Phobie sociale, autisme...et Spinoza

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
Pourquoipas
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Messagepar Pourquoipas » 04 juil. 2007, 05:29

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Enegoid
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Messagepar Enegoid » 07 juil. 2007, 20:05

Quelques réactions à cette belle série d’échanges :

1. Sur l’intérêt de la vie en société : on pourrait se demander si la vie hors société est seulement possible. On pourrait se tourner vers le TP et tenir compte du fait que la société se crée par abandon du droit naturel et qu’il résulte de cet abandon que toute société se caractérise par une puissance mise en place et par des lois. Dans ce sens, même l’ermite ne peut vivre en dehors de la société, car il est toujours soumis à ses lois. Il faudrait imaginer le dernier homme après une catastrophe nucléaire. Cela ne répond pas, évidemment, à la préoccupation beaucoup plus pratique, et psychologique, de Flumigel, mais c’est, je trouve un point de vue éclairant.

2. Quand Spinoza dit qu’il est bon de vivre parmi les hommes et non tout seul, j’ai toujours l’impression qu’il dit ça un peu comme en passant et comme une évidence non fondée. Le seul argument qu’il donne est l’augmentation de puissance que l’on peut avoir à plusieurs : exemple de ce forum où l’on peut espérer que notre puissance de comprendre la pensée de Spinoza est augmentée.

3. Quelque part, on se pose la question de savoir si l’idée de Faun est, ou non, adéquate. Cette question n’a pas de sens : seul Faun peut savoir si son idée est adéquate. Cela me semble découler de tout ce que dit Spinoza sur la question. S’il le faut je partirai à la chasse aux citations.

4. Effort, paresse ? Tout est dans la faculté de connaître, faculté par définition partagée. J’avoue ne pas être à l’aise avec la dichotomie Spinoziste constituée par, d’un côté la connaissance, les idées adéquates ou non, et de l’autre, le conatus, la puissance et le désir. Je pense à tous les entraînements aux situations extrêmes qui, par la connaissance des dangers, des réactions possibles, permettent de réaliser des choses extraordinaires, par exemple sportives ou militaires : ces entraînements montrent que, une fois connu le désir (on s’entraîne pour…), c’est le travail qui compte. Mais il faut d’abord connaître.

5. Vive le tigre ! (NB je n’ai personnellement jamais associé l’image du philosophe à celle du tigre). Image de la puissance non haïssable mais absolument mortelle. Image de Dieu ?

6. Vive la physique ! L’univers de Spinoza est absolument causal. Et il et vrai qu’il y a eu des physiciens pour remettre en question le principe de causalité et le remplacer par des lois probabilistes. Je ne sais pas où ils (les physiciens) en sont aujourd’hui. Sommes-nous plus ou moins déterminés que des électrons ? (Ou des particules plus élémentaires). Max Planck disait il y a plus d’un demi siècle qu’il fallait faire comme si l’univers était totalement causal : c’est plus efficace pour avancer. (Cf « Initiations à la physique ». M. Planck Champs Flammarion).

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Louisa
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Messagepar Louisa » 08 juil. 2007, 04:45

Enegoid a écrit :3. Quelque part, on se pose la question de savoir si l’idée de Faun est, ou non, adéquate. Cette question n’a pas de sens : seul Faun peut savoir si son idée est adéquate. Cela me semble découler de tout ce que dit Spinoza sur la question. S’il le faut je partirai à la chasse aux citations.


il me semble que Spinoza dirait que de toute façon, dans le cas où Faun aurait des idées inadéquates au sujet pe de la paresse, on ne pourra jamais rien détecter de négatif DANS ces idées mêmes qui les rendent fausses. Mais alors la question devient: qu'est-ce que les idées de Faun contiennent de 'positif'? Sans doute ce n'est que lui qui pourra nous le dire (c'est-à-dire nous donner ses arguments). Mais conclure de cela que seul Faun peut savoir si son idée est adéquate me semble être un subjectivisme voire un solipsisme difficilement conciliable avec la théorie de la connaissance de Spinoza. Car une des deux sources ou un des producteurs d'idées adéquates, c'est la raison. Or la raison ne produit que des idées adéquates qui sont des notions COMMUNES. Et c'est le fait même qu'elles sont des idées de ce que nous avons en commun qui en fait des idées adéquates/vraies. Alors comment supposer que quand nous discutons de la théorie spinoziste, seul Faun pourrait savoir si son idée est adéquate ou non ... ?
Autrement dit, cela m'intéresse bien de savoir sur quelles propositions on pourrait se baser pour défendre cette idée. En ce qui me concerne, je crois que Spinoza dit qu'une idée adéquate est une idée qui se déduit de sa nature seule (donc de la nature de l'Esprit de Faun), et non pas de celle-ci prise ensemble avec la nature du corps extérieur dont l'idée est une idée. Or justement, cette nature de l'Esprit, c'est la raison. Et la raison, c'est ce que nous avons tous en commun, nous être humains. Alors comment avoir une idée adéquate soi-même SEUL ... ?

