Spinoza et les femmes / le "parallélisme"

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 10 janv. 2008, 01:16

Bardamu a écrit :une proposition :
(corps) 5 + 7 = 3 x 4 (pensée) = 6 + 6 = etc.
avec autant d'"attributs" qu'on veut, c'est-à-dire n'importe quelle combinaison donnant 12.
L'humain est l'individu constitué de 5 + 7 et 3 x 4. Rapports de corps, rapports d'idées sous une même identité.
Et pour pousser la métaphore, si le corps a l'affection "divisé par 2", eh bien l'esprit l'a aussi : (5 + 7)/2 = (3 x 4)/2.
A partir des affections "arithmétiques", à partir du "divisé par 2", l'esprit pense le corps et se pense lui-même. Des successions d'opération donnent des effets, des résultats, qui permettent de déterminer nos conditions d'affections, les règles "arithmétiques" en oeuvre pour nous et le monde.


Bonsoir Bardamu,

en effet, c'est assez séduisant d'essayer de le voir d'une telle façon. Ce qui me semble être intéressant dans le "(corps) 5 + 7 = 3 x 4 (pensée)", c'est que si j'ai bien compris, ce qui fait la différence entre les attributs consiste en une manière d'opérer. Additionner et multiplier, ce sont des opérations différentes, donc des manières de produire un effet différentes, tandis qu'effectivement, en même temps une identité peut être tout à fait préservée. Chaque attribut a ainsi sa propre "loi de production". Puis on peut effectivement démultiplier les opérations (du moins en théorie) à l'infini: 5 + 7 = 3 x 4 = 14 - 2 (3e attribut) etc.

Un désavantage est peut-être qu'il faut travailler avec les mêmes éléments de base (les nombres), tandis que justement, les attributs n'ont vraiment rien en commun.

Puis, ce qui me pose également problème dans ce rapport idée-objet (en général), c'est que dans le cas d'un objet-corps (affection du corps), le corps sait percevoir seulement d'autres corps (ou en être affecté), tandis que l'esprit (l'idée) sait percevoir non seulement des idées (ou peut être affecté par des idées), mais en plus l'esprit sait percevoir des modes d'autres attributs, puis même des essences de choses singulières (je pars pour l'instant d'une conception du troisième genre de connaissance comme étant une connaissance adéquate immédiate de l'essence singulière des choses, en attendant d'être convaincue par Serge de sa fausseté). Cela implique non plus seulement une mise en rapport (une "opération") propre à l'esprit (opération dont les termes sont eux-mêmes des idées), mais également une mise en rapport de termes qui peuvent être de l'ordre d'une idée et d'un corps. Idée et corps n'ont rien en commun, mais une mise en rapport est possible (c'est le propre de l'esprit de pouvoir le faire). Autrement dit: il n'y a aucun type de causalité entre corps et esprit, tandis que les idées ont leur type de causalité à elles, et les corps leur type de causalité à eux; n'empêche qu'un rapport existe néanmoins, rapport qui est AUTRE que celui qui définit l'essence même de la chose.

En ce sens ta métaphore est peut-être également intéressante: il s'agit effectivement d'une mise en rapport (par l'égalité) de deux rapports totalement différents (le rapport "+" (essence objective) et le rapport "x" (essence formelle). Mais donc il faudrait que cette mise en rapport (ici l'égalité) en réalité est le propre d'un des deux types de rapports qui en sont les termes (ici l'addition). Tandis qu'ici aussi (comme pour la division), l'égalité n'est qu'une opération parmi d'autres. Ou en tout cas pas le propre de l'addition.

Récemment j'entendais un logicien dire que pour lui toute notre pensée (créative) consiste à construire des "congruences" entre des choses qui, selon un certain point de vue, sont différentes. A identifier deux hétérogènes donc. Tandis que les autres opérations (+, x etc) opèrent sur des éléments plutôt homogènes (5 et 7 sont tous les deux des nombres). En cela, l'égalité a donc effectivement un statut un peu à part, en tant qu'opération (elle sait créer des "unions").

Mais alors ... comme tu parles de Frege ... on pourrait peut-être également proposer, comme métaphore pour le rapport corps-esprit-chose un rapport expression francophone-expression anglophone-sens?

