Phobie sociale, autisme...et Spinoza

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Miam
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Messagepar Miam » 18 juil. 2007, 17:28

Je pense qu'il faut distinguer la notion d'idée vraie dans le TRE et dans l'Ethique. Dans le TRE (dont la rédaction a été abandonnée), on assiste à la naissance de la notion spinozienne d'idée adéquate. Elle n'y est pas encore entièrement distinguée de l'idée vraie. Dans l'Ethique ce n'est plus le cas.

Ensuite, je ne crois pas que l'on puisse assimiler les termes spinozistes de "dénomination" et de "signe", à moins de rabattre indûment Spinoza sur la scolastique.

Bien à vous.
Miam.

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Vagabond
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Causalite

Messagepar Vagabond » 19 juil. 2007, 06:59

En Physique il y a une proposition qui semble etre immuable: il n'y a pas d'effet sans cause dans le monde.

Et ce a quelque echelle que ce soit. Au cours du 20eme siecle les physiciens ont teste la validite de la theorie quantique et sa completion. Ils montrerent que cette theorie et les resultats qu'elle engendrait etaient verifiables experimentalement. Au debut des annees 80 ils demontrerent par l'experience que la theorie quantique etait complete bien que probabiliste, d'ou que notre monde etait causal (qu'il n'y avait pas de "variables cachees") et non-local.

Ce fut verifie a travers l'exemple des particules intriquees, lesquelles se comportent identiquement bien qu'etant separees par de grandes distances, comme si elles communiqent l'une avec l'autre de maniere instantanee, comme si l'espace ou le temps n'existaient pas vraiment pour elles. Une fonction d'onde quantique decrit ces "deux particules" comme deux etres unis et ne formant qu'un seul individu, un rapport particulier...

Ensuite ce qui est ecorne par la Physique ce n'est donc pas la causalite mais le degre de prediction qui nous est accessible. Et ce sous plusieurs aspects je crois.

- Les inegalites d'Heisenberg: il y a impossibilite de connaitre pour nous au moins avec certitude absolue l'etat (sa position, sa vitesse) d'un systeme ou meme d'une seule particule a un instant donne; d'ou une impossibilite de connaitre son evolution exacte future. C'est une des manifestations et consequences de la nature probabiliste de la theorie quantique (Dieu joue aux des). Il n'y a pas de variables cachees, cette nature causale et probabiliste est une loi de la nature, comme le valida experimentalement Alain Aspect.

- Les systemes complexes (I): en Physique on ne peut pas resoudre exactement (c'est-a-dire avec un degre absolu de precision) le probleme de trois corps interagissant. Par exemple trois corps celestes: tout ce qu'on peut former aboutit a des traitements statistiques, des ensembles de trajectoires plus ou moins probables avenir. Neanmoins la nature reste tout de meme causale et il existe des lois universelles telle que la gravitation. Elle est ou elles sont tout simplement trop complexe(s) pour nous.

- Les systemes complexes (II) et le chaos deterministe ou la sensibilite de certains systemes aux conditions initiales: c'est le fameux "effet papillon", dans les systemes non-lineaires, ou retroagissant, tels les systemes de proies et predateurs.

- Enfin il y a l'entropie (le degre de desordre) de l'univers (un systeme suppose etre isole) qui doit forcement augmenter et qui donne sa fleche au temps: mais ceci ne contredit en rien l'idee de causalite. Desordre ne dit pas contingence. Pour "lutter" contre l'entropie et permettre l'emergeance de systemes apparemment complexes et ordonnes, il y a les 4 forces fondamentales: gravite, electrostatique, nucleaire faible, nucleaire forte. C'est-a-dire que les corps complexes, la vie, ne peuvent etre que le fruit de rapports, c'est-a-dire d'une composition et d'un entrelacement de systemes interagissant (non-isoles), ce qui permet d'avoir localement une diminution de l'entropie, bien que globalement celle-ci augmente toujours (exemple de la solidification).

