Phobie sociale, autisme...et Spinoza

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Faun
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Messagepar Faun » 26 juin 2007, 20:51

Miam a écrit :Faun a écrit :"La société ne fait en aucun cas partie des besoins vitaux de l'homme".
Faun est donc né d'une immaculée conception dans le désert et s'est nourri et abrité tout seul depuis son plus jeune âge ?
Même l'hermite est un être social. Réagissant contre la société et agissant donc par rapport à la société, il l'est par son comportement même. Ensuite il est connu par la société (sans quoi il n'existerait pas pour nous), donc il est social. Enfin il est né au sein d'une société comme tous les hommes sauf Faun et cela, qu'il le veuille ou non, l'accompagne dans son désert.


La dépendance de l'homme envers la société dure jusqu'à ce qu'il soit capable de se nourrir seul, c'est à dire jusque vers 12-14 ans.

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Messagepar Pourquoipas » 28 juin 2007, 11:55

Faun a écrit :
Servais a écrit :A ta dernière question : "certains êtres ne seraient-ils pas condamnés d'avance, en quelque sorte, même si cette manière de considérer les choses (qu'on jugera défaitiste) a de quoi déranger ?", certains textes de Spinoza permettent de répondre par l'affirmative.


Ce n'est pas parce que presque tous les hommes négligent de cultiver leur intelligence et préfèrent suivrent aveuglément leurs passions qu'ils sont condamnés par on se sait quelle prédestination. Cela va à l'encontre de la pensée de Spinoza qui met au centre de sa philosophie la liberté de la pensée, et ceux qui refusent de faire l'effort nécessaire au salut ne sont aucunement condamnés par un destin qui contrôle tout mais par leur seule paresse.


Remarques :

— La paresse est le seul des sept péchés traditionnels dits "capitaux" qui est absent de l'Ethique. Je l'ai cherché, sous une forme ou une autre, et je ne l'ai pas trouvé.
— Tu parles comme s'il y avait un libre arbitre : sinon, quel sens aurait l'accusation de paresse ? La paresse n'a de sens que pour une autorité quelconque (parentale, professorale, politique, critique en général) qui s'arroge le droit de critiquer ce qui ne va pas dans le sens de ses intérêts. Bref, c'est un terme de pouvoir. On dirait aussi que pour toi un phobique, un névrotique ou un simple dépressif sont des feignants : même les psychiatres les plus à droite n'en sont plus là !
— Je te conseille fortement de méditer les passages suivants : celui où Spinoza cite l'épître de saint Paul aux Romains, texte fondateur des thèses calvinistes sur la prédestination, ainsi que le passage qui suit sur les serpents venimeux (dans les Pensées métaphysiques - nul doute que tu sauras où les trouver) ; le scolie de Ethique III, prop. 2 ; les dernières lettres à Oldenburg. Il a souvent des expressions qui sont claires : il y a des gens qui sont foutus, un point c'est tout. Et sans qu'il soit question de paresse !!!
— Les passions qui ferment le plus sûrement la porte du salut et de la béatitude sont l'orgueil et ses copains : arrogance, mépris, raillerie, fausse gloire, etc. Mais je suis sûr que tu n'y es pas sujet, puisque de toute évidence tu ne fais pas partie de ces gens qui "négligent de cultiver leur intelligence" (sens précis de cette expression, siouplait ?)

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Messagepar Louisa » 28 juin 2007, 12:40

Faun a écrit :Mais la définition qui dit que l'homme est un animal social explique seulement que l'homme peut difficilement vivre sans les autres hommes, mais cela est néanmoins possible. Ce qui est nécessaire à la vie, c'est la pensée, la nourriture, l'air. La société ne fait en aucun cas partie des besoins vitaux de l'homme. La définition qui dit que l'homme est un animal social est donc seulement un préjugé, une idée fausse.


A mon avis, Spinoza prétend exactement l'inverse. Dans le Traité Politique 2/15 par exemple il écrit littéralement ceci:

"et si les scolastiques ont voulu appeler l'homme 'animal social' pour cette raison qu'à l'état de nature les hommes ne peuvent guère relever de leur propre droit, je n'ai rien à leur objecter."