Enegoid a écrit :4. Effort, paresse ? Tout est dans la faculté de connaître, faculté par définition partagée. J’avoue ne pas être à l’aise avec la dichotomie Spinoziste constituée par, d’un côté la connaissance, les idées adéquates ou non, et de l’autre, le conatus, la puissance et le désir.


je ne vois pas comment y voir une DICHOTOMIE. Le désir, la puissance d'agir et la raison ou la pensée ne sont pas des choses DIFFERENTES qui caractérisent l'homme, mais à chaque fois de manières d'être de l'essence de l'homme. Le désir, c'est l'essence de l'homme EN TANT QU'il s'efforce à persévérer dans son être. La pensée, c'est l'essence de l'homme en tant qu'il comprend (c'est-à-dire en tant qu'il a des idées adéquates), etc. Bref, tout cela sont à chaque fois des points de vue, ou des aspects, d'une seule et même chose: l'essence d'un homme. Pour qu'il y ait 'dichotomie', il faut qu'il s'agisse de deux choses différentes, ce qui n'est pas le cas chez Spinoza. J'ai l'impression qu'ici nous touchons justement à une des grandes originalités de Spinoza.
Cette révolution consiste notamment à appeler NON SEULEMENT 'connaissance' les idées adéquates, mais AUSSI les IDEES INADEQUATES! Les idées inadéquates constituent simplement le premier genre de CONNAISSANCE, celui qui du point de vue de la raison est faux, même si en tant que tel il ne contient rien de négatif.

Enegoid a écrit :Je pense à tous les entraînements aux situations extrêmes qui, par la connaissance des dangers, des réactions possibles, permettent de réaliser des choses extraordinaires, par exemple sportives ou militaires : ces entraînements montrent que, une fois connu le désir (on s’entraîne pour…), c’est le travail qui compte. Mais il faut d’abord connaître.


Je ne crois pas que chez Spinoza il y ait une distinction connaissance pratique - théorique. Connaître, ce n'est rien d'autre qu'avoir une idée. Or l'Esprit forme une idée de toute affection du Corps. Savoir nager est donc tout aussi 'connaître' qu'apprendre la loi de la gravitation de Newton. Il ne faut pas d'abord connaître pour pouvoir nager, il faut faire l'expérience de nager, et puis essayer de comprendre comment composer un rapport avec l'eau, comme le dit Deleuze. Chez Spinoza, le savoir, cela s'expérimente (voir le célèbre 'nous sentons et expérimentons que nos sommes éternels'). De même, pour pouvoir comprendre le spinozisme, je crains qu'il faut le mettre en pratique, essayer de l'appliquer maximalement dans sa vie quotidienne. Si l'on ne fait pas cela, on n'a du bonheur qu'une connaissance de premier degré, d'ouïe-dire (le texte de Spinoza étant alors l'opinion entendue).
Bref, je vois mal comment concevoir la connaissance chez Spinoza comme étant purement 'théorique'.

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Messagepar Enegoid » 09 juil. 2007, 12:55

Chère Louisa,

je réponds sur :
1. La question de savoir si on peut avoir une idée adéquate soi-même seul
2. La question d’une dichotomie éventuelle entre deux séries de concepts (idées adéquates, connaissance/puissance, conatus)

Peut-on avoir une idée adéquate seul ?