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Louisa
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Messagepar Louisa » 19 juil. 2007, 13:05

Miam a écrit :« Et c'est le fait même qu'elles sont des idées de ce que nous avons en commun qui en fait des idées adéquates/vraies. »

Une idée vraie n’est pas nécessairement adéquate (cf. II 32). Si j’affirme un cheval ailé comme une idée de Dieu, c’est idée est vraie et inadéquate : vraie parce que Dieu a en effet l’idée d’un cheval ailé ; inadéquate parce que je ne situe pas cette idée dans sa production causale. Cf. mes précédents messages.


je ne vois pas en quoi II.32 dirait qu'il existe des idées inadéquates qui néanmoins seraient vraies. C'est-à-dire, je croire comprendre ton raisonnement: si en Dieu toutes les idées sont vraies, alors il doit également avoir une idée vraie de nos idées inadéquates. Mais justement, Dieu n'a-t-il pas une idée vraie de notre idée inadéquate seulement parce que simultanément il a également l'idée de notre Esprit ET l'idée de l'Esprit de la chose extérieure dont la nature est enveloppée par l'idée inadéquate que nous avons? Donc parce que jamais il ne peut avoir l'idée inadéquate SEULE dans son Esprit, parce qu'en lui il n'y a pas de division?

Quant au cheval ailé, la question m'intéresse toujours beaucoup. Ayant l'impression d'être d'accord avec 98% de ce que tu viens d'écrire dans tes trois derniers messages ici, je crois que ce que tu as répondu à Enegoid par rapport à Dieu comme 'causalité absolue' puisse me permettre de mieux expliquer comment je conçois ce cheval ailé pour l'instant.
Tu dis - et je suis tout à fait d'accord, je n'aurais pas pu le dire si clairement que toi - qu'en Dieu tout est causalité 'oui et non'. En effet, 'non' au sens où l'essence de l'effet et l'essence de la cause sont la même essence, l'effet dans ce sens précis n'étant donc pas 'extérieur' à la cause, comme l'exige une causalité mécanique moderne traditionnelle. Si on peut parler de 'chose singulière' à l'égard de la cause, ce n'est que dans la mesure où la cause produit un effet. Ce qui n'empêche qu'en même temps, cause et effet ensemble peuvent produire un autre effet encore, ce qui fait de la cause et de son premier effet de nouveau une seule chose singulière, ou un 'Individu', et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on arrive à la Nature comme Individu.
Mais donc en Dieu tout est néanmoins cause 'oui', au sens où les choses singulières sont définies par leur cause et se distinguent par le fait qu'elles causent un effet.

Alors le cheval ailé: tu dis: "Si j’affirme un cheval ailé comme une idée de Dieu, c’est idée est vraie et inadéquate : vraie parce que Dieu a en effet l’idée d’un cheval ailé ; inadéquate parce que je ne situe pas cette idée dans sa production causale". Je ne sais plus où plus exactement, mais Spinoza ne dit-il pas que l'idée de cheval ailé, c'est une idée qui justement n'est produit que dans notre tête, par notre Esprit? Et cela ne correspond-il pas mot à mot à la définition d'une idée adéquate: qu'il doit s'agir d'une idée dont nous sommes nous-même la seule cause? C'est pourquoi j'ai l'impression que l'idée du cheval ailé ne peut être que vraie ET adéquate, aussi bien en nous qu'en Dieu. Bien sûr, cette idée implique simultanément l'absence de tout cheval ailé dans la nature (au moins en tant qu'animal vivant), mais jamais l'adéquation d'une idée n'est définie par la PRESENCE d'une chose. L'inadéquation ne peut donc non plus être définie par l'absence d'une chose. Elle ne peut être définie que par sa cause. Si cette cause, c'est notre Esprit seul, elle est adéquate et vraie, sinon elle est inadéquate et fausse.
Et en effet, c'est bien nous qui assemblons l'idée d'un cheval et l'idée d'une aile pour en faire une seule chose. Rien, dans le monde extérieur, ne peut être dit cause de cette idée, autre que notre Esprit seul. Car nous ne parlons que de l'idée du cheval ailé en soi, pas de l'impression de pouvoir déceler un cheval ailé quelque part derrière les buissons d'un forêt, ce qui changerait tout, puisqu'alors la cause serait bel et bien extérieure. Seulement, si dans ce cas il ne s'agirait que d'un cheval normal, cela n'en ferait pas pour autant une idée adéquate: l'idée que nous avons de l'affection de notre oeil par la vue d'un cheval tout à fait ordinaire n'est pas moins inadéquate (car causée par notre nature ET la sienne) que l'idée que nous aurions d'une affection de notre Corps et qui nous ferait penser qu'il s'agit d'un cheval ailé. Si donc l'on définit l'adéquation par sa manière de production, à mon sens on ne peut qu'appeler l'idée du cheval ailé vraie et adéquate. Ce n'est que l'idée qui pose que le cheval ailé existe dans la nature, qui est fausse. Et encore, elle n'est pas fausse au moment où nous croyons VOIR de nos yeux un tel cheval, car alors nous ne sommes que dans l'imagination, qui en soi ne peut être dit fausse. Ce ne sera que quand nous commençons à raisonner que l'on pourra constater qu'en fait il est impossible qu'un tel animal existe, et que donc notre première idée doit être fausse.