Appeler l'homme un animal social n'est donc pas une idée fausse, mais une idée vraie, chez Spinoza. Il explique pourquoi:

"aussi longtemps que le droit naturel des hommes est déterminé par la puissance de chacun pris séparément, aussi longtemps est-il nul, et plus imaginaire que réel, puisqu'on n'a aucune assurence d'en jouir."

Donc de nouveau: l'idée d'avoir une quelconque puissance qui dépasse le degré zéro seul, sans la société, est une idée imaginaire, c'est-à-dire inadéquate.

Or, pourrait-on objecter, ici Spinoza dit seulement que l'homme est l'ennemi de l'homme dans l'état de nature. Cela n'empêche pas que s'il réussit à s'éloigner des autres hommes, il sait atteindre la béatitude, ou déjà tout simplement se maintenir en vie. Il se fait qu'il n'en est rien. Car au même endroit dans le TP il dit:

"A quoi s'ajoute que les hommes ne peuvent guère se maintenir en vie ou cultiver leur âme sans le secours les uns des autres."

Autre passage qui confirme le fait que la vie en société appartient bel et bien aux 'besoins primaires' de l'homme: TP 6/1:

"personne dans la solitude n'est assez fort pour se défendre et se procurer tout ce qui est nécessaire à la vie"

Par conséquent:

"les hommes aspirent par nature à la société civile".

Faun a écrit :La dépendance de l'homme envers la société dure jusqu'à ce qu'il soit capable de se nourrir seul, c'est à dire jusque vers 12-14 ans.


Je crois avoir montré que pour Spinoza, il n'y a aucune 'limite d'âge' à cette dépendance.
Cordialement,
Louisa

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Messagepar Miam » 28 juin 2007, 17:33

Louisa a écrit : "Je crois avoir montré que pour Spinoza, il n'y a aucune 'limite d'âge' à cette dépendance."

Et j'ajouterais :
Ni pour Spinoza ni pour tout homme sensé qui a quelque notion de la réalité.

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Messagepar Louisa » 29 juin 2007, 04:28

Dites, chers Pourquoipas et Miam, si je suis bien d'accord avec vous sur le plan théorique, en ce qui concerne l'importance de la société pour la survie de l'homme, et donc pas avec l'IDEE ou interprétation que propose ici Faun, j'avoue ne pas comprendre en quoi vos arguments ad hominem et vos imaginations par rapport à la personne de Faun seraient autre chose que ce que Pourquoipas appelle du mépris, de la raillerie, etc, bref, tout ce qui empêche d'atteindre le salut. Or la béatitude semble être un truc vraiment chouette, le 'supremum bonum' ... un spinoziste ne peut qu'être certain que c'est précisément cela ce que vous aussi vous voulez sans cesse atteindre, mais pourquoi alors créer un 'empire dans l'empire', dans lequel vous mettez les Faun et consorts, bref ceux qui s'en foutraient de ce salut et qui s'adonneraient à fond au culte de l'ignorance ... ? Autrement dit: pourquoi ne pas accepter les idées inadéquates (dans ce cas-ci, à notre humble avis, l'idée proposée par Faun) comme ne contentant RIEN de négatif, mais étant seulement privées du vrai?
Néanmoins ... bien cordialement,
Louisa

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Messagepar Pourquoipas » 29 juin 2007, 12:25

Louisa a écrit :Dites, chers Pourquoipas et Miam, si je suis bien d'accord avec vous sur le plan théorique, en ce qui concerne l'importance de la société pour la survie de l'homme, et donc pas avec l'IDEE ou interprétation que propose ici Faun, j'avoue ne pas comprendre en quoi vos arguments ad hominem et vos imaginations par rapport à la personne de Faun seraient autre chose que ce que Pourquoipas appelle du mépris, de la raillerie, etc, bref, tout ce qui empêche d'atteindre le salut. Or la béatitude semble être un truc vraiment chouette, le 'supremum bonum' ... un spinoziste ne peut qu'être certain que c'est précisément cela ce que vous aussi vous voulez sans cesse atteindre, mais pourquoi alors créer un 'empire dans l'empire', dans lequel vous mettez les Faun et consorts, bref ceux qui s'en foutraient de ce salut et qui s'adonneraient à fond au culte de l'ignorance ... ? Autrement dit: pourquoi ne pas accepter les idées inadéquates (dans ce cas-ci, à notre humble avis, l'idée proposée par Faun) comme ne contentant RIEN de négatif, mais étant seulement privées du vrai?
Néanmoins ... bien cordialement,
Louisa


