la question du corps

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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la question du corps

Messagepar pat-dx » 10 nov. 2007, 17:09

Pour Spinoza, on ne peut penser l'âme sans aborder de front la réalité corporelle de l'être humain. Mais peut-on réduire l'activité de l'esprit à une physiologie cérébrale ? Spinoza évite tout réductionnisme matérialiste sans tomber dans le piège dualiste.
Je tente ici un aperçu sur la physique et la physiologie exposée dans les axiomes et lemmes qui suivent la prop 13 de Ethique II.

L'approche spinoziste de la dualité corps/âme pourrait, dans une lecture superficielle, s'apparenter à un dualisme, mais Spinoza ne reconnait pas de dualisme substantiel : il n'y a qu'une Substance qui est Dieu, entendu qu'il est à la fois « chose pensante » et « chose étendue ».

Nous avons là une dualité plus qu'un dualisme. C'est une manifestation duelle de la totalité qui se manifeste à la fois dans l'étendue, dans la matérialité physique des corps, et dans la pensée, comme « logos », en tant que structure signifiante et intelligible. Comme chose pensante, Dieu (autrement dit la Nature) produit des « idées ». Reste à savoir en quoi consiste cette idéation divine. Notre problématique est rendue délicate par les difficultés mêmes de notre condition humaine dans laquelle notre imagination et nos sensations (celle de la connaissance du premier genre) interfèrent avec la compréhension rationnelle (celle de la connaissance du second genre) de la structure logique de la Totalité. Nous percevons subjectivement l'activité mentale comme indépendante de celle du corps, imaginant ainsi une âme détachée de la réalité corporelle.

Mais si nous ramenons notre réalité existentielle à la Nature naturante, nous ne pouvons qu'admettre que notre activité mentale et notre vie corporelle ne peuvent s'envisager l'un sans l'autre. Il n'y a pas de pensée sans corps, et il n'y a pas de corps sans pensée. Le premier terme peut se comprendre dans le cadre d'un réductionnisme matérialiste, mais le second peut être plus délicat si l'on considère que la pensée est l'apanage d'un nombre réduit de corps (les êtres vivants dotés d'une conscience)... mais une telle perception n'est que partielle puisqu'elle considère que des choses particulières (les êtres vivant conscients) alors que du point de vue de la totalité, on pourrait dire que, en tant que chose pensante, Dieu produit une infinité de corps, et que en tant que chose étendue, à savoir l'ensemble de l'univers, Dieu produit de la pensée et que cette pensée – qui possède une infinité d'attributs et de modes – est elle-même cette « chose pensante ».

Autrement dit, il s'auto-produit comme univers physique, lui même auto-producteur de structures signifiantes, de pensée(s).

Considéré comme totalité, l'Univers est conscient de lui-même : il pense et se crée en pensant... la récursivité entre chose pensante et chose étendue passe par la différentiation modale (dans le champ de la nature naturée) de la pensée divine, à savoir par l'auto-production des corps pensants, qui produisent le discours de l'univers.

Ainsi on comprend la dualité « âme/corps » comme une interaction dialectique entre deux activités auto-productrices dans laquelle la matière se structure de manière signifiante et ne devient intelligible qu'à travers cette structuration. Comme activité humaine, la pensée est la résultante d'un ensemble de mouvements corporels touchant principalement, mais non exclusivement, le cerveau et que l'on désignera par activité cérébrale (par opposition à activité mentale qui en est le vécu subjectif), ce qui ne veut pas dire que la pensée se réduise à des transformations corporelles.

On ne peut résoudre le problème corps/esprit que si l'on considère la réalité humaine dans son contexte, comme modalité particulière de la nature. On considère alors la pensée comme une résultante fonctionnelle, ou comme une fonction, d'un processus touchant non seulement le corps humain (le cerveau) mais l'ensemble des interactions entre ce corps particulier et la totalité. La pensée est donc une émergence du divin dans et par le corps.

Je considère la 13e proposition de l'Ethique, partie 2 :

L'objet de l'idée qui constitue l'âme humaine, c'est le corps, en d'autres termes, un certain mode de l'étendue, lequel existe en acte et rien de plus.


Spinoza a en vue l'explication de la dualité âme/corps. Cette proposition suit une série d'axiomes et de lemmes dans lesquels on peut voir se construire une physique spinozienne.

Au centre du propos : le corps.

Je comprends l'assertion "L'objet de l'idée qui constitue l'âme humaine, c'est le corps" comme l'affirmation que le corps est l'idée constituant l'âme humaine considérée en tant que émergence de la totalité. C'est en tant que structure signifiante que la nature produit les corps (qui sont des modes particuliers de la nature naturante). Mais on peut comprendre aussi qu'entre le corps humain et l'âme humaine s'établit une relation d'identité dialectique : pas d'âme (c'est-à-dire de pensée) sans corps et pas de corps sans pensée. L'un et l'autre ne sont que deux manières d'exister : soit en agissant dans l'étendue, dans la matérialité du monde physique, déterminant des effets intelligibles comme « lois physiques », soit en agissant dans la pensée, comme structure signifiante exprimant à la fois une conscience des corps, une conscience de soi comme corps et comme pensée, et une conscience des concepts décrivant adéquatement l'ordre des choses.