Donc:
- l'idée du cheval ailé en tant que telle: idée vraie et adéquate
- l'idée du cheval ailé accompagnée d'une idée de cause extérieure: affection dont l'idée est inadéquate mais pas fausse
- l'idée du cheval ailé accompagnée d'une idée (créée par la raison) qui exclut son existence dans la nature: idée fausse et inadéquate (l'idée qui exclut son existence étant bien sûr vraie et adéquate).

Sinon je suis pour l'instant dans un manque de temps assez absolu (me dire que selon Spinoza, le temps n'est qu'imaginaire n'aide pas trop...), d'où le retard dans mes réponses ... j'espère pouvoir revenir plus amplement sur ce que toi, Enegoid et Vagabond viennent d'écrire ici, et avant tout sur le dernier message de Faun dans l'autre fil de discussion ... .
A très bientôt,
louisa

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Messagepar Miam » 20 juil. 2007, 12:55

Sur la différence entre idées vraies et adéquates, on en a déjà discuté et je renonce à la réexpliquer. Qui a des oreilles entende.

Sur la différence entre idées vraies et claires et distinctes, on en a aussi déjà discusté, et mes arguments me semblent probants. Qui sait lire entende.

Comment peut-on croire une seconde que Spinoza avance trois termes différents pour signifier une même chose ? Pour faire joli ? Allons ! Faisons fi de nos préjugés de "modernes" et cessons de prendre Spinoza pour un médiocre parce que nos préjugés nous contraignent à une lecture facile !

Quant à la physique. Il ne fait aucun doute que la physique (voir le débat Thom/Prigogine) ne se base plus sur la relation cause-effet : la causalité au premier sens, non spinoziste, du terme. Précisément parce qu'elle se base à présent sur la prédictibilité. En mécanique quantique aussi: le problème c'est qu'on ne sait prédire à la fois la position et le parcours d'une particule. Mais la PQ n'exclut pas la causalité au deuxième sens, spinoziste cette fois. Cette notion pourrait même résoudre bien des paradoxes quantiques dans la mesure où elle tient compte de l'interaction entre l'observateur et l'objet observé (cf. notions communes) plutôt que d'avoir recours à une "conscience" tombée du ciel comme ce fut la tendance en PQ.

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Messagepar Louisa » 20 juil. 2007, 21:41

Miam a écrit :Comment peut-on croire une seconde que Spinoza avance trois termes différents pour signifier une même chose ? Pour faire joli ? Allons ! Faisons fi de nos préjugés de "modernes" et cessons de prendre Spinoza pour un médiocre parce que nos préjugés nous contraignent à une lecture facile !


si tu relis ce que j'ai écrit, tu verras que ce que je proposais n'était PAS trois termes différents pour signifier une même chose. Il s'agit de concevoir l'idée du cheval ailé trois fois 'quatenus', en tant que. Une fois en tant qu'accompagnée de rien, et deux autres fois en tant qu'accompagnée d'une autre idée. Bien sûr, contempler l'idée x accompagnée d'une idée y, c'est contempler AUTRE CHOSE que de contempler l'idée x seule (ou l'idée y seule). Trois termes différents donc, pour concevoir trois choses différentes (d'ailleurs n'oublie pas que pe dans le TIE Spinoza nous donne bel et bien DEUX termes différents pour signifier ce qu'il appelle littéralement 'une seule et même chose': l'essence objective et l'essence formelle; mais ce n'était pas de ce genre de choses que je parlais ici).