Chère Louisa,

J'ai passé l'âge de recevoir des leçons de morale. De plus, je ne suis pas un sage ni un homme libre, j'essaye seulement. Mais je sais que l'orgueil et la suffisance doivent être combattus, pour le bien même de celui qui y est sujet et celui des autres. Le côté "moi je sais, toi ta gueule !" m'a toujours été insupportable (et ce chez mes professeurs même).
S'y mêlait aussi un côté "imitation des affects" (je réagissais au mépris que semblait exprimer Faun - il y avait dans sa réflexion sur les "paresseux" un côté "sarkozyste sauce Spinoza" : "Travailler plus pour gagner plus de béatitude ?").
Mais il est vrai qu'avec l'un des membres de ce forum, peu présent actuellement, j'ai été à bonne école en orgueil, mépris, etc.
Je présenterais bien mes excuses à la part de Faun qui est vraiment en recherche de liberté, salut, etc., mais elle n'en a pas besoin parce que ce n'est pas à elle que je m'adressais.

Portez-vous bien

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Messagepar Louisa » 29 juin 2007, 19:38

Pourquoipas a écrit :Chère Louisa,

J'ai passé l'âge de recevoir des leçons de morale. De plus, je ne suis pas un sage ni un homme libre, j'essaye seulement. Mais je sais que l'orgueil et la suffisance doivent être combattus, pour le bien même de celui qui y est sujet et celui des autres. Le côté "moi je sais, toi ta gueule !" m'a toujours été insupportable (et ce chez mes professeurs même).
S'y mêlait aussi un côté "imitation des affects" (je réagissais au mépris que semblait exprimer Faun - il y avait dans sa réflexion sur les "paresseux" un côté "sarkozyste sauce Spinoza" : "Travailler plus pour gagner plus de béatitude ?").
Mais il est vrai qu'avec l'un des membres de ce forum, peu présent actuellement, j'ai été à bonne école en orgueil, mépris, etc.
Je présenterais bien mes excuses à la part de Faun qui est vraiment en recherche de liberté, salut, etc., mais elle n'en a pas besoin parce que ce n'est pas à elle que je m'adressais.


Cher Pourquoipas,

si mon but n'était nullement de moraliser, je peux bien comprendre comment mon message peut donner cette impression, et c'était en fait précisément de ce genre de problème que je voulais parler.

Car que fait mon message? D'abord et avant tout (nobody's perfect ... :) ) exprimer une Tristesse: celle que je ressens quand je lis la partie méprisante de certains messages ici. Cela, Spinoza semble nous dire, est assez normale: j'aime bien le sujet en discussion, j'aime bien en discuter et entendre différentes opinions. Dès lors, j'aime bien aussi les messages de Faun, car ils me permettent d'essayer de mieux démontrer pourquoi je ne suis pas d'accord avec ce qu'il dit. Alors inévitablement, je m'imagine cette discussion comme étant la cause extérieure de mon bonheur. Si en revanche je lis des attaques ad hominem, je ne peux que constater que du mal est fait à ce que j'aime. Et donc du coup, je ressens de la Haine pour ce que je m'imagine être la cause de ce mal: les pseudos 'Pourquoipas' et 'Miam'. Rien de moins inévitable, nous dit Spinoza.

Or toute la question est: quoi faire, dans ce cas? C'est également la question que je voulais poser dans mon message précédent: si par exemple vous deux, vous avez l'impression que les messages de Faun provoquent chez vous davantage de Haine que d'Amour, quoi faire, autrement dit, que Spinoza conseille-t-il de faire? C'est là qu'éventuellement nous pensons différemment, je crois (c'est-à-dire: nous interprétons Spinoza différemment - raison pour laquelle je croyais que cela valait la peine d'aborder ici le problème).