Spinoza précise que le corps est « mode de l'étendue, lequel existe en acte et rien de plus. »... ce qui implique que l'âme humaine n'est rien de plus qu'un mode d'existence en acte, autrement dit c'est une fonction : la pensée est une fonction du corps humain. Par fonction, j'entends une modalité d'action d'un corps donné conférant à ce dernier des propriétés (attributs) modales contributives de son essence en tant que cause efficiente.

Ainsi si j'affirme que la fonction d'un estomac est de digérer les aliments, j'entends par là que ce corps (sous ensemble du corps humain) agit sur lui-même et sur d'autres corps (les aliments) de manière à ce qu'il aie la propriété de transformer et de dissoudre les aliments de façon à ce qu'ils puissent être intégrés dans la circulation sanguine. La cause efficiente d'un estomac est sa fonction : digérer les aliments.

De la même manière, je dirais que la pensée est une fonction du corps humain. En cela, elle n'est pas réductible à la physiologie cérébrale, mais elle ne peut se passer de cette physiologie, ou du moins, on peut considérer que plusieurs structures corporelles possibles peuvent assumer cette fonction. Mais agissant dans l'étendue, le corps produit de la pensée dans cette même étendue et l'on peut considérer que la pensée se concrétise en actes, en mouvements d'autres corps, tout en n'étant pas en elle-même la résultante physique de ces mouvements.

En revenant au corps, Spinoza précise bien que la connaissance de ces lois physiques sont une condition d'une bonne compréhension de la pensée, en considérant d'abord que celle-ci n'est pas exclusive à l'homme. Tous les individus de la nature sont à des degrés divers animés, en tant que idée produite par Dieu.


Toutefois, on ne s'en formera une idée adéquate et distincte qu'à condition de connaître premièrement la nature de notre corps, tout ce qui a été exposé jusqu'à ce moment étant d'une application générale et ne se rapportant pas plus à l'homme qu'aux autres individus de la nature ; car tous à des degrés divers sont animés. De toutes choses, en effet, il y a nécessairement en Dieu une idée dont Dieu est cause, de la même façon qu'il l'est aussi de l'idée du corps humain, et par conséquent tout ce que nous disons de l'idée du corps humain, il faut le dire nécessairement de l'idée de toute autre chose quelconque.


Deux axiomes inscrivent les corps dans l'étendue (spatiale et temporelle) :

* 1. Tous les corps sont en mouvement ou en repos.
* 2. Tout corps se meut, tantôt plus lentement, tantôt plus vite

Il n'y pas d'autre différentiation entre les corps que la vitesse de leurs mouvements, nulle ou non. D'abord parce qu'ils sont co-substantiels, participant d'une seule substance, et que, en conséquence, tous les corps ont la matérialité en commun.

Etant donné que le mouvement est une modalité des corps, cette propriété est déterminée de l'extérieur, et ne l'est que par une propriété de même nature, à savoir le mouvement d'un autre corps.

Le Lemme III -
Un corps qui est en mouvement ou en repos a dû être déterminé au mouvement ou au repos par un autre corps, lequel a été déterminé au mouvement ou au repos par un troisième corps, et ainsi à l'infini.
- délimite la physique de Spinoza : c'est une mécanique pure. Il n'y a pas de transformation substantielle des corps (pas de chimie et encore moins d'alchimie), mais une recomposition des différentes parties (individus) constituant des corps complexes comme résultante d'entrechocs et de contacts surfaciques.

En corollaire du Lemme III, nous avons la loi d'inertie. Un corps reste en mouvement tant qu'un autre corps ne lui fait pas obstacle, le mouvement étant la condition initiale, le repos ne pouvant être que causé par un autre corps. Le Lemme III se complète d'axiomes (dont la numérotation non consécutive des axiomes précédents font penser qu'ils constituent un sous-ensemble dans l'exposition logique) :
axiome 1 Tous les modes dont un corps quelconque est affecté par un autre corps résultent en même temps de la nature du corps qui éprouve l'affection et de la nature du corps qui la produit, de façon qu'un seul et même corps reçoit des mouvements différents des différents corps qui le meuvent, et leur donne à son tour des mouvements différents.

axiome 2 Lorsqu'un corps en mouvement frappe un corps en repos qui ne peut changer de place, son mouvement se continue en se réfléchissant et l'angle formé par la ligne du mouvement de réflexion avec le plan du corps en repos est égal à l'angle formé par la ligne du mouvement d'incidence avec ce même plan.

axiome 3 A mesure que les parties d'un individu corporel ou corps composé reposent réciproquement les unes sur les autres par des surfaces plus ou moins grandes, il est plus ou moins difficile de changer leur situation, et par conséquent de changer la figure de l'individu en question. Et c'est pourquoi j'appellerai les corps durs, quand leurs parties s'appuient l'une sur l'autre par de grandes surfaces ; mous, quand ces surfaces sont petites ; fluides, quand leurs parties se meuvent librement les unes par rapport aux autres.