Sinon oui, on a effectivement eu une discussion sur le sujet de l'idée adéquate ... il y a deux ans. Je ne sais pas où toi tu en es, mais entre-temps, mes idées ont sérieusement évolué (forcément, puisqu'à l'époque je commençais à peine à lire Spinoza). Apparemment, on conçoit cette notion toujours d'une façon pas tout à fait identique. Et alors? Ayant moi-même de nouveaux arguments, je ne peux que te dire que ton impression là-dessus m'intéresse, voilà tout. Si tu trouves cet intérêt tout à fait délirant ... tant pis! :)
Louisa

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Messagepar Enegoid » 23 juil. 2007, 17:11

Miam a écrit :Je pense qu'il faut distinguer la notion d'idée vraie dans le TRE et dans l'Ethique. Dans le TRE (dont la rédaction a été abandonnée), on assiste à la naissance de la notion spinozienne d'idée adéquate. Elle n'y est pas encore entièrement distinguée de l'idée vraie. Dans l'Ethique ce n'est plus le cas.

Ensuite, je ne crois pas que l'on puisse assimiler les termes spinozistes de "dénomination" et de "signe", à moins de rabattre indûment Spinoza sur la scolastique.


Comme vous voulez. Mais je ne comprends toujours pas quelles sont pour vous les propriétés ou les dénominations intrinsèques de l'idée vraie évoquées dans ETII def 4.
Je n'ai pas inventé le "signe", je l'ai trouvé dans la traduction Roger Caillois de La Pleïade.

Mon opinion est que si nous n'arrivons même pas à une compréhension commune de la définition, pourtant très simple, de l'idée adéquate, ce n'est pas vraiment la peine d'aller plus loin sur le sujet.

(Tout ce que vous dtes, par ailleurs, sur l'idée adéquate, ses relations avec d'autres idées, avec les affects, sur leurs liens avec les notions communes m'intéresse beaucoup, mais je ne peux envisager une discussion sans un élémentaire point de départ commun. De plus, vous ne souhaitez pas non plus continuer un débat que vous considérez comme clos. Donc, à +!)

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Messagepar Enegoid » 23 juil. 2007, 18:01

Complément :

"Entre l'idée vraie et l'idée adéquate, je ne reconnais aucune autre différence que celle-ci : le mot "vraie" se rapporte uniquement à l'accord de l'idée et de son idéat, tandis que le mot "adéquate" concerne la nature de l'idée en elle-même ; il n'y a ainsi aucune différence de fait entre ces deux idées si ce n'est cette relation extrinsèque."

Lettre LX à Tchirnhaus

(c'est moi qui souligne)

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Messagepar Miam » 25 juil. 2007, 17:27

Donc il y a quand même une différence. Sans quoi il n'y a pas de différence non plus entre l'attribut pensée et la puissance de penser. Et alors toute l'Ethique ne serait que gesticulation sans contenu. Bien sûr c'est "la même chose", demême qu'un mental et un corps sont une seule et même chose. Mais dire que c'est la même chose ne veut pas dire qu'il n'y a pas de différence de point de vue ou même de temporalité.

Louisa.
L'idée du cheval ailé prise comme telle, sans relation aux autres idées, n'est qu'une idée vraie n'est considérée qu'en relation avec son objet où elle est toujours vraie puisque toute idée (essence) objective est liée à son objet. Par contre, si on la prend dans sa nature, elle ne peut être considérée qu'en relation avec toutes les autres idées, car les modes du penser ont tous la même nature ou essence, à savoir celle de l'attribut pensée qui est aussi celle de Dieu. Dans cette mesure, et dans cette mesure seulement, elle est ou non adéquate à sa nature, c'est à dire ajustée aux autres idées selon un certain ordre ("automate spirituel") et par conséquent (mais par conséquent seulement) également les idées (essences) objectives qui sont les idées de ces idées; d'où la commutativité du "sive" dans ce contexte là seulement dans les deux derniers points de ma précédente liste. Car les idées objectives ne sont pas considérées comme suivvant de la nature de Dieu (c'est à dire leur propre nature) mais seulement comme suivant de et composant l'idée de Dieu, donc comme idées vraies (encore II 32 crois-tu Louisa qu'il suffise de rapporter une idée à Dieu pour qu'elle soit adéquate ? Mysticisme idéaliste ?)