Car si j'exprime ici ma Tristesse, comment vous deux pourriez-vous ne pas en déduire que je veux vous dire ce qu'il faut faire, et que je désapprouve vos comportements, bref comment ne pas avoir l'impression que je veux donner une leçon de morale? Or nous savons bien que la morale et Spinoza, cela ne va pas très bien ensemble. Du coup, il est certain qu'en exprimant ma Tristesse, je peux toujours réussir à moraliser, ce n'est pas comme ça que je vais obtenir de vous un autre comportement, bref ce n'est pas comme ça que je vais pouvoir augmenter ma puissance d'agir. Je peux éprouver au maximum une Joie triste, c'est-à-dire espérer qu'en moralisant, je vous ai fait un peu de mal, donc j'ai un peu diminué votre puissance d'agir, ce qui devrait vous rendre moins puissant donc moins apte à me causer du mal. Et n'est-ce pas le même 'remède' que vous appliquez à Faun? Essayons de le mépriser un peu, qu'il se sente un peu plus mal, dans l'espoir qu'il aura moins de puissance de nous embêter?

Or si tout cela, à mon sens, Spinoza explique très bien, et si c'est clair que moi-même je ne suis pas moins soumise à ce genre de mécanismes que vous, ne faut-il pas aussi se dire que pour Spinoza, tout cela ne relève que du premier genre de connaissance? Nous ressentons un mal, nous croyons en avoir une connaissance, nous essayons de diminuer la puissance de celui qui est cause extérieure du mal. Or pour Spinoza, toute connaissance du mal est une connaissance inadéquate. Tout ce mécanisme ... relève donc de la pure imagination.
Dans le deuxième genre de connaissance, nous devons comprendre - dit à mon sens Spinoza - qu'en faisant du mal à l'autre, en le rendant Triste, nous ne lui rendons EN RIEN plus capable d'avoir des idées adéquates, au contraire même. Car qui dit diminuer la puissance d'agir dit diminuer la puissance de penser, c'est-à-dire diminuer la chance d'avoir des idées adéquates. Or, ce qui nous dérange précisément chez l'autre, c'est le fait de constater qu'à nos yeux, il a une idée inadéquate (idée inadéquate par rapport à la théorie spinoziste, ou idée adéquate consistant simplement en de l'orgueil, du mépris etc). Alors comment espérer qu'il va cesser de l'avoir si nous diminuons activement (c'est-à-dire consciemment) sa puissance de penser .. ? Autrement dit, comment croire que la cause de notre propre Tristesse (lire ses idées) va cesser d'exister si nous rendons l'autre encore moins apte à penser la vérité .. ?

Bref, à mon sens si Spinoza a quelque chose contre le mépris, ce n'est pas parce que moralement, on ne pourrait pas accepter une telle 'valeur'. C'est tout simplement parce que le mépris est TOTALEMENT inefficace quand il s'agit d'augmenter et sa propre puissance d'agir, et celle de celui qui méprise. A mon sens, il démontre, de façon non moralisant mais simplement en essayant de comprendre, que la chose la plus contraproductive que l'on puisse faire par rapport à quelqu'un dont nous imaginons qu'il méprise, c'est le mépriser à notre tour. D'abord, en le méprisant, on nous rend déjà nous-même plus Triste. Puis on ne peut que rendre l'autre MOINS capable de comprendre. Bref, on ne peut que tourner en rond dans l'inadéquation.

Puis le repentir (les excuses), n'est-ce pas un affect du même genre: Tristesse, donc à éviter?

