Les affects (help)

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Koba
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Les affects (help)

Messagepar Koba » 30 déc. 2003, 23:36

Bonjour a tous,

Je ne suis pas étudiant en philosophie mais j'ai lu, il y a quelques mois, l'Éthique (éditions Bordas). C'est une version incomplète qui ne comprend que les plus importants Scolies, Appendices, etc. des 4 premières sections mais la cinquième au complet.
Puis, récemment, je suis tombé sur un cours internet portant sur la troisième partie et j'ai décidé de le suivre. J'ai terminé de le lire il y a deux jours et maintenant j'essais de mettre toutes les choses au clair et j'ai beaucoup de misère! Je m'aide des explications sur les termes spinozistes sur ce site mais certaines me brouillent plus qu'elles ne m'aident...

Donc, voici comment je croyais comprendre les choses avant que les définitions m'embrouillent:


Considérations préliminaires:

I - Le conatus existe en chaque chose. Il s'agit d'un effort intrinsèque des choses pour persévérer dans leur existence, dans leur être. Cet effort est aussi considéré comme l'essence de chaque chose.

II - Les choses, et notamment le corps et l'esprit, en tant qu'ils sont constamment en contact avec leur milieu (et avec eux-même) sont sans cesse modifiée par lui. C'est l'affection.

III - Spinoza nomme affect une affection du corps lorsque l'esprit est conscient de celle-ci (et par ce fait il devient lui même modifié, i.e. affecté). De plus, la condition pour que l'esprit prenne conscience d'une modification du corps est que celui-ci subisse une variation (augmentation ou diminution) de sa puissance d'agir/d'être/d'exister.


De là découlent les 3 affects primordiaux...

1 - Le Désir est le premier affect primordial. Il est affect en ce que le conatus pousse le corps à agir dans le sens de la préservation du corps (le corps subit donc une affection) et l'esprit est conscient de cet affection (il subit donc une affection à son tour). Le Désir est la manifestation consciente du conatus.

2 - La Joie est l'affect qui naît de la prise de conscience par l'esprit que son corps est affecté d'une manière telle que la puissance d'agir de l'être (complexe corps/esprit) est augmenté. L'être qui désir persévérer dans son être est satisfait de constater que ses moyens pour y parvenir sont plus puissants que ce qu'il croyait.

3 - La Tristesse est l'affect qui naît de la prise de conscience par l'esprit que son corps est affecté d'une manière telle que la puissance d'agir de l'être (complexe corps/esprit) est diminué. Loin d'être satisfait, l'être qui désir persévérer dans son être se voit en quelque sorte choqué de constater que ses moyens pour y parvenir sont plus faibles que ce qu'il croyait.


Et c'est ce que je croyais comprendre avant de lire l'explication de la Définition Générale des Sentiments qui dit...
Je dis ensuite : par laquelle l'âme affirme que le corps ou quelqu'une de ses parties a une puissance d'exister plus grande ou plus petite que celle qu'il avait auparavant ; car toutes les idées que nous avons des corps marquent bien plutôt (par le Coroll. 2 de la Propos. 16, partie 2) la constitution actuelle de notre propre corps que celle des corps extérieurs, et l'idée qui constitue l'essence ou forme de telle ou telle passion doit exprimer la constitution de notre corps ou de quelqu'une de ses parties, en tant que sa puissance d'agir ou d'exister est augmentée ou diminuée, favorisée ou contrariée. Mais il est nécessaire de remarquer que quand je dis une puissance d'exister plus grande ou plus petite que celle qu'il avait auparavant, je n'entends pas dire que l'âme compare la constitution actuelle du corps avec la précédente, mais seulement que l'idée qui constitue l'essence de telle ou telle passion affirme du corps quelque chose qui enveloppe plus ou moins de réalité que le corps n'en avait auparavant. Or, comme l'essence de l'âme consiste (par les Propos. 11 et 13, part. 2) en ce qu'elle affirme l'existence actuelle de son corps, et que par perfection d'une chose nous entendons son essence même, il s'ensuit que l'âme passe a une perfection plus grande ou plus petite quand il lui arrive d'affirmer de son corps quelque chose qui enveloppe une réalité plus grande ou plus petite que celle qu'il avait auparavant. Lors donc que j'ai dit plus haut que la puissance de penser de l'âme était augmentée ou diminuée, je n'ai voulu dire autre chose sinon que l'âme se formait de son corps ou de quelqu'une de ses parties une idée qui enveloppait plus ou moins de vérité et de perfection qu'elle n'en affirmait précédemment ; car la supériorité des idées et la puissance actuelle de penser se mesurent sur la supériorité des objets pensés.

