volonté et entendement: un problème logique

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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sescho
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Messagepar sescho » 01 août 2008, 12:03

Un petit retour, bref (car c'est totalement hors sujet) :

Faun a écrit :
jvidal a écrit :Quant à ce qui est dit sur l'entendement divin, c'est aussi un contresens, voire sur ce point le fameux article de Koyré. En bref, il n'y a pas de distinction chez Spinoza entre l'entendement divin et les entendements humains, si l'on veut faire court.


Absolument d'accord avec vous. Mais je ne connais pas cet article de Koyré, est-il disponible en ligne ?


Pour moi, sans autre précision, c'est clairement faux, mais j'ai trouvé ceci.

Serge
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Louisa
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Messagepar Louisa » 01 août 2008, 12:06

Joseph a écrit :Je concède donc que ma critique est "externe", mais comme elle se fonde sur un usage ordinaire et général de la logique et du langage, et comme au moins Louisa parmi vous me concède la vérité, fut-elle simplement "externe" , de mon argument, je suis heureux d'avoir réussi à me faire comprendre.

Pour Louisa cependant et pour tous les philosophes uniquement soucieux de la cohérence interne d'une oeuvre, il reste à comprendre pourquoi Spinoza, qui reconnait que la description cartésienne de la volonté exprime l'essence adéquate (mais abstraite) de celle-ci, nie par la proposition 49 elle-même, la vérité de cette description. C'est là un problème de cohérence interne (...)


Bonjour Joseph,

juste ceci afin d'être certaine d'avoir été claire (une réponse plus détaillée arrive sous peu).

Le problème que tu soulèves ici (celui de l'essence adéquate) mérite à mon sens certainement notre attention, car effectivement, de prime abord il semble être assez étrange, tandis que si l'on veut construire une cohérence interne (ce qui est en effet notamment ce qui m'intéresse), il faut pouvoir le résoudre.

N'empêche qu'à mes yeux une critique externe peut être tout aussi intéressante, non seulement parce qu'elle permet d'approfondir certains points à ceux qui veulent une cohérence interne, mais AUSSI parce qu'une telle critique peut parfois donner accès à l'essentiel: la vérité.

Or ce que j'ai essayé de montrer dans la deuxième partie de mon message précédent, c'est qu'une fois bien comprise, ta critique à mon sens n'est PAS une critique externe non plus. Tu parles de la vérité qu'on peut enlever la barre d'assertion ou la valeur de vérité d'un contenu de jugement ou d'un sens. Spinoza parle de la vérité qu'on peut seulement feindre ne pas croire en ce en quoi on croit réellement, mais ne pas cesser d'y croire réellement.

Une critique externe aurait par exemple été que tu dis éventuellement que l'énoncé de Spinoza est cohérent au sein du spinozisme, mais qu'en vérité, on peut prouver que si, on peut réellement nier ce en quoi on croit. Ce serait être capable de te faire croire toi-même que tu n'es pas, en ce moment-ci, en train de lire mon message, et vraiment y croire, donc vraiment croire que tu es en train de faire tout sauf cela. Tu admettras, je suppose, que cela est absurde.

Ne faut-il dès lors pas nécessairement conclure que MÊME d'un point de vue externe, tu es au fond d'accord avec Spinoza, en ce qui concerne l'essentiel du point dont on discute (tandis que moi-même, également d'un point de vue externe à la pensée de Frege, je suis tout à fait d'accord avec lui lorsqu'il s'agit d'admettre qu'on peut séparer sens et valeur de vérité)?
A bientôt,
Louisa

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Messagepar sescho » 01 août 2008, 12:42

Sur le sujet, j'ai quelques remarques :

1 - Spinoza associe nier et affirmer - caractère(s) commun(s) aux idées - tout simplement parce que la négation est une forme d'affirmation : nier c'est affirmer d'une chose son contraire (sachant qu'en outre les mots peuvent eux-mêmes englober une négation.) Dans ces conditions, isoler l'opération de négation pour en faire une opposition à Spinoza sur le plan des idées n'a tout simplement pas de sens (le fait que l'être ne peut se trouver que dans l'affirmation pure est autre chose.)

2 - Le cogito ergo sum n'est pas une idée simple : c'est une élaboration (souvent contestée, d'ailleurs, en spiritualité, même si des fois c'est sur une base abusive : une acception restreinte de "penser."), qui se voit par le "donc" et même encore par le "je." L'idée simple est "conscient !" et elle n'a pas d'idée opposée, de négation, qui est purement insensée.

J'ajouterais que l'abstraction de l'environnement ("il y a quelque chose en dehors de moi") est aussi très discutable (en fait, une conscience qui ne serait consciente de rien sinon d'elle-même ne me dit absolument rien ; d'ailleurs, sauf erreur, le "con-" de "conscient" ne l'implique-t-il pas ?) Un doute "hyperbolique" est donc exagéré, et donc pour cette part purement verbal. Encore une fois, absolument à juste titre, Spinoza ne confond pas le verbal (même "sémantiquement correct" : énoncé complet et non contradictoire) avec une idée.

