davdav a écrit :En ce qui concerne Schopenhauer, disons en simplifiant qu'il amène l’idée d’une substance unique « la volonté » dont les modes s’entre déchirent dans la phénoménalité, (qui n’est qu’une pure et simple apparence), et cela en se fondant sur une lecture totalement délirante de Kant.
Le salut réside dans l’art qui est comme la véritable théorie de la connaissance car elle permet de voir derrière le voile de Maya, et dans l’extinction de la volonté phénoménale.
Il y a un pessimisme car l’homme en tant que mode ou individu est séparé de la substance et est, en tant que mode séparé par le filtre de l’instinct de survie, absolument mauvais. L’autre est mauvais, le monde est mauvais, la volonté individuelle est mauvaise, l’intelligence est égoïste, etc, etc…
Le salut réside dans l’extinction de l’individu, de son égo particulier et égoiste. C’est ce qu’il appelle le nirvana c'est ce fondre dans la volonté unique. C'est un amour fusion dans lequel cesse la séparation et l'aveuglement et l'égoïsme qui causaient l'entredechirement phénoménal des modes de la même substance..
Un peu caricatural, mais c'est bien le Bouddhisme que l'on sent décrit là. On peut préférer l'approche du Védanta, qui parle plus nettement comme Spinoza de libérer, de la fumée qu'est le Mental incontrôlé, l'atman résidant en brahman, et le Bouddhisme est parfois accusé de nihilisme (ce que démentent les grands Maîtres bouddhistes) mais encore une fois Prajnanpad et d'autres Maîtres affirment que Bouddhisme et Védanta disent exactement la même chose, et je ne vois pas bien qui pourrait prétendre les contredire. Il est vrai me semble-t-il malgré tout que le Bouddhisme mahayana insiste parfois tellement sur l'impermanence, l'interdépendance et la vacuité d'existence propre de tous les phénomènes - modes compris - que l'on comprend que certains parlent de nihilisme. Il y "manque" Brahman et le Soi (mais peut-être qu'en "toute extrémité" même cela n'a plus vraiment de sens : il n'y a plus que la conscience parfaite du mode pleinement réalisé dans sa vraie nature de mode.) C'est plus une affaire d'approche que de fond et "la compassion envers tous les êtres" comprend bien "êtres." J'ai même lu un extrait d'un Maître bouddhiste disant que cultiver la seule sagesse (la connaissance de la nature réelle des choses / phénomènes) provoquait un attachement au nirvana (sous-entendu : incomplet) et que les autres paramita (actions droites), associées au samsara, devaient être également réalisées. Un autre a dit en substance : "si tu fais la différence entre le nirvana et le samsara, c'est que tu es dans le samsara..." "Nirvana" signifie même littéralement "extinction", mais dans le bouddhisme originel est souvent ajouté "de la douleur" et par voie de conséquence "de l'ego." Et la nuance n'est pas mince, quoiqu'elle semble faire fréquemment confusion. Cette confusion fait paire avec celle portant sur le sens d'"ego". C'est pourquoi on distingue souvent le "Soi" (le vrai "Je") du "moi" (le faux "je").
La situation est la suivante : par une déformation du Mental, se constitue une vision imaginaire de soi-même et du Monde, que j'appelle pour ma part "ego," prise à tort et fermement pour le vrai soi - qu'elle pollue donc plus ou moins gravement. Celle-ci tend à tout (faussement) substantialiser et spécialement elle-même, c'est-à-dire ici l'ego, le (faux) moi. Elle s'accompagne de ce fait quasiment toujours de la croyance au libre-arbitre (je ne parle pas de ce qui en est dit, mais de ce qui en est vécu) et à la création de valeur / non valeur
ex nihilo par ce faux moi.
Au fond, il ne s'agit que de cela : l'extinction, l'anéantissement du faux moi, l'ego.
Dans ces conditions, dire qu'il y a extinction du mode lui-même, c'est une ânerie en même temps qu'une impossibilité. Mais attention à ne pas perdre l'autre conséquence : la vraie conscience de mode, ce n'est plus l'ego ; c'est très différent.
En passant, ceci me rappelle un message de Faun qui disait que son orgueil était bon car il le protégeait de la destruction. Mais la destruction de quoi ? S'agissant de l'orgueil ce ne peut être que de l'ego, le faux moi. Il est normal que le second protège le premier : c'est la même chose. Mais le salut c'est précisément l'inverse : se libérer et pour cela faire mourir, éteindre, l'ego.
davdav a écrit :Je ne pense pas qu’il en soit de même pour Spinoza.
