Le christ et le 3e genre

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 06 juin 2008, 17:00

Bonjour David,

voici enfin une tentative de réponse.

davdav a écrit :J'aimerai que tu me confirme que tu penses bien que l'homme est toujours déjà libre, toujours déjà actif, toujours déjà vertueux.


en effet, je crois que pour Spinoza, dans la mesure où vertu et puissance sont la même chose (E4 Déf.8), et où posséder une puissance signifie être actif, produire nécessairement un effet, on est toujours déjà actif et vertueux.

Est-ce dire que l'on est toujours déjà libre? Là j'hésite. Car la Liberté, dit Spinoza en E5P36 sc., c'est un "Amour constant et éternel envers Dieu". Sommes-nous toujours déjà dans ce type d'Amour? Certains éléments peuvent le faire croire.

On sait bien que cet Amour naît du troisième genre de connaissance, ce qui pourrait suggérer qu'il n'est accessible qu'à ceux qui ont atteint ce stade de la connaissance. Or y a-t-il des gens qui n'ont PAS accès au troisième genre de connaissance, des gens dont les idées adéquates ne relèvent que du deuxième genre? Si c'était le cas, il faut comprendre cette "naissance" comme une succession dans le temps: d'abord on est dans le deuxième genre, puis dans le troisième (et certains n'ont pas la chance d'atteindre ce stade). Or Spinoza dit clairement en E5P33 sc. que cet Amour envers Dieu n'a PAS de commencement, puisque par définition, il est éternel.

Conclusion: "... l'Esprit a eu de toute éternité ces mêmes perfections dont nous avons feint qu'elles venaient de s'ajouter à lui, et ce accompagnée de l'idée de Dieu comme cause éternelle. Que si la Joie consiste dans le passage à une plus grande perfection, la béatitude, à coup sûr, doit consister en ce que l'Esprit est doté de la perfection même.".

Je crois qu'on peut donc dire que oui, nous sommes toujours déjà libre. Ce qui n'empêche que nous pouvons toujours devenir davantage libre, davantage actif. Ce devenir passe notamment par la prise de conscience adéquate de l'éternité de son propre Esprit. Car si "l'opinion commune des hommes" nous montre que les gens sont toujours déjà conscient de l'éternité de leur Esprit, ils n'en ont souvent qu'une idée confuse, la prenant pour la durée et donc la subsistance après la mort (E5P34 sc.).

davdav a écrit :Le devenir actif consiste alors à devenir encore plus actif et le moins passif possible.
Pourquoi? Car le mode est un mode de la substance qui est pleine positivité ou activité pure.
Agir, c'est participer de l'activité et absolument pas comme dans les systèmes idéalistes de la subjectivité allemande produire intentionnellement à partir d'un soi pensé comme une causa sui sur le modèle de la substance divine spinoziste.
Est -tu d'accord?


en effet, je crois que c'est tout à fait cela.

Pour les idéalistes allemands c'est effectivement (pour autant que je l'aie compris) le Moi absolu qui fonde toute activité, en tant que causa sui. Cela ne veut pas dire qu'ils croient que mon existence en tant qu'être humain est produite par moi-même (= la causa sui au sens spinoziste du terme), mais plutôt que le Moi ne surgit que produit par la conscience qui se retourne sur elle-même (cette conscience étant donc plutôt une cause adéquate, au sens spinoziste, cause adéquate du Moi). Ici augmenter sa Liberté ne demande effectivement aucune "union" avec le monde, ni une connaissance de cette union, comme c'est le cas chez Spinoza.

Or ceci n'est qu'une impression, qu'il faudrait bien sûr développer.

davdav a écrit :Ensuite, tu dirai donc que devenir actif ne peut se faire dans un "solipsisme du sage".
Justement car le devenir actif c'est participer de l'activité de Dieu qui est toujours déjà donnée ou en acte.
Devenir actif c'est devenir actif avec d'autres modes.
Effectivement, on peut se demander ce que sont ces modes dans ce rapport de devenir actif que j'entretiens avec eux.
Doit-on parler des essences singulières ou un conatus "universel" ou bien alors un conatus singulier?


si devenir DAVANTAGE actif consiste à comprendre davantage la Nature, alors en effet, une connaissance "solipsiste" me semble être tout à fait exclus, et cela pour deux raisons:

- dans le deuxième genre de connaissance, nous produisons des idées adéquates de ce que nous avons en commun avec d'autres choses, mais cela seulement après qu'une de ces autres choses nous a affecté. Sans contact avec elles, aucune affection n'est possible, donc aucune connaissance adéquate non plus. Rappelons aussi que Spinoza dit que la puissance de penser et d'agir augmente au fur et à mesure que nous pouvons être affecté de plus de manières. C'est bel et bien parce que cela nous permet de connaître davantage de choses différentes.

- dans le troisième genre de connaissance, nous produisons des idées adéquates des essences singulières des choses. Ici aussi, le contact direct avec ces choses est nécessaire, sinon cela ne peut jamais arriver. Pour prendre l'exemple que donne Bernard Pautrat: le troisième genre de connaissance consiste notamment à voir l'essence singulière de CETTE dame aux lunettes et sac noir dans le bus (c'est-à-dire de voir en quoi elle aussi est "du Dieu", était éternellement nécessaire et déterminée à être telle qu'elle est). Puis il faut répéter l'exercice pour une autre personne, puis une autre encore, et ainsi de suite, pour un maximum de choses singulières possibles. Donc oui, ici aussi, il faut bien aller "dans le monde" pour pouvoir augmenter sa connaissance adéquate et donc sa Liberté et sa Béatitude, sa Perfection, sa Puissance.

davdav a écrit :
La question du devenir dans une philosophie de la pleine positivité est assez complexe.
(Et je comprend que certains commentateurs ait eu recours au concept d'aliénation pour lire le devenir actif.)


je crois qu'il s'agit d'une erreur. L'idée d'aliénation a besoin de l'idée d'une puissance non actualisée. Quand on dit que le travail aliène, par exemple, on veut dire par là qu'il empêche aux gens de s'épanouir tel qu'ils l'auraient pu si le travail était organisé différemment. Mais cet "aurait pu" n'a aucun sens dans le spinozisme, puisque tout est déjà déterminé de toute éternité, rien n'aurait pu être autre que ce qu'il n'est. Notre essence est toujours déjà en acte, toujours déjà actuelle. Nous réalisons donc à chaque instant de notre vie toute notre puissance, sans reste. La seule chose qui peut arriver, c'est que le degré de puissance qui nous caractérise en tant que chose singulière, varie. Mais si demain je suis moins puissante qu'aujourd'hui, cela n'a pas de sens de dire qu'une quelconque "aliénation" ait eu lieu. Je ne suis tout simplement plus la même personne aujourd'hui que hier, mon essence même a changé (au cas où cela t'intéresse: Pascal Sévérac l'explique d'une façon très claire dans Le devenir actif chez Spinoza, quand il commente l'interprétation de Pierre Macherey, qui lui parle effectivement d'aliénation).

davdav a écrit :Quel rapport entretient le devenir actif avec l'amour intellectuel de Dieu?
Est ce que l'amour intellectuel rend actif, ou est-ce le devenir actif qui permet l'amor intellectualis Dei?


j'espère que ma première réponse ci-dessus répond aussi déjà à cette question? Les deux se font donc simultanément: l'Amour est une Action, quand il s'agit de l'Amour intellectuel de Dieu. Il n'a pas pour "effet" de rendre plus actif, je crois, il EST plutôt ce devenir plus actif lui-même.

(PS: je n'oublie pas tes autres messages, j'y réponds sous peu.)