Enfin en ce qui concerne le sarkozysme: étant de gauche moi aussi j'ai parfois des difficultés à ne pas m'attrister quand je lis ce genre d'idées, et cela en effet précisément parce que j'ai l'impression qu'il y a au fond, dans ces idées, beaucoup de mépris pour l'autre et surtout pour le moins puissant. Or suffit-il d'être de gauche pour NE PAS mépriser les moins puissants? Je crains que non. De notre point de vue, les sarkozystes ont un tas d'idées inadéquates. Cela ne devrait-il pas nous faire conclure que dès lors, malgré les jogging matinaux et les gestes énergiques, ils s'agit de gens peu puissants? Et si oui, si l'on est contre l'idée de mépriser les peu puissants, ne faudrait-il pas plutôt essayer de les aider, ce qui veut dire essayer de leur faire comprendre ce que nous pensons être la vérité, ce qui veut dire tout simplement discuter avec eux sur pied d'égalité, au lieu de les mépriser?

Conclusion: si le fait de haïr celui qui nous méprise semble être totalement compréhensible, dans un spinozisme, Spinoza n'est-il pas aussi celui qui justement ne croît pas DU TOUT en la 'guérison' de celui qui méprise en le traitant de façon méprisante? Le repentir étant inefficace, le mépris ne l'est-il pas tout autant? Spinoza ne croît-il pas avoir trouvé un bien qui 'se communique', au lieu de croire en la 'répression' du mal comme remède contre la stupidité? N'est-ce pas d'ailleurs cela aussi, une des grandes différences entre les hypothèses de base de la gauche par rapport celles de la droite?
C'est en tout cas une des raisons pour lesquelles moi-même je crois que Spinoza était foncièrement de gauche, mais bon, il se fait qu'il y a des spinozistes ou des gens qui s'intéressent à Spinoza et qui sont de droite. Or Spinoza préconisant avant tout la connaissance et la compréhension, cela ne signifie-t-il pas qu'il est toujours intéressant/important de discuter de l'interprétation de Spinoza avec des gens de droite (ou que nous percevons comme étant de droite), et cela tout simplement pour mieux savoir si c'est nous qui avons raison ou s'il y a tout de même moyen de faire de Spinoza un crypto-sarkozyste (dans ce cas, ce serait très dommage pour les spinozistes de gauche, mais au moins ils auraient mieux compris Spinoza, ce qu'en tant que spinoziste on ne peut tout de même pas trouver un gain négligeable.. )?

Il ne s'agit guère de 'juger' vos comportements ici (il est clair qu'en général j'admire beaucoup l'érudition de vous deux - l'admiration étant hélas un affect inefficace aussi ...), mais simplement de poser la question quant à l'interprétation de la pensée spinoziste appliquée à ce genre de situations. C'est par rapport à cela seulement que cela m'intéresse de savoir ce que vous en pensez, et cela précisément parce que j'ai l'impression qu'en général, sur l'essentiel de l'interprétation de Spinoza nous sommes très souvent d'accord.
Amicalement,
Louisa

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Messagepar Pourquoipas » 29 juin 2007, 20:21

OK, Louisa. Dont acte.
Juste deux choses en ce qui me concerne : je ne suis pas de gauche (ni de droite), et je ne me suis pas repenti (relis bien).
Je suis tout simplement en un très grand esclavage (c'est ma traduction de servitudo) en ce moment : disons, pour rester "théorique", que je suis dans l'état de l'individu de la fin de Ethique IV, à qui la raison indique les voies du salut mais qui est et reste impuissant, malgré ses efforts pour se libérer. D'où ma très grande sensibilité aux thèmes de ce fil de discussion.
Merci de ne pas évoquer ces derniers mots dans une éventuelle réponse.

Portez-vous bien

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Messagepar Faun » 30 juin 2007, 12:50

Pour ce qui est de la doctrine de la prédestination qui serait contenue dans la philosophie de Spinoza, je prouverais qu'elle est fausse en m'appuyant sur des passages précis de son oeuvre, comme celui-ci :

"Mais, de même que les hommes, au début, furent en état de faire avec leurs outils innés certaines choses très faciles, quoique laborieusement et imparfaitement, et, celles-ci faites, en firent avec moins de peine et plus de perfection d'autres plus difficiles, et ainsi, passant graduellement des oeuvres les plus simples aux outils, et continuant des outils à d'autres oeuvres et outils, en arrivèrent à parfaire sans grand labeur tant de choses et de si difficiles, de même également l'intellect, par sa force native, se fait des outils intellectuels, par lesquels il acquiert d'autres forces pour d'autres oeuvres intellectuelles, et de ces oeuvres d'autres outils, autrement dit le pouvoir de rechercher plus avant, et il continue ainsi, graduellement, jusqu' à atteindre le combre de la sagesse."
Traité de l'amendement de l'intellect paragraphe 31.

