volonté et entendement: un problème logique

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 04 août 2008, 21:05

Durtal a écrit :Louisa a écrit:
si tu parles de Qu'est-ce que la philosophie? de Deleuze et Guattari: serait-il possible de préciser quelles "références constantes" mais "implicites" je ferais à cet ouvrage ... ?

Durtal
Allons, allons.... '"création de concept", la poésie et les "percepts", l'incommensurabilité des systèmes philosophiques entre eux etc... Bref, c'est peut être devenu tellement habituel pour toi que tu n'en as même plus conscience mais c'est bien là.


ah d'accord, je croyais que tu voulais dire qu'ici, dans cette discussion avec Joseph, j'utilisais sans cesse des arguments "deleuziens". Oui bien sûr, c'est Deleuze qui parle de "percepts" quand il s'agit de la poésie. Si donc Faun oppose Deleuze à ce qu'écrivais Joseph, je ne vois pas en quoi ce serait si scandaleux de rappeler que pour Deleuze lui-même, un "percept poétique" a peu à voir avec la logique ou avec la communication d'idées scientifiques ou vraies.

Quant aux deux autres références que tu donnes (dont l'une qui n'est pas texto): il s'agit d'une autre discussion, où j'essaie d'expliquer en des termes simplifiés comment comprendre que Spinoza et Freud peuvent dire des choses contraires mais néanmoins suffisamment intéressantes pour conseiller à un jeune homme de 13 ans de les lire tous les deux avant de juger.

Bref, encore une fois, je ne comprends pas ce que tes remarques viennent faire ici, quand nous discutons d'une question très précise (l'affirmation appartient-elle à l'essence de l'idée ou non?). A mon avis, elles sont tout simplement "hors sujet".

Louisa a écrit:
Puis bon, croire qu'on n'a pas lu Frege et qu'on peut néanmoins en dire ce que j'en dis, c'est un peu y aller vite.

Durtal:
Oui, oui tu as lu Frege, c'est bien et je n'en doute pas. C'est vrai: il en est question dans "Qu'est ce que la philosophie?". Mais figure-toi que la philosophie de la logique de Frege est elle même sujette à questions et pose un certain nombre de problèmes (entre autre, un des plus intéressant pour moi: le problème du traitement des propositions comme étant des noms, ensuite son réalisme sémantique etc.).


je ne vois pas ce qui dans ce que j'ai écrit permettrait de faire de moi une adepte inconditionnelle de Frege ... ?

Encore une fois, tu y vas trop vite. Tu crois qu'en mettant ton interlocuteur dans l'une ou l'autre case philosophique, la vérité de tes propres idées serait déjà démontrée. C'est faire de la philosophie une affaire de sectes, au lieu d'honorer le "terrible amour de la vérité" par lequel la philosophie est née.

Durtal a écrit : Du reste même en ayant lu Frege, manifestement certaines choses te sont passées par dessus la tête sinon il y a certaines conceptions que tu ne défendrais pas. Par exemple: que ce qui vaut pour "le formel" ne vaut pas pour "le réel".


ce serait plus intéressant de réfuter ce que je viens d'écrire plus exactement à ce sujet aujourd'hui, au lieu de simplement répéter que pour toi tout ce qui vaut pour le formel vaut d'office aussi pour le réel.

Louisa a écrit:
Ici on essaie de voir en quoi une affirmation serait nécessairement toujours enveloppée dans une idée particulière ou non.

Durtal:
Oui c'est pourquoi je te conseillais d'attendre au lieu de me chercher tout de suite des poux dans la tête.


je crois que tu te sens un peu trop vite attaqué personnellement quand j'indique simplement avec quelle idée que tu avances je suis d'accord et avec laquelle non. L'un n'a rien à voir avec l'autre.

Donc oui, fermons cette parenthèse et revenons à nos moutons. J'attends avec plaisir la suite de ton développement quant au sujet en question.
Bien à toi,
L.

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Messagepar Durtal » 04 août 2008, 23:46

Louisa,


tu me gaves. (Comme on dit dans le sud-ouest: où l'on s'y connait!).


Navré je ne pourrais "démontrer" ceci, mais c'est un cri du cœur....


D.

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Messagepar Julien_T » 05 août 2008, 11:04

Euh…Y aurait-il un modérateur dans la salle pour calmer l’aigreur de ce frelon ressentimenteux répondant au doux nom de Durtal et qui doit avoir un problème certain avec la gent féminine (ce ne peut pas être avec l’individu Louisa, elle est, avec Henrique, une des personnes qui parle ici le plus sensément et humblement.) ? Parce que ça devient agaçant d’avoir à lire ses jérémiades aussi inutiles qu’aphilosophiques.
Merci d’avance.
Modifié en dernier par Julien_T le 09 août 2008, 22:10, modifié 1 fois.

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Messagepar Faun » 05 août 2008, 12:07

Un vent de haine souffle sur le monde, ce forum n'est pas le seul atteint...

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Messagepar Louisa » 05 août 2008, 15:40

Chers Faun et Julien_T,

on peut certes commencer à extrapoler et chercher des explications "psychologiques" quand quelqu'un s'impatiente sur un forum de discussion, mais est-ce absolument nécessaire? J'avoue que je n'y crois pas trop.

Comme le disait déjà Platon: l'homme est un animal sensible aux Idées. Cela signifie qu'on n'a pas toujours un rapport "neutre" à l'égard de telle ou telle idée. A mon sens, cela en tant que tel explique déjà un nombre important de réactions plus "vives" qui se produisent au cours de certaines discussions qui se veulent philosophiques.

