volonté et entendement: un problème logique

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Durtal
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Messagepar Durtal » 31 juil. 2008, 19:36

Bonjour Joseph, heureux de voir que tu n'as pas été complètement découragé.

Je vais faire précisément ce que je te reprochais d'avoir fait :lol: c'est à dire: me citer moi-même. Mais attend cependant, car j'expliquerai pourquoi je le fais.

Durtal a écrit :
Aucune ebf ne peut résulter de l'affirmation simultanée de p et -p.

Donc ou bien la thèse de Descartes sur le caractère formellement infini de la volonté, entend ces actes d'affirmation et de négations comme intervenant les uns après les autres, et dans ce cas il dit la même chose que Spinoza.

Ou bien le caractère formellement infini de la volonté doit s'entendre comme une capacité d'affirmation simultanée de p et de -p et ce qui est affirmé par là est que la volonté est libre d'énoncer des flatus vocis, ou de ne rien déterminer.


Tu te souviens de ceci n'est-ce pas? Tu m'avais alors fait une réponse que j'avais accepté mais c'était une erreur de ma part. Ta réponse était de me dire que les contradictions ne sont pas des flatus vocis, parce que nous comprenons ce qu'elles signifient. Et certes tu as raison.
MAIS, j'ai eu tort de me satisfaire de cette raison, car en réalité tu répondais à coté de la question. Car je crois qu'il est toujours possible de maintenir qu'aucune "ebf" ne saurait résulter de l'affirmation simultané de p et -p. Pourquoi cela? Dès qu'on y réfléchit une seconde on comprend tout de suite pourquoi. Je veux dire que cela fait partie des choses qui sont si évidentes que nous avons tendance à les oublier lorsque nous philosophons. J'en viens au fait:

Tu m'objectes que "p et -p" n'est pas une expression mal formée et je suis d'accord avec ceci. Mais ce faisant il faut que tu te rendes compte que tu as subrepticement modifié la donnée du problème. L'objection visait en effet un constat simple. A savoir: Nous ne pouvons pas, non seulement juger, mais pas plus formuler une expression affirmant p et -p simultanément . Il en résulte nécessairement une « expression mal formée » parce que nous renonçons dans ce cas à toute forme d'expression, c'est à dire à toute forme de détermination dans un langage quelconque ( la détermination dans un langage supposant, comme toute autre forme de détermination, l'exclusion ou la négation). Ce que je voudrais donc te faire remarquer ici est la chose suivante: "p et -p" est, comme tu le dis une "ebf" DONC une expression à part entière, mais « p et -p » n'est pas du tout équivalente à: « l'affirmation simultanée » de de « p » et « -p ». Nous pouvons très bien concevoir et formuler l'expression « p et -p » sans pour autant être capable de formuler( de « prononcer », de « juger ») « en même temps » « p » et « -p » (comprises naturellement comme deux expressions distinctes, ce qui rend impossible de les ramener à l'expression « p et -p » qui est une expression à part entière et en tant que telle qui n'est pas réductible à la simple sommation des expressions uniques « p » et « -p » formulées à deux moments différents du temps). Je ne sais pas si je me fais comprendre... Si ce n'est pas le cas dis le moi car il y a réellement une différence importante à saisir.

Je sais bien que par tout cela, je ne réponds pas aux choses que tu as ajoutées, mais si je n'ai pas ton opinion sur les choses que je viens de dire, je pense que toute réponse que je pourrais te faire sera simplement futile (nous continuerons à évoluer dans un  « dialogue de sourd », jusqu'à ce que l'un d'entre nous se lasse). Car la critique de Spinoza, du moins à mon avis, n'a égard qu'aux conditions concrètes ou réelles du jugement et non aux règles générales régissant la syntaxe logique d'un langage ( c'est là le sens de sa critique de la transformation d'une généralité en « faculté »). Et j'ajoute que sur ce point ce que dit Spinoza me paraît irréfragable. Précisément à cause des contraintes qui pèsent sur l'exercice du jugement et dont finalement ta formulation du problème en terme de conformité à la syntaxe est l'illustration la plus manifeste ( à partir du moment seulement où nous considérons que la syntaxe doit être ou peut être utilisée).

Il se peut aussi que j'ai manqué dans ta réponse des éléments qui répondaient à cette question. Si c'est le cas, je te prie de bien vouloir m'en excuser et de bien vouloir avoir la patience de m'indiquer lesquels (je sais bien que j'ai l'air, en disant ceci, de faire le faux-cul, mais ce n'est pas le cas, donc si vraiment j'ai manqué quelque chose, signale le moi).

D.

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Messagepar jvidal » 31 juil. 2008, 21:08

Cher Durtal,

J'ai en fait peur de ne pas comprendre ton problème. Je vais reprendre ce que je comprends au sujet de la contradiction logique, d'un point de vue classique, et si je suis à côté de la question qui te préoccupe, tu me le diras sans détour.

p & ~ p est une ebf en raison des règles syntaxiques qui définissent les ebf.


p & ~p a pour valeur le faux en raison des règles sémantiques du calcul propositionnel classique, cela signifie que la contradiction n'a pas de modèle.

Si l'on veut s'exprimer sans formules, on peut dire que les contradictions sont des énoncés significatifs (des ebf), mais ne sont pas des expressions dénotatives (ou bien elles ne dénotent que le faux, si l'on veut parler comme Frege).

Ce que je viens d'écrire est loin, évidemment, de régler tous les problèmes. Il y a plusieurs choses à distinguer dans ce que je crois comprendre de ce que tu écris.

1- Pouvons-nous asserter une contradiction? Si l'on prend l'assertion au sens de "affirmer un énoncé comme vrai", il va de soi que classiquement on ne peut pas affirmer qu'une contradiction est vraie. Il faudrait pour cela admettre que le dialéthéisme est une philosophie possible, et sortir du cadre classique.