En clair, nous avons là une conception systémique où tout mode d'existence corporelle a une (ou des) cause(s) interne(s) et externe(s) et que la relation causale n'est pas univoque : action et réaction se répondent mutuellement selon une loi intelligible. Ces axiomes permettent d'expliquer la cohésion des corps résultant de mouvements cohérents puisqu'ils se communiquent selon des rapports déterminés. L'axiome 3 explique la solidité et la fluidité par la variabilité des contacts de surface... sans doute, le modèle de la fluidité est, pour Spinoza, un corps granulaire – un tas de sable par exemple, dont les propriétés le rapproche des corps mous ou fluides. ... mais l'augmentation des surfaces de contact augmente la solidité de l'ensemble. Solidifié, un corps composés de particules peut former un ensemble solide, cohérent, constituant lui-même un individu.

Une définition complète l'axiome 2 :
Lorsqu'un certain nombre de corps de même grandeur ou de grandeur différente sont ainsi pressés qu'ils s'appuient les uns sur les autres, ou lorsque, se mouvant d'ailleurs avec des degrés semblables ou divers de rapidité, ils se communiquent leurs mouvements suivant des rapports déterminés, nous disons qu'entre de tels corps il y a union réciproque, et qu'ils constituent dans leur ensemble un seul corps, un individu, qui, par cette union même, se distingue de tous les autres.


En conséquence, des corps peuvent être simples ou composés, plus ou moins solides et leurs propriétés intrinsèques ne se modifie pas par la croissance ou le mouvement de ces corps dans la mesure où la relation entre les parties reste identique.

Autrement dit un corps peut s'accroitre en quantité sans changer de nature si la structure reste la même. De même un corps complexe peut se mouvoir sans changer de nature. L'interaction entre les individus peuvent produire des individus de niveau plus complexe. Nous avons là une intrication systémique, décrite dans la scolie de l'axiome 4, entre les parties et le tout..

Quelques lemmes démontrent ensuite que des corps peuvent être simples ou composés, plus ou moins solides et leurs propriétés intrinsèques ne se modifient pas par la croissance ou le mouvement de ces corps dans la mesure où reste identique la relation entre les parties. Autrement dit, un corps peut s'accroitre en quantité sans changer de nature si la structure reste la même. De même un corps complexe peut se mouvoir sans changer de nature. L'interaction entre les individus peuvent produire des individus de niveau plus complexe. Nous avons là une intrication systémique de niveaux d'organisation, décrite dans la scolie du lemme 4

Nous voyons par ce qui précède comment un individu composé peut être affecté d'une foule de manières, en conservant toujours sa nature. Or jusqu'à ce moment nous n'avons conçu l'individu que comme formé des corps les plus simples, de ceux qui ne se distinguent les uns des autres que par le mouvement et le repos, par la lenteur et la vitesse. Que si nous venons maintenant à le concevoir comme composé de plusieurs individus de nature diverse, nous trouverons qu'il peut être affecté de plusieurs autres façons en conservant toujours sa nature ; car puisque chacune de ses parties est composée de plusieurs corps, elle pourra (par le Lemme précédent), sans que sa nature en soit altérée, se mouvoir tantôt avec plus de vitesse, tantôt avec plus de lenteur, et par suite communiquer plus lentement ou plus rapidement ses mouvements aux autres parties. Et maintenant si nous concevons un troisième genre d'individus formé de ceux que nous venons de dire, nous trouverons qu'il peut recevoir une foule d'autres modifications, sans aucune altération de sa nature. Enfin, si nous poursuivons de la sorte à l'infini nous concevrons facilement que toute la nature est un seul individu dont les parties c'est-à-dire tous les corps, varient d'une infinité de façons, sans que l'individu lui-même, dans sa totalité reçoive aucun changement.


Autrement dit, nous avons là une pensée qui annonce une pensée systémique. L'Univers (comme tout corps composé) est un système de corps plus élémentaires interagissant selon des lois mécaniques et constituant un ensemble structuré et cohérent. L'individu est donc défini par sa cohésion mécanique (lois de surface) et sa cohérence structurelle (lois de mouvements). On peut se dire qu'un corps complexe est composé de corps plus simples, constituant par leur cohésion structurale un sous-ensemble de corps encore plus simples. A-t-il pensé de cette manière à propos des corps apparemment simples, comme un lingot de métal, un bloc de verre ... il a certainement fait l'expérience du broyage ou du concassage de matériaux, pouvant se dire qu'un tel corps pouvait être fragmenté en parties élémentaires.