Si donc Durtal a déjà clairement manifesté son aversion pour certaines idées que je propose, je ne vois pas ce qui nous oblige à chercher autre chose derrière ses mots que cela. Ou bien il parviendra un jour à me convaincre de mon tort, ou bien j'arriverai à le persuader qu'il se trompe (ou bien, ce qui est plus probable, on apprendra chacun un peu de l'autre; d'ailleurs pour ma part c'est déjà le cas). Si en attendant il préfère s'exprimer de façon assez directe, ce n'est certes pas toujours très agréable à lire, mais aussi longtemps que ces "cris de coeur" sont largement minoritaires par rapport aux messages où ses arguments sont tout à fait intéressants et profonds, comme pour l'instant c'est clairement le cas, ce n'est peut-être pas nécessaire d'y voir déjà le spectre d'un "Souffle de la Haine"?
Cordialement,
louisa

PS à Julien_T: bienvenue sur ce forum!

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Messagepar Durtal » 09 août 2008, 19:27

Rebonjour, à tous ceux que la question préoccupe encore…

Je voudrais ici tenter de clarifier deux points, mon objectif sera en faisant ceci, non pas d’essayer de montrer que c’est Spinoza ou Descartes qui a raison ou tort mais de montrer, ce qui est ma ligne « constante » depuis le début, que la difficulté qu’a proposé Joseph en initiant ce fil de discussion n’a pas le caractère décisif à mon avis, que celui-ci y voit.

La première chose dont j’aimerais traiter est le sens exact de la critique Spinoziste de la volonté comme « représentation abstraite ». Ce qui a été dit jusque là, à savoir, principalement, que cette critique reviendrait à accorder in abstracto ce que Spinoza refuserait de concéder « in concreto », est selon moi parfaitement insatisfaisant. D’une part parce que je m’accorde avec Joseph pour dire que (si c’était là le sens véritable de sa critique) alors Spinoza serait singulièrement inconséquent, d’autre part parce que cette façon de poser le problème chez Spinoza comme une différence de l’abstrait et du concret, du formel et du réel, me paraît simpliste, si l’on a égard du moins à la doctrine Spinoziste des « notions communes ».

Le deuxième point à une relation étroite avec le premier mais concerne plus spécifiquement le traitement de la charge de preuve proposée par Joseph. J’aimerais manifester qu’en tous points, « abstraitement » et « concrètement » si l’on veut, Spinoza refuse la théorie cartésienne du jugement et surtout (puisque ça on le savait déjà) qu’il a les moyens de la refuser, je veux dire sans rendre impensables les propriétés logiques du jugement que nous reconnaissons habituellement. Et la raison dernière de tout ceci est selon moi que la thèse de Spinoza porte et a un effet (si elle en a un) uniquement sur le caractère libre ou non libre du jugement, tandis que la description des propriétés logiques des jugements reste invariante qu’on adopte l’hypothèse d’une faculté d’adhérer qui soit libre relativement aux perceptions ou bien qu’on la refuse.

Premier point : sur le sens de la critique de la volonté comme « abstraction ».

Je pense qu’il est nécessaire si l’on veut comprendre ce que dit Spinoza sur le sujet de faire deux distinctions importantes. a) Les abstractions et les fictions. b) le général et le singulier.

Lorsque Spinoza dit que la volonté entendue comme faculté est une fiction issue d’une représentation abstraite, je ne pense pas qu’il veuille incriminer l’abstraction en tant que telle. Ce qui est précisément en cause, comme il le dit est que « nous nous trompons facilement quand nous confondons les notions générales avec les singulières (…) ». Or ce me semble être une remarque parfaitement élémentaire : je la comprends du moins comme signifiant à peu près qu’il faut éviter de confondre un concept avec l’une de ces instances, ou de façon plus générale qu’il faut prendre soin de distinguer les hiérarchies et les ordres dans nos concepts. Comme disait Russell : Si la classe des concept est encore un concept, la classe des petites cuillères à thé n’est pas elle même une petite cuillère à thé. Lorsque Spinoza parle de « fiction » à propos de la volonté comme faculté, ce qu’il veut dire est que par un effet de langage, on prend un concept qui signifie une classe pour un concept signifiant un objet ou un quelque chose d’individuel. Il parle donc de la confusion conceptuelle induite par le fait que nous prenons le nom de quelque chose de général pour le nom de quelque chose de singulier (un « pouvoir » se manifestant dans l’exercice du jugement).

J’en viens ainsi à ma deuxième distinction entre généralité et singularité. La simplification que j’évoquais plus haut consiste à soutenir que Spinoza traite les abstractions comme des choses irréelles, et donc des fictions. Mais si l’on est attentif à la façon dont il caractérise les notions communes ( dont il a établit les définitions et les propriétés quelques propositions avant le scolie qui nous occupe) on doit je crois nuancer cette façon de voir les choses. La définition d’une notion commune est qu’elle une notion qui n’enveloppe l’essence d’aucune chose singulière. Et il faut éviter ici d’omettre ce dernier terme, pour en conclure que la notion commune n’enveloppe l’essence d’aucune chose « tout court » parce que ce serait faux. Si les notions communes, en effet, n’enveloppent l’essence d’aucune chose « singulière » c’est précisément dans la mesure où elles enveloppent l’essence de toutes les choses singulières mais pour une propriété commune donnée. Il est donc très nettement abusif de procéder à ce raccourci : elles n’enveloppent pas d’essence singulière, donc elles sont des fictions. Je ne peux pas m’attarder trop longtemps là-dessus, mais il est absolument essentiel, il me semble, à l’économie globale de l’éthique que les notions communes soit distinctes des fictions de l’imagination et qu’elles constituent une voie d’accès à la compréhension adéquate de la réalité. Et je réponds à certaines choses qui ont été avancées plus haut, en disant que les notions communes fondent la raison et que la raison est le monde des formes et que par conséquent le « formel » à tout à fait sa place chez Spinoza. Qu’il ne soit pas le dernier mot de la vérité est une autre question. Pour revenir maintenant à la question de la volonté, je crois que l’on peut caractériser la situation de la façon suivante :

