volonté et entendement: un problème logique

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Messagepar Faun » 30 juil. 2008, 19:21

jvidal a écrit :Pautrat traduit "mode" par "manière".


Dans la démonstration de la proposition 32, comme dans la lettre 12, Spinoza écrit bien : "n'est que".

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Messagepar jvidal » 30 juil. 2008, 19:36

Faun a écrit :
jvidal a écrit :Pautrat traduit "mode" par "manière".


Dans la démonstration de la proposition 32, comme dans la lettre 12, Spinoza écrit bien : "n'est que".


Oui. Et alors?

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Messagepar Faun » 30 juil. 2008, 19:44

Et alors cela signifie qu'il déprécie la chose dont il parle, et que donc l'expression "manière de penser", lorsqu'elle est précédée de "n'est que", désigne une chose imaginaire plutôt que réelle.

Il y a une différence entre : "ce n'est qu'un mode de penser" et "c'est un mode de la pensée".

Dans la suite de la démonstration Spinoza ne parle plus de l'intellect ni de la volonté, qui ne sont que des manières de penser, mais de telle ou telle volition, c'est à dire de telle ou telle idée, qui sont des modes de la pensée.

"ces facultés sont des notions universelles; qui ne se distinguent pas des singuliers à partir desquels nous les formons."

Scolie proposition 48 partie 2.
Modifié en dernier par Faun le 30 juil. 2008, 20:08, modifié 2 fois.

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Messagepar sescho » 30 juil. 2008, 19:54

jvidal a écrit :Pautrat traduit "mode" par "manière".

Oui, je sais (heureusement... et ceci a déjà été discuté au sujet des meilleures traductions disponibles, celle de Pautrat ayant été reconnue comme telle, avec quelques réserves dont ce choix) et ceci ne change donc rien à mon propos ("mode" peut être substitué à "manière" et inversement.)

Sur le terme de "manière", je pense (il faudrait lui poser la question ; il a parlé de la traduction sur France Culture de mémoire, mais je n'ai rien noté à ce sujet précis), B. Pautrat a opté pour la règle consistant à utiliser un mot français différent et un seul pour chaque mot latin ; "manière" s'est peut-être imposé comme seul viable dans l'ensemble pour "modum" (et autres déclinaisons.) Cela choque un peu et en même temps me semble un peu plus parlant que "mode." Un mode est une manière d'être (en même temps un mode d'expression...) de la Nature.

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Messagepar jvidal » 30 juil. 2008, 21:19

Faun a écrit :Et alors cela signifie qu'il déprécie la chose dont il parle, et que donc l'expression "manière de penser", lorsqu'elle est précédée de "n'est que", désigne une chose imaginaire plutôt que réelle.


Je ne vois pas ce qui permet une telle interprétation ni la raison pour laquelle Spinoza déprécierait les modes. "N'est que" signifie "n'est rien d'autre que".
Spinoza n'écrit-il pas - j'ai oublié la référence- "Dieu n'est rien en dehors de ses modes" ?
Est-ce aussi dépréciatif?

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Messagepar Faun » 30 juil. 2008, 21:36

jvidal a écrit :Je ne vois pas ce qui permet une telle interprétation ni la raison pour laquelle Spinoza déprécierait les modes. "N'est que" signifie "n'est rien d'autre que".
Spinoza n'écrit-il pas - j'ai oublié la référence- "Dieu n'est rien en dehors de ses modes" ?
Est-ce aussi dépréciatif?


Certainement... Mais je vous avoue que cette phrase ne me dit rien, si vous pouviez retrouver la citation précise, nous pourrions en discuter.

Et je n'ai pas dit que Spinoza dépréciait les modes, il déprécie certains modes de penser, ou certaines manières de penser, comme sont l'intellect, la volonté, qui sont des idées imaginaires, des choses qui n'existent pas en dehors de l'imagination, et que pourtant la plupart des gens tiennent pour des choses réellement existantes.

"Nous voyons donc que toutes les notions dont use d'ordinaire le vulgaire pour expliquer la nature ne sont que des manières d'imaginer, et n'indiquent la nature d'aucune chose, mais seulement l'état de l'imagination ; et, parce qu'elles ont des noms, comme s'il s'agissait d'étants existants hors de l'imagination, je les appelle des étants non de raison, mais d'imagination, et par suite tous les arguments que l'on va chercher contre nous dans de telles notions sont faciles à repousser."