"Il est donc, dans la vie, utile au premier chef de parfaire l'intellect, autrement dit la raison, autant que nous pouvons, et c'est en cela seul que consiste pour l'homme la suprême félicité, autrement dit la béatitude; [...]. Et donc, la fin ultime de l'homme que mène la raison, c'est à dire son plus haut désir, par lequel il s'emploie à maîtriser tous les autres, c'est celui qui le porte à se concevoir adéquatement lui-même, ainsi que toutes les choses qui peuvent tomber sous son intelligence."
Ethique, partie 4, appendice, chapitre 4.

"Laissez donc cette superstition funeste, et reconnaissez la raison que Dieu vous a donné; cultivez-la si vous ne voulez pas vous ranger parmi les brutes." Lettre 76, à Albert Burgh

Tout ceci me semble contredire complètement toute thèse niant à certains hommes la capacité de devenir savants et rationnels. Et cela, pour Spinoza est bien le fruit d'un effort, d'un labeur, auquels j'oppose évidemment la paresse, sans, il me semble, trahir en quoi que ce soit sa pensée.

Maintenant pour ce qui est de la société, si j'ai dit, par provocation, qu'elle n'était pas un besoin vital de l'homme, elle demeure néanmoins une chose utile, quand bien même elle ne serait composée que de brutes et d'ignorants. Ces passages de Spinoza le prouvent en effet :

"Il est donc avant tout utile aux hommes de nouer des relations, et de s'enchaîner de ces liens par lesquels ils fassent d'eux tous un seul, plus apte, et, absolument parlant, à faire tout ce qui contribue à affermir les amitiés."
Ethique, partie 4, appendice, chapitre 12.

"Donc, quoique les hommes règlent le plus souvent toute chose selon leur lubricité, il suit pourtant de leur société commune plus d'avantages que de dommages."
Ethique, partie 4, appendice, chapitre 14.

Maintenant, si d'aventure un homme désirait vivre seul, afin de ne pas être affecté par les passions vulgaires qui agitent la société, il ne ferait que renoncer à certains avantages que donne toute société, mais il gagnerait sans doute, à bien calculer, la tranquilité de l'âme et la sérénité, qui sont des biens autrement plus précieux que les supermarchés, les autoroutes, les villes polluées et les engins bruyants.

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Messagepar Louisa » 30 juin 2007, 13:40

Faun a écrit :Pour ce qui est de la doctrine de la prédestination qui serait contenue dans la philosophie de Spinoza, je prouverais qu'elle est fausse en m'appuyant sur des passages précis de son oeuvre, comme celui-ci :

"Mais, de même que les hommes, au début, furent en état de faire avec leurs outils innés certaines choses très faciles, quoique laborieusement et imparfaitement, et, celles-ci faites, en firent avec moins de peine et plus de perfection d'autres plus difficiles, et ainsi, passant graduellement des oeuvres les plus simples aux outils, et continuant des outils à d'autres oeuvres et outils, en arrivèrent à parfaire sans grand labeur tant de choses et de si difficiles, de même également l'intellect, par sa force native, se fait des outils intellectuels, par lesquels il acquiert d'autres forces pour d'autres oeuvres intellectuelles, et de ces oeuvres d'autres outils, autrement dit le pouvoir de rechercher plus avant, et il continue ainsi, graduellement, jusqu' à atteindre le combre de la sagesse."
Traité de l'amendement de l'intellect paragraphe 31.


Je crois qu'il faut distinguer le fait d'être inné et le fait d'être déterminé. Par définition, l'homme est essentiellement Désir, et le Désir n'est rien d'autre que le fait d'être déterminé à opérer de manière précise: Définitions des Affects I:

"Le Désir est l'essence même de l'homme, en tant qu'on la conçoit comme déterminée, par suite d'une quelconque affection d'elle-même, à faire quelque chose."