a) Comme ceux qui font de la volonté une faculté, prennent les termes « d’affirmation » et de « négation » pour les noms d’actes uniques et singuliers qui interviennent identiquement en tout acte de jugement, au lieu de les comprendre pour ce qu’ils sont c’est-à-dire, des noms généraux désignant une infinité d’actes d’affirmations et de négations tous différents les uns des autres, ils pensent que la volonté est formellement infinie, c’est à dire qu’elle peut jouer en quelque sorte « à vide » et toute seule, c’est à dire sans avoir besoin pour nier ou affirmer, d’affirmer ou de nier quelque chose en particulier c’est à dire, telle ou telle perception de l’entendement. Si ce point n’était pas clair, je peux revenir dessus, mais il est important. Je veux dire que même si les cartésiens sont prêts à reconnaître qu’en fait aucun acte de la volonté n’est séparable d’une perception, (cf Descartes dans lettre à Mesland, qui distingue les choses « moralement parlant » (en fait) et « absolument parlant » (en droit) ) ils croient pouvoir soutenir qu’elle est en droit distinguable d’une perception, pour la raison qu’elle est « toujours la même » (c’est à dire que c’est toujours la même affirmation et la même négation) quelque soit la perception considérée, mais cela, Spinoza dit que c’est une fiction basée sur une confusion conceptuelle.

b) Lorsque Spinoza dit que la volonté est « l’affirmation dont l’essence adéquate, ainsi conçue abstraitement, doit pour cette raison être en chaque idée, et à cet égard seulement est la même dans toute (…) », il fait jouer très exactement ce qu’il a expliqué comme constituant les caractéristiques des notions communes. Il est exact que tout acte singulier de l’entendement ou de l’imagination emporte une affirmation, mais il n’en suit pas que cette affirmation prise à elle seule caractérise l’acte singulier d’une volonté s’appliquant toujours de la même façon aux perceptions de l’entendement. De la même manière que la définition génétique du cercle vaudra pour (sera vrai de), tous les cercles singuliers que l’on voudra bien tracer sans pour autant suffire à rendre compte de chacun d’entre eux pris singulièrement, ou encore de la même manière que la définition de l’homme comme « bipède sans plume », me convient, (car il est vrai que je n’ai pas de plumes et deux pattes), bien qu’elle ne suffise sans doute pas à me spécifier en tant qu’individu et surtout bien qu’il n’existe aucun homme qui puisse être caractérisé singulièrement par ces deux seules propriétés.

En résumé Spinoza n’admet certainement pas qu’au point de vue « abstrait » on peut parler de volonté « indifférente » pour dire ensuite qu’au singulier « cela ne marche plus » ( Je répète que ce serait comme de dire que 3+5= 8 vaut pour les nombres, mais plus dès qu’il s’agit de pommes, pour cette raison que les premiers « objets » sont plus « abstraits » et plus « formels » que les seconds). Il dit : on forge l’idée d’une volonté indifférente à partir d’une compréhension incorrecte de nos notions abstraites concernant les actes d’affirmation et de négation de l’entendement, qui elles se contentent de poser les propriétés communes à tous les actes d’affirmations et de négations singuliers, et qui pour cette raison, dans leur limites (c’est à dire sous l’aspect de généralité, de l’abstraction et des formes), s’appliquent parfaitement au réel et sont valides ((édition):sans aucunement poser la notion d'une indifférence de la volonté).

Je passe maintenant au deuxième point que j’avais annoncé. Spinoza a-t-il les moyens de refuser d’admettre la différence de la volonté et de l’entendement ?

Je ne traiterais que ce que tu appelles le point de vue « externe » : si je résume ta position elle revient à dire, nous pouvons toujours examiner le sens d’une proposition ou d’un jugement sans avoir égard à sa valeur de vérité (sans y assentir comme dit Descartes), or la théorie de l’identité de la volonté et de l’entendement interdit cela, donc elle est fausse. En faisant plus court : si nous représentons « p » nous pouvons toujours le nier et affirmer –p. Une théorie acceptable du jugement doit pouvoir en rendre compte.

