Le christ et le 3e genre

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Faun
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Messagepar Faun » 30 mai 2008, 00:10

Spinoza a écrit :PROPOSITION LXIX partie 4

La vertu de l'homme libre se montre aussi grande à éviter les périls qu'à en triompher.

Corollaire : On doit tenir compte à l'homme libre d'un aussi grand courage, quand il prend la fuite en de certains moments, que s'il engageait la lutte ; en d'autres termes, l'homme libre choisit la retraite comme le combat, avec un égal courage, avec une égale présence d'esprit.

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Messagepar Louisa » 30 mai 2008, 00:22

A Faun

oui d'accord, mais il faudrait montrer que pour Spinoza essayer d'installer de la concorde dans la société, c'est déjà s'exposer à un grand danger, tu vois? Tandis qu'il dit explicitement l'inverse: au lieu de fuir la société, il vaut mieux s'invester un peu sérieusement dans la création d'un maximum de concorde. Au lieu de ne voir en les citoyens que des imbéciles, il vaut mieux penser au fait que se sont néanmoins des hommes, bref ce dont tu as de toute façon besoin pour vivre.

Enfin n'oublie pas que pour Spinoza être soumis aux passions, comme l'est sans doute la majorité des gens, c'est le résultat d'idées inadéquates, donc d'une ignorance. Tandis que chaque homme essaie de persévérer dans son être, donc aspire au bonheur, espère devenir un peu plus heureux qu'il ne l'est, etc. Ce que Spinoza conseille, c'est de se concentrer, dans ses rapports quotidiens avec eux, sur cet aspect-là (= leur essence affirmative), au lieu de n'y voir que le manque (manque de connaissance, manque de maîtrise de soi-même etc), puis d'essayer de les rendre un peu moins ignorant.

Ce conseil est important d'abord et avant tout pour pouvoir réaliser ton PROPRE bonheur: si tu ne vois qu'un manque quand tu regardes la société, c'est toi qui sera malheureux, c'est toi qui verras ta puissance diminuer, jusqu'à ce qu'en effet, à un certain moment tu dois même fuir ce dont tu as le plus besoin (la société humaine), puisque tout te sera devenu insupportable. Ce que Spinoza oppose à cela: apprendre à supporter les offenses d'une âme égale. Tout un programme, certes, mais néanmoins faisable.

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Messagepar Faun » 30 mai 2008, 01:16

Rien du tout, les hommes sont ingouvernables.

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Messagepar Louisa » 30 mai 2008, 01:25

Tu peux le croire, ce n'était pas l'idée de Spinoza, qui a consacré des années à écrire le TP, qui justement traite de comment le mieux gouverner les hommes, sachant que de différentes alternatives existent, et qu'il y a moyen d'optimaliser chacune d'entre elles.

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Messagepar Faun » 30 mai 2008, 02:41

Louisa a écrit :Tu peux le croire, ce n'était pas l'idée de Spinoza, qui a consacré des années à écrire le TP, qui justement traite de comment le mieux gouverner les hommes, sachant que de différentes alternatives existent, et qu'il y a moyen d'optimaliser chacune d'entre elles.


Même les hommes les plus intelligents font des erreurs. Ce vieux fantasme de Moïse qui rêvait en Spinoza.

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Messagepar Louisa » 30 mai 2008, 12:28

A Faun,

on peut bien sûr ne pas partager les idées de Spinoza. Je n'étais pas en train de le "défendre" (évaluation de sa pensée), je voulais juste que l'on soit d'accord sur ce qu'il dit (interprétation de sa pensée).

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Messagepar sescho » 30 mai 2008, 20:34

davdav a écrit :Honnêtement, j'ai du mal avec le parallèle que vous établissez avec le bouddhisme qui me renvoie toujours, culture philosophique occidentale oblige, à Schopenhauer et à son pessimisme.