Appendice de la première partie.

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Messagepar Julien_T » 31 juil. 2008, 10:57

L’essor des sciences humaines depuis le XVIIe siècle nous faisant pénétrer toujours plus profondément dans les déterminations de notre réalité, nous ne pouvons que très difficilement sans quelque archaïque naïveté faire la part aussi importante à la liberté comme jadis René, en bon jésuite, eut pu l’asseoir par la pluriséculaire distinction réelle entre des facultés de l’esprit, exhortant ainsi l’homme à s’évertuer à corriger la finitude de son entendement -de ses représentations- par l’exercice d’une volonté toute puissante. Toute puissante parce que capable à chaque instant de s’arracher à l’indéfini réseau de déterminations dans lequel elle se trouve pourtant toujours déjà prise, pour orienter ex nihilo l’esprit dans une certaine direction, soit de se positionner pour ou contre la vérité d’une proposition, ou encore de valider le caractère vertueux ou vicieux, utile ou non d’une action à réaliser, et ce, sans autre raison que le pur et simple décret arbitraire, soit encore sans qu’ait pu peser de manière nécessaire une inclination issue de quelque raison extérieure à la réalité de l’instance décisionnelle. Une fine et honnête phénoménologie (c’est-à-dire qui ne construit pas sa théorie sur la base de « préférences », comme celle explicitement dévoilée envers sa condition d’homme libre par notre contradicteur et qui sonne comme un aveu tragique) ne peut raisonnablement soutenir que nier la validité d’une idée, refuser d’en assumer la vérité, juger de l’impossibilité d’intégrer le contenu d’une proposition au réseau d’idées présentement tenu pour valide et qui constitue le monde idéel de l’esprit jugeant au moment où il juge, puisse se faire en vertu d’une force occulte capable à chaque instant de s’orienter sans mobiliser aucune raison, aucun motif, aucune autre idée associée de quelque manière que ce soit. Pour qui veut établir solidement les fondements d’une théorie de la connaissance, la tâche consiste bien plutôt dans chaque cas à mettre au jour et sonder les types de relation possibles d’objets (contiguïté spatio-temporelle des objets associés, résonance affective, causalité, analogie, association imaginaire, symbolique, sublimation, transfert, rapports méréologiques, inclusion, exclusion, opposition etc…).

Qu’il soit possible logiquement, en droit, d’affirmer ou de nier n’importe quel contenu propositionnel dit « bien formé », i.e. faisant sens, n’a strictement aucune conséquence quant à la nécessité pour la réalité factuelle de se déterminer chaque fois selon la plus stricte nécessité issue de l’ordre et de la connexion des idées par lesquels s’enchaînent les contenus de consciences successifs d’un sujet pensant. Il y a ici de graves confusions entre différents plans de réalité auxquels réfère le discours. Si à l’instant t, Joseph affirme « p », et à l’instant t+1, « non p », il sera conscient de ne l’avoir fait: - qu’au sein d’un exercice logique dans le but de nous démontrer une théorie solidement ancrée en lui, donc jamais librement puisque contraint par un objectif, un matériau langagier, des règles d’application, son interlocuteur, etc (comme le disait Louisa, même le choix des symboles désignant les variables et constantes logiques résulte -au moins possiblement- de déterminismes inconscients d’imitation de conventions); -mais surtout il aura affirmé p ou non p seulement verbalement ou nominalement : l’affirmation ici doit s’entendre en un autre sens que lorsque l’esprit juge réellement de la validité d’une conclusion établissant à la fois le contenu déterminé d’un objet idéel visé et l’affirmation de ce contenu. « Affirmer « p » » ici revient à apposer nominalement un verbe censément performatif à un signe vide de tout contenu, jouant le rôle en tant que variable d’une abstraction générale pouvant subsumer une infinité de cas particuliers. Autant dire que quand nous visons « p », ou n’importe quelle proposition signifiante placée entre guillemets, au sein d’un exercice langagier, nous ne visons qu’une forme vide de contenu idéel référençant. Affirmer la proposition « ma femme me quitte » pour la nier ensuite afin de prouver que ma volonté peut s’appliquer indifféremment à n’importe quel contenu mental, ne revient pas à l’affirmation de cette même proposition lorsqu’ elle devient une vérité factuelle. L’affirmation de cet objet en tant qu’il n’est plus seulement un objet idéel ou une simple expression signifiante (qui certes, continue de référer, mais à du sens pur, celui des mots, et non à de la réalité) mais le support mental référant à une réalité existante avérée aura évidemment de bien plus amples répercussions affectives. Il est possible d’affirmer « ma femme me quitte » sans que cette affirmation ait quelque similitude avec l’affirmation du constat en situation d’une séparation réelle, ou encore avec l’affirmation par laquelle je pense le cercle en en déployant génétiquement la définition. Et oui Joseph, demandez-vous s’il est raisonnable de soutenir que lorsque vous affirmez (verbalement ou intérieurement) posséder un euro, sans le posséder réellement, votre affirmation implique le même acte de conscience, répond au même développement intérieur, nécessite les mêmes idées d’appui et mobilise les mêmes facultés selon les mêmes intensités, que lorsque vous affirmez posséder cet euro, en l’ayant réellement.