J’aimerais ici clarifier encore quelque chose. Je crois qu’il est important de remarquer que la possibilité de considérer le sens d’une proposition sans avoir égard à sa valeur de vérité, ne préjuge en rien, du moins à elle seule, de la question de savoir si tout acte de l’entendement n’enveloppe pas aussi nécessairement une affirmation ou une négation. En effet, si je reprends un des exemples que tu donnais, soit la considération du sens d’un énoncé contradictoire comme « p&-p ». Je veux que l’on remarque ici que penser « le sens seul » de « p&-p », n’est pas autre chose que de penser l’affirmation de « p&-p ». Si ce n’était pas le cas, alors lorsque nous considérons le sens de l’expression –« p&-p » nous ne considérerions pas la négation de « p&-p » et donc il n’y aurait aucune différence à considérer le sens de l’une ou l’autre expression. Mais il y a manifestement une différence, donc penser le sens seul de « p&-p », c’est penser l’affirmation de « p&-p ». Or cet aspect des choses fait partie de ce que Spinoza veut dire lorsqu’il dit que les actes de perceptions enveloppent des affirmations. Lorsqu’il commente l’exemple de l’esprit imaginant un cheval ailé sans pour autant poser qu’il existe, il fait remarquer qu’imaginer un cheval ailé n’est rien d’autre néanmoins que d’affirmer d’un cheval qu’il a des ailes (sous-entendu : « plutôt que l’inverse », ou plutôt qu’autre chose de tout à fait différent). Il est vrai néanmoins que chez Spinoza cela vaut « engagement ontologique », ce qui n’est pas le cas chez Descartes. Mais je veux manifester par là aussi précisément que possible où passe la différence entre les deux doctrines. Car à s’en tenir à l’assertion de Spinoza selon laquelle tout acte de perception enveloppe une affirmation ou une négation, prise au sens que je viens d’exposer, non seulement ta charge de preuve sera relevée pour une ebf mais à vrai dire pour toutes, car il fait partie des règles de la syntaxe que les propositions doivent être affirmée ou niée (je veux dire qu'elles doivent être soit affirmative soit négative), et je ne vois pas qu’une ebf puisse en être une si elle n’affirme ni ne nie rien. Je crois que ce que je dis est valable de tout énoncé d'une proposition descriptive, atomique comme moléculaire et que c'est encore vrai dans ces cas limites de propositions que sont tautologies et contradictions.

La question doit donc être restreinte comme je l’ai dit à celle de « l’engagement ontologique » qui suit ou ne suit pas de la pensée d’une affirmation ou d’une négation (d’une perception de l’entendement). Mais à ce sujet, on ne pourrait manifester l’erreur de Spinoza que s’il n’avait aucun moyen de traiter ce qui constitue apparemment un contre exemple à sa théorie : à savoir que nous pouvons juger que p, sans pour autant accorder que p est le cas. Or ce contre exemple est expressément traité par lui puisqu’il en fait le thème de la deuxième des quatre objections auxquelles il consent à répondre. Je rappelle à toutes fins utiles le principe de la réponse qu’il fait : la suspension du jugement est en réalité une perception de l’entendement. Lorsque je pense un cheval ailé sans concéder pour autant qu’il existe j’ai la perception en même temps que celle du cheval ailé, d’une autre qui me la fait nier parce qu’elle la contredit. Et ainsi l’affirmation d’existence inhérente à la perception du cheval ailé est comme « inhibée » ou « contrecarrée » par l’intervention d’autres idées qui emportent des affirmations d’existence ne convenant pas avec la première. Autrement dit alors que je pense p, je le nie et j’affirme –p. Est-ce qu’il nous reste maintenant un élément de la théorie cartésienne hormis le point litigieux de savoir si la volonté est libre à l’égard de l’entendement, qui puisse prendre en défaut sur le terrain des faits, la version spinoziste du phénomène ? Je ne le crois pas. Car le doute cartésien lui-même ( je pense que cela va un peu dans le sens de ce que disait Louisa) a besoin de la perception de raisons, il ne peut s’exercer en dehors de la conscience de certaines perceptions qui contredisent celles dont on doute, fut-ce à titre d’expérience de pensée comme c’est le cas avec l’hypothèse du malin génie. Il faut en effet pour douter des vérité mathématiques (dont du reste, Descartes reconnaîtrait lui même je pense, qu’en dehors des conditions artificielles et très particulières du doute méthodique, il est impossible en fait de douter) faire une hypothèse contradictoire, qui donne un sens au doute je veux dire par là : qui donne un point d’application à la « volonté ». Or je crois que la stratégie argumentative de Spinoza sur ce point est de montrer que l’hypothèse d’un libre pouvoir de suspension du jugement, n’est pas nécessaire pour rendre compte de ce qui arrive lorsque qu’on pense une chose sans l’affirmer : deux perceptions contraire l’une à l’autre suffisent à l’explication de ceci. C’est du moins ce qui ressort manifestement de l’exemple du rêve : dans un contexte où il est exclut que l’on puisse parler de libre suspension du jugement, même pour ceux qui pensent que l’esprit dispose d’un tel pouvoir, (à savoir durant le sommeil), nous pouvons trouver un équivalent formel de la libre suspension du jugement, à savoir : lorsque nous rêvons que nous rêvons.

Pour faire le bilan de ce deuxième point je dirai que le fond de la question est celui de la liberté et qu’on ne peut trancher ce problème à l’aide de l’expérience du jugement ou à l’aide de ses conditions de possibilité logiques. Le seul argument du cartésien est l’apparente évidence de l’expérience de la liberté de nier ou d’affirmer. C’est un argument qui a pour lui d’être intuitif et comme tu le dis aussi de rendre plus simple l’explication du phénomène du jugement (encore que…). Mais bien évidemment, ces critères ne suffisent pas dès lors que Spinoza objecte qu’il peut très bien s’agir d’une illusion. Il est toujours possible en effet après coup de prétendre que nous aurions pu ne pas faire ce que nous avons fait et donc que nous étions libre de le faire ou non. D’un autre côté si je veux être juste, je dois reconnaître aussi, que cet argument ne prouve pas formellement qu’un tel acte n’était pas libre.

