Le christ et le 3e genre

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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davdav
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Le christ et le 3e genre

Messagepar davdav » 24 mai 2008, 12:34

Bonjour à tous,
Je viens de découvrir ce site et je n'imaginai pas qu'il puisse y avoir un forum spinoziste. Je m'intéresse à Spinoza sans être non plus un expert.
La question qui m interroge particulièrement est celle du rapport entre le christ et le 3e genre de connaissance dont il semble être le modèle comme le dépositaire d'un secret du sage.
Merci pour vos réponses.
Cordialement

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Messagepar sescho » 26 mai 2008, 21:59

Hé bien je crois qu'il y a tout à voir...

Entendu que la connaissance du troisième genre s'applique à ce qui est le plus grand accessible, au premier chef Dieu-la Nature comme substance dans laquelle est tout mode, lequel ne peut être véritablement connu, donc, qu'en tant que mode de cette substance, son idée impliquant l'idée de sa cause.

La connaissance du troisième genre est la pure conscience, non verbalisée, intemporelle, éternelle, de la Nature - de l'Être - et de ses lois.

"Christ" dénomme l'homme réalisé, comme "Bouddha." Il n'y a qu'une conscience supérieure. Arnaud Desjardins et Eckhart Tolle montrent que le bouddhisme, le védanta, ... et l'enseignement de Jésus (bien compris, ce qui suppose de décoder proprement les paraboles) disent la même chose. Krishnamurti et Spinoza aussi. Notre bon Spinoza a rationalisé la chose, mais plus selon moi en stoïcien qu'en péripatéticien, et plus pour faire l'exercice à notre place que pour nous inviter à le prolonger sans fin. Il est une expression - un cas sur plusieurs siècles en Occident -, je pense, de la Sagesse universelle.


Cordialement


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Messagepar davdav » 27 mai 2008, 01:39

Merci de votre réponse.
Vous dites "Il est une expression - un cas sur plusieurs siècles en Occident -, je pense, de la Sagesse universelle. "
Je ne pense pas qu'il soit "un cas" mais LE cas.
A ma connaissance, Spinoza ne parle pas de Bouddha.
Dans le ttp, il écrit: "Je dis donc qu’il faut entendre de la sorte tous les prophètes qui ont prescrit des lois au nom de Dieu ; mais tout ceci n’est point applicable au Christ. Il faut admettre en effet que le Christ, bien qu’il paraisse, lui aussi, avoir prescrit des lois au nom de Dieu, comprenait les choses dans leur vérité d’une manière adéquate. Car le Christ a moins été un prophète que la bouche même de Dieu. C’est par l’âme du Christ (nous l’avons prouvé au chap. Ier) que Dieu a révélé au genre humain certaines vérités, comme il avait fait auparavant aux Juifs par l’intermédiaire des anges, par une voix créée, par des visions, etc. Et il serait aussi déraisonnable de prétendre que Dieu accommoda ses révélations aux opinions du Christ, que de soutenir que dans les révélations antérieures accordées aux prophètes il accommoda sa parole aux opinions des anges qui lui servaient d’intermédiaires, c’est-à-dire aux opinions d’une voix créée ou d’une vision, ce qui est bien la chose du monde la plus absurde. Ajoutez à cela que le Christ n’a pas été envoyé pour les seuls Hébreux, mais bien pour tout le genre humain ; d’où il suit qu’il ne suffisait pas d’accommoder ses pensées aux opinions des Juifs, il fallait les approprier aux opinions et aux principes qui sont communs à tout le genre humain, en d’autres termes, aux notions universelles et vraies. Maintenant que peut-on entendre en disant que Dieu s’est révélé au Christ ou à l’âme du Christ d’une façon immédiate, et non pas, comme il faisait aux prophètes, par des paroles et des images, sinon que le Christ a conçu les choses révélées dans leur vérité, ou autrement, qu’il les a comprises ? Car comprendre une chose, c’est la concevoir par la seule force de l’esprit pur, sans paroles et sans images.
C’est donc un principe bien établi que Jésus-Christ a conçu la révélation divine en elle-même et d’une manière adéquate. Maintenant, pourquoi l’a-t-il présentée sous la forme d’une loi ? Je réponds que ç’a été pour se proportionner à l’ignorance et à la grossièreté du peuple. Et en agissant ainsi, Jésus-Christ a rempli le rôle de Dieu, puisque, à l’exemple de Dieu, il s’est mis à la portée du vulgaire"