Premièrement
(J’évacue pour l’instant la distinction de forme entre idée vraie et idée adéquate).
Un des critères d’une pensée vraie ou adéquate est la clarté. Je vous renvoie à la célèbre citation de ET III, 47, scolie, de l’homme qui voit sa maison s’envoler sur une poule : « je n’ai pas cru qu’il soit dans l’erreur parce que sa pensée me semblait assez claire » en dit Spinoza. Et la pensée de Faun sur la nécessité ou non de vivre en société (et non sur la parese) paraissait assez claire. Ce qui renvoie à la question de ce que Faun avait en tête en énonçant sa proposition, et à ce que ses lecteurs avaient en tête en l’interprétant. La « chose » dont il s’agissait d’avoir une idée étant suffisamment floue pour autoriser beaucoup d’idées (adéquates ou non).

Deuxièmement
Pour savoir si, d’une façon générale, on peut avoir une idée adéquate seul, il me semble que toute une série de phrases de Spinoza incitent à répondre oui.

Dans le TRE (Appuhn) d’abord :
« …pour avoir la certitude de la vérité, nulle marque n’est nécessaire en dehors de la possession de l’idée vraie »(27)
« Pour savoir que je sais, il est nécessaire que je sache d’abord » (27)
« (L’entendement) enveloppe en lui la certitude, c’est-à-dire il sait que les choses sont formellement comme elles sont contenues en lui objectivement » (63)


Dans l’éthique, ensuite :
« Qui a une idée vraie sait en même temps qu’il a une idée vraie et ne peut douter de la vérité de sa connaissance » ETIII, 43.

Troisièmement
A propos des notions communes, je trouve que l’on a tendance à, comment dire, les poétiser un peu, et l’exemple célèbre de Deleuze avec la natation, bien que plaisant, ne me convainc pas. Spinoza parle de corps et de propriétés de corps, communes, qui nous ramènent à l’espace, à l’étendue et au mouvement, point final. Je ne trouve rien dans les notions communes qui ne soit commun à nous et aux animaux (qui peuvent aussi apprendre à nager).
Et si l’on revient aux corps, la phrase de Faun sur l’autonomie de l’homme après la puberté devient plutôt vraie, ne trouvez-vous pas ?


Effort, puissance, etc.

Voilà comment le vois les choses (je rappelle que je ne suis pas très clair sur le sujet) :
Spinoza se pose la question du véritable bien. Il s’est peut-être aussi posé celle de savoir s’il pourrait reprendre l’affaire de son père, ou devenir un Rabbin célèbre. Finalement, le conatus ou la puissance de la première question l’a emporté en lui.
Ce conatus s’affirme, et se confirme dans une démarche de réflexion et de pensée qui le conduit à réaffirmer la puissance de sa question. Comme Descartes, Pascal, et bien d’autres….

Cette puissance de la question le conduit à augmenter sa connaissance, et à travailler (le mot travail pour relier à la problématique de la paresse) pour obéir à cette puissance.

S’il avait choisi de devenir un Rabbin célèbre, la puissance de son choix l’aurait conduit dans un autre chemin (en composant par exemple avec les puissances installées), mais ce faisant, il aurait aussi développé des idées adéquates et augmenté ses connaissances.

D’accord avec vous, tout à fait, et sans aucune restriction, sur la nécessité de la mise en pratique. Je ne conçois absolument pas la connaissance selon Spinoza comme une connaissance seulement théorique. Je me suis mal exprimé ou vous m’avez mal compris !

Bien cordialement.

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Messagepar Louisa » 09 juil. 2007, 17:58

cher Enegoid,

merci pour ces précisions. Une réponse plus détaillée arrive bientôt, pour l'instant je voulais juste dire qu'en fait, je suis tout à fait d'accord pour dire que chez Spinoza on peut avoir une idée adéquate tout seul. La question que votre message soulevait me semblait être légèrement différente (ou en tout cas est-ce ainsi que je l'avais interprété): il s'agissait de savoir si quand Faun (ou n'importe qui) propose l'idée x, il suffit que lui-même il y croit pour que cette idée peut être accepté comme étant vraie par tous.