D.

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Messagepar Durtal » 09 août 2008, 21:56

Ah oui,

A destination de Julien_T,

Tout d'abord Bienvenue :D

Ensuite j'ai en effet une litanie interminable de griefs en tout genre à l'égard de la gent féminine, mais mon agacement à l'égard de Louisa n'a rien à voir avec cela. :D

D.

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Messagepar jvidal » 10 août 2008, 10:58

Durtal a écrit : Je crois qu’il est important de remarquer que la possibilité de considérer le sens d’une proposition sans avoir égard à sa valeur de vérité, ne préjuge en rien, du moins à elle seule, de la question de savoir si tout acte de l’entendement n’enveloppe pas aussi nécessairement une affirmation ou une négation. En effet, si je reprends un des exemples que tu donnais, soit la considération du sens d’un énoncé contradictoire comme « p&-p ». Je veux que l’on remarque ici que penser « le sens seul » de « p&-p », n’est pas autre chose que de penser l’affirmation de « p&-p ». Si ce n’était pas le cas, alors lorsque nous considérons le sens de l’expression –« p&-p » nous ne considérerions pas la négation de « p&-p » et donc il n’y aurait aucune différence à considérer le sens de l’une ou l’autre expression. Mais il y a manifestement une différence, donc penser le sens seul de « p&-p », c’est penser l’affirmation de « p&-p ». Or cet aspect des choses fait partie de ce que Spinoza veut dire lorsqu’il dit que les actes de perceptions enveloppent des affirmations. Lorsqu’il commente l’exemple de l’esprit imaginant un cheval ailé sans pour autant poser qu’il existe, il fait remarquer qu’imaginer un cheval ailé n’est rien d’autre néanmoins que d’affirmer d’un cheval qu’il a des ailes (sous-entendu : « plutôt que l’inverse », ou plutôt qu’autre chose de tout à fait différent). Il est vrai néanmoins que chez Spinoza cela vaut « engagement ontologique », ce qui n’est pas le cas chez Descartes. Mais je veux manifester par là aussi précisément que possible où passe la différence entre les deux doctrines. Car à s’en tenir à l’assertion de Spinoza selon laquelle tout acte de perception enveloppe une affirmation ou une négation, prise au sens que je viens d’exposer, non seulement ta charge de preuve sera relevée pour une ebf mais à vrai dire pour toutes, car il fait partie des règles de la syntaxe que les propositions doivent être affirmée ou niée (je veux dire qu'elles doivent être soit affirmative soit négative), et je ne vois pas qu’une ebf puisse en être une si elle n’affirme ni ne nie rien. Je crois que ce que je dis est valable de tout énoncé d'une proposition descriptive, atomique comme moléculaire et que c'est encore vrai dans ces cas limites de propositions que sont tautologies et contradictions.

La question doit donc être restreinte comme je l’ai dit à celle de « l’engagement ontologique » qui suit ou ne suit pas de la pensée d’une affirmation ou d’une négation (d’une perception de l’entendement). Mais à ce sujet, on ne pourrait manifester l’erreur de Spinoza que s’il n’avait aucun moyen de traiter ce qui constitue apparemment un contre exemple à sa théorie : à savoir que nous pouvons juger que p, sans pour autant accorder que p est le cas. Or ce contre exemple est expressément traité par lui puisqu’il en fait le thème de la deuxième des quatre objections auxquelles il consent à répondre. Je rappelle à toutes fins utiles le principe de la réponse qu’il fait : la suspension du jugement est en réalité une perception de l’entendement. Lorsque je pense un cheval ailé sans concéder pour autant qu’il existe j’ai la perception en même temps que celle du cheval ailé, d’une autre qui me la fait nier parce qu’elle la contredit. Et ainsi l’affirmation d’existence inhérente à la perception du cheval ailé est comme « inhibée » ou « contrecarrée » par l’intervention d’autres idées qui emportent des affirmations d’existence ne convenant pas avec la première. Autrement dit alors que je pense p, je le nie et j’affirme –p. Est-ce qu’il nous reste maintenant un élément de la théorie cartésienne hormis le point litigieux de savoir si la volonté est libre à l’égard de l’entendement, qui puisse prendre en défaut sur le terrain des faits, la version spinoziste du phénomène ? Je ne le crois pas. Car le doute cartésien lui-même ( je pense que cela va un peu dans le sens de ce que disait Louisa) a besoin de la perception de raisons, il ne peut s’exercer en dehors de la conscience de certaines perceptions qui contredisent celles dont on doute, fut-ce à titre d’expérience de pensée comme c’est le cas avec l’hypothèse du malin génie. Il faut en effet pour douter des vérité mathématiques (dont du reste, Descartes reconnaîtrait lui même je pense, qu’en dehors des conditions artificielles et très particulières du doute méthodique, il est impossible en fait de douter) faire une hypothèse contradictoire, qui donne un sens au doute je veux dire par là : qui donne un point d’application à la « volonté ». Or je crois que la stratégie argumentative de Spinoza sur ce point est de montrer que l’hypothèse d’un libre pouvoir de suspension du jugement, n’est pas nécessaire pour rendre compte de ce qui arrive lorsque qu’on pense une chose sans l’affirmer : deux perceptions contraire l’une à l’autre suffisent à l’explication de ceci. C’est du moins ce qui ressort manifestement de l’exemple du rêve : dans un contexte où il est exclut que l’on puisse parler de libre suspension du jugement, même pour ceux qui pensent que l’esprit dispose d’un tel pouvoir, (à savoir durant le sommeil), nous pouvons trouver un équivalent formel de la libre suspension du jugement, à savoir : lorsque nous rêvons que nous rêvons.