On ne peut douter que le christ était pour Spinoza le modèle du 3e genre de connaissance car il dit "la bouche" même de Dieu.
Qu'il y en ai d'autres, c'est fort possible.
Mais la question qui se pose est celle de la communication des valeurs entre les modes qui varient en intensités et en vitesse ou en genre de connaissance.
La question est celle de la langue du 3e genre.
Que Spinoza le décrive more geometrico ne prouve nullement que sa langue soit celle de la rationalité.
En tout cas, on peut remarquer qu'il ne coupe pas le cordon d'avec la doctrine chrétienne de l'amour en dieu. Que la conception de Dieu soit différente n'enlève pas l'idée que la communion se situe du point de vue de l'éternité.
c'est pourquoi, j'ai pu lire que le plan d'immanence spinoziste annonçait le corps sans organes c'est a dire le corps universel immanent qui se substitue au corps mystique.
La substance ou le cso comme en deçà du temps relatif.
Plus généralement, la question que je me pose est celle du rapport intérieur/extérieur chez Spinoza du 1er genre de connaissance jusqu'à la libération et la béatitude.
Peut on parler d'une abolition de l'intériorité dans le 3e genre? Cela me semble difficile car alors se pose la question du "qui" de la béatitude.


Cordialement

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Messagepar sescho » 27 mai 2008, 21:19

davdav a écrit :Vous dites "Il est une expression - un cas sur plusieurs siècles en Occident -, je pense, de la Sagesse universelle. "
Je ne pense pas qu'il soit "un cas" mais LE cas.
A ma connaissance, Spinoza ne parle pas de Bouddha.

C'est vrai mais Christ signifie "oint" et Bouddha, "éveillé." Il n'y a fondamentalement aucune différence entre les deux. De même que tout le monde peut (potentiellement) être Bouddha - et porte l'être de Bouddha en lui - tout le monde peut être Christ - et porte l'être de Christ en lui. Il n'y a aucune personnification là-dedans, autrement que générique. Mais même si c'est très peu il y a toujours eu des incarnations Bouddha-Christ sur Terre, des Verbes (loi de la sagesse ultime) incarnés. Tous n'ont pas eu l'audience de Jésus, cependant, et c'est vrai qu'en Occident, on en a repéré peu d'autres que Spinoza.

davdav a écrit :... la question qui se pose est celle de la communication des valeurs entre les modes qui varient en intensités et en vitesse ou en genre de connaissance.
La question est celle de la langue du 3e genre.
Que Spinoza le décrive more geometrico ne prouve nullement que sa langue soit celle de la rationalité.

Selon moi, la connaissance du troisième genre n'a pas de langue à proprement parler : elle est non verbalisée. Science intuitive, vision pénétrante, conscience claire, supérieure, instantanée et donc intemporelle, ... Le more geometrico est le deuxième genre, le raisonnement, qui - bien conduit - pointe ce qu'il y a à voir selon le troisième genre, mais ne peut s'y substituer. Dieu-la Nature ne conçoit rien par raisonnement.

davdav a écrit :En tout cas, on peut remarquer qu'il ne coupe pas le cordon d'avec la doctrine chrétienne de l'amour en dieu. Que la conception de Dieu soit différente n'enlève pas l'idée que la communion se situe du point de vue de l'éternité.
c'est pourquoi, j'ai pu lire que le plan d'immanence spinoziste annonçait le corps sans organes c'est a dire le corps universel immanent qui se substitue au corps mystique.
La substance ou le cso comme en deçà du temps relatif.
Plus généralement, la question que je me pose est celle du rapport intérieur/extérieur chez Spinoza du 1er genre de connaissance jusqu'à la libération et la béatitude.
Peut on parler d'une abolition de l'intériorité dans le 3e genre? Cela me semble difficile car alors se pose la question du "qui" de la béatitude.

Ces questions sont délicates. La même "problématique" se retrouve partout, lorsque le particulier se confond avec l'universel, que l'atman réside en brahman, quand l'éveil rend totalement compatibles la vacuité d'existence propre des modes et la compassion envers tous les êtres. Il n'y a plus vraiment d'extérieur et d'intérieur, de sujet et d'objet,... il y a un mode de la Nature qui se vit pleinement comme manière d'être spontanée de la Nature. La réponse vient sans doute avec la béatitude, et pas avant : ceci nous ramène à notre condition réelle, et à l'élucidation de celle-ci...