Vous dites que la clarté est un indice de la vérité, pour Spinoza. Je le crois aussi. Mais ne faut-il pas distinguer la clarté que l'Esprit qui a une IDEE x a pour lui, de la clarté de l'EXPOSÉ d'une interprétation/idée de la pensée de Spinoza? Car ce n'est tout de même pas parce que quelqu'un qui ne partage pas votre opinion réussit à expliquer son opinion clairement, que celle-ci devient déjà vraie, que vous changerez déjà d'opinion?

Un exemple: les commentateurs de Spinoza discutent depuis longtemps de certaines interprétations divergeantes. A mon avis, souvent ils arrivent à exposer très clairement leur point de vue, mais ce n'est pas encore pour autant que l'on en est convaincu. C'est pourquoi je crois qu'avoir une idée 'claire et distincte', ce n'est pas la même chose que de s'exprimer clairement en paroles, de communiquer clairement une idée. On peut avoir une idée claire tout en ne réussissant pas à l'exposer clairement (car la communication passe par les mots, qui ne sont pas des idées mais des mouvements corporels, chez Spinoza). Inversement, on peut pe très clairement exposer l'idée que la terre est au centre de l'univers, cela n'en fait pas encore une idée adéquate ou vraie.
Amicalement,
louisa

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Messagepar Enegoid » 11 juil. 2007, 11:03

Réponse à Louisa

On peut effectivement exposer clairement que le soleil tourne autour de la terre. Donc, la clarté n’est pas tout !

Je n’ai moi-même pas une idée très satisfaisante de ce que veut dire Spinoza quand il parle des idées vraies, notamment dans le TRE, mais je peux faire deux remarques.

1. Ni vous ni moi n’avons trouvé tout seuls que la terre tourne autour du soleil. On nous l’a dit. Parfois on nous le montre. A strictement parler, il s’agit de connaissances par ouï-dire. (1)
Mais nous en sommes sûrs l’un et l’autre. Parce que : la science. Qui fonctionne comme une conscience collective, et qui ne se situe dans aucune conscience particulière.

2. Or la question de la vérité concerne, dans ce qui nous occupe, la conscience particulière : comment une conscience particulière accède-t-elle à la certitude de la vérité ? Et là, Spinoza part de choses très simples : la connaissance du cercle, la connaissance de Pierre : « Chacun peut l’éprouver en voyant que, sachant ce qu’est Pierre, il sait aussi qu’il sait, et encore sait qu’il sait qu’il sait, etc. ».
J’en conclue pour l’instant que je ne suis sûr et certain que de mes perceptions, comme de voir le bâton se tordre quand je le trempe dans l’eau. (Car, bien entendu il ne s’agit pas de connaître Pierre comme Dieu le connaît : je sais qu’il s’appelle Pierre, je sais que je l’ai déjà vu, je sais qu’il habite au bout de la rue, cad je connais des attributs de Pierre. Mais son essence ? Cela reste pour moi une question.)

Ces remarques, un peu confuses peut-être, pour indiquer au moins que la question de la vérité concerne d’abord, non seulement la conscience individuelle, mais aussi des choses très élémentaires et très intimes. Ensuite, on peut construire des raisonnements et des systèmes, des pensées complexes telles que « Peut-on vivre sans la société » ou « que pense Spinoza de la paresse » ? Mais n’y a-t-il pas, à la racine de nos assertions les plus élaborées, une « idée vraie » élémentaire dont nous ne pouvons absolument pas douter ?
Et alors, mais alors seulement, se pose la question, que vous posez, du partage de la vérité.

(1) Etes vous absolument certaine qu’un jour, vous n’allez pas tomber sur un physicien (dont vous respecterez la compétence) qui va vous expliquer que, pas du tout, tout çà c’est une question de systèmes de références, forcément arbitraires, et que votre esprit n’éprouvera aucun vacillement devant son discours (peut-être farceur) ?

Amicalement


(Je m’aperçois que j’ai fais une erreur de citation : « Qui a une idée vraie… », c’est EII 43 et non EIII 43 !)

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Miam
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Messagepar Miam » 13 juil. 2007, 13:13

Enegoid :

« la dichotomie Spinoziste constituée par, d’un côté la connaissance, les idées adéquates ou non, et de l’autre, le conatus, la puissance et le désir. »

De quelle dichotomie s’agit-il ? Le conatus (ou le désir) est l’essence ou la puissance d’un être actuel comme vous et moi. Les idées adéquates sont des affects actifs qui augmentent ou secondent cette puissance, les idées inadéquates sont des affects passifs qui diminuent ou empêchent cette puissance. Il n’y a absolument pas de dichotomie. Le seul critère de la connaissance adéquate est toute entière affective et relève du désir.

