à une cause extérieure, ou intérieure ?


oui, bonne question. Spinoza ne parle pas des maladies mentales telles que la médecine les classifie aujourd'hui. Il faut donc suffisamment maîtriser le spinozisme pour essayer de le prolonger en répondant à ce type de question. Je ne me sens pas encore capable de le faire. En attendant, je crois qu'il faut, si on veut penser un instant de façon spinoziste, poser la question autrement: tout ce qui témoigne de notre impuissance doit être attribué à une cause qui n'est pas compris dans notre essence. Car la définition de notre essence est entièrement affirmative. Elle ne dit pas quelles sont les 'limites' de notre essence, elle dit quelle est la puissance de notre essence. Ainsi tout ce qui tend à l'affecter négativement, doit forcément venir de quelque chose hors de cette essence. L'extériorité se définit donc non pas de manière absolue, mais de manière relative: tout ce qui diminue notre puissance, le fait en tant qu'une cause extérieure nous détermine. Mais bon, ce n'est qu'une première tentative de répondre à cette question, il faudrait l'élaborer un peu.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 03 sept. 2007, 13:11

Flumigel a écrit :Je me sens au fond de moi-même paresseux, mais je décide malgré tout de m'obliger à un travail régulier, ne serait-ce que pour prouver l'existence de ma liberté. Je peux le décréter, car même si je ne pense pas moi-même naturellement à le faire, un autre peut m'en soumettre l'idée. Et de fait alors, j'agis tel que j'ai dit.

La raison doit donc bien me permettre de lutter contre ma nature, mais ce travail par la raison doit au bout du compte se révéler pour moi épuisant, tant et si bien que je finis par retourner à ma pente naturelle dès que je suis vaincu par la fatigue, le découragement, ou même la simple inadvertance.


pour essayer de répondre un peu plus succinctement (ou sinon plus concrètement) à la question que tu soulèves (telle que je l'ai comprise): on connaît en effet tous l'expérience où l'on voit bien qu'il faudrait faire x ou y, en raison des bénéfices qu'on attend d'une telle activité, tandis que l'on sent en même temps qu'on n'en a pas le 'courage'.

La façon dont nous interprétons actuellement d'habitude cette expérience, c'est de penser en termes d'instinct et de volonté. Alors on dit qu'instinctivement, nous avons des appétits qui nous font éviter tout effort, tandis que la volonté et la raison sont là pour combattre les instincts, donnant ainsi lieu au grand édifice de la culture humaine.

Alors on se dit à raison que faire un effort pour agir sous la conduite de la raison, c'est quelque chose qui 'coûte cher': cela coûte de l'énergie, et le prix qu'on paie consiste également à faire du mal à sa propre 'nature'. Pourquoi faire quelque chose qui coûte si cher? Parce que, dit l'opinion commune, on peut en attendre une récompense beaucoup plus grande que si l'on obéit à ses 'instincts'. Parce que donc c'est plus rentable sur le long terme.

Ainsi agir vertueusement est toujours une affaire d'investissement de notre capital, avec comme désavantage que le capital disponible immédiatement DIMINUE, tandis qu'on le fait pour avoir plus tard un rendement plus élevé que si l'on n'avait rien investi.

Le 'sage' est alors celui qui n'hésite pas à se faire du mal aujourd'hui, pour avoir la béatitude demain. Le 'sage', dans cette optique, est avant tout un investisseur, qui ne jouit pas immédiatement de son capital de base, mais qui veut l'augmenter en s'en privant temporairement.

Or selon Spinoza ce n'est pas la façon la plus EFFICACE d'interpréter l'expérience dont nous sommes partis ci-dessus. Il propose donc une autre interprétation (qui de prime abord bien sûr nous semblera étrange et donc 'moins vraie', puisque nous n'avons pas l'habitude de penser de cette façon).