Je n'ai pas une connaissance assez étendue de Schopenhauer pour commenter finement son œuvre, mais ce qui est sûr selon moi, bien que je ne sois qu'un amateur dans le domaine, c'est que le Bouddhisme n'est pas pessimiste en lui-même (lui qui parle par exemple de libération de la souffrance, d'effort joyeux, de vigueur spirituelle, de compassion, etc.) En revanche il est assez direct dans ses fondements philosophiques... Certaines formulations voire approches me semblent cependant de nature à rebuter l'esprit formaté à l'occidentale - en particulier il manque parfois selon moi dans certains commentaires "de Parménide dans l'Héraclite" (autrement dit de référence à l'Être, Dieu la Nature, face à l'impermanence et l'interdépendance, qui sont cela dit des réalités) et tous les termes rendus par "néant" ou "vide" tendent selon moi à l'offusquer - mais ce qui est certain c'est qu'il n'y a fondamentalement qu'une seule Philosophie morale, parce qu'il n'y a qu'une loi de la Sagesse ultime. Par ailleurs, Desjardins dit que l'Orient a produit des grand sages comme l'Occident des sportifs de haut niveau et notre vanité dût-elle en souffrir, cela semble bien être vrai. Comme dit, Spinoza fait cas ici, à son honneur. Autrement dit, s'il est un domaine de Philosophie - et c'est par nature de loin le plus important à mon avis - qui ne peut se passer de regarder vers l'Orient, c'est bien celui-là. Mais encore une fois, il n'y a qu'une seule loi de la Sagesse. Autour de cela, on peut discuter ; mais pas juger sans travailler. Les auteurs profonds "orientalo-occidentaux" dans un sens ou l'autre sont alors les aides les plus précieux, et aussi notre bon Spinoza (qui entre peut-être indirectement dans ce cadre, d'ailleurs.)

davdav a écrit :De plus, je ne pense pas que l'amour intellectuel de Dieu se pense sous le rapport de l'engloutissement ou de l'amour fusion si vous préférez.
Non, je pense que l'amour ou le 3e genre reste une connaissance des rapports mais d'un autre ordre, un ordre intuitif, un devenir actif mais immédiat ;
De toute façon, nous sommes dans le cadre d’une ontologie de la relation.
L’amour intellectuel de dieu est un autre type de relation avec le tout.

Comme déjà dit, le sujet est délicat, et je ne suis pas sûr qu'un être pas encore accompli puisse vraiment répondre. Certes un mode est en quelque chose distinct d'un autre mais sa relation à Dieu est avec sa cause immanente. Le terme de "relation" commence selon moi dans ce cadre à perdre de son sens originel. En tant que nous connaisssons clairement et distinctement nous sommes une partie de l'entendement divin ; l'amour intellectuel pour Dieu est une partie de l'amour intellectuel qu'il se porte à lui-même, etc.

davdav a écrit :Mais, il reste toujours quelque chose de la séparation ontologique. Le mode reste un mode. Je suis un fragment de Dieu et j’aime en Dieu, ce qui est la béatitude. Je suis et me comprend ainsi que n’importe qui comme partie d’une totalité divine. Je n’ai donc pas d’extérieur en tant que tel mais je ne reste qu’un mode. A mon avis, mais ma lecture est toute, toute fraîche.

Je me sens assez en accord avec cela. Un mode est une manière d'être de la Substance cependant. Il s'agit de particulier DANS l'universel.

Je crois que je vais réserver ma réponse jusqu'à ce que, si cela doit arriver, je vive dans la béatitude... ;-)


davdav a écrit :... il y a une question pratique que j’aimerai poser.
Imaginons que je vienne de croiser un imbécile qui m’a traité avec mépris, j’ai nécessairement et de manière géométrique éprouvé une belle haine à son égard, d’où un affect de tristesse et une diminution de ma puissance d’être de penser et d’agir. Comment transformer cet affect en affect positif, comment ne pas avoir l’imbécile en haine.
SVP . Merci.

L'imbécile l'est en vertu de lois de la Nature, comme tout, et il cherche le bonheur, le sens même de sa vie, comme tous les hommes, même si c'est de la plus mauvaise façon. Cela suffit, je pense...


Amicalement


Serge
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Messagepar davdav » 30 mai 2008, 22:20