Ceci implique que nous sommes déterminés non seulement à la naissance, mais également dès que nous sommes affectés par quoi que ce soit. Déterminés à désirer, déterminés à faire quelque chose.

Autre distinction importante: celle d'entre le fait d'être déterminé et la possibilité de se parfaire. Ici aussi, l'un n'exclut pas l'autre. Préface à la 4e partie:

"Perfection et imperfection ne sont donc, en vérité, que des manières de penser, à savoir des notions que nous forgeons habituellement de ce que nous comparons entre eux des individus de même genre ou de même espèce; et c'est pour cette raison que j'ai dit plus haut (Déf.6 p2) que j'entends, moi, par réalité et par perfection, la même chose. (...) en cela nous les appelons imparfaits, à cause qu'ils n'affectent pas notre Esprit autant que font ceux que nous appelons parfaits, et non pas parce que leur ferait défaut quelque chose qui leur appartienne, ou bien parce que la Nature aurait péché. Car n'appartient à la nature d'une chose que ce qui suit de la nécessité de la nature de la cause efficiente, et tout ce qui suit de la nature de la cause efficiente se fait nécessairement."

Si la perfection, c'est la réalité, alors d'office tout ce qui existe est toujours déjà parfaite. Elle peut effectivement devenir PLUS parfaite, et en ce sens se parfaire, mais cela ne veut rien dire d'autre que de passer d'un degré de perfection à un degré plus élevé de perfection. Et tous ces passages sont entièrement déterminés, entièrement nécessaires. C'est donc pourquoi à mon sens se parfaire n'exclut en rien d'être déterminé.

TIE G8-B12-13:
"rien, considéré dans sa nature, ne sera dit parfait, ou imparfait; surtout après que nous aurons eu connaissance de ce que toutes les choses qui se font, se font selon un ordre éternel et selon des lois déterminées de la Nature. Mais comme la faiblesse humaine n'arrive pas à suivre dans sa pensée cet ordre et que l'homme, pendant ce temps, conçoit une certaine nature humaine beaucoup plus forte que la sienne, et qu'il ne voit en même temps rien qui fasse obstacel à ce qu'il acquière une telle nature, il est incité à chercher des moyens qui le conduisent lui-même à une telle perfection: et tout ce qui peut être moyen d'y parvenir, et appelé vrai bien."

Faun a écrit :"Il est donc, dans la vie, utile au premier chef de parfaire l'intellect, autrement dit la raison, autant que nous pouvons, et c'est en cela seul que consiste pour l'homme la suprême félicité, autrement dit la béatitude; [...]. Et donc, la fin ultime de l'homme que mène la raison, c'est à dire son plus haut désir, par lequel il s'emploie à maîtriser tous les autres, c'est celui qui le porte à se concevoir adéquatement lui-même, ainsi que toutes les choses qui peuvent tomber sous son intelligence."
Ethique, partie 4, appendice, chapitre 4.

"Laissez donc cette superstition funeste, et reconnaissez la raison que Dieu vous a donné; cultivez-la si vous ne voulez pas vous ranger parmi les brutes." Lettre 76, à Albert Burgh

Tout ceci me semble contredire complètement toute thèse niant à certains hommes la capacité de devenir savants et rationnels. Et cela, pour Spinoza est bien le fruit d'un effort, d'un labeur, auquels j'oppose évidemment la paresse, sans, il me semble, trahir en quoi que ce soit sa pensée.