Je ne sais si l'atomisme (je me réfère ici à l'atomisme antique) implicite qui se dégage de ces axiomes et lemmes est conscient, mais il me semble certain que Spinoza pense la nature en matérialiste, cherchant dans l'entre-choc des corps la cause de tout ce qui existe. Je laisse de coté la question de l'atomisme

Spinoza pense en moniste, mais il récuse toute pensée du néant de sorte que la physis est conçue comme "chose étendue", comme une continuité sans faille (c'est Dieu comme chose étendue) dans lequel se déterminent, localement et temporairement, des modes particuliers qui sont les corps. Ceux-ci ont une surface et interagissent de manière mécanique. Leur cohésion vient de l'adhérence surfacique proportionnelle à l'étendue de la zone de contact. Tout mouvement est causé par un autre mouvement, transmis de corps à corps jusqu'au moment où un corps immobile, ou animé d'un mouvement de sens opposé fait obstacle. Les interactions physiques sont intelligibles et peuvent se décrire en quelques lois permettant de modéliser les mouvements.

Il y a pas vraiment de notion d'atome, au sens de particule microscopique élémentaire, mais bien une conception selon laquelle tout corps peut être conçu comme une imbrication d'individus. Un individu n'est pas nécessairement un corps simple, c'est un corps duquel on ne peut retirer une partie sans en changer la nature. Il y a certes des individus élémentaires et homogènes mais rien n'empêcherait de concevoir une subdivision à l'infini des corps homogènes. Ce qui semble importer chez Spinoza c'est la structure qui émerge de mouvements cohérents des corps. C'est cette cohérence structurelle qui permet la préservation de l'identité en dépit de la croissance ou des mouvements. L'approche est donc mécaniste et structuraliste et il en est ainsi pour le corps humain. Spinoza fait l'économie du vitalisme essentialiste : l'âme ne doit pas être confondu ici avec un principe vital cause de la vie humaine ou animale. "Mens" (âme, esprit) désigne ici la pensée comme activité mentale.

La mécanique de Spinoza anticipe la notion d'énergie cinétique en décrivant la transmission du mouvement d'un corps à l'autre. Je remarquerais cependant que Spinoza semble ignorer tout processus chimique et sa physique ne comporte aucune thermodynamique explicite (les lois de la thermodynamique furent forgés au 19e S). Certes au prix d'une extrapolation, nous pourrions expliquer, à partir de Spinoza, la chaleur de façon cohérente avec la physique d'aujourd'hui; mais ce jeu me semble vain. La physiologie se réduit d'ailleurs à une mécanique des corps mis en mouvement ou déformés sous l'action de fluides. Mais, pour être élémentaire, elle permet de modéliser l'interaction du corps humain et de son environnement. Elle suffit surtout pour rendre compte des rapports entre corps et esprit, non point en localisant un hypothétique point de contact – telle la glande pituitaire chez Descartes – entre corps et âme, mais en soulignant que ce qui affecte le corps est perçu de manière analogue par l'âme et que ce qui affecte l'âme est en fait l'idée des affections du corps.

Les propositions 14 à 19 de l'Ethique, partie 2 abordent les affections de l'âme humaine et expliquent aussi bien les associations d'idées que la mémoire. Elles montrent la réalité de la sensation, et l'adéquation de la relation entre une idée d'un corps extérieur et les modifications du corps humain percevant cet objet. Le rapport entre les sensations multiples permet d'établir une relations structurelle entre plusieurs corps. Autrement dit, la structure mentale correspond, en parallélisme pourrait-on dire, à la structure concrète du monde... mais sur deux plans pourrait-on dire, puisque elle correspond à la structure du corps humain, à un état physiologique (du cerveau, du corps) et à une structure du monde extérieur, dans la mesure où l'état du corps – qui perçoit le monde et interagit avec lui – résulte de la structure du monde physique.

Même si Spinoza s'attache par la suite à établir une distance critique par rapport à la perception immédiate, il s'avère cependant que le monde devient intelligible sous la forme d'une représentation idéelle, induite par un ensemble de transformations du corps ( ou plus exactement d'interactions entre notre corps et les corps extérieurs ) vécu et interprété comme perception et comme objets (prop 16) puisque l'idée d'une modification du corps affecté par les corps extérieurs comprend aussi bien l'idée du corps humain (donc de la perception elle-même) et celle du corps (donc de l'objet). En clair, ce qui se dégage de la perception, c'est la conscience de soi, comme être sentant, percevant, vivant, et la conscience du monde comme cause matérielle objective de nos perceptions.

Le monde nous apparaît cohérent et intelligible que dans la mesure où le corps peut associer des sensations diverses et établir entre eux une relation structurelle stable. Ce qui implique la capacité d'association d'idées et de mémorisation. La prop 20 nuance le propos : le corps lui-même n'est pas connu, sinon qu'à travers l'idée des affections qu'il subit. Autrement dit, le corps n'accède à la conscience que s'il est modifié, soit par une cause externe (sensation, perception) soit par un mouvement interne (proprioception)

Ce qui se dégage pour l'instant est que :