Ce qui rend possible différents degrés d’affirmation est aussi ce qui induit en erreur : l’affirmation de l’être-ainsi d’un contenu déterminé n’est pas ni n’enveloppe nécessairement l’affirmation de l’existence d’un objet réel corrélatif de l’objet idéel. Condition sine qua non de l’activité créatrice artistique comme l’écriture du roman. Affirmer le contenu d’une proposition, que cela soit celui d’un objet simplement représenté, ou celui d’une conclusion achevant un développement d’idées conscient (Descartes distinguant l’idée atomique comme simple image de la chose et le jugement consistant en un acte d’affirmation), ne revient pas à affirmer l’existence de l’objet, mais seulement à affirmer l’être-tel de l’objet visé, actuellement présent à la conscience. Il se peut alors que l’idée « présent dans mon champ d’existence pour deux semaines », référant au mode d’être de l’objet, fasse partie de l’être-tel de l’objet lors que je le vise en ayant à l’esprit cette idée. Mais je ne le fais que sur la base d’un être-tel objectif préalablement visé par la conscience indépendamment de toute considération conscientielle sur l’être de l’objet (cf. Meinong). Cette préséance logique et ontologique de l’être-tel de l’objet par rapport à son être est à la fois ce qui rend possible différents degrés d’intensité de croyance ou d’assomption quant au mode d’existence de l’objet (en tant que ces degrés résulteront des composants entrant phénoménologiquement dans la constitution de l’objet), et ce qui induit en erreur en nous faisant idéaliser l’idée de l’objet à travers le modèle de l’image figée et muette par elle-même d’un état de chose qu’il suffirait par la suite de nier ou d’affirmer selon l’inspiration de la volonté.


Aussi n’est-il pas sérieux de croire une seconde en la possibilité de nier réellement, c’est-à-dire honnêtement et authentiquement, l’existence du monde matériel. Le doute hyperbolique n’est qu’un doute verbal. Il signifie que tout le temps où je valide consciemment la nécessité pour moi de douter de l’existence du monde, je ne le fais qu’artificiellement et comme étant la résultante, par voie de raisonnement, de ce que je ne connais pas encore de raison qui garantisse la vérité de mes perceptions du monde. En disant douter, donc appliquer ma volonté à un contenu mental qui, en lui même, s’affirme pourtant déjà comme existant, et existant tel que donné, je ne fais que prétendre prendre acte, par la réflexion, de ce que je ne possède pas de raison nécessaire et suffisante garantissant la véracité de mes sensations. En disant suspendre leur jugement quant à l’existence des choses, ces illustres n’ont fait que discourir sur des mouvements d’âmes artificiels dans le but de reconstruire pédagogiquement les étapes d’un raisonnement en séparant différents pans de réalité (l’ego, Dieu, les idées claires et distinctes, etc.). Berkeley ne se risqua jamais à courir les yeux bandés dans une forêt pour vérifier si être eût pu se réduire exclusivement à être perçu (quoi qu’il eût finalement reçu confirmation). Ne pas être en mesure d’expliquer par une raison nécessaire et extérieure au contenu des données qui me viennent des sens pourquoi celui-ci n’est pas assuré par lui même de son caractère non hallucinatoire, ne pas connaître de raison qui assure a priori la véracité de mes impressions sensibles ne suffit pas à me faire douter «réellement » de l’existence du monde sensible, dont on aura beau feindre par la suite la reconquête par voie démonstrative après mise en suspension prétendument volontaire.