(Que veut-il dire d’ailleurs par "[...]par laquelle l'âme affirme que le corps [...]!?)

Merci à tout ceux qui voudront m'aider à clarifier les choses!

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Henrique
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Le conatus comme affirmation

Messagepar Henrique » 01 janv. 2004, 16:51

Bonjour Koba,
Une première difficulté doit venir de la traduction que l'on trouve sur ce site. C'est une traduction ancienne qui ne tient pas compte de la différence entre affection et affect alors que les traductions plus récentes (mais non libres de droit) le font. Donc dans la définition générale des affects, il faut lire affects quand Saisset parle d'affections.

Sur cette différence ensuite, je dis dans le vocabulaire présent sur ce site que toute affection ne produit pas forcément un affect : il n'y a que les affections par lesquelles la puissance de mon corps est augmentée ou diminuée qui donnent lieu à des affects. Une affection indifférente de mon corps dont je prendrais conscience ne serait pas encore un affect. C'est une affection positive ou négative de mon corps dont l'idée donne lieu à un affect. Ainsi, l'admiration n'est pas véritablement un affect bien qu'il suppose une affection du corps et du mental (Définition IV des affects).

Ensuite, voyons ta définition des affects fondamentaux.
Tu dis que le désir est "manifestation consciente du conatus" : c'est encore trop dire. Le désir est l'idée de l'idée ou conscience du conatus. Il n'y a pas à parler ici de manifestation car cela suppose qu'il y aurait du non-manifesté. Or dans la logique de la substance tout ce qui est possible existe déjà pleinement de toute éternité. Au conatus physique correspond immédiatement et totalement le conatus mental parce que l'un et l'autre sont exactement la même chose considérée sous deux attributs différents : l'un n'est pas la conséquence de l'autre. Et au conatus mental, qui est l'idée du conatus physique ou encore le conatus phyique en tant qu'idée, correspond non moins immédiatement une idée de cette idée, c'est-à-dire la conscience de l'effort de persévérer dans son être.

Ainsi l'expression selon laquelle le conatus est ce qui "pousse le corps à agir dans le sens de la préservation du corps" est ambigüe en ce qu'elle donne à penser qu'il existerait selon Spinoza une "force vitale" mystérieusement distincte des actions mêmes du corps vivant. L'effort de persévérer dans son être est déjà une action, l'action essentielle de tout être. Si je cours pour échapper à un danger, ce n'est pas une conséquence transitive du conatus, c'est une expression immanente de celui-là. Et le conatus lui-même est une expression de la puissance d'exister de Dieu.

Ainsi un affect passif est "une idée confuse par laquelle l'âme affirme que le corps ou quelqu'une de ses parties a une puissance d'exister plus grande ou plus petite que celle qu'il avait auparavant". Dieu est un être absolument infini. Que signifie ici "infini" ? C'est comme le précise E1P8S, le fini est négation partielle, ce qui signifie qu'il est en même temps affirmation partielle : cette pomme est bel et bien cette pomme, elle est verte, sucrée etc. (affirmations) mais elle n'est pas cette autre pomme, cet arbre, cette étoile (négations). Dieu quant à lui, cet ens realissimum, est affirmation pure : rien de ce qui est positif ne peut être nié en lui. Concevoir un être qui n'est pas ceci ou cela, c'est encore concevoir un être inférieur à cet être absolument infini. Dieu est affirmation totale, ce qui implique qu'il est également affirmation de sa propre affirmation : son essence est d'exister infiniment. Il affirme donc absolument son essence en tant qu'existence et s'affirme aussi d'une infinité de façons (E1p16). En ce sens, chaque être fini est une affection de la substance, une façon singulière et unique d'être de la substance divine. Autrement dit, la substance s'autoaffecte d'une infinité de façons singulières.