Enfin, quelques soient les traductions, le "signe" spinozien n'a rien à voir avec la dénomination. Le "signe" spinozien n'est pas le signe scolastique. Ce n'est pas le signe qui est intrinsèque ou extrinsèque, c'est l'acte de nommer qui est opéré soit de l'intérieur de l'opération idéelle (comme acte d'ajustement) soit de l'extérieur. Il est certain que si deux idées sont ajustées (adéquates), les idées de ces idées le seront aussi. Mais il faut d'abord que ces idées soient adéquates pour que les idées de ces idées le soient aussi. Sans quoi ces dernières sont vraies sans être adéquates.

Et pis merde. J'ai jusqu'ici fait assez preuve de pédagogie avec mon exemple du puzzle. Si vous le comprenez pas, c'est parce que vous êtes si fiers de votre travail intellectuel que vous croyez que les idées tombent du ciel. Alors qu'il y a un travail de la pensée dans la même mesure qu'il y a un travail manuel. Mais la pensée unique fait bien des ravages, surtout chez les "intellectuels".

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Messagepar Louisa » 26 juil. 2007, 17:03

Miam a écrit :L'idée du cheval ailé prise comme telle, sans relation aux autres idées, n'est qu'une idée vraie n'est considérée qu'en relation avec son objet où elle est toujours vraie puisque toute idée (essence) objective est liée à son objet.


là-dessus, nous sommes d'accord.

Miam a écrit : Par contre, si on la prend dans sa nature, elle ne peut être considérée qu'en relation avec toutes les autres idées, car les modes du penser ont tous la même nature ou essence, à savoir celle de l'attribut pensée qui est aussi celle de Dieu.


je ne suis toujours pas certaine que chez Spinoza on puisse identifier nature et essence. Dans l'E4 Appendice ch.IX il semble bien distinguer nature et espèce, pe. Les individus de la même espèce conviennent le mieux avec la nature d'une chose de cette espèce. De même, l'homme n'est que cause efficiente/adéquate d'un effet qu'il produit que quand cet effet suit entièrement de sa nature. Cela n'implique-t-il pas que dans les deux cas, il faut supposer que la nature en question soit d'office une nature singulière, nature de tel ou tel homme (selon Bernard Pautrat non; il semble comme toi vouloir identifier espèce et nature, mais je n'ai pas compris pourquoi)?
Enfin les modes du penser ne sont pas moins des choses que tous les autres modes. Ils doivent donc avoir une essence, et une essence singulière, dans la mesure où ils produisent des effets. C'est pour cette raison que je peux difficilement m'imaginer que l'adéquation qui caractérise l'idée vraie, serait une adéquation à une autre idée (car alors on ne regarde pas l'idée en tant que telle, on regarde toujours au moins deux idées, deux essences singulières). L'adéquation ne peut pas non plus être une adéquation à l'objet, il me semble (comme tu le disais dans un de tes derniers messages dans ce fil), car le rapport de l'idée à l'objet est extrinsèque à l'idée vraie, tandis que l'adéquation ne concerne que l'idée en tant qu'idée, abstraction faite du rapport à l'objet.

Dernière chose: peut-on dire que l'essence d'un attribut est aussi celle de Dieu? Si les attributs constituent l'essence de Dieu, et expriment par définition chacun une essence, ne faut-il pas supposer qu'ils expriment leur propre essence singulière, au lieu d'avoir exactement la même essence que Dieu? L'attribut de la pensée pe, n'exprime-t-il pas l'essence (singulière) de la pensée ou du penser? Tandis que cette essence constitue, ensemble avec d'autres essences, l'essence de Dieu, substance infinie? Le fait que les attributs ne sont qu'infinis en leur genre, et pas absolument, cela n'impose-t-il pas de faire une distinction entre l'essence d'un attribut et de Dieu?