Bonjour Durtal,
Je réponds au point que je viens de citer. (Sur tout ce qui précède, je suis ok, sauf que je vois chez Spinoza une contradiction interne entre sa théorie du jugement singulier et ce qu'il concède au sujet de la compréhension de la volonté via les notions communes de l'affirmation et de la négation.)

Le point le plus important est que ta défense confond le caractère affirmatif ou négatif d'un énoncé avec ce que l'on nomme l'assertion, le rejet ou la supposition.
"L'ensemble de tous les ensembles existe" est un énoncé affirmatif. Sans les guillemets il peut être, via la théorie de Tarski, confondu avec l'assertion: "p" est vrai ssi p. Le rejet est l'affirmation de la fausseté de la thèse. La supposition est de la forme: "si p (est vrai), alors...."

Donc ce que tu dis au sujet de l'affirmation de la contradiction et de son sens ne tient pas. Priest par exemple considère que certaines contradictions sont vraies (que certaines ont des modèles), la plupart des logiciens considèrent que la thèse de Priest doit être rejetée. Pour que ce débat soit possible, et il l'est, il faut bien que l'on distingue le sens de la contradiction, de l'assertion de certaines contradictions, ou du rejet de toutes les contradictions.

Percevoir en rêve un cheval ailé et rien d'autre, c'est affirmer l'existence du cheval. J'accorde ce point à Spinoza: il est vrai que pour supposer que p est vrai, il faut avoir l'idée que p pourrait ne pas être vrai. Mais, justement, une bonne théorie du jugement doit être fondée sur certains critères à l'aide desquels on puisse distinguer la veille du sommeil (voir sur ce point la dernière Méditation de Descartes). Apparemment ce point échappe à Spinoza et son exemple prend le risque de mettre sa théorie au niveau du Youpala.... :)
Plus sérieusement: je n'ai besoin dans l'acte de supposition de la vérité d'une idée, que de l'idée en question et de la fiction de sa vérité ou de sa fausseté. On forge une telle fiction, du point de vue cartésien, à l'aide de l'entendement et de la volonté: je suis libre de supposer ou de ne pas le faire. Spinoza doit au contraire faire intervenir un ordre causal pour qu'une autre idée explique mécaniquement la fiction.

J'arrête pour l'instant ma réponse, je sais que j'ai du retard dans l'envoi de la réponse générale promise, mais j'y travaille.

Cordialement,
Joseh

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Messagepar Durtal » 10 août 2008, 14:14

Joseph,


Je ne comprends pas bien le sens de la critique que tu me fais ou bien si je la comprends je la trouve injuste :(

La clarification que je proposais avait précisément pour but de distinguer les deux choses que tu me reproches de confondre. Je me suis peut être mal exprimé mais je voulais précisément faire une différence entre le caractère affirmatif ou négatif d'une proposition ( qui appartient à son sens et même à sa syntaxe) et l'affirmation ou la négation (d'une proposition affirmative ou négative), c'est à dire le fait de dire ou d’asserter, qu'elle est vraie ou fausse, qui sont des éléments qui n'appartiennent pas à son sens ou à sa syntaxe, ou alors qui font partie du sens et de la syntaxe d'un métalangage.

Il y a peut être cependant un problème que j'ai sous-estimé eu égard aux contradictions et aux tautologies, dont on dirait volontiers qu'elles sont vraies ou fausses en vertu de leurs seules signification et qui posent peut être pour cela des problèmes spécifiques. Mais ce n'est même pas ce que j'avais en tête. De toute façon je ne crois pas que la question des contradictions et des tautologies soit décisive pour le point qui nous occupe. Et à moins que tu n'y vois au contraire quelque chose d’important, il serait peut-être plus sage de nous en tenir à des cas de proposition "clairs" dans nos exemples, histoire de ne pas nous embrouiller. Je suis peut être un ringard, mais je ne sais même pas si les tautologies et les contradictions sont des "propositions", en tous cas elles ne me semblent pas vraiment avoir une valeur paradigmatique.

Mais pour revenir à la différence proposition affirmative/ proposition affirmée. Le problème est en effet, qu'ensuite, "de jure" Spinoza ne les distingue pas. (Il explique que si un enfant se contentait de percevoir le cheval ailé qu’un homme adulte perçoit, alors il accorderait nécessairement qu’il existe contrairement à l’homme adulte, qui a acquis en grandissant des idées qui peuvent intervenir comme des raisons pour douter). Cela revient à en faire une différence "de facto", qui s'explique par le fait que nous ne sommes pas toujours dans des conditions telles que de l'affirmation ou de la négation que nous pensons il suit une assertion de vérité ou de fausseté (comme c'est au contraire ce qui arrive quand nous percevons des idées claires et distinctes), alors que Descartes fait exactement l'inverse: "de jure" l'affirmation pensée ou la négation pensée est toujours indépendante de l'assertion de vérité ou de fausseté, mais "de facto" (c-a-d lorsque nous concevons des idées claires et distinctes) la volonté "suit"-mais librement- la suggestion ou la "proposition" de l'entendement.
Comme je le disais au commencement du message mon objectif ici n'est pas tellement de statuer sur la version correcte, mais de montrer qu'elles s'équivalent sur le plan de ce qu'on pourrait appeler le "fait" du jugement.