Exemple: "the king of France is bald"= "le roi de France est chauve". Le sens de cette phrase peut être exprimé différemment dans une infinité de langues. N'empêche qu'il reste toujours le même (on aurait pu prendre aussi la dénotation, mais alors on tombe dans le piège représentationnel, le sens étant en quelque sorte "l'image" de la référence), tandis qu'un changement de sens implique immédiatement un changement semblable dans toutes les expressions langagières possibles.

Mais cela ne résout pas vraiment le problème que j'avais avec ta proposition: comment exprimer métaphoriquement "l'inéquilibre" entre les deux attributs, puisque l'un sait non seulement percevoir ce qui se passe dans son propre monde (attribut), mais également ce qui se passe dans tous les autres attributs? A ce point de vue, un "native speaker" anglophone est plutôt "égal" à un native speaker francophone: aucun des deux ne peut percevoir quelque chose de l'autre langue aussi longtemps qu'il ne l'a pas appris.

Bref, s'il me semble que la métaphore que tu proposes est dans un certain sens excellente, la difficulté réside pour moi dans le signe de l'égalité. En réalité, le corps n'est pas "identique" à l'esprit, ils CONSTITUENT une seule et même chose (c'est la chose qui est identique à elle-même), et l'esprit sait percevoir le corps tandis que l'inverse n'est pas le cas (pas de relation symétrique entre les deux termes de l'égalité donc). Or c'est précisément cette capacité de perception de quelque chose de radicalement autre que lui-même qui rend possible l'union entre l'esprit et le corps ... . Perception qui ici n'est PAS une affection ... . C'est pourquoi j'ai l'impression qu'il ne suffit pas de trouver des métaphores d'une seule et même chose exprimée de façons différentes (ce qui n'est déjà pas si facile à trouver, et ce que réussit à faire la métaphore que tu proposes), il faudrait en même temps qu'un des deux termes a un rapport spécifique avec l'autre, et non seulement avec la chose qu'ils expriment tous les deux ... .

Bardamu a écrit :A noter aussi que je parle de 12 par référence au jugement synthétique a priori chez Kant qui prend cet exemple et que Frege critiquera. C'est un sujet actuel de réflexion pour moi...


je viens d'entamer la Begriffschrift il y a quelques semaines, mais je n'ai pas encore rencontré l'exemple en question. Te souviens-tu de l'endroit (dans la BS ou ailleurs) où je pourrais éventuellement le retrouver?
Merci déjà,
louisa

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Messagepar bardamu » 11 janv. 2008, 23:27

Louisa a écrit :(...)
Puis, ce qui me pose également problème dans ce rapport idée-objet (en général), c'est que dans le cas d'un objet-corps (affection du corps), le corps sait percevoir seulement d'autres corps (ou en être affecté), tandis que l'esprit (l'idée) sait percevoir non seulement des idées (ou peut être affecté par des idées), mais en plus l'esprit sait percevoir des modes d'autres attributs, puis même des essences de choses singulières (...) Idée et corps n'ont rien en commun, mais une mise en rapport est possible (c'est le propre de l'esprit de pouvoir le faire). Autrement dit: il n'y a aucun type de causalité entre corps et esprit, tandis que les idées ont leur type de causalité à elles, et les corps leur type de causalité à eux; n'empêche qu'un rapport existe néanmoins, rapport qui est AUTRE que celui qui définit l'essence même de la chose.

Bonjour Louisa,
avant d'essayer une autre métaphore que j'ai en réserve, j'aimerais mieux comprendre où est ton problème.

Pourquoi dis-tu que le rapport corps-esprit est autre que celui qui définit l'essence d'une chose ?
Est-ce que le fait qu'une chose participe à plus ou moins d'attributs ne fait pas partie de la définition de son essence ?
Si j'ôte l'axiome "l'homme pense" est-ce qu'il reste un homme ?

Et comment comprends-tu E2 ax.4, "Nous sentons un certain corps affecté de plusieurs manières" traduis dans E2P13 dem. : "nous avons l'idée des affections du corps" ?

Est-ce que tu comprends cela comme une relation de communication ? Comme si le corps envoyait quelque chose à l'esprit ?