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Messagepar davdav » 06 juin 2008, 22:52

Chère Louisa,

Merci de ta réponse. Je suis pleinement d’accord avec toi et particulièrement quand tu dis que l’amour intellectuel est l’activité même.
Au sujet de l’aliénation par contre je doute. Je vais, sur ton bon conseil, essayer de trouver le livre de severac.

Tu dis :
« je crois qu'il s'agit d'une erreur. L'idée d'aliénation a besoin de l'idée d'une puissance non actualisée. Quand on dit que le travail aliène, par exemple, on veut dire par là qu'il empêche aux gens de s'épanouir tel qu'ils l'auraient pu si le travail était organisé différemment. Mais cet "aurait pu" n'a aucun sens dans le spinozisme, puisque tout est déjà déterminé de toute éternité, rien n'aurait pu être autre que ce qu'il n'est. Notre essence est toujours déjà en acte, toujours déjà actuelle. Nous réalisons donc à chaque instant de notre vie toute notre puissance, sans reste. La seule chose qui peut arriver, c'est que le degré de puissance qui nous caractérise en tant que chose singulière, varie. Mais si demain je suis moins puissante qu'aujourd'hui, cela n'a pas de sens de dire qu'une quelconque "aliénation" ait eu lieu. Je ne suis tout simplement plus la même personne aujourd'hui que hier, mon essence même a changé (au cas où cela t'intéresse: Pascal Sévérac l'explique d'une façon très claire dans Le devenir actif chez Spinoza, quand il commente l'interprétation de Pierre Macherey, qui lui parle effectivement d'aliénation). »


En fait, je pense que l’aliénation tel que l'a décrit Marx ne tombe pas sous ta critique.
L’idée d’aliénation n’a pas « besoin d’une puissance non actualisée » mais signifie que dans l’activité productive capitaliste, l’activité au lieu de me réaliser et d’accomplir ma puissance me déréalise.
Autrement dit, la puissance est bien actualisée mais son actuation signifie sa déréalisation.
Il y a certes l’idée d’un devenir autre, non aliéné mais justement, je pense qu’il n’est pas sans rapport avec le devenir actif spinoziste qui est une activité naturelle.
Pour Marx, donc, ce devenir ou cet accomplissement naturel de son activité n’est plus réalisable dans le régime capitaliste (par la séparation du travailleurs d’avec les moyens de la production) qui fabrique naturellement des idées inadéquates.
L'activité signifie, dans l'aliénation, la déréalisation de soi ou la survie et la précarité (et non plus la joie entière ou la béatitude).
Le "diagnostic" marxien est sévère puisque la béatitude est impossible dans un système qui ne permet plus la réalisation naturelle de l'activité qui est irrémédiablement aliénée et dans lequel l'activité a changé de sens!!

Pourquoi faire ce rapport à l'aliénation?

Disons qu’il me semble que l’on doive admettre chez Spinoza la possibilité ou la virtualité de devenir actif au sein même du plein ou de la nécessité. S’il y a un changement il doit y avoir du virtuel.
Et si l’on considère que l’activité est de toute éternité il semble que l’on doive poser une mutilation ou une aliénation originaire.

Amicalement
David

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Messagepar LaPhilosophieAuMarteau » 08 juin 2008, 05:26

>Louisa: Tu devrais faire prof Louisa, si tu ne l'est pas déjà. Fuir les imbéciles, ça veut dire quoi? C'est quoi être imbécile? Ils sont pas plus malheureux que toi les imbéciles, n'ait crainte!

>Serge: j'aime bien ton idée selon laquelle Spinoza a exprimé avec d'autres moyens (les mathématiques) les mêmes préoccupations et finalement les mêmes solutions que beaucoup de religions, notamment le Christianisme, au moyen de la métaphore.

Cependant:
1) Spinoza a existé, le Christ et "Dieu" c'est moins sûr.
2) Contrairement à la religion, qui se révèle être une contrainte pour les pulsions des individus, la philosophie de Spinoza a pour objectif de les libérer.
3) La définition de la Connaissance du 3e Genre que tu fais s'apprente vite à la foi chrétienne.

Bref, si on te suit, on a vite l'impression que Spinoza devient une sorte de prophète bien commode pour ceux qui veulent réintépréter les évangiles avec le langage et sous couvert des mathématiques.

Bien au contraire, la religion, encore une fois, contraint les pulsions individuelles et se veut être le ciment de la société. Elle se place pour cela hors de portée de chaque individu (transcendantale). Spinoza, lui, libère les pulsions tout en essayant de convaincre les Hommes Libres et Eclairés que la vie en société, malgré ses contraintes, est la meilleure option.

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Messagepar Louisa » 11 juin 2008, 15:39

davdav a écrit :louisa :
« je crois qu'il s'agit d'une erreur. L'idée d'aliénation a besoin de l'idée d'une puissance non actualisée. Quand on dit que le travail aliène, par exemple, on veut dire par là qu'il empêche aux gens de s'épanouir tel qu'ils l'auraient pu si le travail était organisé différemment. Mais cet "aurait pu" n'a aucun sens dans le spinozisme, puisque tout est déjà déterminé de toute éternité, rien n'aurait pu être autre que ce qu'il n'est. Notre essence est toujours déjà en acte, toujours déjà actuelle. Nous réalisons donc à chaque instant de notre vie toute notre puissance, sans reste. La seule chose qui peut arriver, c'est que le degré de puissance qui nous caractérise en tant que chose singulière, varie. Mais si demain je suis moins puissante qu'aujourd'hui, cela n'a pas de sens de dire qu'une quelconque "aliénation" ait eu lieu. Je ne suis tout simplement plus la même personne aujourd'hui que hier, mon essence même a changé (au cas où cela t'intéresse: Pascal Sévérac l'explique d'une façon très claire dans Le devenir actif chez Spinoza, quand il commente l'interprétation de Pierre Macherey, qui lui parle effectivement d'aliénation). »

Davdav:
En fait, je pense que l’aliénation tel que l'a décrit Marx ne tombe pas sous ta critique.
L’idée d’aliénation n’a pas « besoin d’une puissance non actualisée » mais signifie que dans l’activité productive capitaliste, l’activité au lieu de me réaliser et d’accomplir ma puissance me déréalise.
Autrement dit, la puissance est bien actualisée mais son actuation signifie sa déréalisation.


Bonjour David,

merci de tes réflexions. Il faut peut-être en effet s'attarder un peu plus longuement sur cette notion d'aliénation que ce que je venais de faire. En tout cas, certaines choses que tu dis me font hésiter, donc voici où j'en suis pour l'instant.

Dire que l'activité productive capitaliste au lieu de me réaliser et d'accomplir ma puissance me déréalise me semble en tant que tel être tout à fait pertinent - en tout cas pour pas mal de gens qui vivent sous un régime capitaliste. Comment ne pas voir que dans ce système, un ouvrier qui a du talent pour la musique, par exemple, ne pourra probablement jamais cultiver ce qui est en lui et qui lui ouvrirait la voie à une vie plus intense, moins misérable, où il pourrait s'épanouir davantage, et probablement devenir plus heureux? Comment ne pas voir que certains musiciens "accomplis" ne le sont que parce qu'ils sont nés au bon endroit, dans la bonne famille, alors que parfois ils sont même dépourvus de ce qu'on appelle du "talent"?