Bonsoir Serge,
Merci de votre réponse.
En ce qui concerne Schopenhauer, disons en simplifiant qu'il amène l’idée d’une substance unique « la volonté » dont les modes s’entre déchirent dans la phénoménalité, (qui n’est qu’une pure et simple apparence), et cela en se fondant sur une lecture totalement délirante de Kant.
Le salut réside dans l’art qui est comme la véritable théorie de la connaissance car elle permet de voir derrière le voile de Maya, et dans l’extinction de la volonté phénoménale.
Il y a un pessimisme car l’homme en tant que mode ou individu est séparé de la substance et est, en tant que mode séparé par le filtre de l’instinct de survie, absolument mauvais. L’autre est mauvais, le monde est mauvais, la volonté individuelle est mauvaise, l’intelligence est égoïste, etc, etc…
Le salut réside dans l’extinction de l’individu, de son égo particulier et égoiste. C’est ce qu’il appelle le nirvana c'est ce fondre dans la volonté unique. C'est un amour fusion dans lequel cesse la séparation et l'aveuglement et l'égoïsme qui causaient l'entredechirement phénoménal des modes de la même substance..
Je ne pense pas qu’il en soit de même pour Spinoza.
Car je pense que l’on est, d’une part, comme dira Nietzsche, Par Delà Bien et Mal et d’autre part, parce que le mode est une essence éternelle singulière et non une apparence phénoménale particulière.
La distinction spinoziste durée/éternité ne me semble par recouvrir celle de Schopenhauer entre l'apparence et la chose en soi ou "la Volonté".

Ensuite,vous dites:
"mais ce qui est certain c'est qu'il n'y a fondamentalement qu'une seule Philosophie morale, parce qu'il n'y a qu'une loi de la Sagesse ultime."
Je suis totalement d'accord avec cela, mais je dirai en outre que la sagesse se conjugue différemment au particulier et au singulier.


Amicalement

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Messagepar davdav » 31 mai 2008, 12:18

Louisa a écrit :
Faun a écrit :Oui, c'est à dire fuir, car ils sont trop nombreux.


nous avons déjà eu cette discussion. Spinoza répond à ce reflexe de fuite:

Spinoza E4 ch.14 a écrit :
(...) il suit pourtant de leur société commune plus d'avantages que de dommages. Il vaut donc mieux supporter leurs offenses d'une âme égale, et consacrer tout son zèle à ce qui contribue à installer concorde et amitié.


ne pas fuire mais aider les "imbéciles" (qui par définition ne pourront pas s'aider eux-mêmes), voici ce que désire celui qui s'est lancé dans les exercices de l'E5, qui a compris la mécanique des affects. Fuire n'est rien d'autre, selon Spinoza (ch.13) que d'avoir "l'âme trop impatiente" et d'éprouver un "faux zèle de religion".

Enfin, y voir des "imbéciles" c'est déjà les mépriser, c'est déjà occuper son Esprit par la contemplation des vices des gens. C'est cela qui rend "malheureux". Celui qui s'est un peu entraîné dans les remèdes aux affects, "très vite", nous dit Spinoza, se concentre sur les vertus des gens. Fuire "les imbéciles" est par conséquent une réaction inadéquate, basée sur une idée adéquate, bref une passion, un acte issu de l'imagination plutôt que de la connaissance claire et distincte de ce que c'est que la société humaine.



Bonjour louisa,

Merci pour la qualité de ta réponse.
Je ne suis pas convaincu que reconnaître l'imbécile comme tel soit une idée inadéquate. Je ne pense pas qu'il s'agit là d'un jugement de valeur, qui pointerai une négativité ou un manque.
C’est discutable.
Reconnaître un imbécile ou plutôt un ignorant (notion qui semble moins négativement marquée) est-ce un affect négatif en lui-même ?
Je ne le pense pas, à moins bien sûr s'il devient une attitude défensive réflexe pathologique et donc absolument passive.
La remarque de Faun sur les lignes de fuite me semble justifiée.
Car il y a toute une thérapeutique de l'usage et de la réparation ou préservation des forces.
( D'ailleurs, cette idée du conatus comme fondamentalement conservation de soi fut critiqué par celui qui se déclara de lui: Nietzsche.)
Avant de parler du devenir actif c’est à dire de l’activité dans l’affectivité E4 et E5, Spinoza commence par traiter en E4 de l’impuissance c'est-à-dire de la passivité de l’affectivité qui reste fondamentale.
« Je crois avoir expliqué par ce qui précède pourquoi les hommes sont plus touchés par l'opinion que par la raison, pourquoi la connaissance vraie du bien et du mal ébranle notre âme, et pourquoi enfin elle cède souvent à toute espèce de passion mauvaise. C'est ce qui fait dire au poète : Je vois le meilleur, je l'approuve, et je fais le pire. Et la même pensée semble animer l'Ecclésiaste, quand il dit : Qui augmente sa science augmente ses douleurs. Je ne prétends point conclure de là qu'il soit préférable d'ignorer que de savoir, ni que l'homme intelligent et l'homme stupide soient également capables de modérer leurs passions. Je veux seulement faire comprendre qu'il est nécessaire de connaître l'impuissance de notre nature aussi bien que sa puissance, de savoir ce que la raison peut faire pour modérer les passions, et ce qu'elle ne peut pas faire. Or, dans cette quatrième partie, je ne traite que de l'impuissance de l'homme, voulant traiter ailleurs de la puissance de l'homme sur ses passions. » E4, prop 17
« L'effort d'un être pour se conserver est le premier et unique fondement de la vertu. Car aucun autre principe n'est antérieur à celui-là (par la Propos. précéd.), et sans lui (par la Propos. 21, part. 4) aucune vertu ne se peut concevoir. »
Il y a une impuissance originelle chez spinoza. La vertu est donc un devenir actif qui est toujours secondaire et qui est médié par la connaissance.
Dira t-on qu’il y a une négativité originelle ou intérieure par le fait de la primauté de la passivité dans l’affectivité?