A mon sens, il ne faut pas comprendre percevoir au sens d'une relation de communication entre corps et esprit, mais bien "avoir l'idée des affections", c'est-à-dire un équivalent idéel de ce qui affecte le corps. La pensée reste dans la pensée, l'équivalence passe par un troisième terme : la substance.
En fait, au lieu de 5+7=3x4, j'aurais peut-être dû écrire 5+7 <=> 12 <=> 3x4 bien que le 12 soit toujours un et indivisible...
C'est la puissance d'agir de Dieu qui distribue dans tous les attributs des affections selon le même ordre et la même connexion, et la pensée reste en elle-même lors d'une sensation. A partir de ces idées, l'entendement reconstruira des idées vraies et commencera à "percevoir" ce qu'est vraiment un corps.
Si on s'active en travaillant les idées d'autres attributs, alors il y a dans ces autres attributs les équivalent de notre activité, le corps est aussi affecté par cette activité. Il n'y a pas de privilège de la pensée dans la capacité à affecter ou être affecté.
Louisa a écrit :(...)
je viens d'entamer la Begriffschrift il y a quelques semaines, mais je n'ai pas encore rencontré l'exemple en question. Te souviens-tu de l'endroit (dans la BS ou ailleurs) où je pourrais éventuellement le retrouver?

C'est dans les "Fondements de l'arithmétique". Il évoque juste au passage le 5+7 mais l'idée de base du bouquin est de dire que l'arithmétique n'a pas un fondement synthétique et qu'on peut la fonder analytiquement à partir de la logique.
Une version en allemand, au cas où tu parlerais aussi allemand : http://www.ac-nancy-metz.fr/enseign/phi ... /Frege.pdf

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Messagepar hokousai » 12 janv. 2008, 00:12

à Bardamu


c'est-à-dire un équivalent idéel de ce qui affecte le corps.


il me semble que la douleur n'est pas un équivalent de ce qui affecte le corps .
si j'ai mal à une dent ce n'est pas l'équivalent d'une douleur dans une dent .
c'est tout un : jai mal à une dent .
Votre équivalence ré-introduit une dualité entre le corps et l'esprit .

Il n'y a pas de privilège de la pensée dans la capacité à affecter ou être affecté.

j'avoue que je ne vois pas trop qui affecte quoi et qui est affecté par quoi .

Dans le cas d'un affect, la pensée ne reste pas dans la pensée , elle n'y est jamais , elle est dans le corps .
On devrait dire que la conscience reste dans la conscience et c'est elle qui fait le partage entre la pensée ( les idées ) et le corps ( localisation d'un affect ) c’est la conscience de soi qui met le corps à distance .

Il faut après un sérieux effort de pensée pour rétablir l 'union esprit /coprs . Celle ci est pourtant naturelle puisque je perçois directement mon mal aux dents , hors de toute considération d' attributs .
Ce que je trouve dommageable c’est que la théorie des attributs conforte la scission consciente entre le moi ( conscience de soi et se connaissant comme pensée ) et le corps

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Messagepar hokousai » 12 janv. 2008, 02:01

A partir de ces idées, l'entendement reconstruira des idées vraies et commencera à "percevoir" ce qu'est vraiment un corps.


Non pas à percevoir mais à comprendre ( cela se passe dans l'intellect et dans le deuxième genre de connaissance )ce qu'est un corps vraiment compris .
On ne comprends pas ce qu'est vraiment un corps , on comprend vraiment ce qu'est un corps compris ( intelligé )

(ce qui à mon avis éloigne de la compréhension des choses mais c'est un point de vue personnel )

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Messagepar Louisa » 13 janv. 2008, 01:28

Bardamu a écrit :Pourquoi dis-tu que le rapport corps-esprit est autre que celui qui définit l'essence d'une chose ?
Est-ce que le fait qu'une chose participe à plus ou moins d'attributs ne fait pas partie de la définition de son essence ?
Si j'ôte l'axiome "l'homme pense" est-ce qu'il reste un homme ?


Bonjour Bardamu,

quand je disais que le rapport corps-esprit est autre que celui qui définit l'essence d'une chose, je pensais à la façon dont Deleuze présente les trois "niveaux" de l'individu: tout individu a une essence qui est un degré de puissance, essence qui exprime un certain rapport (de mouvement et de repos, en ce qui concerne le Corps), rapport qui est effectué par les parties extrinsèques (ou corps) qui constituent ensemble notre Corps.

Si un certain rapport de mouvement et de repos caractérise l'essence du corps, le rapport esprit-corps, en revanche, ne consiste pas en un rapport de mouvement et de repos mais en un rapport entre deux modes appartenant à des attributs différents. Rapport qui est celui d'une idée à son objet.