Comme je viens de le présenter, cela se discute vraiment (il y a un autre fil sur le "moi" chez Spinoza.) Car Spinoza dit que l'homme n'est conforme à sa nature propre que lorsqu'il conçoit les choses clairement et distinctement, et qu'alors il est partie de l'entendement divin éternel. Encore une fois un mode ne peut être conçu proprement qu'en relation avec la Substance, avec présente l'idée de cette cause immanente universelle et éternelle. Qu'est-ce que le "moi" alors ? La conscience d'une limite ?
davdav a écrit :Car je pense que l’on est, d’une part, comme dira Nietzsche, Par Delà Bien et Mal et d’autre part, parce que le mode est une essence éternelle singulière et non une apparence phénoménale particulière.
La problématique du bien et du mal a été discutée à de nombreuses reprises. Ils n'existent pas dans la nature même de la Nature mais traduisent des lois réelles (celle de la béatitude et de ses opposés) régissant les modes que nous sommes. Sinon il n'y aurait pas d'éthique, et donc pas d'
Ethique ; ce mot n'aurait aucun sens. Les hommes aspirent au bonheur et celui-ci n'est nullement automatique ; voilà ce que relativement aux hommes on appelle bien et mal. Seul le sage est et voit le Monde par-delà bien et mal de fait (et non seulement en mots.) Il est alors seulement dans le bien, et ne vit donc plus avec un ego...
davdav a écrit :La distinction spinoziste durée/éternité ne me semble par recouvrir celle de Schopenhauer entre l'apparence et la chose en soi ou "la Volonté".
L'ego est une pure construction mentale ; nous ne sommes donc pas en train de juger de la nature fondamentale des choses, juste de cela.
davdav a écrit :Ensuite,vous dites:
"mais ce qui est certain c'est qu'il n'y a fondamentalement qu'une seule Philosophie morale, parce qu'il n'y a qu'une loi de la Sagesse ultime."
Je suis totalement d'accord avec cela, mais je dirai en outre que la sagesse se conjugue différemment au particulier et au singulier.
Je ne suis pas sûr de saisir toute la nuance de la chose. Pour moi, Spinoza conjugue singulier et particulier lorsqu'il admet les "essences de genre" (ce qui apparaît par exemple lorsqu'il dit que si l'essence d'un homme venait à disparaître, celles de tous les hommes disparaîtraient ; où que quand un homme change d'essence, il ne saurait s'agir de passer à une essence de cheval, ou lorsqu'il dit que la venue à l'existence actualise l'essence.) Comme Platon, Spinoza considère que les essences (Idées, Formes) sont éternelles - et c'est normal puisqu'elles font partie de la Nature, qui est éternelle - et c'est quelque chose qui me semble assez peu bouddhiste (où l'on insiste sur l'impermanence, en tout cas dans le mahayana, et ne dispose pas de Dieu-Nature-Brahman-Tao) mais qu'est-ce exactement qu'une essence de mode distinct ? Car Spinoza pose bien clairement aussi l'interdépendance entre modes (du "samsara"), même s'il parle aussi au sujet d'un mode de "retenir sa nature" (ce qui est assez nettement opposé à la philosophie morale en Orient en général, mais pourrait très bien ne se référer qu'aux grandes lignes de l'essence chez Spinoza : l'essence de genre, ce qui alors lui est compatible. Très probablement même car l'interdépendance implique l'impermanence.)
Mais bon, au-delà de ces réflexions diverses, il reste une question : qu'est-ce que l'essence d'un homme pris isolément, comme mode distinct des autres (ce qui est une base fausse, en fait, dans tous les cas) ?
Spinoza dit plus justement : qu'est-ce qui dans l'homme lui est propre, c'est-à-dire se comprend par sa seule nature ? Il répond : les idées claires et distinctes et elles sont éternelles. Il n'y a plus de moi là-dedans, voire même plus de "Soi" ; c'est le nirvana...
Mais l'homme est quand-même dans le Monde, et ne se conçoit pas entièrement sans les autres modes ; ce n'est pas sa nature propre, mais participe de sa nature quand-même... c'est le samsara (le "vrai", vu comme tel lorsque s'est évanouie la pollution mentale qu'est l'ego.) Nirvana et samsara intimement liés. Nous ne sommes pas loin du Bouddhisme, je pense...
Amicalement
Serge
Connais-toi toi-même.