Ensuite, comme tu le rappelles fortement et à juste titre, Spinoza écrit qu’il n’y a rien de plus utile que de vivre sous la conduite de la raison et cela est universellement valable ou universellement souhaitable.
« PROPOSITION XLVI
Celui qui vit sous la conduite de la raison s'efforce, autant qu'il est en lui, d'opposer aux sentiments de haine, de colère, de mépris, etc., qu'on a pour lui, des sentiments contraires d'amour et de générosité.
Démonstration : Toutes les passions qui proviennent de la haine sont mauvaises (par le Coroll. 1 de la précéd. Propos.), et conséquemment, celui qui règle sa vie suivant la raison s'efforce, autant que possible, d'écarter de soi les passions haineuses (par la Propos. 19, part. 4), et de les écarter de l'âme d'autrui (par la Propos. 37, part. 4). Or, la haine s'augmente par une haine réciproque, et au contraire, elle peut être étouffée par l'amour (en vertu de la Propos. 43, part. 3), de telle sorte que la haine se change en amour (par la Propos. 44, part. 3). Ainsi donc, celui qui vit selon la raison s'efforce d'opposer aux sentiments de haine, etc., des sentiments d'amour, tels que la générosité, etc. (voyez la Déf. de cette passion au Schol. de la Propos. 59, part. 3). C. Q. F. D.
Scholie : Celui qui veut venger ses injures en rendant haine pour haine ne peut manquer d'être malheureux. Celui au contraire qui s'efforce de combattre la haine par l'amour trouve dans ce combat la joie et la sécurité. Il résiste avec une légale facilité à un seul homme et à plusieurs, et a moins besoin que personne du secours de la fortune. Ceux qu'il parvient à vaincre, il les laisse joyeux, avec une augmentation de force au lieu d'un affaiblissement : toutes choses qui résultent si clairement des seules définitions de l'amour et de l'entendement, qu'il est inutile d'en donner une démonstration spéciale. »

Mais la proposition qui suit traite de « l’espérance » vient rompre tout enthousiasme idéaliste.
Nous ne sommes pas dans une philosophie (de type chrétienne) de l’espérance.

Autrement dit, je ne pense pas non plus que la religion vraie de la piété consiste à "sauver" les imbéciles mais de se sauver de l'imbécillité.
Mais, se sauver soi-même de l’imbécillité sauve un peu de biais l’imbécile car elle rompt le cycle géométrique et passif des affects négatifs.
Il ne faut certes pas s'affliger soi-même dans le regard négatif envers autrui mais cela n'induit pas qu'il faut embellir la réalité ou la sauver.
"Ni rire, ni pleurer mais comprendre"
Donc la sagesse concerne principalement l’individu sage qui se retrouve dans une bonne attitude envers le monde et la autres. La question de la communication de son état d’esprit est problématique lorsque le recours à la connaissance est barré à l’ignorant.
( Tout homme commencant par être un ignorant, peut on penser que tout ignorant est capable de sagesse ?)
C’est pourquoi il y a la religion universelle comme "salut pour les pauvres".
Ainsi, on peut dire que Jésus est la plus haute sagesse car il est capable d’apporter un message universel d’amour à des ignorants. Cette communication est me semble t-il ce qu’il y a de plus difficile.

Honnétement, je ne comprend pas bien la religion de la piété, vous dites "aider l'imbécile", pouvez vous éclairer ma lanterne svp.