« ! L’univers de Spinoza est absolument causal. »

Oui et Non.
Si on considère la causalité comme une relation entre un phénomène x qui est cause d’un phénomène y, effet de x, alors l’épistémologie spinozienne n’est pas fondée sur la causalité. Spinoza ne pose jamais deux choses définies dont l’une est la cause de l’autre. Précisément, toute chose est définie par sa cause : y n’est pas une chose définie qui est l’effet d’un x défini. y est défini par x. Autrement dit : nous n’avons pas deux produits (deux choses déterminées) dont l’un produit l’autre mais un produit (l’effet) qui est sa production (la cause). C’est en ce sens seulement que « l’univers spinozien est absolument causal ». La relation cause-effet ne pose aucun problème puisque l’effet est sa cause, le produit est sa production. Or c’est seulement au premier sens – cartésien ou kantien mais certainement pas spinozien – que les physiciens contemporains excluent la causalité. Pas du tout au second sens. En vérité, lorsqu’elle exclue la « causalité » au premier sens, la physique contemporaine s’éloigne de la seule notion « moderne » de la causalité et se rapproche d’autant plus de la notion spinozienne de la causalité.

Louisa :

« Car une des deux sources ou un des producteurs d'idées adéquates, c'est la raison. Or la raison ne produit que des idées adéquates qui sont des notions COMMUNES. »

Il n’y a qu’une « source » d’idées adéquates : l’entendement. La Raison, c’est le processus de déduction d’idées adéquates à partir des notions communes saisies par l’entendement (cf II 40s2). Comme l’entendement (i.e. le Mental actif éternel) est composé d’idées adéquates, la Raison fait partie de l’entendement. On l’appelle Raison parce qu’étant médiate, déductive, elle relève du deuxième genre de connaissance alors que le troisième genre est une saisie immédiate.


« Et c'est le fait même qu'elles sont des idées de ce que nous avons en commun qui en fait des idées adéquates/vraies. »

Une idée vraie n’est pas nécessairement adéquate (cf. II 32). Si j’affirme un cheval ailé comme une idée de Dieu, c’est idée est vraie et inadéquate : vraie parce que Dieu a en effet l’idée d’un cheval ailé ; inadéquate parce que je ne situe pas cette idée dans sa production causale. Cf. mes précédents messages.

« Or justement, cette nature de l'Esprit, c'est la raison. »
Non. La nature du mental, c’est l’affirmation de son objet (cf. III App.Ex. (fin)). La Raison est la nature de l’homme.

« En ce qui me concerne, je crois que Spinoza dit qu'une idée adéquate est une idée qui se déduit de sa nature seule (donc de la nature de l'Esprit de Faun), et non pas de celle-ci prise ensemble avec la nature du corps extérieur dont l'idée est une idée. Et la raison, c'est ce que nous avons tous en commun, nous être humains. Alors comment avoir une idée adéquate soi-même SEUL ... ? »

Une idée est inadéquate si elle « est rapportée à Dieu en tant qu’il constitue le Mental et conjointement autre chose » (II 11s, 23d,etc…), c’est à dire si c’est une idée « tronquée », si on ne peut la situer dans sa production causale sans tenir compte à la fois du Mental affecté et de ce qui l’affecte (cf. II 16c). Cela ne veut pas dire qu’une même idée ne puisse être adéquate à la fois dans le Mental affecté et le mental de ce qui l’affecte. Au contraire : ce sont de telles idées (notions) communes seulement qui sont adéquates. Donc : au contraire, on ne peut jamais avoir une idée adéquate seul.

« Cette révolution consiste notamment à appeler NON SEULEMENT 'connaissance' les idées adéquates, mais AUSSI les IDEES INADEQUATES! Les idées inadéquates constituent simplement le premier genre de CONNAISSANCE, celui qui du point de vue de la raison est faux, même si en tant que tel il ne contient rien de négatif. »

Nécessairement, puisqu’une idée inadéquate est toujours fondée sur une idée adéquate, au moins celle de Dieu, sans quoi elle ne serait pas même une idée, c’est à dire une idée vraie. La « révolution », comme tu le montres toi-même, c’est le déplacement de la notion traditionnelle de vérité (sur base pourtant d’une définition traditionnelle), de sorte à distinguer vérité et adéquation. Sans quoi, comme tu le dis, une idée inadéquate ne serait pas une connaissance et donc pas une idée.