Ainsi Joseph doit-il se demander s’il est libre ou librement voulant lorsqu’il en vient à endosser la vérité ponctuelle selon laquelle « il est nécessaire, si je veux être performant aujourd’hui, à l’instant même où je valide cette vérité, d’aller chercher quelque aliment pour déjeuner étant donné ma faim et le vide de mes placards ». Quel rôle la volonté peut-elle jouer lorsque c’est précisément la combinaison d’idées référant à des états de choses (manque d’aliments + sensation de faim + nécessité de se nourrir) qui produit la conclusion d’un syllogisme pratique, ou la vérité de la nécessité d’une action à accomplir. La littérature sur l’acrasie ou faiblesse de la volonté quant à ce que nous nommons l’action est assez abondante pour que nous puissions y renvoyer notre contradicteur. Ce dont un certain cartésianisme admet la réalité n’est rien moins que la possibilité pour un agent d’agir volontairement et consciemment contre son meilleur jugement. Ceci nécessite pour le moins démonstration, si ce n’est seulement quelque monstration. Lorsque nous nous plaçons dans une sphère plus proprement spéculative, nous ne trouvons toujours pas raisonnablement où loger la volonté: Joseph doit se demander s’il est libre ou non du cours que prend le développement d’idées produisant la théorie qu’il cherche à nous exposer (et dont il voudrait qu’elle pénètre notre volonté -ou que celle-ci devienne plus pénétrante- plus que notre entendement, ce qui explique en partie qu’il s’y prenne si mal). Réalisera-t-il qu’il ne fait que suivre selon certaines modalités relationnelles un enchaînement particulier d’idées, toutes affirmatrices d’elles-mêmes et concourrant, dans son esprit, à l’affirmation de sa conclusion et à la plus ou moins (plus moins que plus) parfaite cohérence de son système ? Si non, alors nous ne saurions porter crédit à son discours plus qu’à celui d’un fou ou d’un ivrogne.

Comprenons que se représenter un certain contenu idéel, i.e. viser un objet pour se le donner en présence à la conscience, cela consiste toujours consubstantiellement à affirmer cet objet-ci selon toutes les déterminations qui le constituent au moment où ma visée le constitue. Différents degrés de consistance, de complexité dans la composition, de solidité, d’étendue ou encore de cohérence sont possibles dans la formation d’un objet. Certains objets sont visés alors qu’ils ne donneront lieu à aucun remplissement intuitif par quelque matériau sensible par la conscience. Celle-ci peut ne pas entrevoir d’une même prise toutes les déterminations nécessaires à la validité du tout qu’elle vise. L’idée actuelle –actuellement présente à la conscience- est alors inadéquate, c’est-à-dire inadéquate avec elle-même, soit encore avec l’objet, l’idéat dont elle est l’idée. Aussi la conscience peut-elle refuser d’endosser la conclusion du développement mental en quoi consiste l’effort de constitution de son objet et le tenir pour temporairement incertain, ou simplement possible. Mais par là même un début d’affirmation est toujours déjà en train de se réaliser simultanément à la constitution de l’objet représenté. Des relations entre éléments expérientiels ont commencé à s’affirmer selon certaines combinaisons pour finalement aboutir à un contenu certes unitaire, circonscrit, mais intérieurement flou, vague, aux composants indistincts ; l’objet doit alors être jugé incertain par l’esprit capable de déceler ses idées inadéquates. Le refus d’endosser ou de valider un objet aux déterminations incertaines, objet pourtant (re)présenté de quelque manière à la conscience, ne doit pas alors être compris comme un acte essentiellement et exclusivement volontaire, mais encore et toujours comme un acte principalement cognitif : ce ne peut être autre chose que la formation d’une idée complexe jugeant, par quelque voie parmi une multitude, du caractère flou ou non consistant d’une autre idée ; l’activité du scientifique consiste à former des idées sur ses idées, composer toujours plus savamment ses jugements représentationnels et construire avec le plus de pertinence les modélisations idéelles permettant de configurer adéquatement les données récoltées.


