Citation de l'Ecclésiaste

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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DGsu
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Citation de l'Ecclésiaste

Messagepar DGsu » 14 janv. 2008, 16:46

Bonjour à tous!
Une amie qui travaille sur Spinoza me pose une question très précise sur une citation qu'il fait d'un passage biblique.
Merci à tous les savants qui passent par ici pour les pistes qu'ils auraient à proposer.
DG :D

À plusieurs reprises (aussi dans l'éthique), Spinoza se réfère à la phrase ‘bene agere et laetari’ (faire le bien et être joyeux), une allusion au Livre de l’Ecclésiaste 3, 12.

Afin d’approfondir l’utilisation que Spinoza fait de ce Livre (qui aurait un côté ‘hédoniste’, au sens qu’il faut jouir de la vie), je cherche deux choses:

- de l’information sur la réception et l’interprétation du Livre de l’Ecclésiaste au 17ième siècle, ainsi que sur sa place canonique
- En plus, es-tu au courant des références à cette phrase de l'éthique dans la littérature secondaire sur Spinoza?


La phrase apparaît comme telle: adeo, quantum potest, conatur bene agere & laetari en Ethique IV, scholium prop. 73 mais ailleurs dans la même partie.
"Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes." Rosa Luxemburg

Pourquoipas
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Re: Citation de l'Ecclésiaste

Messagepar Pourquoipas » 14 janv. 2008, 18:21

DGsu a écrit :Bonjour à tous!
Une amie qui travaille sur Spinoza me pose une question très précise sur une citation qu'il fait d'un passage biblique.
Merci à tous [ceux] qui passent par ici pour les pistes qu'ils auraient à proposer.
DG :D

À plusieurs reprises (aussi dans l'éthique), Spinoza se réfère à la phrase ‘bene agere et laetari’ (faire le bien et être joyeux), une allusion au Livre de l’Ecclésiaste 3, 12.

Afin d’approfondir l’utilisation que Spinoza fait de ce Livre (qui aurait un côté ‘hédoniste’, au sens qu’il faut jouir de la vie), je cherche deux choses:

- de l’information sur la réception et l’interprétation du Livre de l’Ecclésiaste au 17ième siècle, ainsi que sur sa place canonique
- En plus, es-tu au courant des références à cette phrase de l'éthique dans la littérature secondaire sur Spinoza?


Bonjour,

Voici la traduction de la Vulgate (saint Jérôme, Ve siècle), reprise par le concile de Trente (donc catholique, mais il est probable que les protestants hollandais avaient conservé ce même texte).
X, traduit en latin de l'hébreu par Jérôme, a écrit :Ecclesiastes cap. 3:
12 Et cognovi quod non esset melius nisi lætari, et facere bene in vita sua ;
13 omnis enim homo qui comedit et bibit, et videt bonum de labore suo, hoc donum Dei.


Traduction de la Bible dite de Port-Royal (Lemaistre de Sacy), parue en 1672, donc contemporaine de Spinoza :
X, traduit en français du latin de la Vulgate par Lemaistre de Sacy, a écrit :12 Et j'ai reconnu qu'il n'y a rien de meilleur que de se réjouir, et de bien faire pendant sa vie;
13 Car tout homme qui mange et qui boit, et qui retire son bien de son travail, reçoit cela par un don de Dieu.


Pour mémoire, traduction moderne de la Bible de Jérusalem (1955, 1998) :
X, traduit en français de l'hébreu par Y, a écrit :12 Et je sais qu'il n'y a pas de bonheur pour l'homme, sinon dans le plaisir et le bien-être durant sa vie.
13 Et si un homme mange, boit et trouve le bonheur dans son travail, cela est un don de Dieu.