2- Pouvons-nous nous représenter une contradiction? Je dirais, cela dépend. D'une façon générale, si une contradiction n'a pas de modèle, alors elle n'est pas représentable. Mais il faut ajouter, "pas représentable au sein de la théorie où l'énoncé est démonstrativement contradictoire". Mon exemple de la contradiction relative de l'exrpession "l'ensemble de tous les ensembles" le montre bien. En fait on peut imaginer un tel ensemble, et le fait qu'il soit contradictoire dans la théorie cantorienne est apparu comme une surprise.

Il n'y a pas grand chose chez Spinoza qui éclaire la nature de la contradiction logique, si?

Je reviens maintenant, pour finir, au sens exact de mon argument. La proposition 49 dit qu'il n'y a dans l'esprit aucune affirmation et négation, en dehors de celle qu'enveloppe l'idée en tant qu'idée. Cela signifie, si je comprends bien la théorie spinoziste du jugement et du déterminisme, que nous ne sommes pas libres d'affirmer ou de nier: les affirmations ou les négations sont liées aux perceptions, et par conséquent le pouvoir d'affirmer ou de nier ou de suspendre son jugement est une idée générale et abstraite, sans prise sur la réalité. Fort bien.

Je rappelle maintenant le raisonnement de Descartes:
Je pense, et je ne perçois rien d'autre. Cogito. Hypothèse: un mauvais génie me trompe tout le temps. Qu'il me trompe tant qu'il voudra, il ne pourra pas faire que je ne sois rien tant qu'il me trompe, puisque je pense. Comme il est absurde qu'il me trompe alors que je ne pense pas, donc je pense et je suis quelque chose. (On voit mal comment on peut faire plus simple...)

Exercice: expliquer comment l'on peut soutenir, d'un point de vue spinoziste, que la négation n'existe pas en dehors de l'idée: en effet je ne peux pas me représenter que je ne pense pas au moment même où je pense. Comment ai-je donc pu former l'idée que je ne pense pas, puisque je ne perçois rien d'autre que le fait que je pense?

La solution réside dans le fait de concevoir la négation comme un opérateur que l'on peut appliquer librement à toute idée qui fait sens. La conclusion est que la thèse spinoziste est tout simplement fausse. Mais Spinoza peut se tromper, non?
:)

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Messagepar Faun » 31 juil. 2008, 22:06

jvidal a écrit :Comment ai-je donc pu former l'idée que je ne pense pas, puisque je ne perçois rien d'autre que le fait que je pense?


Vous ne pouvez pas en former l'idée, vous pouvez seulement le dire, l'écrire, mais vous ne pouvez pas le penser.


"Il y a quantité de choses que nous affirmons et nions parce qu'affirmer et nier cela est souffert par la nature des mots, mais non par la nature des choses."

Traité de l'amendement de l'intellect, § 89


Comme il a déjà été dit plus haut.

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Messagepar jvidal » 31 juil. 2008, 22:34

Faun a écrit :
jvidal a écrit :Comment ai-je donc pu former l'idée que je ne pense pas, puisque je ne perçois rien d'autre que le fait que je pense?


Vous ne pouvez pas en former l'idée, vous pouvez seulement le dire, l'écrire, mais vous ne pouvez pas le penser.


A côté. Le problème vient du fait que la négation ne peut pas exister sans l'idée, selon Spinoza. Or il n'y a pas l'idée que je ne pense pas alors même que je suis en train de penser. Mais cependant je peux bien nier que je pense, au moment même où je pense et où j'affirme que je pense et voir que c'est absurde. Donc il est faux qu'il n'y a pas dans l'esprit de négation en dehors de l'idée en tant qu'idée.

CQFD.

Scolie: Bien sûr on dire que la négation du "Je pense" n'est pas une idée, mais une simple parole. Mais si la démonstration par l'absurde de la vérité du Cogito n'est qu'une suite de mots sans concepts, alors il en est de même de toutes les démonstrations mathématiques, puisque la démonstration du Cogito comme vétrité première est la plus simple qui se puisse concevoir. C'est une conclusion embarrassante pour toutes les démonstrations de l'Ethique qui font usage de la démonstration par l'absurde.

Sur ce, bonne nuit et à plus tard. :)

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Re: A Louisa et à Durtal

Messagepar bardamu » 31 juil. 2008, 23:09

jvidal a écrit :(...) Par conséquent mon "analogie" avec la syntaxe et la sémantique est plus qu'une analogie, elle est une expression précise d'une idée que l'on peut dire cartésienne sans faire offense à l'esprit des Méditations.
(...) Les définitions que je donne ne sont donc évidemment pas spinozistes
(...)
Au spinoziste donc de prouver que cette description cartésienne est fausse en exhibant un énoncé dont le sens ne puisse être isolé indépendamment de sa valeur de vérité. Ainsi il serait évident que la volonté et l'entendement ne sont qu'une seule et même chose, pour au moins une idée. (...) il utilise "volonté et entendement" en un autre sens quand il écrit qu'ils sont une seule et même chose. Son seul tort est de concéder qu'il accepte que la volonté s'entend plus loin que l'entendement seulement seulement si l'on entend par "entendement" les idées claires et disctinctes. Car Descartes ne demande en fait rien d'autre.

Bonjour Joseph,
je prends le risque de schématiser les points en discussion en associant vérification empirique et par les règles de logique classique.