Cordialement


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Messagepar Faun » 29 mai 2008, 15:57

davdav a écrit :Peut on parler d'une abolition de l'intériorité dans le 3e genre? Cela me semble difficile car alors se pose la question du "qui" de la béatitude.




La béatitude est un affect qui remplit l'univers entier, constamment ("Dieu s'aime lui-même d'un amour intellectuel infini" dit Spinoza, et cet amour intellectuel est le seul à être éternel). La seule question pour l'homme est de sentir cette joie, de l'éprouver, ou pas.
Mais l'abolition de l'intériorité ne se produit chez Spinoza que dans le second genre de connaissance. Le troisième genre retrouve l'idée de soi, en tant que partie de la puissance divine, et oublie le moi du premier genre de connaissance, ce que l'on pourrait appeler le "moi social", qui est voué à la mort.

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Messagepar davdav » 29 mai 2008, 19:53

Bonsoir Serge,
Merci de votre réponse.
Honnêtement, j'ai du mal avec le parallèle que vous établissez avec le bouddhisme qui me renvoie toujours, culture philosophique occidentale oblige, à Schopenhauer et à son pessimisme.
De plus, je ne pense pas que l'amour intellectuel de Dieu se pense sous le rapport de l'engloutissement ou de l'amour fusion si vous préférez.
Non, je pense que l'amour ou le 3e genre reste une connaissance des rapports mais d'un autre ordre, un ordre intuitif, un devenir actif mais immédiat ;
De toute façon, nous sommes dans le cadre d’une ontologie de la relation.
L’amour intellectuel de dieu est un autre type de relation avec le tout. Mais, il reste toujours quelque chose de la séparation ontologique. Le mode reste un mode. Je suis un fragment de Dieu et j’aime en Dieu, ce qui est la béatitude. Je suis et me comprend ainsi que n’importe qui comme partie d’une totalité divine. Je n’ai donc pas d’extérieur en tant que tel mais je ne reste qu’un mode. A mon avis, mais ma lecture est toute, toute fraîche.
Ensuite, je ne suis pas sûr que l’éthique spinoziste puisse se comprendre comme le rapport du particulier et de l'universel car la connaissance libératrice permet la compréhension des rapports c'est-à-dire la mise en réseau des modes qui ne sont plus particuliers. Je crois que l'on se situe comme chez Leibniz dans du singulier.

Cher Faun,

Vous dites : « Mais l'abolition de l'intériorité ne se produit chez Spinoza que dans le second genre de connaissance. Le troisième genre retrouve l'idée de soi, en tant que partie de la puissance divine, et oublie le moi du premier genre de connaissance, ce que l'on pourrait appeler le "moi social", qui est voué à la mort. »
J’aime bien cette idée du « Moi social » car elle renvoie à Bergson, et à la superficialité de l’égo dans une société de rapports extrinsèques, une société de marchandise…
Mais, j’avoue que je ne comprends pas bien votre expression « l'abolition de l'intériorité ne se produit chez Spinoza que dans le second genre de connaissance. »
Ensuite, il y a une question pratique que j’aimerai poser.
Imaginons que je vienne de croiser un imbécile qui m’a traité avec mépris, j’ai nécessairement et de manière géométrique éprouvé une belle haine à son égard, d’où un affect de tristesse et une diminution de ma puissance d’être de penser et d’agir. Comment transformer cet affect en affect positif, comment ne pas avoir l’imbécile en haine.
SVP . Merci.


Bien cordialement.

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Messagepar Faun » 29 mai 2008, 20:04

davdav a écrit :Mais, j’avoue que je ne comprends pas bien votre expression « l'abolition de l'intériorité ne se produit chez Spinoza que dans le second genre de connaissance. »


C'est que le second genre de connaissance concerne uniquement des notions communes, des enchaînements constants qui ne concernent pas les modes à proprement parler, mais décrivent les rapports entre les modes. C'est un monde de pures relations dans l'infini, sans sujets ni individus, d'où l'abolition du moi qui en découle pour ceux qui vivent dans ce genre de connaissance là.

Ensuite, il y a une question pratique que j’aimerai poser.
Imaginons que je vienne de croiser un imbécile qui m’a traité avec mépris, j’ai nécessairement et de manière géométrique éprouvé une belle haine à son égard, d’où un affect de tristesse et une diminution de ma puissance d’être de penser et d’agir. Comment transformer cet affect en affect positif, comment ne pas avoir l’imbécile en haine.
SVP . Merci.