Miam a écrit : Dans cette mesure, et dans cette mesure seulement, elle est ou non adéquate à sa nature, c'est à dire ajustée aux autres idées selon un certain ordre ("automate spirituel") et par conséquent (mais par conséquent seulement) également les idées (essences) objectives qui sont les idées de ces idées


Mmm. Peut-être. Je n'y vois pas encore très clair. Pour toi une idée inadéquate serait donc une idée non ajustée aux autres idées selon un certain ordre (l'ordre de la raison, je suppose?). Si elle n'y est pas ajustée, elle ne serait pas adéquate ... à sa propre nature. Tu crois vraiment que chez Spinoza il est possible qu'un mode ne soit pas adéquate à sa propre nature? N'est-ce pas réintroduire la notion d'aliénation dans une philosophie qui vient d'éliminer toute virtualité de la puissance, et où toute nature est toujours déjà actualisée? Et comment un attribut pourrait-il produire une modification de soi-même (comme l'est tout mode) qui ne serait pas adéquate à cet attribut lui-même? Tout mode n'enveloppe-t-il pas le concept de son attribut, et par là aussi inévitablement l'essence même de son attribut?

Sinon que trouves-tu de l'idée d'expliquer l'adéquation par l'unicité de la cause, tel que je le proposais dans mon message précédent? Est adéquate cette idée qui est un effet qui découle de ma seule nature singulière, et pas de la nature singulière d'autre chose en même temps. Je suppose que tu ne sois pas d'accord avec ça, vu que tu sembles partir de l'idée qu'il n'y a pas de nature singulière mais que la nature, c'est l'espèce. Pourtant, la 2e déf de l'E3 parle clairement de 'suivre de notre nature seule'. Tu dirais qu'un homme singulier agit seulement quand il produit un effet qui suit de la nature humaine en général? Mais qu'est-ce que cela pourrait signifier? Et comment alors expliquer que quand je suis contrainte par une autre personne humaine, que je n'agis plus? Car dans ce cas, aussi moi-même que lui, nous agissons tous les deux d'office selon la nature humaine.

Miam a écrit :d'où la commutativité du "sive" dans ce contexte là seulement dans les deux derniers points de ma précédente liste. Car les idées objectives ne sont pas considérées comme suivvant de la nature de Dieu (c'est à dire leur propre nature) mais seulement comme suivant de et composant l'idée de Dieu, donc comme idées vraies (encore II 32 crois-tu Louisa qu'il suffise de rapporter une idée à Dieu pour qu'elle soit adéquate ? Mysticisme idéaliste ?)


peut-on remplacer sans problème 'essence objective' par 'idée objective'? N'est-ce pas une tautologie que de parler d'idée objective? S'il existe des idées objectives, comment appellerais-tu les idées qui ne sont pas objectives? Subjectives? Mais Spinoza ne pense pas en termes d'opposition sujet-objet, il me semble.

Pour II 32: prenons pe IV 62. Spinoza y écrit "idée vraie, c'est-à-dire (par la déf. 4 p.2) elle n'en aura pas moins toujours les mêmes propriétés de l'idée adéquate". Donc oui, je crois qu'une idée vraie est toujours adéquate. Et comme en Dieu, toutes les idées sont vraies, je crois qu'il suffit de rapporter une idée à Dieu pour qu'elle devienne adéquate. C'est l'essence même de la liberté telle que le propose Spinoza. V 14 pe: "L'Esprit peut faire que toutes les affections du Corps, autrement dit les images des choses [dont nous savons qu'elles sont les objets d'idées inadéquates, louisa] se rapportent à l'idée de Dieu". En faisant cela, nous explique la proposition suivante, on se comprend clairement et distinctement soi-même, ainsi que ses affects, et on approuve une Joie accompagnée de l'idée de Dieu. Autrement dit: on aime Dieu. Cette idée de Dieu en nous est adéquate et parfaite. Comprendre une de nos idées inadéquates, c'est donc réussir à lier cette idée à l'idée de Dieu en nous. Rien de plus.
On pourrait aussi citer la démo de V 17: "toutes les idées, en tant qu'elles se rapportent à Dieu, sont vraies, c'est-à-dire adéquate". Cela n'a pas seulement comme conséquence que Dieu est exempt de passions, cela signifie aussi que si nous réussissons à rapporter une idée que nous avons à l'idée que nous avons de Dieu, par là même nous cessons de pâtir de cette idée inadéquate, nous en avons formé une idée adéquate. Nous avons compris quelque chose de nous-même. Nous sommes devenus un peu plus libre. C'est bien rapporter toute idée à l'idée de Dieu comme cause, qui en fait une idée adéquate (je ne crois pas que cela signifie que l'idée inadéquate devient elle-même adéquate, je crois que cela signifie que nous complétons l'idée inadéquate (mutilée) par l'idée de Dieu. Ces deux idées ensembles forment une nouvelle idée, qui com-prend l'idée inadéquate, et qui par là cesse d'être inadéquate, vu qu'elle vient d'être lié à son 'complément' nécessaire).