Joseph (merci de corriger si c'est faux) :
soit une proposition p et les opérateurs ~ et &
on construit librement (volonté), par pure opération syntaxique, un ensemble d'idées : S = {p, ~p, p & ~p}
on vérifie les propositions empiriquement (p et ~p) ou par application d'une règle (pas de modèle pour p & ~p) ce qui donne un ensemble de "réalités" correspondant au "vrai" ; avec p vrai : R = {p}
Comprendre, c'est réduire l'ensemble des propositions à celle qui correspondent à leur objet, c'est l'entendement : E={p}

Spinoza :
"l'entendement perçoit-conçoit p, ~p et des catégories" : E = {p, ~p, p & ~p, "contradiction", "hors de mon entendement", "fictions", "êtres de raison"...}
"l'entendement complète-combine ses idées" : E = {p(existe hors de mon entendement), ~p(existe en tant que fiction, être de raison etc.), p & ~p (existe en tant que contradiction), "contradiction" (existe en tant que catégorie), "contradiction (existe en tant que catégorie exemplifiée par p & ~p) etc.}

Le "existe" est par implicite dans la première étape, il s'agit ensuite de le qualifier.
Dans la 1ère étape de Spinoza, on peut dire a posteriori que l'entendement était constitué d'idées adéquates (p) et inadéquates (~p) et que donc l'inadéquat le rendait plus étendu. Mais cela ne vaut que pour un entendement inadéquat (et donc fini). Un rude débat a eu lieu sur la nature des idées inadéquates mais je pense que tout le monde est d'accord pour dire qu'elles n'ont de sens que par rapport à la finitude d'un esprit particulier. Au demeurant, la position du Cogito cartésien est sans doute celle-là d'où l'indication de Spinoza dans E2p49 scolie, mais je suppose que pour Descartes l'entendement n'est pas plus restreint que la volonté lorsqu'il s'agit de Dieu.

Ceci étant, si je prends le schéma que je t'attribue, je le transformerai facilement en quelque chose de plus spinoziste : au lieu de considérer que l'entendement est une opération de réduction des idées aux idées vraies, il faudrait considérer que c'est le complètement-complexification de la pensée faisant attribuer à toutes nos idées les valeurs de vérité-réalité qui leur revienne.
Concernant l'extension de la volonté et de l'entendement, ce serait donc sur le sens de "entendement" qu'il y aurait divergence, puisque tu le considèrerais comme éliminant des idées, là où Spinoza le considèrerait comme les mettant à leur place, en rapport avec leur degré de vérité-réalité. Pour ce qui est d'une production infini d'idées-propositions, comme déjà dit, Spinoza n'a pas de souci avec ça.
jvidal a écrit :(...) En conséquence, la description cartésienne appartiendrait à la connaissance du 2nd genre, et l'énoncé spinoziste sur l'identité de l'entendement et de la volonté à la connaissance du troisième genre. Le problème étant qu'une connaissance du 3ème genre ferait apparaître une connaissance du second genre comme fausse, puisque la description cartésienne insiste sur la différence de la volonté et de l'entendement. A la critique "externe" fondée sur la syntaxe, s'ajoute une critique interne fondée la proposition 42 de la seconde partie de l'Ethique.

Là, il faudrait voir le rapport entre l'universel, les propriétés communes, les notions communes et le 3e genre de connaissance. Ca serait un peu long mais Spinoza ne fonctionne guère sur le vrai/faux (l'erreur n'est rien de positif). La "pierreté" n'est pas fausse, il lui revient une certaine réalité mais plus obscure et plus flou que celle de tel ou tel caillou qu'on lance dans l'eau.
jvidal a écrit :(...)
Si la description formelle que je fais de la théorie cartésienne est exacte, elle souffre des mêmes défauts aux yeux d'un spinoziste. L'étude formelle du raisonnement n'éclaire donc en rien le raisonnement réel, si l'on se place du point de vue spinoziste, ce qui accentuerait encore le mépris cartésien pour la logique formelle.

Curieux, je n'ai pas du tout ce sentiment.
Spinoza n'aurait pas pris le soin de définir son langage, travaillé sa logique (cf lettre 60 à Tschirnhaus p.e.), pris en exemple les mathématiques ou n'aurait pas affirmé que les "démonstrations sont les yeux de l'esprit" si il ne prenait pas en compte l'importance du formel.
Bien sûr, vu son orientation éthique, ça apparaît peut-être moins que pour Leibniz mais je crois qu'il faut surtout trouver le formalisme qui convienne à sa pensée.

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Messagepar Faun » 01 août 2008, 01:03

Comme dit Durtal :
(nous continuerons à évoluer dans un « dialogue de sourd », jusqu'à ce que l'un d'entre nous se lasse)

Mais cependant je peux bien nier que je pense, au moment même où je pense et où j'affirme que je pense et voir que c'est absurde.


Non vous ne pouvez pas. Toute idée contient une affirmation qui fait qu'elle existe, et par suite la négation n'est rien. Ce qui est absurde, c'est de penser que la négation est quelque chose de réel. Dans l'esprit de Dieu il n'existe que des affirmations, donc dans le nôtre également. Simplement certaines affirmations qui sont dans nôtre esprit sont partielles, elles manquent de quelque chose. Pour suivre votre exemple, l'idée que vous pensez, quand vous pensez : "je pense" est une affirmation. Et il n'y a rien qui puisse s'opposer à cette idée. Penser ensuite : "je ne pense pas" n'est qu'une construction verbale, c'est à dire la puissance de l'imagination, la même qui a créé les mots et le langage. Mais ce n'est pas la puissance de l'idée, c'est à dire la force de l'intellect/volonté.

Vous n'avez pas distingué entre l'imagination et l'intellect, vous n'avez pas distingué le rêve de la réalité, vous prenez pour des choses réelles des suites de mots.

Si votre idée : "je ne pense pas" était vraie, c'est à dire réelle, ne serait-ce qu'un instant, alors vous sombreriez immédiatement dans le néant pour n'en plus jamais ressortir. Le néant, qui, comme chacun sait, n'existe pas.

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Messagepar Louisa » 01 août 2008, 02:59

Cher Joseph,

merci beaucoup de tes commentaires! Ils vont peut-être nous permettre de faire un pas en plus.

Louisa a écrit:
si j'essaie de résumer ce que je crois avoir compris de ton argument:

* thèse principale: volonté et entendement sont réellement distincts

* argument principal: si p est une wff, alors non p en est une aussi.