Comment définir la paresse autrement que par le manque d'effort? Par le fait de ne pas faire ou de ne pas vouloir faire un effort? Mais chez Spinoza, TOUT se définit par un conatus, qui est ESSENTIELLEMENT effort. L'essence étant ce sans quoi nous n'existons pas, nous n'existerions pas à chaque moment que nous serions paresseux ... chose absurde, bien sûr, puisque ne pas exister signifie être mort, et tout mort vient du dehors. Puis une fois mort, je ne vois pas comment on pourrait la seconde après (moment un peu moins paresseux) recommencer à vivre la même essence comme si de rien n'était. Bref, je ne vois vraiment pas comment caser un concept de paresse dans la philosophie de Spinoza.
Que les hommes ont la capacité de devenir plus savants est évident (du moins, est-ce notre faiblesse humaine de le croire, nécessairement), mais Spinoza ne nie pas le devenir. Que tout est déterminé ne signifie pas qu'il n'y a pas de devenir possible. Cela signifie seulement que le devenir se déroule selon des lois immuables, que le devenir se fait nécessairement, sur fond d'éternité.
Or le concept de la paresse sert précisément, à mon sens, à moraliser, c'est-à-dire à créer l'idée d'un vice (or il n'y a pas de vice dans la nature, dit l'Ethique! Et il n'y a rien hors de la nature, nous ne sommes pas un empire dans un empire), idée dont on espère qu'en disant cela à quelqu'un il va arrêter de faire ce que nous n'aimons pas qu'il fait, et va commencer à faire ce que nous aimerions mieux qu'il fait (c'est cela que nous appelons d'ordinaire 'faire un effort': faire ce que nous trouvons qu'il faut faire, et dont nous nous imaginons que ce n'est pas facile).

Faun a écrit :Maintenant pour ce qui est de la société, si j'ai dit, par provocation, qu'elle n'était pas un besoin vital de l'homme, elle demeure néanmoins une chose utile, quand bien même elle ne serait composée que de brutes et d'ignorants. Ces passages de Spinoza le prouvent en effet :

"Il est donc avant tout utile aux hommes de nouer des relations, et de s'enchaîner de ces liens par lesquels ils fassent d'eux tous un seul, plus apte, et, absolument parlant, à faire tout ce qui contribue à affermir les amitiés."
Ethique, partie 4, appendice, chapitre 12.

"Donc, quoique les hommes règlent le plus souvent toute chose selon leur lubricité, il suit pourtant de leur société commune plus d'avantages que de dommages."
Ethique, partie 4, appendice, chapitre 14.

Maintenant, si d'aventure un homme désirait vivre seul, afin de ne pas être affecté par les passions vulgaires qui agitent la société, il ne ferait que renoncer à certains avantages que donne toute société, mais il gagnerait sans doute, à bien calculer, la tranquilité de l'âme et la sérénité, qui sont des biens autrement plus précieux que les supermarchés, les autoroutes, les villes polluées et les engins bruyants.


Mais comment concilier cela avec le fait que Spinoza dit aussi que la société est NECESSAIRE à l'homme? Dans le même passage du TP que j'avais cité, il dit également que l'on pourra peut-être en partie abolir la société, mais jamais totalement. Enfin, si par tranquilité de l'âme il faut comprendre l'acquiescentia in se ipso: on sait que c'est en effet cela le bonheur pour Spinoza, la 'felicitas' (la suprême tranquilité étant le suprême bonheur ou béatitude ou salut). Mais voici ce qu'il en dit dans le TIE (G9-B14):

"C'est donc la fin à laquelle je tends, à savoir acquérir une telle nature et faire effort pour que beaucoup l'acquièrent avec moi: c'est-à-dire que fait aussi partie de ma félicité d'oeuvrer à ce que beaucoup d'autres entendent la même chose que ce que j'entends, afin que leur entendement, et désir aillent au plus loin dans leur accord avec mon entendement, et désir".

Si cela fait partie de la simple félicité d'essayer de collaborer maximalement avec d'autres gens, comment penser qu'il soit possible d'avoir une tranquilité d'âme, donc une félicité, en vivant seul?
Il est vrai que Spinoza dit aussi que si un homme vit dans une société qui est peu adapté à ses désirs, que ce ne sera qu'en se changeant quasiment en quelqu'un d'autre (ce qui signifie chez Spinoza la mort) qu'il pourra s'y adapter. Mais cela ne confirmerait-il pas ce que je viens de dire: que le seul choix que l'on a, c'est vivre en société ou mourir?
Cordialement,
Louisa


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