* 1. la structure physique du monde résulte d'interactions mécaniques entre les corps simples (individus) que ces interactions déterminent des structures cohérentes et stables susceptibles d'être décrits comme des individus, eux-mêmes en interactions mécaniques.
* 2. L'intrication s'opère à la fois entre individus de même niveau d'organisation, mais entre niveaux d'organisations différentes, puisque des changements structurels des mouvements internes à un corps composé peuvent en modifier la nature, tandis que des changements homogènes, respectant l'analogie structurelle entre les parties, ne modifient pas la nature du corps composé.
* 3. De niveau d'organisation en niveau d'organisation, on arrive à appréhender la totalité de l'univers comme un corps infiniment complexe mais cohérent, possédant les attributs de l'unicité.
* 4. Spinoza a donc à la fois une conception mécanique, organique et systémique du monde dans lequel le corps humain a une structure analogue à la Totalité : cette structure c'est la dualité corps/esprit – chose étendue/chose pensante.
* 5. Mais en outre une relation d'homologie structurale existe entre les idées et le monde matériel. L'âme humaine est définie comme un complexe d'idées, dont l'objet global est le corps et les objets particuliers les modifications du corps et leur causes internes ou externes.

Je m'en tiens là pour le moment. Il faudra élucider par la suite la question de la connaissance... Spinoza considère comme peu fiable les représentations du corps induites par les seules sensations, il faut les "rapporter à Dieu" pour avoir une idée adéquate de la structure du monde et de celle du corps, encore faut-il comprendre ce que signifie "rapporter à Dieu"... non pas s'en référer au Dieu transcendant, personnel et omniscient des religions monothéistes, mais à la Totalité de la Nature naturante dont la structure se dévoile comme idée.


ps : ce post recoupe la thématique de la discussion sur le corps, dans ce même forum, mais plutôt que de m'insérer dans un débat auquel je n'ai pas participé j'ai préféré initier un nouveau fil... ne considérez pas ces propos comme une réponse définitive, mais comme un chantier de réflexion en cours.

cordialement,

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Messagepar hokousai » 15 nov. 2007, 23:38

Votre texte est très intéressant , je veux le remettre un peu sur le devant de la scène
je vais me concentrer sur un point qui peut vous paraitre annexe

Considéré comme totalité, l'Univers est conscient de lui-même



Il y peu d’occurrence de conscience chez Spinoza j’ en relève une dans l’appendice partie 1
Ils ont tous l’appétit de chercher ce qui leur est utile , chose dont ils ont conscience .

La conscience de soi même est fondamentale chez Hegel , mais chez Spinoza Dieu est- il conscient de lui-même ?
Suffit- il de penser pour être conscient de soi même ? Plus exactement la conscience est -elle en corrélation nécessaire avec la pensée ?


J luc H

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Messagepar pat-dx » 16 nov. 2007, 14:18

Chez Spinoza le terme "conscience" n'est pas employé substantivement mais comme adjectif (sunt conscii - ils en ont conscience) , c'est à dire que la conscience est un mode de l'âme. De plus, il y a une transitivité de cette affection : on est conscient de quelque chose. En relevant les occurences du mot conscience (ou de l'adjectif conscient (conscius) ) je remarque cinq contextes principaux de l'usage de ce terme dans l'Ethique. (cette recherche d'occurences serait à poursuivre dans d'autres oeuvres de Spinoza, comme le traité de la réforme de l'entendement par ex)

1. la réfutation de l'illusion de liberté : les hommes se croient libres parce qu'ils ont conscience de leur action mais ils ignorent les causes qui les déterminent. (E1 appendice)

2. la définition du conatus, de l'appétit et du désir. (E3 - prop 9)
l'ame s'efforce de persevérer en son être et a conscience de cet effort
le désir, c'est l'appétit avec conscience de lui-même.
"qu'un appétit universel dont ils ont conscience les porte à rechercher..." E1 appendice

3. la conscience de soi - ex E3 prop 30
l'homme ayant conscience de soi-même par les affections qui le déterminent à agir
(en vertu des Propos. 19 et 23, partie 3),

4. la conscience des passions, joie et tristesse, en tant que source de connaissance du bien et du mal (E4 propos 8 et 64) ... à noter que la conscience de la tristesse, d'où découle la connaissance du mal est une connaissance inadéquate

5. Le troisième genre de connaissance comme conscience plus pure de soi et de Dieu
"à mesure que chacun de nous possède à un plus haut degré ce troisième genre de connaissance, il a de soi-même et de Dieu une conscience plus pure"

Je ferais quelques remarques. Dans deux de ces contextes, la conscience aboutit à une connaissance inadéquate : illusion de liberté, connaissance inadéquate du mal (il n'y a pas de connaissance adéquate du mal). Ce qui m'incline à penser que la notion de conscience ne recouvre pas exactement celle de pensée, elle se situerait en deçà d'une pensée rationnelle, préalablement à un jugement relevant du 2e genre de connaissance.

Ce point devrait être approfondi : avant la pensée (l'idéation raisonnée) il y a la sensation (ou la perception), la perception n'est pas nécessairement consciente (le corps ne produit pas nécessairement une idée de cette perception ou du corps externe qui affecte notre corps, mais ce dernier réagit cependant), mais la sensation s'accompagne d'une idée d'elle-même, elle est perception consciente, en même temps qu'une idée de sa cause (présente ou non)... mais la sensation, qui est consciente, n'aboutit pas nécessairement à une connaissance adéquate (2e et à fortiori 3e genre).