* développement du raisonnement:
- prémisse: la volonté est définie par la capacité de dire "j'affirme" ou "je nie", l'entendement par le fait de former une wff, une proposition langagière significative
- il est un fait que pour toute proposition simple qui a un sens, je peux dire "j'affirme" ou "je nie", sans que cela affecte la wff
- conclusion: volonté et entendement sont distincts.

Joseph:
C'est un résumé tout à fait correct de ce que j'ai écrit. La suite ne l'est pas totalement:

Louisa:
Tu sembles être d'accord pour dire que tes définitions de la volonté et de l'entendement ne sont pas cartésiennes.

Joseph:
C'est un malentendu qui vient de ce que j'ai probablement trop concédé. Mon argument est fondé sur la définition cartésienne de la volonté formellement infinie: la capacité d'affirmer et de nier toute idée, quel que soit la valeur de vérité (le vrai ou le faux) que l'on perçoit en cette idée. Cette faculté explique la raison pour laquelle je perçois que "2+3=5" est un énoncé vrai pour le Cogito mais néanmoins métaphysiquement douteux avant la preuve de l'existence de Dieu qui est vérace. Je peux concevoir qu'un malin génie me trompe même dans l'évidence arithmétique que je crois percevoir. Descartes signifie ainsi le libre pouvoir que nous avons de suspendre notre jugement, c'est-à-dire celui de s'abstenir d'affirmer ou de nier une idée. Par conséquent mon "analogie" avec la syntaxe et la sémantique est plus qu'une analogie, elle est une expression précise d'une idée que l'on peut dire cartésienne sans faire offense à l'esprit des Méditations.


ok, prenons en compte le fait qu'effectivement, Descartes n'admet, avec Spinoza, que nous ne soyons pas libre de nier une idée qui dans notre Esprit est claire et distincte QUE dans la quatrième méditation, donc effectivement seulement une fois que sont établis et le Cogito et l'hypothèse de Dieu. Si l'on tient compte de cela, on n'est en effet pas obligé d'accepter mon argument, qui se basait essentiellement sur la citation de cette quatrième méditation.

Ceci étant dit, au lieu de résoudre le problème, je crois qu'il ne fait que le déplacer. Si je l'ai bien compris, ton argument est de dire que Descartes commence bel et bien par un exercice de "doute hyperbolique". Ce serait cela, l'idée d'une "volonté formellement infinie": Descartes prend n'importe quelle idée, et suspend son jugement, c'est-à-dire fait abstraction du fait que spontanément il aurait tendance à l'affirmer ou la nier, selon le cas. Il fait donc ce dont Spinoza prétendrait que ce soit impossible.

A mes yeux, il s'agit toujours d'un argument intéressant, mais néanmoins réfutable. Voici pourquoi.

D'abord, dans quelle mesure peut-on dire que Descartes "suspend" son jugement, lors du moment du doute hyperbolique? Suspendre son jugement signifierait ni affirmer ni nier une idée x. Or ce n'est pas ce qu'il dit ce qu'il va faire. Il dit bien plutôt:

Descartes, 2e Méditation a écrit :Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses; je me persuade que rien n'a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente (...).


Autrement dit: le doute hyperbolique consiste à NIER la vérité des idées que nous tenons pour vraies. Qu'est-ce à dire? Que pendant un instant, en guise d'expérience de pensée, nous allons faire COMME SI toute idée vraie était fausse.

Certes, tu vas me dire que cela ne change rien à ton argument, puisque cela prouve bien que nous pouvons imaginer une négation devant n'importe quelle idée, même devant une idée vraie, ce qui prouve que l'idée et la négation sont deux choses différentes, car la négation dépend clairement de notre volonté libre d'affirmer ou de nier arbitrairement. CQFD.

Or je crois qu'au fond, cela change tout. Car il n'y a aucun instant, pendant ce moment d'hésitation délibérée, où Descartes n'est pas conscient du fait qu'il faut COMME SI il n'est pas certain que "2 + 3 = 5". Ce qui implique qu'il sait pertinemment qu'on ne peut qu'affirmer que "2 + 3 = 5". Jamais il ne pourra réellement nier que "2 + 3 = 5", toujours il va devoir faire "comme si".

C'est cela qui à mon sens est fort différent de l'exemple que tu donnes, qui en fait est un exemple non pas d'une négation imaginaire de ce qu'on ne peut qu'affirmer, mais bien plutôt un exemple de ce que Descartes appelle "l'indifférence": nous pouvons tout aussi bien affirmer que nier p, et cela précisément parce que par convention p ne réfère plus à aucun contenu d'idée, mais désigne seulement abstraction l'objet d'une négation ou d'une affirmation. Et alors je ne vois plus comment échapper à l'argument que j'avais donné dans mon dernier message: pour Descartes aussi, nous ne sommes pas libres d'affirmer ou de nier réellement n'importe quelle idée concrète. Ou plutôt: dans les cas où nous pouvons aussi bien nier qu'affirmer, c'est-à-dire où nous ne savons pas s'il faut plutôt nier qu'affirmer ou inversement, nous ne sommes effectivement pas contraints de nier ou affirmer, mais ce genre de liberté ne vaut pas grand-chose, et a peu à voir avec ce qu'est la véritable liberté humaine cartésienne.

Autrement dit: ne faut-il pas dire que le point de vue que tu nous soumets de prime abord semble être cartésien, mais finalement ne l'est pas du tout?