C'est impossible. Si vous avez lu Deleuze, comme cela semble clair, pensez aux lignes de fuite...

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Messagepar Louisa » 29 mai 2008, 21:48

davdav:
Citation:
Ensuite, il y a une question pratique que j’aimerai poser.
Imaginons que je vienne de croiser un imbécile qui m’a traité avec mépris, j’ai nécessairement et de manière géométrique éprouvé une belle haine à son égard, d’où un affect de tristesse et une diminution de ma puissance d’être de penser et d’agir. Comment transformer cet affect en affect positif, comment ne pas avoir l’imbécile en haine.
SVP . Merci.

Faun:
C'est impossible. Si vous avez lu Deleuze, comme cela semble clair, pensez aux lignes de fuite...


désolée Faun, mais dire que selon Spinoza c'est impossible de transformer un Affect passif tel que la Haine en Affect positif, c'est faire comme si l'Ethique ne contenait pas de 4e et 5e partie ... . Comment Spinoza pourrait-il accorder une si grande importance à ce qu'il appelle ses "remèdes aux Affects" s'il ne pouvait pas nous dire comment passer de la Haine à la Joie .. ?? Ce passage est le prototype même de tout remède aux Affects.

Dès la deuxième proposition de l'Ethique 5, nous sommes en plein dans cette problématique: "Si nous éloignons une émotion de l'âme, autrement dit un affect, de la pensée d'une cause extérieure, et la joignons à d'autres pensées, alors l'Amour et la Haine à l'égard de la cause extérieure, ainsi que les flottements d'âme qui naissent de ces affects, seront détruits."

Après (propositions 3 etc) il continue sans cesse de préciser en quoi consiste ce remède, comment arriver à joindre l'affect à d'autres pensées et ainsi de suite. Bref, TOUT le 5e livre répond EXPLICITEMENT au problème posé par davdav. Réussir à détruire SOI-MÊME sa propre Haine est au coeur même du spinozisme.

Dans l'exemple ci-dessus: je rencontre un imbécil qui me traite de mépris, je l'ai en Haine. C'est en effet une "loi" des affects que de réagir ainsi. Du moins dans le cas où notre puissance de penser/agir n'est pas encore très grande, et que nous succombons rapidement et facilement aux Affects passifs. Spinoza nous dit donc deux choses:
1) essayez de faire un maximum d'exercices pratiques pour que, QUAND une situation potentielle de Haine se présente, celle-ci ne se produise pas
2) une fois que la Haine est là, vous pouvez vous en débarrassez, c'est prouvé more geometrico!

Commençons par la deuxième méthode. L'imbécile m'a croisé et insulté, je le haïs. Que faire? Simplement réfléchir. Se demander: c'est quoi la Haine? La Haine est une Tristesse qu'accompagne l'idée d'une cause extérieure. Ici, il s'agit de l'idée de l'imbécile. Qu'a-t-il fait? Il m'a méprisé. Deuxième question: qu'est-ce que le mépris? C'est le fait de faire moins de cas qu'il n'est juste de quelqu'un. Bref, en me méprisant, cet imbécile s'est clairement trompé concernant mon essence à moi (c'est d'ailleurs la raison pour laquelle spontanément on l'appelle un imbécile). Premier constat: je ne dois pas commencer à me mettre en question moi-même, à douter de ma puissance/valeur, car celui qui méprise de toute façon n'a rien compris. C'est déjà un premier soulagement que de se rendre compte de cela.

Mais Spinoza va plus loin. Car ici on s'est concentré encore sur la cause extérieure (l'imbécile). Mais ce qui aide mieux encore, c'est de se concentrer avant tout sur soi-même, d'essayer de comprendre ce qui se passe en soi-même quand on ressent de la Haine. Alors on écarte carrément l'idée d'une cause extérieure de ma Tristesse, et on se demande pourquoi j'ai réagi d'une telle façon, pourquoi je ressens de la Haine. Si l'on pense au fait qu'il s'agit d'une simple "loi géométrique", déjà on peut essayer de ne pas se sentir trop "coupable": il était déterminé de toute éternité qu'ici aujourd'hui j'allais passer par un Affect de Haine. Mais cette Haine dit aussi quelque chose de plus précis sur qui je suis: apparemment je n'ai pas encore sous la main la bonne méthode pour, dans de tels cas, ne pas réagir par la Haine. Cela, c'est très bon à savoir, car cela veut dire qu'il vaut mieux que je m'y applique un peu plus, que je m'occupe davantage de la méthode préventive.