Et je crois bien que c'est vrai! :D. Car au fond nous avons dans chacune des théories la reconnaissance d’une différence entre proposition affirmée et proposition affirmative, seulement cette différence n’est pas interprétée de la même façon (c’est ce que je veux exprimer par la permutation ou le renversement de ce qui est « de droit » et « de fait » dans chacune des versions). Si je veux réduire mon argument à sa plus simple expression je dirais : comme le problème est celui de l’interprétation d’une différence, l’énoncé de cette différence à lui seul ne peut nous servir à trancher le problème de son interprétation.

Tu objectes ainsi « On forge une telle fiction, du point de vue cartésien, à l'aide de l'entendement et de la volonté: je suis libre de supposer ou de ne pas le faire. Spinoza doit au contraire faire intervenir un ordre causal pour qu'une autre idée explique mécaniquement la fiction. »

Et tu as raison, lorsque tu dis que Spinoza doit faire intervenir « un ordre causal » sauf que cette remarque ne constitue une objection que si tu admets ce qui est en question : à savoir qu’il est besoin que la volonté soit libre pour se faire. Car je maintiens d’une part que même pour que l’exercice de la volonté libre puisse avoir lieu il est besoin tout pareillement qu’une autre idée soit donnée. Et d’autre part que la référence à l’action « mécanique » d’une autre idée, rend compte des mêmes propriétés formelles du jugement à savoir : je pense p, je nie p. Même si évidemment cette référence contredit l’idée que ces propriétés manifestent la liberté de la volonté. Or Spinoza a) ne nie pas que nous ayons « l’impression » d’effectuer ces actes spontanément, que nous sentons et pensons que nous aurions pu le faire ou non etc… A ceci près qu’il dit que c’est une illusion universelle et naturelle : l’absence de conscience des causes produit dans notre esprit cette impression de n’être déterminé par rien d’autre que nous mêmes. b) Le fait qu’il existe en effet des critères de distinction entre la veille et le sommeil, n’ôte rien à mes yeux au caractère assez ingénieux de l’argument de Spinoza : On lui oppose le sentiment interne de la liberté, ou une expérience psychologique, il réplique par un autre sentiment interne, une autre expérience psychologique, qui est sensiblement la même, mais dont on peut tirer des conséquences tout à fait opposées. Cet argument ne suffit pas il est vrai à prouver que durant la veille nous ne sommes pas libre, mais il montre très bien en revanche que l’appel à l’expérience ou au sentiment interne est insuffisant ou ne prouve absolument rien à lui seul.

Enfin je n’ai en effet pas répondu à cette partie de ta critique qui vise à établir une « incohérence interne ». D’une part mon message était déjà très long, d’autre part je ne suis pas sur de bien comprendre ce qui semble pour toi être le point central de cette critique : que Spinoza accorde la différence volonté/ entendement si on restreint l’acception du terme d’« entendement » aux idées claires et distinctes. Je vais réfléchir encore un peu à la question, mais je ne saisis pas encore pourquoi tu crois pouvoir tirer de cette concession, les conséquences que tu penses pouvoir en tirer.

D.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 10 août 2008, 14:20

Bonjour à tous,

Joseph a écrit :Percevoir en rêve un cheval ailé et rien d'autre, c'est affirmer l'existence du cheval. J'accorde ce point à Spinoza: il est vrai que pour supposer que p est vrai, il faut avoir l'idée que p pourrait ne pas être vrai. Mais, justement, une bonne théorie du jugement doit être fondée sur certains critères à l'aide desquels on puisse distinguer la veille du sommeil (voir sur ce point la dernière Méditation de Descartes). Apparemment ce point échappe à Spinoza et son exemple prend le risque de mettre sa théorie au niveau du Youpala....


je suis tout à fait d'accord quant à ce que tu dis concernant la distinction assertion - sens dans ton message précédent, mais j'avoue qu'ici je ne suis plus vraiment.

D'abord je ne vois pas où Spinoza dirait que pour supposer que p est vrai, il faut avoir l'idée que p pourrait ne pas être vrai. Ce qu'il dit bien plutôt, c'est que la différence entre rêver d'un cheval ailé et avoir cette idée pendant la journée, c'est que dans le premier cas, il est possible (mais pas toujours ainsi), que nous ne disposons pas d'une DEUXIEME idée qui exclut l'existence de la première idée. Or toute idée enveloppe affirmation. Nous allons donc adhérer à l'existence du cheval ailé pendant le rêve, et ne pas y adhérer pendant la journée SI et seulement si pendant la journée nous avons également une autre idée qui exclut l'existence du cheval ailé (ce qui n'est pas toujours le cas chez les enfants).

La négation exige donc, chez Spinoza, une deuxième idée. Une idée en tant que telle affirme toujours la puissance de penser de l'Esprit qui la conçoit, et c'est en cela qu'on y adhère inévitablement.