J'enchaîne avec une question que tu poses à Durtal mais qui a trait au même sujet, pour ensuite passer au spinozisme:

Joseph a écrit :Au spinoziste donc de prouver que cette description cartésienne est fausse en exhibant un énoncé dont le sens ne puisse être isolé indépendamment de sa valeur de vérité. Ainsi il serait évident que la volonté et l'entendement ne sont qu'une seule et même chose, pour au moins une idée.


la base même sur laquelle se fonde tout le cartésianisme consiste en un tel énoncé: cogito, ergo sum. Pour Descartes, il est IMPOSSIBLE de nier cela. Dieu ne vient qu'après, n'est qu'une hypothèse pour rendre compte de ce sentiment d'évidence. Tout comme Spinoza, il part d'une idée vraie pour pouvoir construire son édifice. D'une idée INDUBITABLEMENT vraie. Ici aussi, bien sûr, on pourrait toujours "comme si" ce n'est pas vrai. Mais on ne peut jamais faire semblant de nier sans déjà savoir avec certitude que nous sommes bel et bien contrait d'affirmer. La volonté, aussi bien pour Descartes que pour Spinoza, porte donc sur l'affirmation REELLE, et non pas sur la possibilité de s'imaginer tout et n'importe quoi (des chevaux ailés, ...). La volonté n'a rien en commun avec une affirmation ou négation purement FORMELLE.

Or comme déjà dit auparavant, le fait que ton objection n'est pas cartésienne (à moins que tu trouves une faille dans le raisonnement précédent?) n'enlève bien sûr rien à sa pertinence éventuelle. Poursuivons donc.

Joseph a écrit :Tu me poses ensuite une question:
Louisa:
Prétends-tu qu'elles soient spinozistes? Si oui: je crois que tu te trompes.

Joseph:
Ce que Spinoza conteste est clair: il nie que nous ayons le libre pouvoir d'affirmer ou de nier une idée. Le doute cartésien n'est un doute qu'en paroles. Si l'on reprend mon argument, cela signifie que si nous imaginons être libres en mettant un énoncé entre guillemets, c'est parce que nous ignorons la cause qui fait que nous voulons isoler le sens de l'énoncé en faisant abstraction de sa valeur de vérité que l'on perçoit pourtant. Les définitions que je donne ne sont donc évidemment pas spinozistes car pour Spinoza cette description n'est qu'un jeu de langage qui ne correspond pas à la réalité des volontés ou idées singulières: quand je perçois que deux plus trois font cinq, alors j'affirme aussi qu'il en est ainis et je ne peux pas réellement en douter. Autrement dit le doute métaphysique caractérisé par la fiction du mauvais génie, n'a aucune valeur épistémologique, si ce n'est celle de nous faire comprendre que le doute réel n'est pas celui dont parle Descartes.


ok, il me semble donc que nous sommes d'accord là-dessus. C'est pourquoi je te demandais si tu acceptes de dire que ta critique est une critique "externe" du spinozisme. Mais la suite de ta réponse permettra de préciser:

Joseph a écrit :J'en viens maintenant, Louisa, à la fin de ton message:

Louisa:
Dernière question: le raisonnement (ou plutôt la conclusion) est-il vrai? Nous donne-t-il une vérité sur un état de choses dans le monde? Cela n'est le cas que si les prémisses sont vraies. Or à mon sens elles sont fausses. Réduire l'affirmation, donc l'adhésion effective à la vérité d'une idée, à un simple "dire", c'est réduire la vérité à tout et n'importe quoi. Je peux aussi dire que "hier j'ai rencontré un cheval ailé". Dire cela ne garantit en rien que cette proposition est vrai. La possibilité d'être énoncé correctement dans une langue et la possibilité d'exister véritablement dans la réalité, sont donc deux choses différentes. On ne peut passer de l'un à l'autre sans déformer l'idée même de vérité. Si donc tu veux maintenir l'idée d'une volonté telle qu'on la définit au XVIIe (capacité de donner un consentement, adhérer à la vérité de, etc), à mon sens tu es obligé d'abandonner l'analogie avec la syntaxe, car avoir une proposition syntaxiquement correcte ne suffit nullement pour déjà pouvoir avoir une proposition vraie.

Joseph:
Ta défense de la thèse spinoziste consiste à dire que, puisque les prémisses cartésiennes sont fausses, alors on peut à partir d'elles démontrer n'importe quoi. Le problème est que tu traduis à tort ces prémisses et donc, si elles sont effectivement fausses, tu ne donnes pas ici l'explication de leur fausseté.


ta prémisse avait besoin de la notion d'une wff, et donc par là même n'était déjà pas cartésienne (jamais Descartes ne confond les idées avec les mots ou leurs caractéristiques; sa définition d'une idée claire ne passe pas par la linguistique).

Joseph a écrit : Tu commets un contresens sur mon argument: je n'ai jamais soutenu que la correction syntaxique est une preuve de vérité, c'est simplement une condition sine qua non de le signification dans un langage. Autrement dit, et pour être plus clair encore:
"2+3=5" et"hier j'ai rencontré un cheval ailé" sont deux énoncés bien formés et ils sont de plus doués de sens (à la différence de "quadruplicité boit temporisation" qui est bien formé mais non doué de sens). Leur mise entre guillemets isole leur sens. Ma description suggère que la possibilité de la mise entre guillemets de tout énoncé a pour condition de possiblité la liberté formelle de la volonté, c'est-à-dire la capacité d' affirmer ou de nier ou s'abstenir de faire l'une ou l'autre opération, donc pour tout ebf p, on peut écrire;
"p", ou |=p, ou encore |=~p (et, évidemment, si on peut mettre p entre guilemets, on le peut aussi pour ~p) Spinoza ne conteste pas cela, il conteste simplement que notre capacité à mettre ou à ôter les guillemets soit libre, car un tel acte, comme tous les autres, est déterminé par des causes que l'on peut ignorer. Enfin et surtout, si les prémisses de mon argument cartésien sont fausses du point de vue spinoziste, c'est qu'elles sont abstraites, purement linguistiques, et ne représentent rien de réel. De ce qui n'est pas réel (les prémisses) on arrive à une conclusion qui ne l'est pas plus: la distinction de la volonté et de l'entendement.


en effet, tu as tout à fait compris le problème que je voulais mettre en évidence. De nouveau, est-ce que de ma part je t'ai bien compris si je crois qu'ici tu es en train de confirmer l'idée que ta critique du spinozisme est externe?