Or comment retraduire cela dans du langage spinoziste? On pourrait peut-être passer par Leibniz. Est-ce que j'aurais pu être autre que ce que je suis? J'aurais pu être autre, mais dans ce cas ce n'aurait plus été le même monde. Car pour que je sois autre, il aura fallu une cause qui provoque cette différence. Cette cause, dans ce monde-ci, le monde qui s'est pleinement actualisé, le monde qui est en train de s'accomplir tel qu'il le fait, était absente, était remplacée par une autre cause, celle qui a fait que je suis qui je suis. Le monde actuel étant non pas le seul possible, mais le seul où tout ce qui existe est compossible, il était déterminé de toute éternité que j'allais devenir qui je suis. Ce qui n'empêche que l'on peut parfois très bien ressentir comment, en fonction des circonstances, on aurait très bien pu avoir une vie fort différente, voire avoir été devenu quelqu'un de tout à fait différent. On peut peut-être sentir (ou plutôt s'imaginer) qui on aurait été quand la chaîne causale, l'ordre du monde, était autre. Mais cet ordre étant ce qu'il est, et ne pouvant jamais être autre, cela ne peut être qu'une imagination, sans plus. C'est bien pourquoi Spinoza parle d'un modèle d'une AUTRE NATURE humaine, tout en y ajoutant qu'en fait, cela est absurde. Ce sont nous, modes finis, qui ne pouvons nous empêcher d'imaginer le monde autre que ce qu'il est.

davdav a écrit :Il y a certes l’idée d’un devenir autre, non aliéné mais justement, je pense qu’il n’est pas sans rapport avec le devenir actif spinoziste qui est une activité naturelle.


il nous faudrait en tout cas essayer de penser un monde déterminé, où le devenir est tout à fait présent. Or si le devenir lui-même est déterminé, cela signifie qu'aucun autre devenir que celui que je parcours de fait n'aurait été possible. Seulement, les modes finis ne savent jamais à l'avance QUEL devenir leur attend. Qu'un ouvrier allait en 1936 du coup recevoir un congé payé, il ne le savait pas d'avance, tandis que cela a sans doute changé sa vie. Mais cela ne rend pas ce fait moins déterminé. Le concept d'aliénation semble souligner combien la situation des ouvriers est grave ("mauvaise", en langage spinoziste), et combien il serait "bon" de changer cela. Mais peut-on dire que l'ouvrier se trouve dans une situation où il est devenu un "étranger" (alienus) à lui-même? Comment penser cela dans le spinozisme?

Macherey parle par exemple de l'idée que la connaissance adéquate permet de "réaliser davantage" la nature de l'homme. Je ne vois pas comment lier cela à la pensée spinoziste. Pour Spinoza, il s'agit bel et bien, comme il le dit au début du TIE, d'acquérir une AUTRE nature. Il ne s'agit pas de "libérer au maximum la puissance d'être qui est en elle".

davdav a écrit :Pour Marx, donc, ce devenir ou cet accomplissement naturel de son activité n’est plus réalisable dans le régime capitaliste (par la séparation du travailleurs d’avec les moyens de la production) qui fabrique naturellement des idées inadéquates.


qu'elle fabrique/cause des idées inadéquates me semble être évident. Mais comment parler d'un autre processus causal, qui serait plus "naturel", et que le régime capitaliste empêche de se produire réellement dans la nature, d'un point de vue spinoziste?

davdav a écrit :L'activité signifie, dans l'aliénation, la déréalisation de soi ou la survie et la précarité (et non plus la joie entière ou la béatitude).
Le "diagnostic" marxien est sévère puisque la béatitude est impossible dans un système qui ne permet plus la réalisation naturelle de l'activité qui est irrémédiablement aliénée et dans lequel l'activité a changé de sens!!


ne faudrait-il pas dire que dans le marxisme le "salut" est pensé comme quelque chose qui implique un "retour" à un ordre naturel censé être pré-existant, et auquel on est devenu étranger, tandis que du point de vue spinoziste, la question est bien plutôt de savoir comment passer, du degré de liberté/puissance de la société/multitude actuelle, à un degré supérieur de perfection? La question serait alors plutôt: comment faire à partir d'aujourd'hui un pas en avant?

davdav a écrit :Pourquoi faire ce rapport à l'aliénation?

Disons qu’il me semble que l’on doive admettre chez Spinoza la possibilité ou la virtualité de devenir actif au sein même du plein ou de la nécessité. S’il y a un changement il doit y avoir du virtuel.
Et si l’on considère que l’activité est de toute éternité il semble que l’on doive poser une mutilation ou une aliénation originaire.


je ne vois pas vraiment en quoi ce serait nécessaire. En Dieu, toutes les modifications sont toujours déjà actuelles. Dès lors, tous les devenirs actifs ou passifs des modes aussi. La "virtualité" (que Spinoza appelle "possibilité") n'existe que du point de vue du mode, pas du point de vue de Dieu. Le mode vit dans l'imagination, donc dans la temporalité, et toujours dans une ignorance partielle. C'est parce qu'il ne sait pas ce qui va arriver demain, et qu'il croit que de différentes alternatives sont possibles, qu'il veut les désigner par le terme "virtuel". Dans la réalité, en revanche, ces possibles imaginés par l'homme n'existent que dans son imagination. Il y a sans cesse modification, mais du point de vue de Dieu jamais une mutilation. L'idée d'une "aliénation originaire" est à mon sens très proche d'une idée de la Chute ou le péché originaire. Comme si quelqu'un ou quelque chose a fait que le monde a dévié de son cours naturel. Cela suggère que ce cours naturel était toujours déjà "bon", là où Spinoza souligne que le bon n'est toujours bien que pour nous, jamais de façon absolue. Constater que le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui n'est pas tout à fait "bon pour nous", implique réfléchir à comment CHANGER/MODIFIER ce monde actuel pour que demain il soit meilleur POUR NOUS. Ce que cette pensée a comme avantage, c'est qu'elle élimine d'un coup toute "mauvaise conscience" (ah si j'avais fait x il y a quelques années, j'aurais été beaucoup mieux aujourd'hui!) ou culpabilité. Elle invite à accepter avant tout le monde tel qu'il est, à l'étudier de près pour découvrir et comprendre un maximum de choses, afin de pouvoir mieux agir demain selon ce qui est le plus utile pour nous. C'est peut-être tout de même assez différent, comme pensée, non?

LaPhilosophieAuMarteau a écrit :Tu devrais faire prof Louisa, si tu ne l'est pas déjà. Fuir les imbéciles, ça veut dire quoi? C'est quoi être imbécile? Ils sont pas plus malheureux que toi les imbéciles, n'ait crainte!


Bonjour LaPhilosphieAuMarteau, et bienvenu ici.

Comme tu pourras le lire dans la charte (voir message de DGsu), ce forum est plutôt consacré à la discussion de la pensée de Spinoza. Les commentaires ayant pour sujet les participants eux-mêmes sont évités, puisque souvent cela n'intéresse que très faiblement la majorité de ceux qui visitent ce site (sauf si quelqu'un a envie de parler lui-même de sa propre vie, bien sûr).

Quant aux "imbéciles": si tu lis les messages qui précèdent dans ce fil, tu verras qu'on a effectivement essayé de définir ce que serait un "imbécile" d'un point de vue spinoziste, tout en tentant de comprendre quel serait de ce même point de vue la réaction la plus adéquate. Si tu penses à des arguments concrets qui vont à l'encontre de ce que l'un ou l'autre d'entre nous y a proposé à ce sujet, surtout n'hésite pas à nous les faire connaître.

A bientôt,
L.