Pour lui, sentir qu'il vaut mieux faire x et en même temps sentir qu'on n'a pas trop le courage, avoir l'impression que c'est mieux de le faire mais que cela demande également de nous faire un peu de mal (l'effort dont tu parles), c'est une situation où les idées inadéquates dominent. On est dans une situation de 'fluctuation de l'âme', où une même action x nous inspire en même temps Crainte et Espoir. Or aussi bien la Crainte que l'Espoir sont chez Spinoza des idées inadéquates. C'est donc PARCE QUE nous n'avons pas bien compris la situation, que nous sommes soumis à une espèce de balottement entre l'Espoir et la Crainte. Alors tout de même passer à l'acte signifie raviver encore davantage ces deux affects.

Bien sûr, si finalement le résultat est positif, aussi bien Crainte qu'Espoir auront disparu, et on ne vivra plus que dans le Joie de la réussite (cette Joie étant bel et bien une augmentation de notre puissance). Mais selon Spinoza, cette situation est loin d'être idéale. Ce qu'il conseille de faire (si j'ai bien compris), c'est de D'ABORD éliminer les idées inadéquates. Pourquoi? Parce qu'en ayant ces idées inadéquates, par définition notre puissance d'agir et de pener est diminué. Nous allons donc moins bien faire quelque chose (voire ne pas la faire du tout), que si nous avons une idée adéquate de la situation. Si la Joie finale augmente notre puissance d'agir, l'intensification des idées inadéquates pour y arriver l'a préalablement faire baisser, si bien que le résultat final pour notre bonheur peut bien être égal à zéro ... .

Car 'décider volontairement' de tout de même faire x même quand cela nous donne l'impression de nous faire du mal (quand cela nous fait peur), ce n'est rien d'autre que d'essayer de renforcer le sentiment d'Espoir et de culpabiliser pour le sentiment de Crainte. Deux choses peu efficaces, à la longue. Le bénéfice sur le court terme, c'est qu'on aura tout de même fait quelque chose. Mais le désavantage fondamental, c'est qu'on l'a fait tout en DIMINUANT d'abord notre puissance d'agir et de penser, car on a fortement intensifié les idées inadéquates que sont la Crainte et l'Espoir.

Si donc on aura fait le travail que l'on jugeait nécessaire de faire, cela nous évite quelques conséquences moins agréables, mais au fond, le fait de faire ce travail ne nous a aucunement donné accès à la 'béatitude' ou au salut, précisément ce que l'opinion commun croit que l'on obtiendra comme 'récompense', APRES une longue vie vertueuse. C'est pourquoi selon Spinoza elle se trompe.

Bref, la façon dont on conçoit habituellement la vertu (récompense d'un effort dans lequel nous nous faisons un peu de mal) pour Spinoza n'est rien d'autre qu'un ensemble bien entretenu de Crainte et d'Espoir, qui remet toujours au lendemain ce que l'on peut déjà obtenir aujourd'hui: la béatitude. C'est pourquoi c'est une erreur d'appeller le fait de trop craindre de se faire mal la 'paresse', et le fait de nourir à un tel point l'espoir que l'on passe néanmoins à l'acte la 'volonté'. Plus que de paresse et de volonté, et s'agit selon lui de Crainte et d'Espoir, bref d'idées inadéquates.

Ce n'est pas comme ça qu'un jour on atteindra le bonheur. Le bonheur n'est pas une récompense. Autrement dit: la récompense n'est que la transformation d'un Espoir en une certitude, la transformation d'un affect peu stable en un autre, que Spinoza appelle la 'Sécurité'. Mais le bonheur n'est pas un simple sentiment de Sécurité! La Sécurité en tant que telle n'augmente pas encore notre puissance d'agir et de penser, elle la rend seulement possible (dans certaines circonstances).

Le bonheur ou la béatitude pour Spinoza ACCOMPAGNE nos actions, elle ne vient pas par après. C'est quand nous avons une idée adéquate (surtout si elle est du 3e genre) que nous éprouvons SIMULTANEMENT le bonheur. Et c'est quand nous avons des idées inadéquates (comme la Crainte et l'Espoir) que nous sommes malheureux, que notre puissance a déjà diminué.