Deuxième chose: en effet, je pensais que pour toi implicitement la correction de la syntaxique était un critère suffisant de vérité. Merci donc de m'avoir détrompé. Il me semble que tu expliques ce point particulièrement clairement dans un passage de ta réponse à Durtal:

Joseph a écrit :(2) Par l'opération de la volonté je peux isoler la signification de p & ~p et, via la mise entre guillemets, ne pas considérer la valeur de vérité de l'énoncé contradictoire, mais uniquement son sens. Cela est possible quand je considère par exemple l'expression "l'ensemble de tous les ensembles" qui est démonstrativement contradictoire dans la théorie classique (zermelienne) des ensemble, mais qui ne l'est pas dans la théorie NF de Quine. Ces démonstrations respectives sont perçues par l'entendement. Le fait de ne considérer que le sens de l'énoncé requiert l'opération de la volonté.


la valeur de vérité peut effectivement être séparée du sens d'un énoncé (cela, on ne peut pas REELLEMENT nier ... :) ).

Premier avantage de le formuler ainsi: mon objection contre ta prémisse tombe. Or j'avais déjà dit que je reconnais la validité de ton raisonnement en tant que tel. Si maintenant j'accepte aussi la vérité de la prémisse, je suis obligée d'accepter la vérité de la conclusion. Reprenons le raisonnement pour voir ce que cela signifie plus exactement:

louisa a écrit :* thèse principale: volonté et entendement sont réellement distincts

* argument principal: si p est une wff, alors non p en est une aussi.

* développement du raisonnement:
- prémisse: la volonté est définie par la capacité de dire "j'affirme" ou "je nie", l'entendement par le fait de former une wff, une proposition langagière significative
- il est un fait que pour toute proposition simple qui a un sens, je peux dire "j'affirme" ou "je nie", sans que cela affecte la wff
- conclusion: volonté et entendement sont distincts.


il suffit de remplacer, dans la prémisse, la définition de l'entendement par ceci : "le fait de former une pensée", pour qu'à mes yeux la conclusion devienne indéniablement vraie (pour être tout à fait précis, on peut également reformuler la définition de la volonté en disant qu'il s'agit de la capacité d'affirmer ou de nier, pour ôter ici aussi toute référence à la linguistique).

Deuxième avantage de l'introduction explicite de cette distinction sens-valeur de vérité: il me semble qu'ainsi il devient également plus facile de retraduire ton objection dans un langage spinoziste, puisqu'on passe de bases purement linguistiques à la distinction entre le sens (donc une idée, ou une Gedanke, dans les termes de Frege) et la valeur de vérité, résultat d'un jugement (d'une affirmation ou négation).

En effet, il faut bien dire que pour Spinoza, il est IMPOSSIBLE de séparer le sens d'une pensée de sa valeur de vérité.

Or je viens d'admettre que nier cette possibilité est précisément ce qui est impossible. Est-ce à dire que j'accepte ta conclusion finale: Spinoza s'est trompé, sur ce point précis?

Hélas, non. Il reste le fait que dans ta prémisse, tu utilises les termes "affirmer" et "nier" dans un sens contemporain (ou du moins frégéen), qui, comme j'espère l'avoir montré, n'a que très peu en commun avec le sens que ces termes revêtent pour des gens comme Descartes ou Spinoza. Pour que ta conclusion finale soit vrai, il faut comprendre par "affirmer" le fait d'ajouter une barre d'assertion à un contenu de pensée quelconque. Cela demeure une affirmation purement formelle, vide de tout "engagement ontologique réel", alors que pour Spinoza et Descartes, affirmer quelque chose, c'est adhérer à l'idée que la chose existe réellement dans le monde. Impossible d'adhérer à des formules abstraites, qui ne réfèrent à aucun objet "palpable".

Autrement dit, un "jugement", au sens frégéen du terme, n'a rien à voir avec une "affirmation", au sens cartésien-spinoziste du terme. On parle tout simplement de deux choses différentes. C'est pourquoi je ne vois pas comment ton objection pourrait être une réelle critique du spinozisme. J'aurais donc tendance à penser qu'elle n'est même pas une critique externe, car non seulement elle ne se base pas sur une contradiction interne, mais en plus elle ne démontre pas non plus en quoi ce que Spinoza à l'époque a prétendu aujourd'hui est démontré comme étant faux, puisqu'on parle tout simplement de deux choses différentes, si tu vois ce que je veux dire?

Bref, avec ce que tu viens de dire, pour moi ton raisonnement devient tout à fait vrai. Mais il porte sur autre chose que ce dont parle Spinoza, et donc ne peut constituer ni une critique interne, ni une critique externe.

En me réjouissant déjà de tes commentaires/critiques/objections ...,
bien cordialement,
Louisa
Modifié en dernier par Louisa le 01 août 2008, 13:50, modifié 1 fois.

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Messagepar Durtal » 01 août 2008, 10:43

jvidal a écrit :Mais Spinoza peut se tromper, non?
:)


Oui bien sûr mais il ne peut pas se tromper autant que Descartes!:D

Blague à part, je ne pense pas qu'il se trompe sur le point en question et cela ne m'empêche pas de conserver encore de nombreux doutes par ailleurs.


jvidal a écrit :Cher Durtal,

J'ai en fait peur de ne pas comprendre ton problème. Je vais reprendre ce que je comprends au sujet de la contradiction logique, d'un point de vue classique, et si je suis à côté de la question qui te préoccupe, tu me le diras sans détour.