Spinoza ne désigne donc pas "la conscience" comme synonyme de "mens" (esprit, âme) d'une part parce que la conscience n'est qu'une des modalités possibles de l'esprit (Spinoza laisse du champ libre aux théoriciens de l'inconscience, Freud peut se rassurer ;-)) d'autre part parce que la conscience se situe, à mon avis, dans l'interface entre le corps et l'esprit.

La conscience est le mode par lequel les affects du corps accèdent à l'âme, qui prend conscience" de ces modifications corporelles sans lesquels l'homme ne pourrait être conscient de lui-même. Pour cerner cette interrelations, il me faudrait sans doute approfondir ce que Spinoza dit des rapports entre âme et corps dans E2 (prop 14 et sq).

Mais Spinoza envisage aussi une conscience plus pure de soi et de Dieu à travers la connaissance du 3e genre. Ce qui impliquerait l'idée d'une adéquation entre la conscience et la pensée (ramenée à sa perfection divine).

D'où la deuxième partie de votre questionnement : Dieu est-il conscient de lui-même ?

J'ai effectivement parlé d'univers conscient de lui-même, entendu que lorsqu'on parle de Dieu, j'entends, avec Spinoza j'espère, Deus sive Natura... identité de Dieu et de l'Univers. Il ne s'agit pas seulement de l'univers tels que les astronomes et cosmologistes le décrivent, car, dans leur limitations instrumentales, il ne décrivent que ce qu'ils peuvent percevoir modalement de la Nature naturée. J'entends ici par Univers, la totalité de la physis, à savoir une infinité de mo(n)des. Natura naturans/naturata est chose étendue et chose pensante. Tout deux dotés d'une infinité d'attributs, dont de la conscience (attribut modal d'un être pensant). Spinoza ne parle pas de conscience divine, mais pense Dieu comme chose pensante, c'est à dire comme producteur d'idées. L'idéation (production d'idée) peut elle se concevoir sous un mode non conscient ??? je ne suis pas sûr dans la mesure où l'idée adéquate dépasse l'idée de l'affect en constituant une idée de l'idée. Si Dieu forge une idée, il se forge bien sûr l'idée de cette idée, jusqu'à l'infini. Il y a une récursivité essentielle dans "naturation de la nature" (aujourd'hui on parle d'autopoiese) qui nous amène à dire que Dieu (natura naturans) est conscient de soi (se forge une idée de soi, et une idée de l'idée de soi à l'infini) mais aussi que cette conscience se manifeste dans le champ de la nature naturée, comme émergence de modalités corporelles (dans l'étendue) de la pensée. Cette émergence se produit modalement (comme affections de la substance divine) par l'ensemble des êtres (plus ou moins) conscients de l'univers, la perfection en la matière relevant de la connaissance du 3e genre... donc je pourrais dire que la natura naturata est conscient d'elle-même à travers la conscience (de soi, du monde, de l'univers) des choses pensantes - des corps - qui se trouvent dans l'univers étendu. De ces choses capables, imparfaitement je le souligne, de conscience adéquate de soi et du monde, nous ne connaissons que l'homme, mais l'univers étant infini en ses modes, rien n'interdit d'imaginer de façon plausible l'existence corporelle (ou mentale) d'autres êtres pensants adéquatement eux-mêmes et l'univers.

Cela relève de l'imagination science-fictionnesque. Tentons de rester dans la rigueur logique spinozienne. La chose étendue étant infinie et comportant une infinité de modes, on peut être tenté de dire qu'il y a une infinité de corps pensant (conscients) et qu'il y a donc nécessairement d'autres formes de vie pensante dans l'univers que l'homo sapiens terrestre (1) ... mais il y a peut être un paradoxe logique à résoudre : un ensemble infini implique-t-il l'infinité en nombre des sous-ensembles qui composent cet infini, autrement dit si les objets appartenant à la classe U sont infinis en nombre, cela impliquerait que les objets appartenant au sous ensemble de classe V (comme vivants) sont aussi infinis en nombre, et donc il y aurait une infinité de pensants parmi l'infinité de vivants ???



(1) ce qui n'implique pas bien sûr que l'on doive accorder un crédit naif aux rumeurs - perceptions par oui-dire etc... - et fables sur les extra-terrestres
ce n'est d'ailleurs pas l'objet de la discussion ici.

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hokousai
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Messagepar hokousai » 17 nov. 2007, 00:12

Cher Pat
( d'abord merci pour les occurrences de conscience chez Spinoza )


"
""""Tout deux dotés d'une infinité d'attributs, dont de la conscience (attribut modal d'un être pensant).
"""""""

Je ne vois pas ce qu'est un attribut modal .

..............................................