En outre, sans nouvel apport de base, ce cogito ne débouche sur rien d'autre que lui-même.

3 - De toute évidence, tout ce qui porte sur des énoncés indépendamment de leur contenu précis est... une idée générale sur les énoncés, et rien d'autre (et en particulier pas de tel ou tel énoncé complet), en parfaite analogie avec ce que dit Spinoza, savoir que "volonté" a un sens propre dans l'affirmation en général contenue dans les idées en général, mais n'en a plus lorsqu'il s'agit de l'affirmation particulière contenue dans une idée précise.

Serge
Modifié en dernier par sescho le 01 août 2008, 14:42, modifié 3 fois.
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Messagepar jvidal » 01 août 2008, 12:43

Pardon pour n'avoir pas répondu à Faun sur la demande de référence au sujet de l'article de Koyré, que je trouve très convaincant:

"Le Chien constellation céleste et le chien animal aboyant", Revue de Métaphysique et de Morale, , 1950, réimprimé dans "Etudes d'Histoire de la pensée philosophique", Gallimard,, Paris, 1961, réimprimé pour la collection TEL en 1971, pp. 93-102. Hélas, je ne le trouve pas en ligne, ni sur JSTOR, ni ailleurs.

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Messagepar Faun » 01 août 2008, 12:54

jvidal a écrit :Si l'on définit la pensée par l'état de conscience de soi, on peut alors admettre que l'énoncé "sous anesthésie générale, je ne pense pas", est vrai.


Oui mais la pensée n'est pas seulement la conscience qu'on en a. Un esprit qui dort n'est pas conscient, et pourtant pense. De même qu'un esprit dont le corps est sous anesthésie générale. Mais vous ne voyez pas que la pensée pour Spinoza est plus que la conscience qu'on en a. La pensée en Dieu est un attribut de Dieu, c'est à dire qu'elle existe éternellement et infiniment, autrement dit, la pensée est dans la nature partout. Dans votre main, dans cette souris que tient votre main, dans l'écran que vous regardez, dans l'air qui est entre vos yeux et l'écran, etc. La pensée ne se limite pas au "jugement" que nous portons sur les idées. Elle est constituée des idées elles mêmes. Et c'est la même chose pour l'intellect/volonté, qui n'est rien d'autre que les idées, et un "jugement" ou une démonstration n'est rien d'autre qu'un assemblage d'idées.

Ce qui est absurde, c'est de penser qu'un énoncé négatif est incapable d'apporter une information sur le monde. En réfléchissant trente secondes on est embarrassé par le choix des exemples possibles. Si je dis à François que je n'ai pas vu Christian, un de nos amis communs, depuis bientôt un an, j'apporte à François une information.
De la même façon si j'apprends que tel logiciel ne fonctionne pas si l'on ne s'enregistre pas grâce à un code, j'apprends bien quelque chose de réel. Si je vous dis que je n'utlise ni Windows, ni les logiciels de Microsoft, ni aucun logiciel propriétaire, je vous apprends quelque chose (une vérité en l'occurrence, d'où le logo du système Debian GNU/Linux que j'utilise avec une joie quasi-spinoziste Smile ); etc.


Je vous répondrais que l'absence d'information n'est pas une information.

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Messagepar jvidal » 01 août 2008, 12:58

Louisa a écrit :Ne faut-il dès lors pas nécessairement conclure que MÊME d'un point de vue externe, tu es au fond d'accord avec Spinoza, en ce qui concerne l'essentiel du point dont on discute (tandis que moi-même, également d'un point de vue externe à la pensée de Frege, je suis tout à fait d'accord avec lui lorsqu'il s'agit d'admettre qu'on peut séparer sens et valeur de vérité)?
A bientôt,
Louisa


Chère Louisa, peux tu me dire avec plus de précision sur quel point je serais d'accord avec Spinoza? Je ne suis évidemment pas a priori contre l'idée d'être d'accord avec Baruch. :)

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Messagepar jvidal » 01 août 2008, 13:31

Faun a écrit :Je vous répondrais que l'absence d'information n'est pas une information.


Il ne s'agit pas d'absence d'information, mais de tous les énoncés négatifs qui donnent des informations. Quand on annonce qu'aucun train ne circule, voit-on beaucoup de gens se précipiter dans les gares?

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Messagepar Faun » 01 août 2008, 13:40

jvidal a écrit : Quand on annonce qu'aucun train ne circule, voit-on beaucoup de gens se précipiter dans les gares?


Ce n'est pas une information, puisqu'on peut poser la question : "pourquoi ?"
Une véritable information serait : "suite à une grève d'une certaine catégorie de personnel, les trains sont immobilisés ce jour."

