Louisa a écrit:
* pour les NOTIONS COMMUNES:
- E2P37 dit que celles-ci ne peuvent constituer l'essence d'une chose singulière
- E2P49 démo dit que l'affirmation appartient à l'essence même d'une idée singulière, et n'est même rien d'autre que cette essence.
CONCLUSION: l'affirmation ne peut pas être une notion commune, au sens spinoziste du terme.
Durtal:
C'est peut être fort simple Louisa, mais le problème est que c'est grossièrement faux. Et à vrai dire tu fais une confusion tellement élémentaire qu'il en devient même difficile de te faire saisir pourquoi.
c'est bien possible. Je te remercie de la tentative (pas d'ironie dans cette phrase).
Durtal a écrit :Tu sembles en effet incapable de comprendre que l'on puisse utiliser le terme "d'affirmation" pour désigner les affirmations "en général" mais aussi pour désigner telle ou telle affirmation particulière.
euh, non ... je crois que moi-même aussi bien que Spinoza reconnaissent le fait que ce mot est utilisé pour désigner les deux. Mais je ne vois pas en quoi cela ferait déjà de l'affirmation abstraite quelque chose de réelle ... ?
Durtal a écrit :De la même façon que l'on peut utiliser le concept "d'homme" pour désigner l'humanité en général (donc aucun homme en particulier) mais aussi pour désigner tel ou tel homme: Socrate par exemple. Et il y a autant d'identité entre tel homme et tel autre que de différence, ce qui justifie que l'on puisse à la fois dire que deux individus de l'espèce humaine sont tous les deux des hommes quoiqu'aucun des deux ni les deux pris ensembles ne soit "l'homme" ni le même homme.
oui, d'accord, je ne veux vraiment pas nier tout cela. J'essaie juste de tirer l'attention sur le fait que pour Spinoza, parler de l'homme en général, c'est utiliser une notion abstraite à laquelle AUCUNE réalité correspond. Voici ce qui se passe dans ta tête, pour Spinoza, quand tu me dis ce que tu viens d'écrire ici:
Spinoza E2P40 sc I a écrit :Ensuite, c'est de semblables causes que sont nées les notions qu'on appelle Universelles, comme l'Homme, le Cheval, le Chien, etc., à savoir, parce que dans le Corps humain se forment tellement d'images à la fois, par ex. d'hommes, qu'elles dépassent la force d'imaginer, pas tout à fait, bien sûr, mais assez cependant pour que l'Esprit humain ne puisse imaginer les petites différences entre singuliers (à savoir la couleur, la grandeur, etc. de chacun) ni leur nombre déterminé, et n'imagine distinctement que ce en quoi tous, EN TANT QU'ILS AFFECTENT LE CORPS, conviennent; car c'est cela qui, se trouvant dans chaque singulier, a le plus affecté le Corps; et c'est cela qu'il exprime par le nom d'homme, et cela qu'il prédique de l'infinité des singuliers. Car le nombre déterminé de singuliers, comme nous l'avons dit, il ne peut pas l'imaginer. Mais il faut remarquer que tous ne forment pas ces notions de la même manière, mais qu'elles varient en chacun en fonction de la chose qui a plus souvent affecté le Corps, et que l'Esprit a plus de facilité à imaginer ou à se rappeler. Par ex., ceux qui ont le plus souvent contemplé avec admiration la station des hommes, sous le nom d'homme entendront un animal de station droite; mais ceux qui avaient l'habitude de contempler autre chose formeront une autre image commune des hommes, à savoir, que l'homme est un animal doué de rire, un animal bipède sans plumes, un animal rationnel; et de même du reste, chacun formera selon la disposition de son propre corps des images universelles des choses. il ne faut donc pas s'étonner qu'entre les Philosophes qui ont voulu expliquer les choses naturelles par le seul moyen des images des choses, il se soit élevé tant de controverses.
à cette image universelle, on pourrait ajouter aujourd'hui "animal ayant un tel génome". Cela ne signifie pas qu'il ne soit pas UTILE de se servir de ces notions, dans certaines circonstances. Cela signifie juste qu'il n'existe pas, dans le réel (du moins du point de vue de Spinoza) quelque chose qui correspondrait à "l'homme".
On pourrait, si l'on veut, penser à Kant: comme il nie l'intuition intellectuelle, il nie également la possibilité d'avoir accès à la chose singulière "en soi". Cela me semble être compatible avec le spinozisme, au sens où la science, aussi bien chez Kant que chez Spinoza, ne s'occupe que des phénomènes, et non pas de l'essence singulière des choses. Elle ne s'occupe que de ce qui est commun et de ce qui est général, sans toucher ainsi à l'essence des choses (on peut contester cela, bien sûr, pour l'instant il s'agit simplement de trouver un consensus concernant ce que Spinoza dit plus précisément).
Durtal a écrit : Aussi on peut parler de deux affirmations singulières en disant que ce sont toutes deux des "affirmations", ce qui ne signifient nullement que ce ne sont pas justement deux affirmations différentes entre elles et que l'essence de l'une diffère de l'essence de l'autre.
oui en effet, aussi longtemps qu'on s'en tient à une simple manière de parler, il n'y a aucun problème. Le problème surgit dès qu'on veut en faire des propriétés ou essences réelles. Là, Spinoza montre qu'une fois qu'on base son système philosophique sur l'idée d'une essence singulière, cela ne fonctionne plus, là seulement l'affirmation singulière est une affirmation réelle.
Durtal a écrit :J'ajoute parce que je viens de lire la réponse assez incroyable que tu as faite a Joseph un peu plus haut que tu sembles te battre contre des moulins à vent. Car si tu relis le message que j'avais posté initialement, il disait expressément ce que tu es en train de raconter: à savoir que les concepts abstraits ne sont pas en cause en tant que tel, mais que c'est une interprétation essentialisante de ces concepts que Spinoza dénonce.
oui je sais que tu as dit cela. Notre point de divergence ne se trouve pas là. Nous sommes tous d'accord là-dessus. La question est de savoir si cela suffit pour en faire des notions communes, donc des idées qui réfèrent à quelque chose de réel, en dehors de l'idée. Comme j'essaie de faire comprendre que non, cela ne suffit pas, j'ai bien besoin de rappeler d'abord ce que personne ne nie.
L.