Par ailleurs, comme il a été dit, ne pas être connaissant/conscient des raisons/idées qui sous-tendent pulsionnellement, infra-consciemment ou inconsciemment nos actes manqués, névroses, décisions et pensées conscientes n’implique pas qu’elles ne subsistent pas; un principe de charité envers une réalité rationnelle, pleine et cohérente doit même nous les faire postuler. La charge de la preuve incombe à qui prétend poser, en affirmant non librement mais contraint par ce qu’il croit être la vérité, que la Volonté est la raison ultime de tout point de départ effectif d’orientation dans la pensée, soit qu’elle aurait ce pouvoir non seulement d’impulser énergétiquement le jugement de l’esprit en direction d’une adhésion, d’une validation, d’une assomption d’un contenu préalablement donné dans sa plus sotte neutralité ontologique, mais qu’en plus elle serait l’instance déterminant la direction même vers laquelle s’orientent les yeux de l’esprit, selon que cette direction dû être affirmatrice ou négatrice d’un contenu de conscience muet par lui-même. N’en déplaise aux cartésiens, la vertu volitive du vouloir n’est pas plus éclairante que la vertu dormitive de l’opium ! De plus, cette conception revient à dédoubler l’activité dite généralement de jugement intellectuel en un premier niveau qui serait celui de l’entendement, niveau officiel de combinaison des représentations selon certaines lois (intuition+déduction), et un deuxième niveau où résiderait une seconde capacité de jugement (vérificatrice ?) au sein même de la volonté lui permettant de se déterminer, quoique toujours librement puisque Volonté, et de se positionner quant à la nécessité d’affirmer ou de nier ce que lui présente aveuglément l’entendement, c’est-à-dire de donner ou non son assentiment à ce qui s’est préalablement donné à voir dans un surprenant mutisme. Outre l’obscurité, voire l’absurdité, d’une telle doctrine du libre assentiment, le problème est qu’il est impossible autrement que par l’introspection, le sentiment intérieur, de fonder la vérité de l’existence d’une telle faculté ; impossible donc de démontrer a priori la réalité de ce qui ne se communique qu’à travers une représentation générale abstraite et ne se comprend qu’à être éprouvée. Et Dieu seul sait à quelles infernales contorsions métaphysico-théologiques fut contraint Malebranche pour avoir pris en compte la faiblesse argumentative de l’introspection quant à l’existence d’une faculté volontative dans l’exercice du jugement.

Que puisse exister une situation d’équilibre parfait entre deux volitions particulières de même intensité, ou encore dans laquelle aucune raison ne s’impose aux yeux de l’esprit qui le fasse se décider et aboutir à une conclusion mentale affirmant la vérité d’un état de chose, ou le bien-fondé d’une action à réaliser, une telle possibilité est au mieux autant à démontrer que l’affirmation selon laquelle en se représentant un certain contenu l’esprit vise au minimum l’affirmation de l’être-tel d’un objet, et qu’il ne le fait pas plus au moyen de sa volonté que de son intellect. Avant de prétendre montrer que la liberté d’indifférence est le plus bas degré de la volonté libre, il faut avoir démontré qu’elle n’est pas une chimère. Encore une fois la charge de la preuve incombe au discours le moins économique, donc pas à Spinoza qui, remaniant les définitions de concept généraux véhiculant des représentations abstraites, rend compte de la réalité au moyen d’un monisme non exclusif des différentes forces confluentes, où la multiplicité des affects-idées n’est pas incompatible avec l’unité du conatus comme force consusbtantiellement volontative et cognitive.