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Messagepar davdav » 16 juin 2008, 19:09

bonjour Louisa,
sur le début de ton intervention, je suis ok.
ensuite tu dis:
"« je ne vois pas vraiment en quoi ce serait nécessaire. En Dieu, toutes les modifications sont toujours déjà actuelles. Dès lors, tous les devenirs actifs ou passifs des modes aussi. La "virtualité" (que Spinoza appelle "possibilité") n'existe que du point de vue du mode, pas du point de vue de Dieu. Le mode vit dans l'imagination, donc dans la temporalité, et toujours dans une ignorance partielle. C'est parce qu'il ne sait pas ce qui va arriver demain, et qu'il croit que de différentes alternatives sont possibles, qu'il veut les désigner par le terme "virtuel". Dans la réalité, en revanche, ces possibles imaginés par l'homme n'existent que dans son imagination. Il y a sans cesse modification, mais du point de vue de Dieu jamais une mutilation. L'idée d'une "aliénation originaire" est à mon sens très proche d'une idée de la Chute ou le péché originaire. Comme si quelqu'un ou quelque chose a fait que le monde a dévié de son cours naturel. Cela suggère que ce cours naturel était toujours déjà "bon", là où Spinoza souligne que le bon n'est toujours bien que pour nous, jamais de façon absolue. Constater que le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui n'est pas tout à fait "bon pour nous", implique réfléchir à comment CHANGER/MODIFIER ce monde actuel pour que demain il soit meilleur POUR NOUS. Ce que cette pensée a comme avantage, c'est qu'elle élimine d'un coup toute "mauvaise conscience" (ah si j'avais fait x il y a quelques années, j'aurais été beaucoup mieux aujourd'hui!) ou culpabilité. Elle invite à accepter avant tout le monde tel qu'il est, à l'étudier de près pour découvrir et comprendre un maximum de choses, afin de pouvoir mieux agir demain selon ce qui est le plus utile pour nous. C'est peut-être tout de même assez différent, comme pensée, non? »

A ta dernière question, je répondrai non, absolument pas.
Le cours naturel ou la nature chez Marx est comme chez Spinoza par delà Bien et mal, il n’est ni bon ni mauvais. Dire qu'elle est aliénée n'a absolument aucun sens.
Ce qui est aliéné c'est l'activité du mode.
Car l'activité est pensée dans un réseau d'interaction. On n’est pas actif tout seul, abstraitement, sans être en relation, sans être inséré dans un tissu de forces c'est-à-dire dans un contexte. A ce niveau, l’apport de Marx me semble intéressant.
Ta comparaison avec le péché originel ne me semble pas convenir, dira t-on que celui qui a des idées inadéquates, c'est a dire tout le monde, a péché??
Penses tu que le travailleur qui est activité productive qui se déréalise dans son activité a péché ou est coupable de quelque chose?
Penses tu qu'il y a une pensée de la mauvaise conscience dans une doctrine qui dénonce l'activité comme une activité dans laquelle on ne jouit pas de son activité?
Y a t-il là un idéalisme et une moraline éthérée du Bien et de l'absolu??
Où?
Je pourrai rentrer dans le détail de la pensée de Marx mais ce qui m'intéresse c'est Spinoza.
Il faut savoir si on propose une lecture plutôt de gauche ou alors anarchisante voir carrément de droite de Spinoza.
Où est donc le problème?
Il y a d'une part le problème de ce que les anti-nietzschéens appellent « l’argument du bourreau » qui touche aussi Spinoza.
Celui-ci consiste à dire si je dois aimer Dieu -la nature ou le Fatum alors je dois aimer le bourreau.
La réponse consiste à dire que dans le 3e genre, j’aime intellectuellement la substance dont tous les modes participent et que je les saisis intuitivement comme des fragments de Dieu.
Mais ce que j’aime ce n’est pas le bourreau mais l’activité divine dans n’importe quel mode.
Personnellement, je ne suis pas satisfait de cette réponse, qui me semble juste mais incomplète car intellectualiste c'est-à-dire trop purement abstraite.
A ce niveau, cela ressemble à un tour de passe-passe métaphysique car ce n’est pas l’autre en tant que tel que j’aime mais simplement son conatus !
Donc, ce problème pour être résolu nécessite une réponse à celui du possible du devenir actif.
Et, celui-ci ne se fait pas en l'air, abstraitement, hors contexte social, culturel, intellectuel, économique.
Mais, il faut d abord répondre au problème métaphysique du devenir actif dans une philosophie du plein ou de la nécessité.
Tu dis :« Elle invite à accepter avant tout le monde tel qu'il est, »
Pensons nous que le spinozisme consiste à tout ACCEPTER et donc à adhérer à ce qui doit arriver par la force même de la nécessité ?.
Il ne s’agit pas de s’indigner devant ce qui arrive car de toute façon cela arrive, mais doit on aimer tout ce qui arrive sans rien faire, aimer les génocides, les dépravés moraux et leurs institutionnalisation sociale. « Dire que tout est bien » comme le dit l’ancien testament ? etc…
Je ne pense pas que ce soit ce que dit Spinoza !
Au contraire, je pense qu’il y a un côté révolutionnaire dans, certes, le calme, la sérénité et la lucidité sur le déterminisme naturel.
Mais, il s’agit de s’insérer dans le déterminisme pour agir et donc pour y produire des effets.
Mais, la contestation est difficile à concilier avec la pleine positivité du spinozisme, et cela est flagrant dans ton intervention qui redoute sans cesse de tomber dans un idéalisme ou dans de l’imaginaire révolutionnaire
Car il ne s’agit pas de nier mais d’affirmer.
La question est celle du comment de la production de nouveaux effets si toutes les causes sont déjà actuelles?


Cordialament

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Messagepar Louisa » 18 juin 2008, 02:39

Davdav a écrit :Celui-ci consiste à dire si je dois aimer Dieu -la nature ou le Fatum alors je dois aimer le bourreau.
La réponse consiste à dire que dans le 3e genre, j’aime intellectuellement la substance dont tous les modes participent et que je les saisis intuitivement comme des fragments de Dieu.
Mais ce que j’aime ce n’est pas le bourreau mais l’activité divine dans n’importe quel mode.
Personnellement, je ne suis pas satisfait de cette réponse, qui me semble juste mais incomplète car intellectualiste c'est-à-dire trop purement abstraite.
A ce niveau, cela ressemble à un tour de passe-passe métaphysique car ce n’est pas l’autre en tant que tel que j’aime mais simplement son conatus !


bonjour David,

aimer son conatus, c'est aimer ce qu'il est essentiellement, véritablement. Je ne crois pas qu'il s'agit d'un tour de passe-passe métaphysique. Il s'agit bien plutôt d'un véritable défi - révolutionnaire! - pratique. Cela n'a rien d'abstrait, au sens spinoziste du mot, car il s'agit de saisir l'essence singulière du bourreau. Il s'agit de comprendre comment s'exprime à travers ce qu'il fait quelque part une aspiration à la vie, un effort pour persévérer dans son être. Tout le reste, tout le mal qu'il fait aux gens sur base d'idées inadéquates qu'il a (et qui ne le définissent pas), c'est dans le spinozisme le résultat de causes extérieures à lui, résultat de sa propre rencontre fortuite avec la nature.

Autrement dit: il ne s'agit pas d'aimer ses idées inadéquates à lui, il s'agit d'uniquement aimer qui il est véritablement, ce qui se résume à ses idées adéquates.