Alors en ce qui me concerne la question n'est pas de savoir qui a 'raison', dans cette affaire, Spinoza ou l'opinion commune partagée aujourd'hui, au début de ce XXIe siècle, en Occident. La question est de savoir laquelle des deux interprétations rend le plus heureux (aussi bien l'homme en tant qu'individu, que la société en tant qu'individu). Pour le savoir, je crains qu'il n'y ait qu'un seul moyen: il faut 'expérimenter' pendant un certain temps l'interprétation spinoziste dans sa propre vie (après avoir essayé de bien la comprendre), afin de 'tester' sa valeur, afin de voir dans quelle mesure elle rend réellement plus heureux ou non.
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Messagepar 8 » 06 sept. 2007, 06:05

Que l'on subisse ou que l'on choisisse l'eloignement sociale, n'est-il pas question de positionnement ?
Pour le phobique,l'autiste, n'y-a-t'il aucun salut possible? de meme l'hermite
est-il necessairement un sage?
l'eloignement sociale en lui-meme augmente ou diminue notre puissance d'etre et n'a rien de définitif.
Seul l'infini est définitif

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Joie Naturelle
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Messagepar Joie Naturelle » 08 sept. 2007, 16:14

Vagabond a écrit :Philomag
Inné et acquis : les réponses d'Henri Atlan


5 - Tant que des biologistes continueront à répéter avec l'aide de media, que les gènes sont ce qui nous définit – la référence aux empreintes génétiques renforce cette idée reçue, mais c'est comme si on disait que nos empreintes digitales, encore plus individualisées puisque différentes chez des vrais jumeaux, nous définissent –, et que la connaissance des gènes permettra de prévenir toutes les maladies, on ne doit pas s'étonner de déclarations intempestives de politiques qui les reprennent à leur compte. Nous, scientifiques et journalistes, devons balayer devant notre porte, en amont des jugements idéologiques et moralisateurs politiquement corrects ou incorrects. Proscrire les expressions "gène de ceci ou de cela" en-dehors de cas particuliers très strictement limités


Je te remercie pour tes précisions. Tout ceci est bien évidemment très intéressant et ne peut que m'aider à réfléchir.

Je souhaitais juste préciser à titre personnel que lorsque je parle de gènes, c'est parce que je ne sais comment nommer les choses autrement. Je ne suis pas scientifique, et à la place du mot "gène", j'entends plus précisément ce qui nous constitue et nous détermine, et qui est d'origine physique (et non environnementale).


Vagabond a écrit :5 - Croire en la réalité du libre-arbitre n'est pas la seule illusion aliénatrice dans laquelle nous sommes embarqués comme dans une illusion inévitable, faisant partie de notre condition, comme "le soleil à 200 pieds" de Spinoza. Il en est une autre, peut-être plus grave et plus dangereuse, qui tient cette fois à la confusion entre connaissances partielle et totale. Tandis que l'illusion du libre arbitre peut être une illusion qui se connaît comme telle, l'illusion de connaissance totale est une illusion qui ne se connaît pas comme telle. Croire qu'on a découvert la cause d'un phénomène alors qu'on n'a fait qu'en identifier une cause parmi beaucoup d'autres est le danger d'extrapolation ou de généralisation abusive et de connaissance d'autant plus illusoire qu'elle s'ignore comme telle. Car la connaissance qui nous libère est aussi celle de ce que nous ignorons. Rien de pire donc que d'extrapoler et généraliser une cause partielle vraisemblable. L'histoire des sciences, de la biologie en particulier, est pleine d'exemples d'illusions de ce type.



Bien sûr, pour ma part, je n'affirme pas détenir la connaissance totale. Je cherche, simplement, et comme je l'ai déjà dit, les grandes questions de la vie que beaucoup expliquent par des facteurs environnementaux et par l'éducation resteront pour moi un sujet d'interrogation tant que ces explications ne suffiront pas à me convaincre complètement.

Car ces facteurs existent bien, mais il ne faut pas oublier qu'ils ne font que s'appliquer à une nature préexistante (l'homme ne naissant pas coquille vide, à ce qui me semble), et que leur influence me paraît aussi être déterminée et limitée par ce qu'on nomme la force de caractère d'une personne.

Le temps me fera toujours défaut, ici, pour que je puisse étayer davantage ma pensée, et j'espère que celle-ci ne sera pas trop mal comprise, ni réduite aux idées simplistes d'une âme bornée.


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