Enegoid écrit : « seul Faun peut savoir si son idée est adéquate. ».

En aucune façon. Une idée adéquate est une idée qui « fonctionne » parce qu’elle est ajustée à d’autres idées. Elle ne peut être considérée seule. Considérée seule, c’est une idée vraie comme une autre et on ne peut rien en dire. Mais son adéquation à d’autres idées est tout aussi visible que le serait le fonctionnement d’un dispositif (d’une machine par exemple) produit par Faun et qui devrait s’ajuster à d’autres dispositifs. Une idée adéquate est précisément toujours considérée dans son aspect pratique. Car il y a bien une distinction entre la pensée pratique et la pensée théorique chez Spinoza : c’est là même qu’entre la puissance d’agir (y compris en pensée) qui relève de l’adéquation formelle (matérielle) et la puissance de penser par laquelle toute idée prise seule est vraie. Mais le théorique dépend du pratique : la puissance de penser qui suit d’un mode infini dépend de la puissance d’agir qui suit de la nature même de l’attribut ou (car c’est la même) de Dieu.

Enegoid :

« J’évacue pour l’instant la distinction de forme entre idée vraie et idée adéquate »

C’est une erreur.

« Un des critères d’une pensée vraie ou adéquate est la clarté. »

Non. D’abord il s’agit de clarté ET de distinction. Ensuite il ne s’agit pas d’un critère d’adéquation car si toute idée adéquate est claire et distincte, le contraire n’est pas vrai. Ex : l’idée de Dieu est adéquate et obscure. Dans « adequatae sive clarae et distinctae », le « sive » n’est pas réciproque : cela veut dire que toutes les idées adéquates sont claires et distinctes, non l’inverse.

« Je vous renvoie à la célèbre citation de ET III, 47, scolie, de l’homme qui voit sa maison s’envoler sur une poule : « je n’ai pas cru qu’il soit dans l’erreur parce que sa pensée me semblait assez claire » en dit Spinoza. Et la pensée de Faun sur la nécessité ou non de vivre en société (et non sur la parese) paraissait assez claire. Ce qui renvoie à la question de ce que Faun avait en tête en énonçant sa proposition, et à ce que ses lecteurs avaient en tête en l’interprétant. La « chose » dont il s’agissait d’avoir une idée étant suffisamment floue pour autoriser beaucoup d’idées (adéquates ou non). »

Cela relève des mots (des affections) et non des idées.

Le « Deuxièmement » confond vérité et adéquation.

« Troisièmement
A propos des notions communes, je trouve que l’on a tendance à, comment dire, les poétiser un peu, et l’exemple célèbre de Deleuze avec la natation, bien que plaisant, ne me convainc pas. Spinoza parle de corps et de propriétés de corps, communes, qui nous ramènent à l’espace, à l’étendue et au mouvement, point final. Je ne trouve rien dans les notions communes qui ne soit commun à nous et aux animaux (qui peuvent aussi apprendre à nager).
Et si l’on revient aux corps, la phrase de Faun sur l’autonomie de l’homme après la puberté devient plutôt vraie, ne trouvez-vous pas ? »

Non. A moins de considérer que tous les animaux peuvent faire ce que peut faire l’homme et vice versa. Ce qui est faux.

Tout le reste de votre dialogue, ce me semble, relève également de la confusion entre les mots (l’exposition de l’idée), l’idée vraie (toute idée est vraie) et l’idée adéquate. Si je sais que la terre tourne autour du soleil, ce n’est pas par ouï-dire, mais parce que à partir de cette idée, les mouvements des planètes (et leurs idées) s’ajustent beaucoup mieux qu’avec l’hypothèse inverse. Et c’est cela qu’on appelle la science.