Bien sûr, rien ne nous oblige à en rester là. Nous pouvons très bien, sur base de la puissance acquise par ce troisième genre de connaissance face au bourreau, avoir la force de faire un pas en plus, et essayer de diminuer les idées inadéquates du bourreau, c'est-à-dire essayer d'augmenter réellement la puissance du bourreau (ce qui fera nécessairement diminuer ses actes de bourreau). L'un n'empêche absolument pas l'autre, au contraire.

davdav a écrit :Donc, ce problème pour être résolu nécessite une réponse à celui du possible du devenir actif.
Et, celui-ci ne se fait pas en l'air, abstraitement, hors contexte social, culturel, intellectuel, économique.
Mais, il faut d abord répondre au problème métaphysique du devenir actif dans une philosophie du plein ou de la nécessité.
Tu dis :« Elle invite à accepter avant tout le monde tel qu'il est, »
Pensons nous que le spinozisme consiste à tout ACCEPTER et donc à adhérer à ce qui doit arriver par la force même de la nécessité ?.


oui et non. Oui au sens où il s'agit de comprendre que tout, même ce qui fait diminuer notre puissance, a été déterminé de toute éternité, donc était nécessaire, n'aurait jamais pu se dérouler autrement. Mais accepter AVANT TOUT cela ne veut pas dire qu'il faut en rester là. L'accepter n'est qu'une conditio sine qua non pour ensuite pouvoir agir sur la situation d'une telle façon qu'elle améliore réellement notre sort et celui des autres hommes. L'idée est simplement que SANS accepter les chaînes causales qui ont créé la situation telle qu'elle est, il sera beaucoup plus difficile d'intervenir efficacement.

davdav a écrit :Il ne s’agit pas de s’indigner devant ce qui arrive car de toute façon cela arrive


en effet, surtout que l'indignation est une Tristesse, donc ne fait que diminuer notre puissance, et par là aussi notre pouvoir d'intervenir et de changer le réel.

davdav a écrit :mais doit on aimer tout ce qui arrive sans rien faire, aimer les génocides, les dépravés moraux et leurs institutionnalisation sociale. « Dire que tout est bien » comme le dit l’ancien testament ? etc…
Je ne pense pas que ce soit ce que dit Spinoza !


je ne crois pas non plus!!! Je ne vois pas très bien ce qui t'a fait penser que c'était ce que ma réponse suggérait.

davdav a écrit :Au contraire, je pense qu’il y a un côté révolutionnaire dans, certes, le calme, la sérénité et la lucidité sur le déterminisme naturel.
Mais, il s’agit de s’insérer dans le déterminisme pour agir et donc pour y produire des effets.


oui, absolument.

davdav a écrit :
Mais, la contestation est difficile à concilier avec la pleine positivité du spinozisme, et cela est flagrant dans ton intervention qui redoute sans cesse de tomber dans un idéalisme ou dans de l’imaginaire révolutionnaire
Car il ne s’agit pas de nier mais d’affirmer.
La question est celle du comment de la production de nouveaux effets si toutes les causes sont déjà actuelles?


l'actualité n'empêche en rien la temporalité et l'ignorance. Je suis toujours en partie ignorant des causes des effets qui se produiront demain. Et ce qui se produit demain n'est pas encore, aujourd'hui.

Puis n'oublie pas que selon le spinozisme nous sommes DETERMINES à vouloir devenir plus heureux. Nous n'avons donc pas le choix: nous réfléchissons toujours, autant qu'il est en nous, à comment améliorer notre sort, comment améliorer le monde. Ce souci me semble être clairement commun au spinozisme et au marxisme (et à la droite, soit dit en passant). Là ou ces différentes pensées divergent, à mon sens, c'est quand il s'agit de voir quelles sont les moyens que l'on va mettre en oeuvre pour obtenir cette amélioration (voire ce qu'on va appeler amélioration).

Pour le marxisme, si j'ai bien compris, il s'agit de retourner à une situation qui de iure aurait déjà dû être le cas depuis longtemps. L'ouvrier, comme tu le dis, se déréalise. Cela suppose qu'au début, il avait déjà une puissance de sage spinoziste, mais qu'on lui ôte cette puissance au fur et à mesure que le travail et la non possession des moyens de production l'aliène de soi-même et de sa puissance originale (qui dans le marxisme est toujours sa puissance, même quand elle n'est pas réalisé).

Pour le spinozisme, en revanche, un ouvrier est toujours essentiellement ce qu'il est, à tel ou tel moment de sa vie. L'ouvrier ne part pas d'un hypothétique statut de sage, qu'on lui enlève progressivement. Il part comme tout le monde d'un statut de bébé, bref d'un degré de puissance très petit. Puis il se fait que ses rencontres fortuites avec la nature ne lui permettent pas trop d'augmenter cette puissance. Il reste donc assez ignorant, assez passif.

Dans le marxisme, il faut trouver les moyens pour rétablir un certain "état paradisiaque", tandis que pour le spinozisme celui-ci est purement fictif et d'aucune aide pratique. Il s'agit bien plutôt d'inventer les moyens pour augmenter ici et maintenant la puissance réelle de tous les ouvriers qui sont mis dans une situation qui ne peut que rendre la partie éternelle de leur Esprit toute petite. Il me semble que le spinozisme tient par là compte du fait que jamais cet ouvrier n'a été dans une meilleure situation, et que tout reste à inventer, tandis que le marxisme semble supposer que la solution est toujours déjà là et connue, qu'il suffit enfin de l'appliquer pour que l'état adamique soit rétabli. Le désavantage de cette façon d'aborder le problème, il me semble, c'est que l'on présuppose la solution connue là où il nous faudra concrètement toute notre puissance de penser pour l'inventer.

Qu'en penses-tu?

Cordialement,
L.

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Messagepar davdav » 18 juin 2008, 14:55

Chère Louisa,

Il n’y a pas l'idée d'un "état paradisiaque", « un hypothétique statut de sage » originel mais juste la possibilité de l’adéquation de l’activité (comme vertu) et de la béatitude.
La possibilité et non le fait. Comme chez Spinoza.
« Le désavantage de cette façon d'aborder le problème, il me semble, c'est que l'on présuppose la solution connue là où il nous faudra concrètement toute notre puissance de penser pour l'inventer. »
Il n’y a pas une solution présupposée donnée originellement mais l’établissement des conditions qui permettent une activité comme réalisation de soi et jouissance de l’activité.
Effectivement ces conditions sont originelles car naturelles.
Il ne s’agit pas de revenir en arrière car la philosophie marxienne est fortement influencée par la dialectique hégélienne, mais de surmonter dialectiquement un état de chose.
C'est l'"homme total" qui est à inventer comme le sage.
Mais il y a en effet dans ce surmontement l’idée d’un retour à des conditions où l’activité retrouve des conditions plus naturelles mais celles ci reposent sur le présupposé qui est tout spinoziste de la possibilité de l’adéquation de l’activité et de la béatitude.
Diras tu alors que la possibilité de l’adéquation de l’activité et de la béatitude est donnée d’emblée ?
Je crois que ce qui est intéressant c’est l’idée que l’activité même en aboutissant c'est-à-dire en produisant ne produit pas la joie et encore moins la béatitude. Il se pose alors la question des conditions de la « bonne » activité.
D’autre part, tu n’as pas répondu à ma question sur la production d’effets nouveaux, la joie, la sagesse, la béatitude avec des causes toutes déjà données. Comment est ce possible sans poser une causalité nouvelle due à une rationalité ?
Tu comprend bien que si c'est le cas on tombe dans des problèmes de l'idéalisme subjectif.
Merci beaucoup de tes réflexions enrichissantes.

D.

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Messagepar Louisa » 20 juin 2008, 22:20

davdav a écrit :Il n’y a pas l'idée d'un "état paradisiaque", « un hypothétique statut de sage » originel mais juste la possibilité de l’adéquation de l’activité (comme vertu) et de la béatitude.
La possibilité et non le fait. Comme chez Spinoza.