Nous avons donc déjà au moins deux types de rapport différents: un rapport de mouvement et de repos (qui caractérise l'essence du corps), et un rapport idée-objet (qui caractérise l'union esprit-corps).

Sinon en effet, il faut bien qu'il y ait un lien entre l'essence d'une chose et le fait qu'elle exprime tel et tel attribut, mais je ne sais pas dans quelle mesure cela implique que le nombre d'attributs fait partie de sa définition. Corps et esprit constituent l'homme (E2P13 cor), mais cela suffit-il pour dire qu'il définissent l'essence de l'homme? Je n'en suis pas tout à fait certaine. Si tu as l'impression que oui: qu'est-ce qui te le ferait penser?

Bardamu a écrit :Et comment comprends-tu E2 ax.4, "Nous sentons un certain corps affecté de plusieurs manières" traduis dans E2P13 dem. : "nous avons l'idée des affections du corps" ?

Est-ce que tu comprends cela comme une relation de communication ? Comme si le corps envoyait quelque chose à l'esprit ?


il ne s'agit effectivement pas d'une communication, et c'est précisément cela le problème: l'esprit sent le corps, sait percevoir les affections du corps, tandis que les propositions affirmant le parallélisme interdisent très explicitement toute possibilité de communication. Aucun rappport de cause à effet n'est donc possible entre l'esprit et le corps.

Si donc la question est de mieux comprendre ce que pourrait être le rapport idée-objet chez Spinoza, nous savons, me semble-t-il, qu'il ne s'agit pas d'un rapport de mouvement et de repos, ni d'un rapport de communication (rapport causal). Puis nous savons aussi que les attributs n'ont rien en commun les uns avec les autres, ce qui implique que le corps n'a rien en commun avec l'esprit.
Résultat: le rapport esprit-corps est un rapport où l'esprit sait percevoir et sentir le corps, sans qu'il y ait quoi que ce soit de causal dans cette perception. Ni rapport de mouvement et de repos, ni rapport causal, mais rapport de perception néanmoins (voir par exemple E2P12: "Tout ce qui arrive dans l'objet de l'idée constituant l'Esprit humain doit être perçu par l'Esprit humain"). Rapport de perception non causale donc ... . Mais comment s'imaginer un tel rapport?

Bardamu a écrit :A mon sens, il ne faut pas comprendre percevoir au sens d'une relation de communication entre corps et esprit, mais bien "avoir l'idée des affections", c'est-à-dire un équivalent idéel de ce qui affecte le corps. La pensée reste dans la pensée, l'équivalence passe par un troisième terme : la substance.
En fait, au lieu de 5+7=3x4, j'aurais peut-être dû écrire 5+7 <=> 12 <=> 3x4 bien que le 12 soit toujours un et indivisible...
C'est la puissance d'agir de Dieu qui distribue dans tous les attributs des affections selon le même ordre et la même connexion, et la pensée reste en elle-même lors d'une sensation. A partir de ces idées, l'entendement reconstruira des idées vraies et commencera à "percevoir" ce qu'est vraiment un corps.
Si on s'active en travaillant les idées d'autres attributs, alors il y a dans ces autres attributs les équivalent de notre activité, le corps est aussi affecté par cette activité. Il n'y a pas de privilège de la pensée dans la capacité à affecter ou être affecté.


en effet, le parallélisme implique l'équivalence dont tu parles. Mais à mon sens il y a tout de même un "privilège" ou disons un aspect tout à fait particulier à l'attribut de la Pensée, qui est que ses modes savent percevoir tous les autres modes de tout attribut (celui de la Pensée ET tous les autres). Comme le dit le cor. de l'E2P7: "tout ce qui suit formellement de la nature infinie de Dieu, tout cela suit objectivement de l'idée de Dieu". Et Dieu est un étant pensant infini, c'est-à-dire "un étant qui peut penser une infinité de choses d'une infinité de manières" (E2P1 sc.). J'en conclus que pour chaque mode qui existe formellement dans n'importe quel attribut, il y a une idée qui l'a comme objet.

Du coup, l'attribut de la Pensée sait percevoir (puisque un esprit ou une idée perçoit son objet, E2P12) tous les autres attributs, "dédouble" en quelque sorte tout mode formel, en y "ajoutant" une idée ayant ce mode comme objet. Cela, les autres attributs ne savent pas le faire. Un corps ne sait percevoir qu'un corps. Les corps ne perçoivent pas d'idées. Idem en ce qui concerne les autres attributs.