Donc: qu'est-ce qui te fait penser que rapporter une idée à Dieu ne suffit PAS pour la rendre adéquate ou vraie?

Miam a écrit :J'ai jusqu'ici fait assez preuve de pédagogie avec mon exemple du puzzle. Si vous le comprenez pas, c'est parce que vous êtes si fiers de votre travail intellectuel que vous croyez que les idées tombent du ciel. Alors qu'il y a un travail de la pensée dans la même mesure qu'il y a un travail manuel. Mais la pensée unique fait bien des ravages, surtout chez les "intellectuels".


il va de soi que tu fais ce que tu veux. Tu sais que tes commentaires m'intéressent toujours beaucoup, mais si tu as meilleure chose à faire, je peux très bien le comprendre, cela ne me gène absolument pas. Quant à la pédagogie: libre à chacun de s'y sentir attiré ou non, bien sûr. Tu n'as pas envie de jouer le pédagogue, pas de problème (déjà je n'aime pas trop les maîtres d'école, donc ça tombe bien).

Mais si l'on essaie de s'en tenir à Spinoza, je ne peux m'empêcher de concevoir Spinoza comme un grand fan de la pédagogie. Prenons pe V 20: "Cet Amour envers Dieu ne peut être souillé ni par l'affect d'Envie ni par celui de Jalousie; mais il est d'autant plus alimenté que nous imaginons plus d'hommes joints à Dieu du même lien d'Amour." Ou le célèbre passage du TIE:

"C'est donc la fin à laquelle je tends, à savoir acquérir une telle nature et faire effort pour que beaucoup l'acquièrent avec moi: c'est-à-dire que FAIT AUSSI PARTIE DE MA FELICITE D'OEUVRER A CE QUE BEAUCOUP D'AUTRES ENTENDENT LA MEME CHOSE QUE CE QUE J'ENTENDS." (Notons en passant qu'ici Spinoza semble vouloir lui-même changer de nature; chose qui clairement ne signifie pas encore que les autres gens ont déjà acquis cette nature; c'est aussi ce qui me fait penser que la nature est singulière, chez Spinoza, sinon on aurait tous dû avoir depuis toujours la même nature humaine; ou quand Spinoza change de nature, on aurait d'office tous dû changer avec lui, non?).
N'est-ce pas précisément pour cette raison que Spinoza dit que celui qui se retire du monde parce qu'il est trop déçu par la bêtise des gens, c'est un 'impatient', quelqu'un qui n'a pas compris? Qui n'a pas compris en quoi consiste la liberté, je veux dire? Qui croit que la liberté solitaire (ou, ce qui revient au même, la sagesse solitaire), c'est possible?

Bref, si l'on laisse un instant de côté dans quelle mesure nous aimons ici la pédagogie ou non, je ne peux m'empêcher de concevoir la philosophie de Spinoza comme une grande entreprise à vocation pédagogique. Sinon pourquoi aurait-il eu besoin d'écrire l'Ethique? Apparemment, lui il a vu Dieu. Il aurait pu s'en contenter, planer dans son troisième genre de connaissance pendant toute sa vie, seul dans une petite maison à la campagne. Le fait même qu'il écrit 'more geometrico', n'est-ce pas un grand effort pour faire comprendre à un maximum d'autres par la - longue - voie de la raison ce que lui, il a vu? Pour les convaincre non pas par l'autorité (le maître d'école) mais par des arguments les plus précis possibles? Et cela parce que cela fait partie même de sa propre félicité? Parce que cela lui permet parfaitement de nourrir son Amour envers Dieu? Autrement dit, existerait-il un spinozisme SANS un goût assez inépuisable de la pédagogie?
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Messagepar Miam » 27 juil. 2007, 17:01

« je ne suis toujours pas certaine que chez Spinoza on puisse identifier nature et essence »

En effet il y a une nuance puisqu’il use de deux mots. Mais elle n’a rien à voir avec notre sujet. Pourquoi vouloir couper en quatre ce qu’on ne peut couper en deux ?