Bonjour David,

merci de tes commentaires!

Justement, pour Spinoza il n'y a question de possibilité que dans la mesure où il y a ignorance des causes ou des choses futures. La béatitude elle aussi n'est jamais appelé adéquate à quelque chose, elle est activité pure, vertu pure. Dans la réalité, il n'y a jamais possibilité, il n'y a toujours que le fait. Cela ne veut pas dire qu'améliorer radicalement les conditions de vie de la majorité des gens devient impossible. Cela signifie seulement, je crois, qu'il faut essayer de penser cette amélioration autrement que par l'idée d'un manque qu'il faudrait combler. Si inadéquation il y a (et chez la majorité des gens il y en a sans cesse), ce n'est jamais une inadéquation par rapport à un état idéal ou bienheureux (l'état de béatitude, état futur de plus grande Joie), mais par rapport à la situation actuelle dans laquelle on vit.

Le problème avec l'ouvrier, d'un point de vue spinoziste, me semble consister dans le fait qu'il comprend très peu sa propre situation quotidienne, qu'il subit plus qu'il n'agisse. Il a une majorité d'idées inadéquates, c'est-à-dire d'idées confuses par rapport à ce qu'il vit réellement (c'est-à-dire actuellement, au moment même d'avoir l'idée), et par rapport à comment utiliser sa situation actuelle pour l'améliorer. Dans le spinozisme, il ne suffit pas d'exercer une force physique pendant 14h par jour pour être actif, on peut très bien le faire et néanmoins être principalement passif. La question est donc non pas "comment rendre l'activité des ouvriers adéquate à la béatitude?" mais plutôt "comment rendre les ouvriers plus actifs?".

Peut-être qu'on pourrait dire que la première question peut être décidé par un genre de comité de sages ou de "bienheureux", un ensemble de gens qui disent savoir ce que c'est que la béatitude, et qui vont essayer d'expliquer aux ouvriers ce qu'ils doivent faire pour y arriver (prendre possession des moyens de productions, etc). Je ne veux pas insinuer que de cette manière on ne peut rien obtenir (au contraire, l'Etat de providence est né sur base d'une telle "révolution", et a certainement amélioré les conditions de vie de millions de gens). Mais à ce stade il s'agit peut-être plutôt d'abord de voir dans quelle mesure on peut retraduire l'une pensée, spinoziste, en l'autre, marxiste (c'est-à-dire en partie hégelienne, Hegel acceptant par exemple la force du négatif (et sa nécessité pour obtenir un mouvement dialectique vers quelque chose de mieux), là où chez Spinoza le négatif n'a aucune consistance, donc ne peut aucunement être "employé" pour obtenir un effet positif).

Dans le cas où nous abordons la misère de l'ouvrier par la deuxième question, spinoziste, on peut toujours faire de la "pédagogie" (car Spinoza cherchait un Bien qui se laisse communiquer), mais il me semble que la "démocratie absolue" que Spinoza proposait est quelque part plus "radicale" que celle de Marx. Si chez Marx il s'agit d'inciter les ouvriers à commetre un genre de "coup d'Etat" afin d'installer une "dictature du prolétariat", Spinoza prévoit un régime politique qui accepte la division riches-moins riches, pour promouvoir l'idée que tous, riches y compris, participent au pouvoir, afin qu'aucun groupe dans la société ne puisse céder à la tendance dictatoriale. Cela implique qu'aucun philosophe politique puisse a priori concocter l'un ou l'autre "plan" général pour la société (qu'il passe par la possession collective des moyens de production ou autre). Les seuls auteurs du droit publique, ce sont les citoyens eux-mêmes. Ce qui est peut-être plus "démocratique", non?

louisa:
« Le désavantage de cette façon d'aborder le problème, il me semble, c'est que l'on présuppose la solution connue là où il nous faudra concrètement toute notre puissance de penser pour l'inventer. »

Davdav:
Il n’y a pas une solution présupposée donnée originellement mais l’établissement des conditions qui permettent une activité comme réalisation de soi et jouissance de l’activité.


tu connais probablement mieux le marxisme que moi, mais ne faudrait-il pas dire que pour Marx ces conditions consistent simplement en la possession collective des moyens de production? Or en quoi un ouvrier qui possède lui-même une partie du capital de son usine, aurait-il a priori davantage de possibilités d'accéder à la béatitude que celui qui travaille dans une usine où tout est dans les mains d'un patron "éclairé", fortement motivé à tenir compte du bien-être de ses ouvriers?

davdav a écrit :Effectivement ces conditions sont originelles car naturelles.
Il ne s’agit pas de revenir en arrière car la philosophie marxienne est fortement influencée par la dialectique hégélienne, mais de surmonter dialectiquement un état de chose.
C'est l'"homme total" qui est à inventer comme le sage.
Mais il y a en effet dans ce surmontement l’idée d’un retour à des conditions où l’activité retrouve des conditions plus naturelles mais celles ci reposent sur le présupposé qui est tout spinoziste de la possibilité de l’adéquation de l’activité et de la béatitude.


en quoi dirais-tu que ce genre d'adéquation pourrait être spinoziste?

davdav a écrit :Diras tu alors que la possibilité de l’adéquation de l’activité et de la béatitude est donnée d’emblée ?


je crois que cette question ne trouve pas sa place dans le spinozisme, même si d'autres points de vue elle est tout à fait pertinente. Ou disons que pour l'instant je ne vois pas très bien comment la retraduire en un langage spinoziste.

davdav a écrit :Je crois que ce qui est intéressant c’est l’idée que l’activité même en aboutissant c'est-à-dire en produisant ne produit pas la joie et encore moins la béatitude. Il se pose alors la question des conditions de la « bonne » activité.


et quelle serait alors cette "bonne" activité?

davdav a écrit :D’autre part, tu n’as pas répondu à ma question sur la production d’effets nouveaux, la joie, la sagesse, la béatitude avec des causes toutes déjà données. Comment est ce possible sans poser une causalité nouvelle due à une rationalité ?


désolée, je n'avais pas tout à fait compris ta question. En fait, il suffit de concevoir les essences singulières comme de véritables puissances productrices d'effets, effets qui s'expliquent par l'essence même de ces choses singulières, celles-ci étant donc des véritables "causes adéquates", pour conserver l'idée qu'un être rationnel puisse être la cause d'un effet.

Puis les causes ne sont "toutes déjà données" qu'en Dieu, d'un point de vue de l'éternité. Mais d'un point de vue de la durée, qui ne peut que nous importer hautement aussi longtemps que nous "durons" et partant nous efforçons de persévérer dans notre être, ce qui est cause demain n'est bien sûr PAS encore donnée aujourd'hui. Du point de vue de la durée, il y a temporalité, ignorance partielle des causes du passé, et ignorance partielle des causes futures. Etant déterminé à désirer le bonheur et la Joie active, nous ne pouvons que nous efforcer à surmonter maximalement, chaque jour, notre ignorance, afin de pouvoir agir davantage le lendemain.
Mais peut-être n'est-ce toujours pas une réponse à ta question?
Cordialement,
L.

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Messagepar davdav » 23 juin 2008, 01:29

Chère Louisa,

Je te repond très rapidement.