Une idée a donc la capacité de percevoir un autre mode, et cela sans que ce mode (ou la chose perçue) soit la cause de l'idée (E2P5). Tandis que quand un Corps perçoit un corps extérieur, celui-ci l'affecte, et l'affection est autant causée par mon Corps que par le corps extérieur (dans ce cas-ci, la chose perçue (le corps extérieur) est donc bel et bien la cause de la perception (l'affection de mon Corps), ne fût-ce que cause partielle). La perception propre à un mode corporel est donc toujours une perception causale, contrairement à la perception "spirituelle".

Autrement dit, si de toute idée, en tant que mode, il existe une idée qui a cette première idée comme objet (et ceci à l'infini), ce rapport de "réflexivité" est exclu pour tous les autres modes: il n'y a pas un corps ayant un genre de "méta"rapport avec un autre corps. Les corps n'ont que des rapports causals entre eux, et c'est tout.

Bardamu a écrit :C'est dans les "Fondements de l'arithmétique". Il évoque juste au passage le 5+7 mais l'idée de base du bouquin est de dire que l'arithmétique n'a pas un fondement synthétique et qu'on peut la fonder analytiquement à partir de la logique.
Une version en allemand, au cas où tu parlerais aussi allemand : http://www.ac-nancy-metz.fr/enseign/phi ... /Frege.pdf


merci!!
Je n'ai lu pour l'instant que le livre de Benmakhlouf sur Frege (à part le début de la BS), et sur base de cela je ne vois pas encore très bien pourquoi fonder la géométrie analytiquement ne serait pas possible (parce que les axiomes de la géométrie sont indépendants les uns des autres, semble répondre Frege, mais je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas avec les axiomes de l'arithmétique. J'ai plutôt l'impression qu'il s'agit d'un présupposé fondamental de Frege (dans ce cas ce serait seulement parce qu'il CROIT pouvoir fonder l'arithmétique en la logique qu'il l'appelle analytique, tandis que la géométrie serait appelé synthétique parce qu'il ne voit pas comment la fonder logiquement) ... c'est pourquoi je me demandais si éventuellement l'exemple "concret" que tu citais pourrait m'aider à mieux saisir son problème. En tout cas, il est clair qu'il me faudra aussi lire les Grundlagen si je veux quelque part comprendre ce qu'il essaie de faire.
louisa

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Messagepar bardamu » 17 janv. 2008, 21:12

Louisa a écrit :(...) Les corps ne perçoivent pas d'idées. Idem en ce qui concerne les autres attributs.
(...)

Bonjour Louisa,
quelques indices dans ton langage me laissent penser que tu ne fais pas les bonnes distinctions.
"Percevoir" n'est-il pas le propre de l'esprit ?
"Les corps ne perçoivent pas d'idée" peut-il entrer dans le langage de Spinoza ?

L'Ethique tourne surtout autour de l'ontologique et de l'éthique et je suis d'avis qu'un regard sur le Traité de la Réforme de l'Entendement aide à bien saisir les rapports épistémiques, ce que signifie "connaître" ou "percevoir".
C'est là qu'on trouvera la base qui conduit ensuite aux affirmations axiomatique de l'Ethique.

TRE a écrit :(62) Les propriétés de l'entendement que j'ai principalement remarquées et que je comprends clairement. sont les suivantes :

(63) I. Il enveloppe la certitude, c'est-à-dire qu'il sait que les choses sont formellement telles qu'elles sont objectivement en lui-même.

(64) II. Il perçoit certaines choses, c'est-à-dire qu'il forme certaines idées absolument, et d'autres en les tirant d'idées antérieures ; ainsi il forme l'idée de la quantité d'une manière absolue, indépendamment de toute autre pensée ; mais il ne forme les idées de mouvement qu'en considérant l'idée de quantité.

(65) III. Celles qu'il forme absolument expriment l'infinité ; celles qu'il tire d'autres idées sont déterminées. Ainsi, l'idée de quantité, si elle est perçue dans une cause déterminée, détermine la quantité ; comme lorsqu'on perçoit un corps formé par le mouvement d'un plan, ou un plan par le mouvement d'une ligne, ou enfin une ligne par le mouvement d'un point : toutes perceptions qui ne servent pas à comprendre, mais à déterminer la quantité. Ce qui le prouve, c'est que nous les concevons comme formées en quelque sorte par le mouvement ; et cependant le mouvement n'est perçu que lorsqu'on a perçu la quantité ; et nous pouvons même continuer le mouvement à l'infini pour former une ligne infinie, ce que nous ne pourrions faire, si nous n'avions l'idée d'une quantité infinie.