En quoi consiste la prévention de la Haine (toujours chez soi-même)? Le scolie de l'E5P4 et E5P10 le disent. Il s'agit avant tout de bien se connaître soi-même et ses affects, car cette connaissance en tant que telle, étant adéquate, nous procurera de la Joie, c'est-à-dire une augmentation de notre puissance, c'est-à-dire une meilleure résistance contre les Affects passifs. Puis il faut aussi s'employer à connaître maximalement "la Nature". Il faut développer le "réflexe" d'un troisième genre de connaissance, c'est-à-dire de la faculté de voir immédiatement l'essence singulière des personnes que l'on rencontre sur notre chemin. Cette essence singulière nous dit quelle est leur puissance à eux, c'est-à-dire en quoi eux aussi, avec le comportement qu'ils ont et les bêtises qu'ils font, étaient nécessaires et déterminés de toute éternité à se comporter ainsi. Les considérer non pas comme libre (= se dire qu'ils auraient très bien pu être un peu plus gentils à notre égard, se fâcher parce qu'on croit qu'ils avaient tout à fait le choix de se comporter autrement), mais comme nécessaires et déterminés, cela en tant que tel fait déjà diminuer l'Affect de la Haine (E5P5).

S'en suit toute une série d'exercices pour diminuer la puissance d'Affects négatifs (E5-E10; notamment le fait qu'il faut s'entraîner à ne jamais penser aux vices des gens, à ne pas les mépriser etc.). Si on s'y emploie un peu, alors, nous dit l'E5P10 sc. explicitement: "(...) alors l'offense, autrement dit la HAINE qui en naît habituellement, occupera une part minime de l'imagination, ET SERA FACILE A SURMONTER (...)".

La suite de l'E5 continue à expliciter des remèdes, mais la conclusion de ce scolie en résume déjà bien le contenu:

"Qui donc s'emploie, et par seul amour de la Liberté, à maîtriser ses affects et ses appétits, et s'efforcera, autant qu'il le peut, de connaître les vertus et leurs causes, et de s'emplir l'âme du contentement qui naît de leur vraie connaissance; et de contempler le moins possible les vices des hommes, ainsi que de dénigrer les hommes et de tirer contentement d'une fausse espèce de liberté. Et qui observera diligemment cela (ET EN EFFET CE N'EST PAS DIFFICILE) et s'y exercera, oui, EN TRES PEU DE TEMPS il pourra diriger la plupart de ses actions sous l'empire de la raison".

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Messagepar Faun » 29 mai 2008, 23:12

Louisa a écrit :"diriger la plupart de ses actions sous l'empire de la raison".


Oui, c'est à dire fuir, car ils sont trop nombreux.

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Messagepar Louisa » 29 mai 2008, 23:27

Faun a écrit :Oui, c'est à dire fuir, car ils sont trop nombreux.


nous avons déjà eu cette discussion. Spinoza répond à ce reflexe de fuite:

Spinoza E4 ch.14 a écrit :
(...) il suit pourtant de leur société commune plus d'avantages que de dommages. Il vaut donc mieux supporter leurs offenses d'une âme égale, et consacrer tout son zèle à ce qui contribue à installer concorde et amitié.


ne pas fuire mais aider les "imbéciles" (qui par définition ne pourront pas s'aider eux-mêmes), voici ce que désire celui qui s'est lancé dans les exercices de l'E5, qui a compris la mécanique des affects. Fuire n'est rien d'autre, selon Spinoza (ch.13) que d'avoir "l'âme trop impatiente" et d'éprouver un "faux zèle de religion".

Enfin, y voir des "imbéciles" c'est déjà les mépriser, c'est déjà occuper son Esprit par la contemplation des vices des gens. C'est cela qui rend "malheureux". Celui qui s'est un peu entraîné dans les remèdes aux affects, "très vite", nous dit Spinoza, se concentre sur les vertus des gens. Fuire "les imbéciles" est par conséquent une réaction inadéquate, basée sur une idée adéquate, bref une passion, un acte issu de l'imagination plutôt que de la connaissance claire et distincte de ce que c'est que la société humaine.


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