Il apparaît finalement que le seul problème logique soit ici de confondre le plan logique et celui de la réalité : le contradicteur aura beau dire affirmer ou nier n’importe quelle variable dans un exercice logique, il n’affirmera ni ne niera au sens fort et ontologique de ces termes : à chaque fois qu’il pensera véritablement, il ne le fera qu’à s’orienter selon quelque raison légitimante et constituante. De même, il aura beau décrire ce qu’il pense voir apparaître lors de situation dite d’hésitation dans la réalité, il ne pourra pas plus démontrer l’existence de sa volonté en tant qu’instance compensant son manque d’idée et décidant d’une certaine orientation (à affirmer ou nier) à partir de rien d’autre qu’elle-même, que l’inexistence des raisons qu’il ne voit pas et qui peuvent le pousser insensiblement à s’engager dans une voie incertaine. Comprenons toutefois que la conception spinoziste ne relègue pas purement et simplement la volonté au rang de flatus vocis, ne lui conférant de consistance, de réalité que nominale, sans quoi il ne serait d’aucun intérêt de l’identifier à l’activité de l’entendement. À quoi bon affirmer que le rien et l’intellect sont une seule et même chose ? Il doit bien y avoir une dimension de la réalité à laquelle réfère ce vocable, puisque Spinoza continue de l’employer, quoique averti, en bon nominaliste, de sa potentielle source d’illusion. Notre contradicteur ne se demande pas une seconde quel peut être ce quelque chose de la réalité que Spinoza continue de penser, à travers « une manière de pensée », tout en l’identifiant à l’entendement. Répondons que ce à quoi réfère l’expression de volonté doit ici être compris comme l’effort, chaque fois incarné, actualisé, qu’effectue l’esprit lors qu’il vise à se représenter un contenu. Chaque visée de conscience est une opération de l’esprit mû par un effort volontatif tendant à capter un contenu mental déterminé. Chaque fois qu’il se représente une idée, l’esprit est pour ainsi dire voulant : il veut la clairvoyance de la vérité qu’il cherche à établir ou se représenter et qui consiste en un objet particulier au contenu circonscrit et déterminé. Selon que l’on envisage la constitution de l’idée dans une certaine autonomie, le mouvement volontatif pourra être pensé comme étant celui de l’idée même. L’esprit n’étant in fine rien d’autre que le flux continu des idées qui le modifient.

Cette captation en quoi consiste la représentation s’effectue plus ou moins laborieusement à l’aide de matériaux antécédemment engrangés que la conscience essaie de mobiliser, s’ils ne se mobilisent pas déjà comme par eux-mêmes, pour les lier selon une multitude de voies relationnelles (syllogistique, affective, imaginaire, analogique, causalité induite par l’impression d’une conjonction constante de deux termes, etc.). C’est ainsi qu’on arrive au tout d’une idée composée mais comptant pour une, i.e circonscrite dans l’unité d’un jugement à la fois affirmatif et conclusif que la visée initiale cherchait à constituer. La visée de l’objet lors de chaque représentation n’est en effet pas un simple voir qui n’aurait qu’à laisser défiler passivement une peinture muette se détachant sur un fond noir, elle est bien plutôt un effort pour capter, faire se tenir en un point plusieurs déterminations : elle nécessite une mise en tension de la conscience vers un certain multiple (pré)donné qu’il faut, par l’effort d’une attention/concentration com-prendre en constituant un objet déterminé. Si Joseph est bien voulant chaque fois qu’il pense, il est aussi et surtout co-naissant. De sorte que l’assomption d’un contenu de conscience est un acte tout à la fois conatif et cognitif.

S’il suffisait de vouloir, d’être seulement capable d’exercer sa volonté comme on exercerait une force dans le vide, parfaitement déliée de toute pression extérieure, pour pouvoir établir la vérité ou fausseté d’une représentation, alors penser –dans tous les domaines- ne requerrait d’autre activité du sujet qu’un peu de bonne volonté, le reste se faisant mécaniquement, et il suffirait dans toute science de faire effort pour vouloir fortement ce qu’obscurément la pensée a déjà voulu viser, pour viser et capter effectivement dans toutes ses déterminations l’objet qu’elle se donne chaque fois pour tâche de penser. Le mauvais savant serait ainsi l’homme voulant mal ou pas assez, dont la volonté viciée l’empêcherait d’avancer dans ses travaux. Ainsi des fondements d’une vieille et persistante morale punitive: l’abruti, le criminel, l’hystérique seraient ainsi ce qu’ils sont non originairement par défaut de connaissance, mais par défaut ou/et mauvais usage de la volonté. On voit par là mal comment notre contradicteur pourrait s’accommoder de quelque façon de la psychanalyse, et de la psychologie en général : à chaque fois que nous croirons mettre au jour quelque mécanisme d’enchaînements et de constitutions d’idées-affects provoquant telle réaction psycho-comportementale, rendant compte par là de ce que des volontés, conatus sont travaillés (et travaillant) dans la durée par telles représentations, trouvent tels matériaux représentationnels sur quoi cristalliser et orienter le désir, constituant peu à peu tempéraments, caractères, personnalités, dispositions et préoccupations, le cartésien nous dira qu’in fine, si le patient en vient à se former telle idée hallucinée ou pathologique sur le réel, c’est qu’il l’a bien voulu, d’une volonté torve, qu’ainsi les associations d’idées de son système de représentations n’ont par elles-mêmes aucune efficace indépendamment de cette force divine qui les accrédite et leur donne vie.