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Messagepar Louisa » 01 août 2008, 13:43

Joseph a écrit :Chère Louisa, peux tu me dire avec plus de précision sur quel point je serais d'accord avec Spinoza?


Cher Jospeh,
c'est ce que j'ai voulu expliquer en écrivant ceci (pour un développement plus en détail, voir le message envoyé hier, derniers 3-4 paragraphes):

louisa a écrit :Une critique externe aurait par exemple été que tu dis éventuellement que l'énoncé de Spinoza est cohérent au sein du spinozisme, mais qu'en vérité, on peut prouver que si, on peut réellement nier ce en quoi on croit. Ce serait être capable de te faire croire toi-même que tu n'es pas, en ce moment-ci, en train de lire mon message, et vraiment y croire, donc vraiment croire que tu es en train de faire tout sauf cela. Tu admettras, je suppose, que cela est absurde.


Il suffit que tu admettes qu'en effet, tu ne peux que faire COMME SI tu n'es pas en train de lire ce message-ci, tu ne peux pas REELLEMENT nier que tu es en train de lire, pour accorder l'essentiel de l'argument spinoziste: on ne peut décider librement de trouver tel ou tel phénomène concret réellement vrai ou faux. Par rapport aux choses singulières concrètes, à ce sujet Spinoza et Descartes ne font que répéter ce qui fait partie du sens commun: l'adhésion à une telle représentation ne dépend pas d'une décision arbitraire, mais est de l'ordre de la contrainte.

Qu'à part cela il est vrai qu'en logique formelle on peut distinguer la valeur de vérité du sens, ne change rien à ce que disent Spinoza et Descartes à ce sujet. On parle de deux choses différentes. C'est pourquoi pour moi ton raisonnement est tout à fait valide, la prémisse est vraie, la conclusion est vraie, mais l'OBJET de ce raisonnement n'a rien à voir avec l'OBJET du raisonnement cartésien ou spinoziste lorsque ceux-ci parlent de l'affirmation, puisque pour eux le mot "affirmation" désigne non pas quelque chose comme une barre d'assertion purement formelle, mais une adhésion réelle.

Conclusion: à mon sens ce que tu proposes est vrai, mais n'est ni cartésien, ni spinoziste, et pas non plus une critique externe du spinozisme car pour ce faire, il faut d'abord parler du MEME objet, de la même pensée - au sens frégéen de Gedanke (inversement, si tu veux faire une critique externe de ce passage, il faudrait démontrer non pas qu'il est possible de faire COMME SI tu n'es pas en train de lire mon message, mais que tu es bel et bien capable de REELLEMENT ne pas croire que tu es en train de lire, démonstration que tu n'as pas faite).
Cordialement,
L.

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Messagepar jvidal » 01 août 2008, 15:11

Louisa a écrit :ton raisonnement est tout à fait valide, la prémisse est vraie, la conclusion est vraie, mais l'OBJET de ce raisonnement n'a rien à voir avec l'OBJET du raisonnement cartésien ou spinoziste lorsque ceux-ci parlent de l'affirmation, puisque pour eux le mot "affirmation" désigne non pas quelque chose comme une barre d'assertion purement formelle, mais une adhésion réelle.


Chère Louisa,

Un point de désaccord subsiste entre nous sur ce point: le signe d'assertion fregeen n'est pas "purement formel" et ne signifie rien de tel. Il fait référence au prédicat de vérité d'un langage L donné et n'est pas du même ordre que les énoncés auquel il s'applique. Pour parler comme Frege, dire que deux plus trois font cinq n'est pas plus "formel" que d'énoncer quelque chose de vrai au sujet de la mer du Nord. Je veux simplement dire qu'il y a une objectivité de la vérité que le signe d'assertion peut tout à fait exprimer, si l'on adopte un point de vue réaliste. Il est tout aussi faux que Descartes a dans l'idée autre chose que ce qui est indiqué par le signe d'assertion, interprêté en ce sens, lorsqu'il définit la volonté par l'affirmation de la vérité d'une idée ou par la négation de celle-ci. En réalité le signe d'assertion de Frege ne dit rien d'autre. Voir sur ce point par exemple,

Wittgenstein, dans le Tractatus Logico-Philosophicus qui, en 4.442, a écrit : Le "signe de jugement" fregeen "|-# est dépourvu de signification logique; il montre simplement chez Frege (et Russell) que ces auteurs tiennent pour vraies les propositions ainsi désignées. "|-" n'appartient donc pas d'avantage à la construction propositionnelle que, par exemple, son numéro. Il n'est pas possible qu'une proposition dise d'elle-même qu'elle est vraie.


On peut bien entendu refuser de définir la volonté par la capacité d'asserter, et on peut avoir de solides raisons pour un tel refus, mais Spinoza lui-même accepte cette définition minimale de la volonté comme le montre la proposition 49 et ce qui suit.
Donc, non, mon argument ne porte pas sur "autre chose".

Cordialement
Joseph


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