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Messagepar Louisa » 31 mai 2008, 23:08

davdav a écrit :Je ne suis pas convaincu que reconnaître l'imbécile comme tel soit une idée inadéquate. Je ne pense pas qu'il s'agit là d'un jugement de valeur, qui pointerai une négativité ou un manque.
C’est discutable.
Reconnaître un imbécile ou plutôt un ignorant (notion qui semble moins négativement marquée) est-ce un affect négatif en lui-même ?
Je ne le pense pas, à moins bien sûr s'il devient une attitude défensive réflexe pathologique et donc absolument passive.


bonjour davdav,

merci de tes réflexions intéressantes.
A mon sens on peut le comparer à l'histoire du "verre à moitié rempli - à moitié vide". Quand on dit de quelqu'un qu'il est un imbécile, vu la charge négative, il s'agit clairement d'un affect mélangé de mépris et donc d'une idée inadéquate. Mais dire de quelqu'un que c'est un ignorant, est-ce du coup équivalent à dire que le verre est à moitié rempli? Je ne le crois pas. De toute façon, percevoir les gens dans ce qu'ils ne savent/peuvent pas, c'est y voir un manque, c'est donc ne pas voir en quoi consiste leur puissance singulière, seule chose capable de faire comprendre leur essence singulière, donc qui ils sont réellement.
Bien sûr, il ne s'agit pas non plus de faire comme si le verre était entièrement rempli, c'est serait certainement tout aussi inadéquat. Je dirais plutôt qu'une manière spinoziste d'aborder l'ignorance (en tant que prof visi-à-vis de ses élèves, par exemple), c'est concevoir quelqu'un dans son désir de connaître, et essayer de satisfaire ce désir. Pour trouver un moyen qui "marche", il faut avant tout très bien comprendre en quoi consiste chez lui ce désir de comprendre, quitte à même voir tous les affects passifs auxquels il est soumis. Mais alors on ne prend ces affects passifs que dans ce qu'ils disent d'affirmatif de lui (quelqu'un en colère affirme bien, d'une certaine façon, un effort pour persévérer dans son être; il se protège contre un danger imaginaire ou réel - maladroitement bien sûr, mais il se protège néanmoins; on peut donc essayer de comprendre POURQUOI il se sent menacé par tel ou tel danger, on peut ensuite essayer de détruire la menace, et ainsi de suite).

davdav a écrit :La remarque de Faun sur les lignes de fuite me semble justifiée.
Car il y a toute une thérapeutique de l'usage et de la réparation ou préservation des forces.


remarquons pourtant que l'idée de fuite n'est jamais mentionnée dans les propositions qui parlent des remèdes aux affects, mais uniquement dans la partie de l'Ethique qui aborde l'impuissance de l'homme. A mon sens Spinoza dit que SI l'on se trouve dans une situation où l'infériorité de notre puissance est manifeste et le contact indubitablement destructeur pour nous, alors la seule chose à faire pour se sauver, c'est fuir. Or éprouver un sentiment de Haine, est-ce déjà se trouver dans un telle situation? Je ne le crois pas. La Haine fait diminuer un peu notre puissance (ce qui ne nous détruit pas), mais la compréhension de cette Haine la fait augmenter de nouveau. Je ne vois pas pourquoi dans ce cas-ci il vaudrait mieux continuer à se concentrer sur l'idée d'une cause extérieure (ce qui ne permet en rien de surmonter la Haine; on reste donc avec la même diminution de puissance même après la fuite), puis fuir cette cause extérieure, au lieu de résoudre effectivement le problème. Certes, il y a peut-être des cas intermédiaires, où la seule façon d'éloigner la cause extérieure de notre Esprit, c'est d'éloigner notre Corps de cette cause. Mais dire que LE remède aux affects, c'est la fuite, cela me semble être erronné.

davdav a écrit :Avant de parler du devenir actif c’est à dire de l’activité dans l’affectivité E4 et E5, Spinoza commence par traiter en E4 de l’impuissance c'est-à-dire de la passivité de l’affectivité qui reste fondamentale.