(66) IV. Il forme les idées positives avant les négatives.

(67) V. Il perçoit les choses, non pas tant sous la condition de la durée que sous un certain caractère d'éternité et en nombre infini ; ou plutôt, en percevant les choses, il ne considère ni le nombre ni la durée, au lieu que, quand il imagine, il les perçoit dans un nombre déterminé, dans une durée et avec une quantité déterminées.
(...)
(69) VII. L'esprit peut déterminer de plusieurs manières les idées que l'entendement tire d'autres idées ; comme, par exemple, pour déterminer le plan d'une ellipse, il suppose une pointe adhérente à une corde qui se meut autour de deux centres, ou bien il conçoit une infinité de points toujours dans le même rapport et dans un rapport déterminé à une ligne droite donnée, ou un cône coupé par un plan oblique, de telle sorte que l'angle d'inclinaison soit plus grand que l'angle au sommet du cône ; ou enfin il s'y prend d'une infinité d'autres manières.
(...)
(71) 109. Je n'insiste pas sur les autres choses que l'on rapporte à la pensée, comme l'amour, la joie, etc. ; car elles ne font rien à notre sujet présent, et ne peuvent même être conçues, si l'entendement ne l'a été déjà : car, ôtez la perception, tout le reste n'est plus.

(72) 110. (...) les idées fausses et fictives, en tant que telles, ne peuvent rien nous enseigner de l'essence de la pensée, et c'est aux propriétés positives, précédemment énumérées, qu'il faut la demander, c'est-à-dire qu'il faut déterminer un principe commun d'où résultent nécessairement ces propriétés, de sorte qu'étant donné ce principe, elles suivent nécessairement, et qu'elles soient supprimées, si on le supprime. ..

Je dirais qu'il faut saisir le rapport idée/objet d'abord dans la distinction entre pensée et autres attributs, c'est-à-dire qu'il faut au moins établir quelques propriétés qui feront qu'on ne rapportera pas à la pensée ce qui ne lui revient pas.

L'ordre de compréhension me semblerait le suivant :
1- une idée confuse, un flash lumineux, un bruissement, un "quelque chose"
2- l'esprit humain construit spontanément ses premiers objets, met un minimum d'ordre (mémoire, signe, trace...)
3- l'entendement opère réflexivement sur ces objets et établit les premières distinctions vraies, par exemple ce qui se rapporte à la quantité et ce qui ne s'y rapporte pas, les notions communes, les distinctions formelles par attribut
4- l'entendement établit l'essence de Dieu et remonte objectivement les causes jusqu'à l'idée de Dieu
5- une fois établit tout cela, toutes les idées sont rapportées à Dieu, on reboucle pour dire que l'idée confuse initiale était une affection de la substance.

Il faudrait ainsi concevoir l'activité de Dieu comme un infini puissance infini :
> activité première de la substance, production quelconque, disons 1
> perception par des idées confuses : "1 truc", "une image", "un soleil à 200 pieds" etc.
> perception par l'entendement : "une idée vraie <=> un mouvement certain et déterminé <=> 7-6 (attribut inconnu de l'homme) <=> 1 <=> etc."
La proposition produite implique une infinité de <=> et ne se limite pas à "1 truc". C'est une activité seconde, mise en puissance (1² = 1) correspondant à l'infinité d'attributs. La puissance de Dieu est moins une succession infini de 1 qu'un absolu infini impliqué dans chaque 1 par sa "mise en puissance".

Il n'y a pas de privilège ontologique de la pensée, elle n'est qu'une activité parmi d'autres, il y a seulement une puissance de l'entendement par laquelle la pensée s'élève à la puissance d'agir de Dieu en retrouvant l'infini dans une chose particulière. Si il y a une distinction à faire, ce n'est alors pas entre ce que peut la pensée et ce que peut un corps mais entre l'imagination et l'entendement.
Il y aura une idée de l'idée à l'infini comme il y aura un mouvement du mouvement à l'infini parce qu'en chaque idée comme en chaque corps on trouve Dieu, comme dans l'intervalle [0, 1] on trouve l'infinité des nombres réels.