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Messagepar Enegoid » 13 juil. 2007, 18:42

Je suis tout à fait d'accord pour aller plus loin sur la notion de vérité ou d'adéquation sur la notion de causalité, et sur les notions communes. Mais je dois m'absenter quelque temps, et, donc, on verra bien si le sujet reparait.

Je me contente aujourd'hui :

1 de citer ETII, définition IV (définition d'une idée adéquate). Si une idée est vraie elle est forcément adéquate, et si elle est adéquate elle est vraie. Dire d'une idée qu'elle est adéquate, c'est simplement la considérer dans ses propriétés sans rapport avec son objet. Pour cette raison, dans le sujet en cours, la distinction ne m'a pas paru structurante.

2 Sur la causalité : je suppose que vous distinguez (dit en gros) la causalité divine (Dieu est cause des choses), et la causalité des phénomènes entre eux. Il me semble que les propositions ETI XVIII et XXVIII montrent que Spinoza est causal dans les deux sens du terme.


Pour le reste, je vais, bien sûr, réfléchir à ce que vous dites sur ces questions. Merci pour le grain à moudre !

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Messagepar Miam » 13 juil. 2007, 19:43

La définition en question s'énonce : J'entends par idée adéquate une idée qui, en tant qu'on la considère en elle-même, sans relation avec l'objet, a toutes les propriétés ou dénominations intrinsèques d'une idée vraie".

Cela ne veut absolument pas dire que "idée adéquate" et "idée vraie" signifient la même chose. Bien sûr c'est une seule et même cfhose, de même que le mental et le corps correspondant à ce mental sont une seule et même chose, comme le dit Spinoza. MAIS CELA N'EMËCHE PAS DE LES DISTINGUER puisque l'un suit de l'attribut pensée et l'autre de l'attribut Etendue. De même entre l'idée adéquate et l'idée vraie, car l'une suit de la puissance d'agir et l'autre de la puissance de penser. Une idée vraie considérée en elle-même n'est plus seulement une idée vraie, car une idée vraie est définie par l'adéquation à l'objet, pas aux autres idées. Une idée vraie n'est jamais considérée seulement en elle-même mais par rapport à son objet auquel elle demeure comme rivée. Alors qu'une idée adéquate est une idée considérée en elle même parce que sa nature n'est pas définie autrement que par l'adéquation aux autres idées : tous les modes du penser ont une même nature (essence), celle de l'attribut.

Il s’agit de la signification, dans l’Ethique, des opérateurs logiques « sive » et « hoc est » qui relient toutes ces notions voisines de celle de « vérité », à savoir « adéquation », « clarté et distinction » et leurs contraires.

Ni « sive » (« autrement dit ») ni « hoc est » (« c’est-à-dire ») n’opèrent d’ implications réciproques, mais signifient une implication simple de la forme : « si A alors B » dans la mesure où « tous les A sont B ». Cette implication est non réciproque : « si A alors B » - tous les A sont B – ne peut être inversée en « si B alors A ». Sinon, nécessairement tous les A seraient B et tous les B seraient A, de sorte que ces termes seraient totalement synonymes.

Il eût certes fallu bien de la perversité à un auteur qui, après avoir précisément distingué des termes si importants, soit explicitement (x ainsi l’idée adéquate est définie en II D4 et la vérité est introduit par l’axiome I A6), soit par leur usage, n’en ferait pourtant que deux noms pour une seule et même signification. Je ne crois pas que l’on puisse faire une telle lecture de Spinoza. Ainsi par exemple : si « adéquat » et « vrai » étaient synonymes, une proposition telle que « Toute idée qui en nous est absolue, c’est-à-dire adéquate et parfaite, est vraie » (II 34) et sa démonstration doublement articulée, serait proprement insignifiante.

Je demande d’accepter que « claram et distinctam hoc est veram ideam » (I 8s) signifie que toutes les idées adéquates sont vraies mais non la réciproque : que toutes les idées vraies sont claires et distinctes. De même je lis en « ideae adequatae sive clarae ac distinctae » (II 36) que toutes les idées adéquates sont claires et distinctes, mais non la réciproque : que toutes les idées claires et distinctes sont adéquates - et ceci bien que, dans certains contextes seulement (cf. III 58d et IV 52d), la relation puisse explicitement s’inverser de sorte à former une implication réciproque ou égalité stricte.