certes, Spinoza y utilise le mot "impuissance", et dit qu'il va traiter de l'impuissance de l'homme. Or, le titre de l'E4 n'est tout de même pas "De l'impuissance de l'homme", mais bel et bien "De la force des affects". Et en effet, il y montre bien en quoi l'imagination est une force (vis, force qui nous détermine à faire un tas de choses. Il traite donc moins de la passivité de l'homme que de l'activité de l'imagination, de la puissance des idées inadéquates. C'est en effet ce qu'il faut pour pouvoir comprendre leur mécanisme, compréhension qui s'avérera dans l'E5 être le meilleur remède pour transformer leur force destructive en une puissance constructive (qui d'ailleurs ne relève pas moins de l'affectivité - celle-ci n'est certainement pas uniquement "passivité", sinon la Liberté ne serait pas en même temps la Béatitude ou Joie suprême). Il s'agit moins de nier l'impuissance que de concevoir celle-ci sous l'angle de ce qu'elle affirme, pour essayer d'affirmer davantage encore.

davdav a écrit :Il y a une impuissance originelle chez spinoza. La vertu est donc un devenir actif qui est toujours secondaire et qui est médié par la connaissance.
Dira t-on qu’il y a une négativité originelle ou intérieure par le fait de la primauté de la passivité dans l’affectivité?


on peut le dire, mais à mon sens c'est à l'opposé de ce que dit Spinoza. La passitivé chez lui est avant tout une DIMINUTION d'un degré de puissance, un PASSAGE à un moindre degré. Or il faut bien D'ABORD qu'il y ait un certain degré de PUISSANCE, sinon impossible de concevoir une diminution!

La vertu n'est pas un devenir actif, la vertu est l'essence dans ce qu'elle affirme, dans son activité même, activité actuelle.

davdav a écrit :Ensuite, comme tu le rappelles fortement et à juste titre, Spinoza écrit qu’il n’y a rien de plus utile que de vivre sous la conduite de la raison et cela est universellement valable ou universellement souhaitable.
« PROPOSITION XLVI
Celui qui vit sous la conduite de la raison s'efforce, autant qu'il est en lui, d'opposer aux sentiments de haine, de colère, de mépris, etc., qu'on a pour lui, des sentiments contraires d'amour et de générosité.
Démonstration : Toutes les passions qui proviennent de la haine sont mauvaises (par le Coroll. 1 de la précéd. Propos.), et conséquemment, celui qui règle sa vie suivant la raison s'efforce, autant que possible, d'écarter de soi les passions haineuses (par la Propos. 19, part. 4), et de les écarter de l'âme d'autrui (par la Propos. 37, part. 4). Or, la haine s'augmente par une haine réciproque, et au contraire, elle peut être étouffée par l'amour (en vertu de la Propos. 43, part. 3), de telle sorte que la haine se change en amour (par la Propos. 44, part. 3). Ainsi donc, celui qui vit selon la raison s'efforce d'opposer aux sentiments de haine, etc., des sentiments d'amour, tels que la générosité, etc. (voyez la Déf. de cette passion au Schol. de la Propos. 59, part. 3). C. Q. F. D.
Scholie : Celui qui veut venger ses injures en rendant haine pour haine ne peut manquer d'être malheureux. Celui au contraire qui s'efforce de combattre la haine par l'amour trouve dans ce combat la joie et la sécurité. Il résiste avec une légale facilité à un seul homme et à plusieurs, et a moins besoin que personne du secours de la fortune. Ceux qu'il parvient à vaincre, il les laisse joyeux, avec une augmentation de force au lieu d'un affaiblissement : toutes choses qui résultent si clairement des seules définitions de l'amour et de l'entendement, qu'il est inutile d'en donner une démonstration spéciale. »

Mais la proposition qui suit traite de « l’espérance » vient rompre tout enthousiasme idéaliste.
Nous ne sommes pas dans une philosophie (de type chrétienne) de l’espérance.


tout à fait d'accord. Je crois que cette proposition répond très bien à ta question de départ: comment combattre la Haine, la Haine que l'on ressent soi-même, et la Haine chez l'autre?

davdav a écrit :Autrement dit, je ne pense pas non plus que la religion vraie de la piété consiste à "sauver" les imbéciles mais de se sauver de l'imbécillité.


Pourtant, dans le passage que tu cites il dit littéralement les deux:

" (...) celui qui règle sa vie suivant la raison s'efforce, autant que possible, d'écarter de soi les passions haineuses (par la Propos. 19, part. 4), et de les écarter de l'âme d'autrui (par la Propos. 37, part. 4).
(...)
Ceux qu'il parvient à vaincre, il les laisse joyeux, avec une augmentation de force au lieu d'un affaiblissement : toutes choses qui résultent si clairement des seules définitions de l'amour et de l'entendement, qu'il est inutile d'en donner une démonstration spéciale.
".