L'entendement semble multiplier les choses en les distribuant sur les attributs, il semble s'auto-répliquer en ayant les idées d'idées, mais tout cette diversité redevient unité par une saisie en compréhension, une synthèse qui comprend qu'une modification de la substance implique une infinité de modes (ordre et connexion) dans une infinité d'attributs.

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Messagepar Louisa » 13 févr. 2008, 23:34

Bonjour Bardamu,
voici enfin une réponse à ton dernier message dans ce fil. Entre-temps un débat similaire semble avoir resurgi ailleurs (dans 'Etre heureux'), mais je voulais de toute façon encore revenir sur ce que tu avais écrit ci-dessus.

Louisa:
(...) Les corps ne perçoivent pas d'idées. Idem en ce qui concerne les autres attributs.
(...)

Bardamu:
quelques indices dans ton langage me laissent penser que tu ne fais pas les bonnes distinctions.
"Percevoir" n'est-il pas le propre de l'esprit ?
"Les corps ne perçoivent pas d'idée" peut-il entrer dans le langage de Spinoza ?


merci beaucoup de cette remarque, qui m'a fait étudier de plus près les notions "perception" et "corps" chez Spinoza, pour découvrir qu'effectivement, jamais le corps ne perçoit quoi que ce soit. C'est assez étrange. Seul l'esprit perçoit. Le corps ne peut qu'affecter et être affecté, et c'est tout. Le corps n'est que le "lieu" des mouvements, il n'est pas ce qui perçoit. Qui plus est, les cinq "sens", chez Spinoza, en réalité ne sentent pas. Seul l'esprit sent. L'idée, dit-il dans le TIE 78, n'est même rien d'autre qu'une "certaine sensation". Sensation du corps donc, ou d'une autre idée appartenant au même esprit, je suppose, puisque l'esprit ne forme que des idées ayant des affections du corps ou des idées comme objets. Par conséquent, nous ne sentons pas les choses ou corps extérieurs, et notre corps ne les perçoit pas. L'esprit perçoit les choses extérieures, à travers les sensations de notre propre corps, celles-ci n'étant pas des processus corporels mais les idées elles-mêmes.

A partir de ce moment-là, on comprend déjà un peu mieux en quoi il y a union entre l'esprit et le corps: l'esprit étant une idée, il est la sensation d'une affection corporelle. En tant que nous sommes capables de SENTIR une affection de notre corps, nous pensons. Un corps pourrait-il être affecté sans qu'il y ait sensation de l'affection? Cela ne semble pas être très évident. Du coup, l'animisme universel de Spinoza devient un peu plus compréhensible: il signifierait alors que toute affection s'accompagne nécessairement d'une sensation (sensatio), d'une idée ayant cette affection en tant qu'objet, tout en exprimant la seule et même "chose". L'esprit appartiendrait ainsi à un certain "niveau" du réel, regroupant toutes les sensations en tant que sensations, c'est-à-dire permettant un rapport causal entre des sensations en tant que telles. Je n'ai pas encore l'impression que cela rend le rapport corps-esprit du coup entièrement clair, mais cela donne au moins une entrée dans la problématique qui me semble être intéressant.

Est-ce que cela enlève la possibilité d'un certain "privilège" de l'esprit par rapport au corps (ou de l'attribut de la Pensée par rapport aux autres)? Je n'en suis pas encore certaine. Disons qu'en tout cas, si l'idée n'est que sensation (du moins dans le TIE ... il ne semble plus reprendre cette expression dans l'Ethique, selon L. Vinciguerra), le fait qu'il y ait une "autonomie" des sensations en tant que telles me semble être moins "choquant", au sens où le corps aussi a sa propre autonomie, ses propres lois causales. Qu'il existe alors une "sensation" propre à chaque attribut, une idée de chaque mode de chaque attribut, devient également plus compréhensible, dans la mesure où effectivement, cela n'introduit pas forcément une sorte de "déséquilibre" entre l'attribut de la Pensée d'une part, et les autres attributs d'autre part. Toute modification est simplement en même temps aussi une sensation, c'est-à-dire quelque chose qui est senti par la chose qui est (notamment) constituée par cette modification, et qui (la sensation) en tant que telle appartient du coup à un autre niveau causal, celui de l'esprit. Enfin, voici donc où j'en suis pour l'instant ... .
louisa


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