« Dans l'E4 Appendice ch.IX il semble bien distinguer nature et espèce »

L’espèce est encore autre chose que la nature ou l’essence, et ceci depuis Aristote jusqu’à la période moderne.

« Cela n'implique-t-il pas que dans les deux cas, il faut supposer que la nature en question soit d'office une nature singulière, nature de tel ou tel homme »

Une nature singulière n’est saisissable que si l’on saisit la nature d’un attribut, c’est à dire la nature de Dieu, comme le montre explicitement le troisième genre de connaissance dans la cinquième partie.

« Est adéquate cette idée qui est un effet qui découle de ma seule nature singulière, et pas de la nature singulière d'autre chose en même temps. »

Non. Une idée est adéquate lorsqu’elle est « rapportée à Dieu en tant qu’il constitue mon mental seulement » et c’est tout. Cela ne veut pas dire que Dieu peut constituer mon mental sans constituer autre chose. Sans quoi il n’aurait constitué que mon mental. C’est du reste absurde. C’est croire que l’on peut être ontologiquement indépendant de toute chose. Alors qu’il s’agit là seulement d’être la cause adéquate d’une chose parce qu’on la produit. Si je produis des carottes pour les bouffer, je ne suis pas pour autant indépendant par rapport aux carottes (encore moins des outils nécessaires pour les produire) et je dois continuer à bouffer. Pourquoi ? Parce que ma nature et la nature de toutes les autres choses sont une même nature, la nature de Dieu (ou de la substance, comme on voudra). Avoir une idée adéquate, c’est donc avoir de sa nature ET donc celle de toute chose dont on use, une idée adéquate parce qu'on s'inscrit alors comme cause adéquate dans la causalité adéquate (la production) de toutes les autres choses. C’est pourquoi les idées adéquates sont avant tout des Notions COMMUNES. Entre mon corps, le marteau, le clou et le mur. Entre mon corps, la terre, les outils nécessaires pour travailler la terre et les carottes...

« Car dans ce cas, aussi moi-même que lui, nous agissons tous les deux d'office selon la nature humaine. »

Pas « d’office ». Il n’y a ni idée, ni essence, ni nature qui préexistent dans le ciel. La nature humaine est constituée à travers les rencontres humaines et les processus affectifs.

La démo de V 17 prend place dans un autre contexte où il s’agit de l’idée (vraie) d’une idée adéquate. Alors là oui, l’idée (vraie) d’une idée adéquate est adéquate. Dans ce contexte seulement, comme je l’ai déjà écrit, une idée vraie est d’office adéquate si elle est l’idée d’une idée adéquate (cf. mon recensement précédent entre idées vraies, claires, distinctes, mutilées, confuses et adéquates). Pas dans le contexte de II 32. Encore une fois, comme d’autres, vous rendez la pensée spinozienne immensément médiocre et vulgaire comme s’il avait usé de termes au petit bonheur la chance.

Tout le reste est de la littérature indigeste. Du reste, Spinoza était un artisan. Il travaillait de ses mains et savait fort bien que l’on connaît une chose lorsqu’on la produit. Ce n’était pas un « intellectuel » corporatiste pensant que les idées tombent du ciel parce qu’il a « trouvé Dieu » IL ne croyait pas que, contrairement au pecus vulgum, son esprit aurait été touché par la grâce dans la mesure où il se serait détourné des besoins matériels (bouh !). Un intellectuel n’est pas nécessairement intelligent. Aujourd’hui, un intellectuel est bien plutôt une intelligence châtrée, prétentieuse, unijambiste et naïve qui ne fait que ressasser ce qu’il croit avoir compris des « grands penseurs » à la mode et de leurs interprètes aussi bêtes que corrompus. Il ne faut pas être un intellectuel pour comprendre Spinoza. Il ne faut pas être « philosophe », c’est à dire être formaté par le jargon philosophique à la mode dans les universités. Toute personne qui réfléchit sur ce qu’il fait, sur sa fonction, sur la simple manière dont il s'y prend pour enfoncer un clou dans un mur, est bien plus spinoziste que tous les spécialistes et philosophes officiels qui n’ont jamais dépassé le vocabulaire officiel issu de l’interprétation corruptrice chrétienne des Anciens.

Miam


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