Les êtres finis étant modes de la substance divine et rien d'autre, chacun est une façon singulière de s'affirmer de Dieu. Mais le plus souvent, ils ne comprennent cela que confusément. Ils sentent en eux un effort de persévérer dans leur être mais n'en comprennent pas la nécessité. Ils ont donc une "idée confuse" de la façon dont ils affirment le corps ou une de ses parties. Mais ici, il n'y a pas d'un côté la conservation de soi et de l'autre, et dans un second temps l'effort d'augmenter sa puissance d'exister. En vertu de la puissance infinie de s'affirmer de Dieu, chaque être affirme son existence autant qu'il est en lui ce qui signifie à la fois qu'il s'efforce de se conserver et également d'augmenter sa puissance comme façon de s'affirmer plus pleinement. Comme chaque être fini rencontre une infinité d'êtres finis qui peuvent le nier, la tristesse est aussi fondamentale pour un étant qui ne comprend qu'inadéquatement l'ordre de la nature, que la joie ou le désir. Ainsi toute passion est une façon inadéquate d'affirmer sa puissance d'exister (désir), soit comme plus grande (joie), soit comme plus petite (tristesse) : la tristesse est encore une façon de désirer, autrement dit de s'affirmer. Quand je pleure mon ami perdu, j'affirme que mon être est lié à cet ami et donc qu'il ne peut que souffrir de sa perte. Quand je suis timide, j'affirme que mon être est digne d'être respecté absolument, ce qui m'amène à craindre absolument qu'on se moque de moi, restant donc dans une reserve très grande pour éviter cela. Tout affect est une façon particulière de s'affirmer, une autoaffection unique et singulière d'un être singulier qui lui-même autoaffection de la substance infinie. Mais il y a des façons inadéquates de s'affirmer, les passions. Et des façons adéquates de le faire : les affects actifs ou vertus.

Voilà, j'espère t'avoir éclairé, Koba, dis moi ce qui reste encore à éclaircir.

Et très bonne année à tous !

Henrique

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Messagepar Koba » 02 janv. 2004, 18:41

Merci Henrique, ta réponse est très claire et m'aide beaucoup. Je vois aussi que j'aurais surement pu mieu comprendre le conatus si j'avais lu les deux première parties en entier... C'est donc ce que je vais faire!

Bonne année!

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Re: Le conatus comme affirmation

Messagepar Koba » 06 janv. 2004, 20:53

Voilà, j'espère t'avoir éclairé, Koba, dis moi ce qui reste encore à éclaircir.


Qu'est-ce que Spinoza appelle l'entendement? Parfois on dirait que c'est un synonyme de la Raison de Descartes, parfois on dirait que c'est un synonyme de compréhension/connaissance.

Merci.

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Messagepar Koba » 10 janv. 2004, 22:20

Par exemple que veut dire...

E1P4: Deux ou plusieurs choses distinctes se distinguent entre elles soit d'après la diversité des attributs des substances, soit d'après la diversité des affections de ces substances.

Démonstration: tout ce qui est, est ou bien en soi, ou bien en autre chose (selon l'axiome 1), c'est-à-dire (selon les définitions 3 et 5) qu'il n'y a rien hors de l'entendement, à part les substances et leurs affections. Il n'y a donc rien hors de l'entendement, par quoi plusieurs choses peuvent se distinguer entre elles, à part les substances, ou, ce qui est la même chose (selon la définition 4), leurs attributs et leurs affection.

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bardamu
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Messagepar bardamu » 11 janv. 2004, 13:09

Salut,
la question demanderait sans doute des développements techniques sur le vocabulaire de l'époque notamment pour le rapport à Descartes mais je ne suis pas très à même de le faire.
Donc en faisant bref et pour ce que j'en sais, "entendement" traduit le latin "intellectus" et correspond donc à l'intelligence, l'intellect, la faculté de comprendre. Mais il s'agit d'une convention de langage issu de la tradition philosophique opposant notamment "entendement" à "volonté".

Pour ce qui est du "hors de l'entendement" :
notre pensée particulière travaille sur ses propres critères qu'elle génère mais qui n'appartiennent pas en propre aux objets de ses visées.
Par exemple, l'intellect va distinguer 2 objets par leur couleur, un gris et un vert. Il va créer la classe des objets gris et des objets verts.
Mais les objets eux même, disons un bloc de fer et un bloc de bronze oxydé, se distinguent en propre par leur substance, fer ou bronze, et les affections de ces substances, oxydée ou pas.
Hors de l'entendement, hors des classifications créées par la pensée, les choses ne se distinguent que par leur substance ou les affections de ces substances.

Mais attention, parce qu'il s'agit là de la position scholastique dont part Spinoza mais qu'il va "pervertir".
Plus loin, tu verras (E2P48) que Spinoza remet en question la nature des facultés et qu'il n'admet l'existence que d'une seule substance. Dès que l'unicité de la substance sera établie, les choses vont se distinguer uniquement par l'affection de la Substance qu'elles sont, toute chose sera oxydation, ferruginisation (affectation "ferreuse" de la Substance), oxydation d'une "bronzification"... Mais n'anticipons pas.

P.S. : si tu débutes la lecture de l'Ethique, je me permets de te conseiller de faire un tour vers le plan établi ICI qui permet d'avoir une vue d'ensemble sur le mouvement du raisonnement.


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