De la lecture de des occurrences de ces termes dans l’Ethique, il résulte les syntagmes et implications suivantes .

Implications :

1) Si Adéquate alors Vraie (II 34)
2) Si Adéquate alors Distincte (II 13s) y compris l'idée de Dieu qui est compris dans le contexte.
3) Si Adéquate alors Claire et Distincte (II 36, 38c, ), sauf l’idée de Dieu qui est exclu du contexte. voir 5.
4) Si inadéquate alors Mutilée et Confuse (II 35) :
- et non Obscure et Confuse puisqu’une idée Adéquate, l’idée de Dieu, peut être Obscure (voir 5)
5) L’idée de Dieu est Adéquate et Obscure (II 47 et 47s)

6) Si Claire et Distincte alors Vraie (I 8s2, II 43s) . C’est la “Règle générale”
cartésienne du début des Méditations III et des Principes I, 30 et 43.
7) Si Confuse alors Mutilée (V 20s)

8) Si Claire et Distincte alors Adéquate (IV 52d). Inversion de 3), valide dans ce contexte, parce qu’il s’agit de l’homme considérant ce qui suit de sa propre puissance d’agir.
9) Si Vraie alors Adéquate (III 58d). Inversion de 1), valide dans ce contexte, parce qu’il s’agit du Mental considérant sa propre puissance d’agir.



Syntagmes :

1) Distincte ou Confuse (IV 1s. Cf. Descartes)
2) Claire et Distincte ou Confuse (II 28)
3) Inadéquate et Confuse (II 35d, 41d)
4) Mutilée et Confuse (III 1d)
5) Adéquate ou Confuse (II 29d)
6) Claire ou Obscure (Descartes)
7) Adéquate ou Inadéquate (évident)

Confuse = Faux et que Mutilée = Vraie, sans quoi plusieurs énoncés de l’Ethique deviennent « insignifiants ».


2. "je suppose que vous distinguez (dit en gros) la causalité divine (Dieu est cause des choses), et la causalité des phénomènes entre eux."

Non. Pas du tout. Je distingue la chose considérée dans son essence causale, c'est à dire sa production, où il n'y a aucune différence entre l'essence de la cause et l'essence de l'effet, comme chez Spinoza, de la notion de causalité qui suppose la distinction de la cause et de l'effet dans la mesure où la chose n'est pas définie par sa cause mais par autre chose comme par exemple les natures simples cartésiennes, ou encore de la causalité kantienne définie à partir de l'idée de succession.

Miam

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Messagepar Enegoid » 16 juil. 2007, 19:29

Cher Miam,

j'admire votre travail de recherche sur le thème vrai / adéquat. Ce thème vous passionne à l'évidence, il me passionne aussi (vous avez dit "passion"?)
Je procède moi-même à un travail de re construction de ma pensée sur le sujet, dont je vous propose un premier élément simple :

Je pars de la définition de l’idée adéquate :

« Une idée adéquate est une idée qui…a toutes les propriétés ou présente tous les signes (dénominations) intrinsèques d’une idée vraie. »

Je recherche donc les propriétés et les « signes » d’une idée vraie.

Quelles sont les propriétés d’une idée vraie ?
(« Une idée claire et distincte ne peut être fausse » TRE 68)
Peut-il y avoir des idées vraies qui ne soient ni claires, ni distinctes ? Je réponds non, sous réserve d’argument opposé.
Donc, pour moi, les propriétés de l’idée vraie sont la clarté et la distinction d’avec ce qui n’est pas elle.

Quels sont les signes (dénominations) intrinsèques d’une idée vraie ?
Il me semble que le signe de la vérité est son caractère de certitude (« je sais que je sais »). Mais j’admets qu’il peut y avoir discussion sur ce que voulait dire Spinoza par « signes » ou « dénominations ». J’ai un doute.

En attendant une levée du doute, je fais l’hypothèse qu’ une idée adéquate est une idée claire, distincte, qui présente un caractère de certitude.

Voyez-vous une objection à ce raisonnement ?

Je laisse pour l'instant de côté l'exception de l'idée adéquate "obscure".

Il y a encore beaucoup de choses à dire sur les idées adéquates et leur rapport avec la puissance, les notions communes, la causalité, etc. mais chaque chose en son temps.


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