Provoquer chez celui qui haît une augmentation de force c'est-à-dire une Joie, qui lui permet de comprendre davantage au lieu de subir de la Haine, fait tout autant partie du "programme affectif" que de surmonter la Haine chez soi-même.

davdav a écrit :Mais, se sauver soi-même de l’imbécillité sauve un peu de biais l’imbécile car elle rompt le cycle géométrique et passif des affects négatifs.


en effet, on a également cet effet indirect, on rompt avec l'imitation d'affects passifs.

davdav a écrit :Donc la sagesse concerne principalement l’individu sage qui se retrouve dans une bonne attitude envers le monde et la autres. La question de la communication de son état d’esprit est problématique lorsque le recours à la connaissance est barré à l’ignorant.
( Tout homme commencant par être un ignorant, peut on penser que tout ignorant est capable de sagesse ?)


si amener un ignorant à la sagesse était impossible, toutes nos tentatives pédagogiques dans la société devraient être inutiles. Personne n'est un ignorant total, puisque tout ce qui existe se définit par un degré de puissance, aussi petit soit-il. C'est sur cette puissance qu'il faut s'appuyer pour pouvoir faire accéder l'autre à une plus grande compréhension "de soi, des choses et de Dieu". Ensuite, dès qu'il a compris quelque chose, sa puissance augmente, et par là même il pourra comprendre plus facilement par lui-même d'autres choses.

On ne pourra peut-être jamais faire de quelqu'un qui a une toute petite puissance un véritable sage spinoziste, mais si le but est de remédier aux affects de Haine, TOUTE diminution de la Haine, aussi petite qu'elle soit, est importante et en vaut la peine.

davdav a écrit :C’est pourquoi il y a la religion universelle comme "salut pour les pauvres".


en effet; chez ceux qui sont tellement soumis aux causes extérieures que jamais il ne leur est permis de vraiment comprendre pas mal de choses, on peut utiliser la force de l'imagination pour qu'ils adoptent eux aussi les règles de vie nécessaires pour atteindre le salut. Seulement, Spinoza dit que ce genre de salut, la raison ne pourra le prouver, ce n'est que la Révélation qui nous l'assure.

davdav a écrit :Ainsi, on peut dire que Jésus est la plus haute sagesse car il est capable d’apporter un message universel d’amour à des ignorants. Cette communication est me semble t-il ce qu’il y a de plus difficile.


la plus haute sagesse ... dans le domaine purement moral. Dans le domaine spéculatif ou le domaine de la connaissance des choses naturelles, il ne disposait pas d'un savoir plus grand que n'importe qui d'autre.

Sinon je crois aussi que cette communication est assez difficile. Déjà, il faut commencer à surmonter chez soi-même la Haine que provoque inévitablement, au début, tout contact un peu prolongé avec un ignorant. Puis il faut accepter le fait qu'on ne l'amènera pas à une transformation immédiate ou très rapide, et qu'il va falloir y aller pas à pas. On ne peut donc espérer que la tâche se termine aussitôt commencée, comme si "un peu d'amour" suffisait déjà. Enfin, je crois qu'il s'agit beaucoup moins de faire passer un "message d'amour", que de réellement aimer, au sens spinoziste du terme, c'est-à-dire de réellement réussir à aborder cette personne comme une source d'augmentation de sa propre Joie. Non pas en tant que cette personne, éventuellement, est un "beau résultat" de notre travail pédagogique, mais en tant qu'elle est aujourd'hui, ignorante, ou plutôt, en tant qu'elle a déjà un degré de puissance et donc, de ce point de vue, est déjà "du Dieu", me fait connaître Dieu d'une autre façon encore, donc me fait avancer dans l'union par la connaissance avec la nature entière.

davdav a écrit :Honnétement, je ne comprend pas bien la religion de la piété, vous dites "aider l'imbécile", pouvez vous éclairer ma lanterne svp.


je ne peux que te dire ce que j'en ai compris moi-même pour l'instant, mais voici donc en quoi pourrait consister à mes yeux cette "vraie religion" spinoziste. Elle nous relie littéralement toujours davantage à Dieu, tandis qu'aimant toujours plus de choses et d'êtres humains, elle provoque par là même également une augmentation de puissance (et donc d'union avec la nature) chez les autres.
Mais bon ... peut-être que tout cela finalement te semble demeurer assez vague?


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