Tout ce que tu écris suite à cela est bel et bon, mais ce que je t'objectes est en fait beaucoup plus simple. Nous nous sommes fourvoyés sur la question des énoncés de contradiction parce que, reprenant l'argument de Spinoza, contre l'idée du caractère infini de la volonté et contre la différence perception/entendement, je disais: on ne peut pas asserter p et -p, en même temps. Mais en réalité le problème n'est pas du tout spécifique à la contradiction, car la même chose vaudra pour deux énoncés simplement divers. En effet soit l'énoncé "p" et l'énoncé "-p", soit ensuite (a) et (b) correspondant chacun à un acte de la volonté tel que l'acte (a) juge que "p" et l'acte (b) juge que "-p". Eu égard maintenant à l'énoncé "p et -p" l'acte qui le pose ne résulte pas d'un produit des actes (a) et (b), mais correspond à un troisième différent de ces deux là, soit l'acte (c). Et quelque soient les contenus de ces actes ( je veux dire qu'ils consistent à poser "p", ou "-p" ou encore "p et -p") il ne peuvent être tous produits simultanément.

Il faut donc entendre "on ne peut affirmer p et -p simultanément" non comme une proposition niant la possibilité de former un énoncé unique mettant en conjonction p et -p, mais comme une proposition indiquant qu'il n'est pas possible de produire les actes (a) et (b) en même temps. De la même façon, si tu veux, qu'il est impossible de s'allonger sur le dos et de se mettre debout en même temps. Nous avons certes le "pouvoir"de nous allonger ou de nous mettre debout, mais nous n'avons surement pas le pouvoir de faire ces deux choses en même temps. (Et ne me parle pas d'apesanteur s'il te plaît :D).

Or un des arguments de Spinoza est exactement celui là: les cartésiens disent que la volonté est différente de la perception pour la raison que la volonté peut affirmer ou nier une infinité de choses, alors que la perception n'embrasse pas une infinité de choses. Il répond: la volonté peut certes affirmer et nier une infinité de choses, mais les unes après les autres, or c'est exactement le cas de la perception, qui peut elle aussi embrasser une infinité de choses mais de la même façon: les unes après les autres. Donc ou bien la volonté n'est pas plus "infinie" que la perception ou bien la perception l'est tout autant que la volonté. Et il semble bien que Spinoza ait quelque raison de les trouver identiques puisqu'il montre en tout cas qu'elles ne diffèrent pas par "l'infinité".

D.

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Messagepar jvidal » 01 août 2008, 11:32

Bonjour à tous,
Il y a beaucoup de choses dans les dernières réponses que je lis ce matin. Je répondrai de façon incomplète, par manque de temps et par souci de concision.

Il y a un élément commun dans ces dernières réponses: le souci de se situer "à l'intérieur" du système, souci que je ne partagerais pas, ce qui expliquerait le caractère "externe" de mon argument, et donc l'affaiblirait nécessairement.

Je veux bien répondre sur ce point, mais cela risque de nous entraîner, pour le coup, loin de Spinoza. Disons que j'admets la pertinence de cette critique, mais qu'elle est à mes yeux de portée limitée. On peut en effet considérer les oeuvres philosophiques comme des "monuments", et admettre par principe qu'on ne doit les comprendre que de "l'intérieur", pour juger de leur cohérence propre et de leur mode de fonctionnement. C'est grosso modo le point de vue de Gueroult dont j'admire l'oeuvre critique. Je pense cependant qu'il y a une façon plus intéressante de faire de la philosophie qui est de s'interroger sur la valeur épistémologique des théories philosophiques, sur leur pertinence, et, pour employer un terme volontairement naïf, sur leur "vérité". Autrement dit je ne nie pas que la théorie spinoziste de la volonté ait un intérêt, ni qu'on ne puisse la comprendre à l'intérieur de l'Ethique, mais mon argument, qui se fonde sur les notions communes de la négation, de la vérité et de la fausseté et sur l'usage ordinaire de la logique classique, a pour finalité de montrer le caractère pour le moins "exotique" de la théorie spinoziste de la volonté.

Dans sa réponse, Faun ne fait que reprendre l'objection que j'avais prévue dans le message qui précède. On est tout à fait libre de considérer que toutes les mathématiques ne sont que des constructions verbales et des fictions, qui parfois sont utiles, mais que l'on doit pouvoir réduire à un discours non-fictionnel d'où elles disparaissent. Là encore cela nous entraînerait bien loin de Spinoza si l'on cherchait à creuser dans cette direction. Mais il y a une question plus simple et plus spinoziste d'esprit. Faun écrit:

Ce qui est absurde, c'est de penser que la négation est quelque chose de réel.


J'admets avec Russell qu'il n'y a pas de fait négatif et que le négation relève de l'esprit. Ce qui est absurde, c'est de penser qu'un énoncé négatif est incapable d'apporter une information sur le monde. En réfléchissant trente secondes on est embarrassé par le choix des exemples possibles. Si je dis à François que je n'ai pas vu Christian, un de nos amis communs, depuis bientôt un an, j'apporte à François une information. De la même façon si j'apprends que tel logiciel ne fonctionne pas si l'on ne s'enregistre pas grâce à un code, j'apprends bien quelque chose de réel. Si je vous dis que je n'utlise ni Windows, ni les logiciels de Microsoft, ni aucun logiciel propriétaire, je vous apprends quelque chose (une vérité en l'occurrence, d'où le logo du système Debian GNU/Linux que j'utilise avec une joie quasi-spinoziste :) ); etc.

Si votre idée : "je ne pense pas" était vraie, c'est à dire réelle, ne serait-ce qu'un instant, alors vous sombreriez immédiatement dans le néant pour n'en plus jamais ressortir. Le néant, qui, comme chacun sait, n'existe pas.