-Sur le possible
Tu dis donc qu’il n’y a pas de possible chez Spinoza que du fait.
« Justement, pour Spinoza il n'y a question de possibilité que dans la mesure où il y a ignorance des causes ou des choses futures. La béatitude elle aussi n'est jamais appelé adéquate à quelque chose, elle est activité pure, vertu pure. »

Je ne suis pas sûr que Spinoza évacue l’idée du possible même dans le plein sinon comment devenir plus actif ? Si je peux le devenir plus, me libérer c’est bien que je ne le suis pas déjà.
Le possible ne signifie pas que dans une philsophie de la négation, de l'absence.
Il ne signifie pas nécessairement qu’il y ai un manque à combler mais la possibilité d’effectuer un passage à plus de puissance ou plus de vie.
Par exemple, chez Leibniz, on ne peut pas dire que la monade manque de quelque chose car c’est par définition impossible!
C'est toute la question du changement, du devenir qui se pose.
J'avoue que je ne comprend pas bien.
Comment devenir plus actif, plus libre s'il n'y a que de l'actuel?
Comment l'éternité passe dans le temps?
C’est capital que tu m’aides sur ce point s’il te plait.


-Sur l’adéquation de la vertu et de la béatitude :
Tu demandes « en quoi dirais-tu que ce genre d'adéquation pourrait être spinoziste? »

PROPOSITION XLII
La béatitude n'est pas le prix de la vertu, c'est la vertu elle-même, et ce n'est point parce que nous contenons nos mauvaises passions que nous la possédons, c'est parce que nous la possédons que nous sommes capable, de contenir nos mauvaises passions.
Démonstration : La béatitude consiste dans l'amour de Dieu (par la Propos. 36, part. 5 et son Schol.), et cet amour naît de la connaissance du troisième genre (par le Coroll. de la Propos. 32, part, 5), et en conséquence (par les Propos. 59 et 3, part. 3), il doit être rapporté à l'âme, en tant qu'elle agit. Cet amour est donc la vertu même (par la Déf. 8, part. 4).

Je vois mal comment l’identité de la vertu et de la béatitude ne pourrait pas être spinoziste !?? (L’emploi de ma part du terme adéquat n’était pas approprié et est source d’incompréhension entre nous), il signifiait simplement identité)

Tu dis :
« La question est donc non pas "comment rendre l'activité des ouvriers adéquate à la béatitude?" mais plutôt "comment rendre les ouvriers plus actifs?". »
Mais les rendre plus actifs les rend plus joyeux !??
Ce que tu dis recoupe tout a fait ma question de la bonne activité.

-sur Marx
« tu connais probablement mieux le marxisme que moi, mais ne faudrait-il pas dire que pour Marx ces conditions consistent simplement en la possession collective des moyens de production? Or en quoi un ouvrier qui possède lui-même une partie du capital de son usine, aurait-il a priori davantage de possibilités d'accéder à la béatitude que celui qui travaille dans une usine où tout est dans les mains d'un patron "éclairé", fortement motivé à tenir compte du bien-être de ses ouvriers? »
Tu as l’air de penser que le patron a des idées adéquates.
Mais ce n’est nullement le cas.
Il ne faut pas confondre la philosophie marxienne et le marxisme, n’oublions pas qu’il est postérieur à Marx.
Pour simplifier la pensée marxienne et sans se référer à une quelconque idéologie, Marx dit que dans les conditions du système capitaliste ni l’ouvrier privé des moyens de production ni le patron qui en dispose ne peuvent ni former des idées adéquates ni ne peuvent jouir de leur activité.
Personne ne va venir sauver l’ouvrier !

-sur le rapport à hegel
« Mais à ce stade il s'agit peut-être plutôt d'abord de voir dans quelle mesure on peut retraduire l'une pensée, spinoziste, en l'autre, marxiste (c'est-à-dire en partie hégelienne, Hegel acceptant par exemple la force du négatif (et sa nécessité pour obtenir un mouvement dialectique vers quelque chose de mieux), là où chez Spinoza le négatif n'a aucune consistance, donc ne peut aucunement être "employé" pour obtenir un effet positif). »
C’est toute la question de l’aliénation.

Cordialement
D.

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Messagepar Louisa » 25 juin 2008, 17:31

davdav a écrit :Sur le possible
Tu dis donc qu’il n’y a pas de possible chez Spinoza que du fait.
« Justement, pour Spinoza il n'y a question de possibilité que dans la mesure où il y a ignorance des causes ou des choses futures. La béatitude elle aussi n'est jamais appelé adéquate à quelque chose, elle est activité pure, vertu pure. »

Je ne suis pas sûr que Spinoza évacue l’idée du possible même dans le plein sinon comment devenir plus actif ? Si je peux le devenir plus, me libérer c’est bien que je ne le suis pas déjà.


Cher David,

si tu dis que nous avons besoin du possible pour devenir plus actif, je suppose que tu veux dire qu'avant de devenir plus actif, cet état d'un "plus" en ce qui concerne l'activité doit avoir le statut de "possible", sinon justement, jamais passer à davantage d'activité ne serait "possible"?

Considéré d'un point de vue du langage ordinaire, cela est vrai, bien sûr. Mais cela implique généralement aussi que ce qui est possible ne va pas se produire inévitablement, qu'il pourrait aussi ne pas se produire. Ce qui fait que quand on considère ainsi le monde, il faut nécessairement adopter un certain leibnizianisme: ce qui se réalise dans le monde, ou le monde en tant qu'il est actuellement, n'est qu'un parmi d'autres mondes possibles. Chez Leibniz, le monde actuel est le seul capable de réaliser tout ce qui est "compossible", donnant ainsi lieu au meilleur des mondes. Mais chez Spinoza, Dieu ou la nature réalise TOUT ce qui est possible. Il n'y a donc pas d'arrière-monde(s), monde virtuel qui contiendrait tout ce qui est également possible, mais n'a pas été réalisé. Dieu ayant une puissance infinie, il produit nécessairement tout ce qui est logiquement possible. Le reste, ce qui logiquement n'est pas possible, contient une contradiction et par là même est inconcevable pour un entendement divin.

Ce qui aurait pu ne pas se produire est appelé "contingent", par Spinoza. Ainsi toutes les choses singulières sont-elles contingentes, parce que leur essence ne pose pas leur existence (elle trouve sa cause hors d'elle-même). Tandis qu'il appelle "possibles" les choses singulières "en tant qu'à l'examen des causes qui doivent les produire nous ne savons pas si ces causes sont elles-mêmes déterminées à les produire" (E4 Déf.4). La possibilité relève donc bel et bien d'un manque de connaissance de notre part: seul est possible ce dont nous ne savons pas si cela va se produire ou non. On pourrait alors croire que la contingence, elle au moins ne dépend pas de notre savoir. C'est ce qu'on pourrait penser en lisant l'E1P33 sc. Mais la définition de la contingence (E4 Déf.3) montre que là aussi, il ne s'agit que d'un manque de connaissance. Déjà le corollaire de l'E2P31 le dit: "De là suit que toutes les choses particulières sont contingentes et corruptibles. Car nous ne pouvons avoir de leur durée aucune connaissance adéquate, et c'est ce qu'il nous faut entendre par contingence et corruptibilité des choses. Car à part cela, il n'y a rien de contingent". Le contingent et le possible ne relèvent donc que d'un défaut de connaissance dans un Esprit infini.

davdav a écrit :Le possible ne signifie pas que dans une philsophie de la négation, de l'absence.
Il ne signifie pas nécessairement qu’il y ai un manque à combler mais la possibilité d’effectuer un passage à plus de puissance ou plus de vie.
Par exemple, chez Leibniz, on ne peut pas dire que la monade manque de quelque chose car c’est par définition impossible!