Mais l'essentiel, je crois, n'est pas vraiment dans le texte latin : l'essentiel est l'éducation biblique reçue par Spinoza jusque vers ses 18 ans. Il est évident qu'il a entendu commenter et médité lui-même ce texte et toute la Bible hébraïque depuis très tôt dans son enfance, et ce dans la langue originale (il reproche d'ailleurs dans le TTP aux commentateurs et exégètes de ne pas connaître l'hébreu - on oublie trop souvent que Spinoza est l'un des fondateurs de l'exégèse biblique au sens moderne).
A ce sujet, voir la biographie de Spinoza par Nadler (Bayard, 2003), chap. 4, « Talmud Torah ». Un voyageur à Amsterdam en 1640 dit de la Talmud Torah (école rabbinique où se trouvait Spinoza, 8 ans cette année-là) : « A mes yeux ils [les élèves] étaient pareils à des prodiges par leur connaissance inhabituelle de la Bible tout entière et de la science de la grammaire. Ils avaient la capacité de composer des versets et des poèmes et de s'exprimer en un hébreu pur. »
Il est clair que Spinoza est nourri non pas tant du texte biblique tel que le connaissent ses nouveaux amis à l'âge adulte (quand il a rompu avec sa communauté), mais de la formation approfondie reçue dans son enfance et son adolescence.

Sur la place canonique, l'Ecclésiaste est rangé dans les livres dits "sapientiaux".
Sur la réception et l'interprétation de l'Ecclésiaste au XVIIe, je n'en sais rien, ni dans des commentaires plus ou moins récents. Je me permets quand même d'ajouter l'introduction de Lemaistre de Sacy, janséniste de Port-Royal (de 1672 donc, sauf erreur, car cette Bible fut constamment rééditée aux XVIIe-XVIIIe siècles, et il y eut des ajouts et quelques changements - mais cette intro donne l'esprit des chrétiens de l'époque, pas vraiment spinoziste) :
Lemaistre de Sacy a écrit :ECCLESIASTE

Ce livre est appelé par les Grecs Ecclésiaste, et par les Hébreux Qohelet c'est-à-dire Orateur, Prédicateur, ou celui qui assemble ou qui instruit dans l'assemblée des peuples; et c'est sans doute dans le même sens que l'auteur du trentième chapitre du livre des Proverbes s'est surnommé, v. 1, Agur, qui signifie aussi celui qui assemble, et qui instruit. L'auteur de celui-ci prêche en effet contre la vanité des créatures et contre le néant des plaisirs, des honneurs, des richesses qui séduisent les hommes en ce monde; c'est le néant qu'il assure y avoir trouvé par sa propre expérience; car, après avoir passé la plus grande partie de sa vie dans l'usage de tout ce qu'il y a de plus grand, de plus agréable, et de plus capable d'enchanter les sens, et de satisfaire, s'il étoit possible, la cupidité du coeur de l'homme, il avoue qu'après en avoir usé, il n'y a trouvé autre chose que vanité et affliction d'esprit. C'est ce que cet auteur a uniquement intention de prouver, pour désabuser les hommes de l'estime qu'ils font de ces faux biens, et pour les porter à en rechercher en Dieu de plus solides par une fidèle obéissance à sa loi et à ses commandements. Il montre aux hommes charnels et aux amateurs de ce monde, en répondant à leurs objections. que toutes les créatures, toutes les choses sensibles, tout ce qui concerne la vie présente, et même leurs folles pensées, passent rapidement, s'anéantissent, et se perdent dans un oubli éternel; mais qu'il vrendra un temps où Dieu jugera les hommes, et qu'alors tout sera réel, fixe, permanent, et éternel.

Les anciens Juifs et les saints Pères n'ont point mis en doute que ce livre ne fut l'ouvrage de Salomon, quoiqu'il ne porte pas son nom, ainsi que celui des Proverbes, et du Cantique des cantiques. Il s'est suffisamment nommé sous la qualité de fils de David et de roi de Jérusalem, et le portrait qu'il fait de soi-même, chap. I, v. 1, 12, 13, 14, 16 et 17, chap. II, v. 1, 4, 5, jusqu'au v. 31, chap.VII, v. 24, et chap. XII, v. 9, dans lesquels il décrit ses différents états, la situation de son âme, les dispositions de son coeur, sa chute, et même ses écrits, le font assez reconnoître, et ne permettent pas qu'on puisse attribuer ce livre à d'autres que ce prince sage.



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