Il est intuitivement contradictoire et anti-cartésien (au sens que Neil Tennant donne à ce mot) que j'affirme "je ne pense pas" en pensant à ce que je dis. Mais cela ne signifie nullement que "je ne pense pas" ne puisse pas dans certains contextes être considéré comme un énoncé vrai: si l'on programme un ordinateur pour lui faire dire "je ne pense pas", on peut raisonnablement admettre que l'énoncé dit quelque chose de vrai au sujet du pc que l'on désigne artificiellement par "je". Si l'on définit la pensée par l'état de conscience de soi, on peut alors admettre que l'énoncé "sous anesthésie générale, je ne pense pas", est vrai.
Ces remarques ont juste pour fin de montrer qu'il est imprudent de prendre une oeuvre philosophique, aussi importante soit-elle, pour parole d'Evangiles...

Je concède donc que ma critique est "externe", mais comme elle se fonde sur un usage ordinaire et général de la logique et du langage, et comme au moins Louisa parmi vous me concède la vérité, fut-elle simplement "externe" , de mon argument, je suis heureux d'avoir réussi à me faire comprendre.

Pour Louisa cependant et pour tous les philosophes uniquement soucieux de la cohérence interne d'une oeuvre, il reste à comprendre pourquoi Spinoza, qui reconnait que la description cartésienne de la volonté exprime l'essence adéquate (mais abstraite) de celle-ci, nie par la proposition 49 elle-même, la vérité de cette description. C'est là un problème de cohérence interne puisque la connaisance des idées adéquates relève aussi de la connaissance du second genre et l'on verrait donc ainsi une connaissance du second genre, connaissance d'une idée adéquate (l'essence de la volonté qui est la même dans toute idée), falsifiée par une proposition démontrée dans l'Ethique.
Il y a encore une autre incohérence dans le Scolie, mais c''est un point mineur, qui montre tout simplement que Spinoza s'embrouille dans sa propre théorie, lorsqu'il écrit:
De plus ceux qui confondent les mots avec l’idée, ou avec l’affirmation que l’idée enveloppe, croient qu’ils peuvent opposer leur volonté à leur pensées, quand ils n’opposent à leur pensée que des affirmations ou des négations purement verbales.

C'est évidemment moi qui souligne. Car c'est la théorie spinoziste elle-même qui exige la confusion de l'affirmation et de l'idée, quand c'est la position cartésienne qui insiste sur la distinction (plus tard faite par Frege) entre idée (proposition) et jugement (affirmation ou assertion). S'il n'y a pas de distinction, du point de vue spinoziste, entre avoir une idée vraie et asserter cette même idée vraie, alors c'est bien le point de vue spinoziste qui ne voit aucune utilité de faire une distinction entre
(1) 2+3=5
et
(2) |- 2+3= 5
Mais c'est une incompréhension de la signification exacte du signe de Frege qui conduit à penser que l'on peut confondre (1) et (2) pour des raisons autres que celle de la commodiité.
La lecture charitable de Spinoza, qui je crois s'impose, consiste à dire qu'il veut parler dans ce passage de la confusion entre l'affirmation verbale et l'idée qui elle n'est pas simplement verbale. Mais cette lecture ne fait que préciser le problème: car ou bien l'affirmation et la négation sont purement verbales, et alors, toujours selon Spinoza, elles ne se confondent pas avec l'idée, ou bien elles ne le sont pas, et alors peuvent être confondues avec l'idée. La position qui me semlbent correcte est de dire que l'affirmation et la négation, ou l'assertion, ne sont ni plus ni moins verbales que les énoncés eux-mêmes. Elles ont rapport à la vérité ou au prédicat de vérité, comme on veut. On peut les faire dépendre des expériences ou des preuves, ainsi que les énoncés eux-mêmes. Mais on a intérêt à distinguer l'assertion de l'énoncé lui-même, parce que cela clarifie notre usage du langage et nos théories en général. C'est la raison pour laquelle je pense que Spinoza n'aide que négativement à cette clarification, lorsqu'on parvient à montrer que sur ce point sa théorie n'est pas satisfaisante.

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Messagepar jvidal » 01 août 2008, 12:02

A Durtal.

L'argument spinoziste selon lequel volonté et entendendement ne diffèrent pas par "leur infinité" a peu de poids parce qu'il s'agit, du point de vue cartésien de montrer qu'ils diffèrent par nature, bref, que contrairement à ce que dit le corollaire saugrenu de la prop. 49 de l'Ethique 2, ils ne sont pas une seule et même chose.

Voici un exemple simple pour le montrer. Soit les énoncés suivants dont on ne considère QUE la signifaction, d'où l'usage des guillemets:

(1) "La conjecture de Fermat est un bon exemple d'un énoncé indécidable"
(2) "Le système ensembliste NF est contradictoire"
(3) "Le système ensembliste NF est cohérent"

Tout ceux qui ont affirmé (1) et qui continuent de l'affirmer se trompent, comme le démontre le théorème de Wiles. C'est par imprudence et par un mauvais usage du jugement qu'un bon nombre d'auteurs ont pris la conjecture de Fermat pour un exemple correct d'énoncé indécidable. Maintenant avec un peu d'effort et de recherches, on peut comprendre ce que veulent dire les énoncés (2) et (3), on peut faire aussi comme les auteurs qui ont riqué l'assertion de (1) et parier sur la vérité de (2) ou sur celle de (3), ou prudemment suspendre son jugement sur la question de la cohérence de NF. Les spinozistes assimileront cette suspension du jugement à l'effet d'un manque de connaissance, et non à un exercice de la liberté de la volonté. D'accord. Mais ils auront du mal à expliquer alors les paris. Je me lance, je parie ici qu'on parviendra un jour à démontrer que NF n'est pas un système ensembliste cohérent. J'ai peut-être tort, mais je m'engage sur la vérité de (2) que je prends le risque d'asserter, rien que pour montrer, d'ailleurs, que volonté et entendement ne sont pas une seule et même chose.
Bien sûr on me dira qu'il ne s'agit que de mots. Allez dire ça à tout ceux qui jouent aux courses ou au Loto... :twisted:


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