""""""""
L'idéation (production d'idée) peut elle se concevoir sous un mode non conscient ??? je ne suis pas sûr dans la mesure où l'idée adéquate dépasse l'idée de l'affect en constituant une idée de l'idée. Si Dieu forge une idée, il se forge bien sûr l'idée de cette idée, jusqu'à l'infini.
"""""""""""""


Ce dont moi je ne suis pas certain est que cette régression à l'infini donne jamais une conscience s'il faut être conscient à la fin .
S'il faut être conscient il faut l'être à un moment donné de la régression possible .
la conscience est donc déterminée .
D'aucun dirait que cette régression infinie est impossible donc que la conscience est toujours possible ..

Mais la production d’idées ce n’est pas nécessairement la production d’idées accompagnées de l’idée de soi comme sujet .Sans convoquer l’inconscient des psychologues on peut juger plausible qu’une part notable de notre travail intellectuel se fait dans la préoccupation de ce travail et sans que le sujet ( soi même )n’ intervienne . Plongé dans la réflexion de tel ou tel problème (seraient-ils quotidiens) je m’oublie . Je m’oublie très fréquemment, il ne me semble pas que je cesse de penser pour autant.

..........................

Car la conscience c'est plus que l'idée d'une idée , c'est l'idée d 'en avoir .
D’ en avoir en tant que sujet et en ce sens c’est se forger une idée de soi comme sujet .
Un sujet ! Voila ce qui introduit une distinction ( une différence , ce que vous voudrez de ce genre là )
Et voila le sujet posé face à ses idées et autres propriétés, son corps, son monde….
Or La substance est indivisible .


bien à vous
j luc hokousai

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Messagepar pat-dx » 17 nov. 2007, 00:55

Citation:
""""Tout deux dotés d'une infinité d'attributs, dont de la conscience (attribut modal d'un être pensant).
"""""""

Je ne vois pas ce qu'est un attribut modal .


in E1 Spinoza écrit
IV. J'entends par attribut ce que la raison conçoit dans la substance comme constituant son essence.

V. J'entends par mode les affections de la substance, ou ce qui est dans autre chose et est conçu par cette même chose.



... j'ai l'impression que je me suis par inadvertance fendu d'une hérésie para-spinozienne avec le concept hybride - et aporétique apparemment - d' attribut modal...

Si la conscience est un attribut constitutif de l'essence d'un être, elle ne peut en être considérée comme une affection... mais si la conscience n'est pas essentielle à cet être, c'est à dire qu'elle n'enveloppe pas son existence, elle doit être considérée comme une affection, comme un mode. En l'occurrence, la conscience n'est pas essentielle à l'homme (qui peut être inconscient), donc elle doit être considérée ici comme une affection, c'est donc un mode et non un attribut de l'être humain.... mais en est-il ainsi de tous les êtres ?

si la conscience est essentielle pour une classe d'êtres, "conscient" devient un des attributs de la Nature naturée... car c'est de Dieu, sive natura, que l'on parle en évoquant la conscience de l'univers. En prenant le point de vue "naturante" de la nature, la question se pose peut être autrement.

la conscience est-elle un attribut de Dieu ? ou simplement un mode ?

... il est plus de minuit, je laisse donc la nuit me porter conseil (travail de l'inconscience sans doute)

cordialement,

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Messagepar hokousai » 18 nov. 2007, 00:51

""devient un des attributs de la Nature naturée."""


concept hybride ?!
Les attributs sont de la nature naturante et les modes des attributs sont de la naturée . pro 24 part 1

Je dirais que la conscience est habituelle à l 'homme .

Savoir si elle lui est essentielle ? On peut penser comme essentielle une propriété qui n'est pas permanente dans la durée: par ex il est essentiel aux animaux de naitre
Éternellement il est de l'essence de l'animal de naitre , mais l'essence de l 'animal induit des modifications qui ne sont pas toutes 'la naissance' .

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Messagepar pat-dx » 18 nov. 2007, 11:10

à vrai dire, relecture du début de E2 et réflexion faites, je dirais que la conscience est un mode de la pensée...

En Dieu, un attribut se décline en une infinité de modes... ->Dieu est conscient... on peut donc parler de conscience de la nature naturante et de la nature naturée. (à caractériser le versant naturé de la conscience divine)

Reste donc à caractériser la conscience humaine. C'est une disposition de la pensée intentionnelle (orientée nécessairement sur un objet - cfr E2 axiome 3) dans lequel les affects du corps altéré par les corps extérieurs sont sentis et conceptualisés en "idées des corps extérieurs", et "'idées de altérations de notre corps".

Je suis donc conscient d'un objet parce que je ressens les altérations que provoquent cet objet sur mon corps (perception visuelle, auditive, par le toucher etc...) qui m'amènent à concevoir cet objet (forger une idée de cet objet, fut-ce au prix d'une inadéquation de cette connaissance du 1er genre) et à concevoir la sensation de cet objet.

mon problème (qui reste en chantier) est expliciter le passage de la sensation immédiate (source de la connaissance du 1er genre) à une connaissance du second genre (réfléchie, rationnelle, etc) du monde qui m'entoure qui me permet d'avoir une série d'idées ordonnées et connectées de manière similaire à l'ordre et la connexion des choses.