en effet, mais chez Leibniz la virtualité existe réellement, elle désigne ce qui dans le réel tend à la "pleine" actualité, et qui éventuellement ne peut pas encore avoir actualisé ce "plein", à cause de l'un ou l'autre obstacle qui empêche ce développement embryonaire. Chez Spinoza, en revanche, il n'y a jamais un genre de "stock" de réalité, qui attend l'absence des obstacles pour se développer. L'essence est toujours déjà aussi réelle que ce que sa propre essence même, son degré de puissance le lui permet. Les "obstacles" sont ici des rencontres avec le monde extérieur qui non pas mettent le développement, l'épanouissant en mode "attente", mais qui diminuent réellement la puissance même de la chose, donc aussi sa tendance à persévérer dans son être. Son conatus n'est donc jamais plus grand que ce qu'il réalise effectivement. Les deux coïncident inévitablement.

davdav a écrit :C'est toute la question du changement, du devenir qui se pose.
J'avoue que je ne comprend pas bien.
Comment devenir plus actif, plus libre s'il n'y a que de l'actuel?
Comment l'éternité passe dans le temps?
C’est capital que tu m’aides sur ce point s’il te plait.


il y a certainement des gens qui l'ont mieux compris que moi, donc voici simplement une tentative d'expliquer comment je le pense moi-même pour l'instant.

A mon sens Spinoza ne nie absolument pas le devenir, au sens où le but même de sa philosophie est d'acquérir une "meilleure" nature, de devenir plus heureux, plus sage. Mais tout ce qui est devenir est de l'ordre de la temporalité. Le devenir est un processus temporel, il caractérise le changement d'une chose en quelque chose d'autre. Du point de vue de la durée, il n'y a que ces changements, ces devenirs. L'essence d'une chose singulière étant un degré de puissance, elle produit sans cesse des effets, qui changent la nature, tandis qu'étant une partie de la nature, elle subit également sans cesse des effets.

Ce que l'éternité "ajoute" à ces changements, il me semble, c'est quelque chose comme un "point de repère", un point fixe, nécessaire pour fonder la possibilité même d'un changement. Car dire qu'une chose singulière dispose d'un conatus, d'une tendance à persévérer dans son être, c'est bien beau, mais d'où vient ce conatus? Comment fonder l'idée qu'une chose puisse maintenir en elle une tendance à persévérer dans son être? Il faut ajouter l'idée d'une essence singulière, capable d'être exprimée dans le temps, mais étant elle-même éternelle.

Cette éternité n'entrave nullement le devenir. Il faut simplement définir le devenir autrement: quand par exemple un bébé "devient" un homme adulte, ou quand un grand poète devient un amnésiaque, que se passe-t-il? Pour Spinoza, le corps du bébé devenu adulte exprime une AUTRE essence éternelle que le corps du bébé quand il était encore bébé. Un seul et même corps peut donc tantôt exprimer telle essence, tantôt une autre - seul et même corps dans un sens large, bien sûr, car il est évident que le corps d'un adulte n'est plus tout à fait le même que le corps d'un bébé, même si les deux portent toujours le nom d'une seule et même personne.

Le devenir actif est du même ordre: il s'agit d'une augmentation du degré de puissance exprimé par un corps. Par là, le corps passe donc d'une essence éternelle d'un plus grand degré, à une essence éternelle d'un degré plus puissant.

Faut-il penser que pour Spinoza, ce passage d'une essence à une autre se fait déjà dès que nous avons une nouvelle idée adéquate (car en cela, nous agissons)? Voici ce qui ne me semble pas être très clair. Certains commentateurs parlent d'une "fluctuation" autour d'un seul et même degré de puissance, mais j'avoue que je ne vois pas très bien comment cela pourrait être possible sans réintroduire du virtuel, là où Spinoza bannit explicitement le possible.

davdav a écrit :-Sur l’adéquation de la vertu et de la béatitude :
Tu demandes « en quoi dirais-tu que ce genre d'adéquation pourrait être spinoziste? »

PROPOSITION XLII
La béatitude n'est pas le prix de la vertu, c'est la vertu elle-même, et ce n'est point parce que nous contenons nos mauvaises passions que nous la possédons, c'est parce que nous la possédons que nous sommes capable, de contenir nos mauvaises passions.
Démonstration : La béatitude consiste dans l'amour de Dieu (par la Propos. 36, part. 5 et son Schol.), et cet amour naît de la connaissance du troisième genre (par le Coroll. de la Propos. 32, part, 5), et en conséquence (par les Propos. 59 et 3, part. 3), il doit être rapporté à l'âme, en tant qu'elle agit. Cet amour est donc la vertu même (par la Déf. 8, part. 4).

Je vois mal comment l’identité de la vertu et de la béatitude ne pourrait pas être spinoziste !?? (L’emploi de ma part du terme adéquat n’était pas approprié et est source d’incompréhension entre nous), il signifiait simplement identité)


ok, si tu parles d'une identité je n'ai aucun problème. Mais justement, n'avais-tu pas besoin de cette notion d'adéquation pour indiquer qu'il pourrait y avoir une inadéquation entre vertu et béatitude? Si oui, cela suppose qu'il n'y a pas toujours identité. Or à mon avis il est clair que dans le spinozisme les deux coïncident toujours, aucun n'écart n'est possible.

davdav a écrit :Tu dis :
« La question est donc non pas "comment rendre l'activité des ouvriers adéquate à la béatitude?" mais plutôt "comment rendre les ouvriers plus actifs?". »
Mais les rendre plus actifs les rend plus joyeux !??
Ce que tu dis recoupe tout a fait ma question de la bonne activité.


oui certes, cela les rend plus joyeux, ou plutôt, cela leur donne davantage de Joies actives. Mais en ayant ces Joies, ils ne sont plus tout à fait les mêmes ouvriers, ils sont passés à une autre vie, vie qui n'est possible pour eux qu'en tant qu'ils ont ce nombre de Joies actives, et qui dès lors était totalement impossible (et non déjà virtuellement là) au moment où ils ne les avaient pas encore.

davdav a écrit :-sur Marx
« tu connais probablement mieux le marxisme que moi, mais ne faudrait-il pas dire que pour Marx ces conditions consistent simplement en la possession collective des moyens de production? Or en quoi un ouvrier qui possède lui-même une partie du capital de son usine, aurait-il a priori davantage de possibilités d'accéder à la béatitude que celui qui travaille dans une usine où tout est dans les mains d'un patron "éclairé", fortement motivé à tenir compte du bien-être de ses ouvriers? »

Tu as l’air de penser que le patron a des idées adéquates.
Mais ce n’est nullement le cas.


d'un point de vue spinoziste, le patron DOIT avoir quelques idées adéquates, puisque l'ensemble des idées adéquates définit l'essence d'une chose, son degré de puissance, et que le patron, même quand il s'agit d'un grand criminel, par le fait même qu'il existe témoigne du fait d'être lui aussi un degré de puissance.

A partir de ce moment-là, rien n'empêche qu'il existe aussi certains patrons qui ont davantage d'idées adéquates quant à ce qui est réellement mieux pour leurs ouvriers.

Inversement, qu'est-ce qui te fait penser qu'un patron par définition n'aurait pas d'idées adéquates?

davdav a écrit :Il ne faut pas confondre la philosophie marxienne et le marxisme, n’oublions pas qu’il est postérieur à Marx.
Pour simplifier la pensée marxienne et sans se référer à une quelconque idéologie, Marx dit que dans les conditions du système capitaliste ni l’ouvrier privé des moyens de production ni le patron qui en dispose ne peuvent ni former des idées adéquates ni ne peuvent jouir de leur activité.


que veux-tu dire ici par "idées adéquates"?
Cordialement,
L.


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