Heureusement, Descartes n’est pas aussi grossier que les cartésiens. Si la volonté a pour lui cette force de résister ou de dévier des trajectoires, elle ne le peut que droitement aiguillée par l’entendement. Aussi faut-il dès lors parler de cercle vertueux plus que de dualisme radical et figé. La volonté libre ne s’incarne pleinement que dans la résolution qu’implique la générosité (ce que conçoit plus finement le traité des passions de l’âme). L’introduction du temps et de la fugitivité de l’attention, mêlée au travail des passions, permet un raffinement certain de ce qui a pu se laisser comprendre trop simplement dans les Méditations. La volonté résolue consiste en l’effort pour maintenir fermement, c’est-à-dire durablement et de manière répétée dans le temps, à l’attention de l’âme, des vérités éthiques validées antécédemment par une activité d’entendement. Ainsi, pour se vouloir voulant à l’avenir entreprendre ce que l’entendement présentera de meilleur, il faut déjà : _être en possession de la connaissance de la réalité du libre arbitre ; _savoir que tout ce qui peut faire légitimement estimer ou mépriser un sujet (soi-même ou autrui) n’est rien d’autre que le bon ou mauvais usage qu’il fait de cette faculté. La générosité est donc une passion bipartite : à la fois émotion intérieure en quoi la volonté s’éprouve elle-même comme voulant fermement à l’avenir exercer son empire, et connaissance de : _la réalité du libre arbitre ; _de la nécessité éthique d’en bien user ; _et enfin de la nécessité pour ce bon usage de cultiver l’entendement pour pouvoir être en mesure de toujours juger le mieux possible. La résolution est activée par la connaissance de l’entendement et la volonté doit faire effort pour soutenir et consolider cette connaissance dans le temps en en répétant l’actualisation. La relation à autrui se trouve ainsi modifiée et le sujet fermement disposé à la générosité, qui fera effort pour incarner cette double vertu par laquelle entendement et volonté se soutiennent et se renforcent l’un l’autre.

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Messagepar jvidal » 31 juil. 2008, 11:14

A Julien, en trois mots, quoi de neuf? :)

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Messagepar Faun » 31 juil. 2008, 15:41

Julien_T a écrit :L’esprit n’étant in fine rien d’autre que le flux continu des idées qui le modifient.


Très joli.

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Messagepar jvidal » 31 juil. 2008, 16:15

Julien_T a écrit :Joseph doit se demander s’il est libre ou non du cours que prend le développement d’idées produisant la théorie qu’il cherche à nous exposer (et dont il voudrait qu’elle pénètre notre volonté -ou que celle-ci devienne plus pénétrante- plus que notre entendement, ce qui explique en partie qu’il s’y prenne si mal). Réalisera-t-il qu’il ne fait que suivre selon certaines modalités relationnelles un enchaînement particulier d’idées, toutes affirmatrices d’elles-mêmes et concourrant, dans son esprit, à l’affirmation de sa conclusion et à la plus ou moins (plus moins que plus) parfaite cohérence de son système ? Si non, alors nous ne saurions porter crédit à son discours plus qu’à celui d’un fou ou d’un ivrogne.


Je répondrai uniquement par une jolie formule de Rousseau:

JE NE SAIS PAS L'ART D'ETRE CLAIR POUR QUI NE VEUT PAS ETRE ATTENTIF.


Dans l'attente de lire des arguments,
Bien à vous,
Joseh


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