C'est pourquoi aussi ton dernier exemple (voir ton avant-dernier message) n'était pas un exemple conforme à ce que je proposais: tu ne donnais pas un exemple d'une idée à laquelle on sait à la fois adhérer et ne pas adhérer, tu donnais un exemple d'une idée qui en tant que telle était supposée vraie par celui qui l'avait, tandis que justement, il avait une DEUXIEME idée (voir un tas d'idées, bref l'ensemble de ses croyances précédentes à ce sujet) qui en excluait la possibilité. Résultat: il était dans ce que Spinoza appelle "le doute", puisque ses croyances précédentes ne réussissaient pas à éliminer entièrement l'adhésion à la nouvelle idée, tandis que celle-ci ne réussissait pas à éliminer entièrement l'adhésion aux anciennes idées.

Joseph a écrit :Sur tout ce qui précède, je suis ok, sauf que je vois chez Spinoza une contradiction interne entre sa théorie du jugement singulier et ce qu'il concède au sujet de la compréhension de la volonté via les notions communes de l'affirmation et de la négation.


en effet, SI l'on se base sur ce que vient de dire Durtal, il faut bien constater qu'il y ait une contradiction interne. Or à mon sens il y a deux problèmes avec ce que Durtal vient de dire:

1. CONFUSION NOTION COMMUNE - NOTION UNIVERSELLE.
A mon avis il n'y a clairement aucun rapport entre l'affirmation et les notions communes chez Spinoza. Il s'agit d'une erreur qui vient du fait que Spinoza dit que toutes les idées ont en "commun" l'affirmation. Du coup, Durtal en conclut que l'affirmation doit être une notion commune. En réalité, il ne s'agit pas d'une notion commune, mais d'une notion "universelle" ou un "étant Métaphysique", comme Spinoza le dit à plusieurs reprises (E2P48, E3P49 scolie). Chez Spinoza, les notion universelles appartiennent au premier genre de connaissance, et sont confuses donc fausses, tandis que les notions communes appartiennent au deuxième genre de connaissance, et sont donc claires et distinctes c'est-à-dire vraies (comme il l'explique en l'E2P40 et ses scolies).

C'est quand on confond notions communes et notions universelles qu'on peut attribuer une réalité "en soi" aux notions universelles, tandis que celles-ci sont de purs produits de l'imagination. Or dès qu'on fait de la faculté de la volonté une notion non plus universelle mais commune, cette faculté devient réelle, acquiert une existence en soi, c'est-à-dire ... peut être conçu en soi seule, séparée de l'idée qu'elle affirme. Et alors en effet, on aurait effectivement une très belle contradiction interne dans le spinozisme, puisqu'il concèderait à la volonté "générale" exactement ce qu'il nie de la volonté singulière.

Mais, encore une fois, pour y arriver, il faut précisément faire ce que Spinoza ne formule qu'en tant qu'OBJECTION à sa propre théorie (la troisième objection dans le dernier scolie de l'E2): supposer que l'affirmation est quelque chose que les idées ont réellement en commun. C'est ce que fait Durtal, en faisant de ce qui n'est qu'une notion universelle une notion commune. Ce faisant il confond donc également la position spinoziste avec la position de celui qui objecte. La contradiction qui surgit de son message s'identifie donc simplement à l'opposition entre la position spinoziste et celle de celui qui objecte (objection dont on sait qu'il la réfute), et non pas dans le spinozisme lui-même.

Enfin, on peut y ajouter comme dernier argument que si pour Spinoza l'affirmation ne peut être de l'ordre d'une notion commune, c'est précisément parce celles-ci sont des idées vraies de propriétés que les choses ont réellement en commune et qui pour cette raison même ne constituent l'essence d'aucune chose singulière, tandis que Spinoza est tout à fait clair là-dessus: l'affirmation constitue l'essence même de l'idée singulière. On ne peut former des notions communes de ce qui constitue l'essence même d'une chose.

2. L'AFFIRMATION SPINOZISTE "ABSTRAITE" EST ELLE AUSSI ENVELOPPEE DANS L'IDEE.
Lorsque Spinoza évalue la thèse d'une faculté de volonté, il explique comment l'idée d'une telle faculté peut naître (par la reprise de l'explication des notions universelles). Mais il y ajoute immédiatement que l'affirmation ainsi conçue (donc abstraitement) est elle aussi toujours enveloppée dans une idée singulière. Par conséquent, pour le sujet en discussion ici (l'affirmation est-elle enveloppée dans l'idée ou non?), Spinoza dit explicitement la même chose pour l'affirmation singulière que ce qu'il en dit pour l'affirmation "générale" ou abstraite. De nouveau, il n'y a aucune contradiction interne.


CONCLUSION: à mes yeux nous en sommes toujours au même point:

1. En logique formelle, il y a une distinction réelle entre le sens d'une idée et l'assertion/affirmation de l'idée (autrement dit: on peut indifféremment asserter ou nier une ebf).
2. Spinoza dit que l'affirmation/adhésion est toujours enveloppée dans l'idée, et constitue même son essence (donc ne peut en être distingué réellement)
3. Thèse de Joseph: ce qui vaut pour une assertion formelle vaut aussi pour une adhésion (en accordant qu'une adhésion n'est jamais formelle mais toujours concrète/particulière). Conséquence logique de cette thèse: 1 et 2 se contredisent.
4. Ma demande: pour pouvoir accepter la conséquence de la thèse de Joseph, il faut pouvoir prouver cette thèse. Pour ce faire, il suffit de trouver au moins une idée particulière à laquelle on adhère réellement, mais par rapport à laquelle on peut néanmoins librement décider de ne pas y adhérer.


Cordialement,
L.


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