Ce parallélisme entre l'ordre et la connexion des choses et des idées, que je désigne personnellement comme "homologie structurale", est à mon avis un point clé de la résolution du problème.

cordialement,

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Messagepar hokousai » 18 nov. 2007, 23:14

cher pat


En Dieu, un attribut se décline en une infinité de modes... ->Dieu est conscient..


il y a deux idée dans conscience 1) être éveillé ( comme d’un comateux qui redevient conscient )
2) conscience de soi comme sujet .

la première conscience ne captive pas totalement le sujet la seconde le captive totalement (ou bien dit autrement la première ne centre pas le monde, la seconde le centre )
. Je ne peux être conscient de moi sans l’être « absolument » c’est à dire que je fait pivoter le monde, je l’oriente, le monde est orienté autour de moi .
Ce que je fais (mon activité ) n’est pas neutre où sans orientations ou orientée selon des directions indépendantes de moi, mais orienté à partir de moi .
Je suis le centre, il y a un centre , un monde -et un centre du monde .

Est ce que la nature chez Spinoza a un centre ?.

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Messagepar pat-dx » 21 nov. 2007, 01:14

Dans la E2 prop 23 Spinoza démontre que "l'esprit ne se connaît lui-même qu'en tant qu'il perçoit les idées des affections du corps". La conscience relève donc
1. de la perception
- des affections et
- des idées de ces affections du corps (une personne inconsciente ne perçoit pas les affections même s'il réagit à certaines affections) et
2. de la perception de lui-même en tant qu'esprit, autrement dit de l'idée qu'il se fait de sa propre conscience. (Idée de l'esprit qui est unie à l'esprit de la même façon que l'esprit lui-même est uni au corps - E2 prop 21)

Spinoza s'empresse de démontrer les limitation de cette connaissance de soi : la conscience (en tant que conscience de ses activités mentales ou corporelle) n'implique pas une conscience adéquate de la physiologie corporelle, et même pas une connaissance adéquate, certaine, des corps externes affectant notre corps. Autrement dit, la conscience ne peut qu'être partielle, ou, si l'on veut dire, relever d'une connaissance imparfaite, inadéquate du corps et du monde.

L'expérience quotidienne nous confirme puisque, par exemple, la conscience d'avoir faim ne nous permet pas de connaître la physiologie d'un estomac vide et ses interactions avec le reste du corps : nous vivons la faim comme une souffrance, un manque, un besoin ou un désir de manger. Mais une connaissance objective ("scientifique") du corps comme ensemble d'organes en interaction, passe par une objectivation qui risque d'être elle-même biaisée par l'imagination... aboutissant à une représentation inadéquate (parce que incomplète) de la faim (décrit comme processus physiologique mais ignoré comme vécu mental)... il y a en outre un autre aspect : Spinoza veut dé-subjectiver l'être humain en rapportant systématiquement sa réalité à Dieu, c'est à dire en le considérant comme une composante de la totalité : autrement dit, ce qui se passe en lui comme activité mentale (de l'esprit, ou de l'âme selon les traductions) ne résulte pas de sa volonté mais de l'ensemble des déterminations causales internes et externes régissant l'état du corps.

Dès lors il faut chercher à penser la conscience dans un cadre déterministe et systémique (puisque la pensée est un effet du corps, une fonction du corps, objet de l'idée - "L'objet de l'idée qui constitue l'âme humaine, c'est le corps" signifie que la fonction du mental est de produire une idée du corps, mais le corps, en étant affecté de diverses manières, produit de la pensée ou, autrement dit, se structure de manière à avoir une idée des affections du corps)

En désubjectivant l'homme, Spinoza le prive de sa position centrale : l'homme n'est pas le "centre" (sinon dans le cadre d'une perception subjective interdisant une connaissance adéquate du monde et de l'homme) d'une totalité infinie ou plutôt chaque point de cette totalité pourrait en être le centre. En quelque sorte, Spinoza accomplit, dans le domaine de l'anthropologie philosophique, une véritable révolution copernicienne, rompant à la fois avec le transcendantalisme finaliste (l'homme comme création intentionnelle d'un dieu providentiel) et avec le subjectivisme cartésien (le cogito comme fondement de la certitude)

cordialement,

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Messagepar Faun » 21 nov. 2007, 08:52

Tout ce que vous dites me paraît très juste, néanmoins il ne faudrait pas oublier qu'il existe dans l'Ethique une distinction entre la conscience et l'intellect. La conscience est en effet largement dévalorisée par Spinoza, comme étant liée aux conditions de notre perception corporelle, nécessairement confuse et inadéquate. En revanche le statut de l'intellect est tout autre, il existe dans l'attribut pensant, comme mode fini (ou infini dans le cas de l'intellect de Dieu), indépendamment du corps et de l'idée mutilée que nous en avons. Du reste l'intellect apparaît dès les premières définitions de l'Ethique (définition 4), et donne tout son sens aux dernières propositions du livre 5.


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