Bonjour à tous,
Pardon pour avoir tardé à répondre.
A Louisa:
Louisa a écrit :PS à Joseph: si j'essaie de résumer ce que je crois avoir compris de ton argument:
* thèse principale: volonté et entendement sont réellement distincts
* argument principale: si p est une wff, alors non p en est une aussi.
* développement du raisonnement:
- prémisse: la volonté est définie par la capacité de dire "j'affirme" ou "je nie", l'entendement par le fait de former une wff, une proposition langagière significative
- il est un fait que pour toute proposition simple qui a un sens, je peux dire "j'affirme" ou "je nie", sans que cela affecte la wff
- conclusion: volonté et entendement sont distincts.
C'est un résumé tout à fait correct de ce que j'ai écrit. La suite ne l'est pas totalement:
Tu sembles être d'accord pour dire que tes définitions de la volonté et de l'entendement ne sont pas cartésiennes.
C'est un malentendu qui vient de ce que j'ai probablement trop concédé. Mon argument est fondé sur la définition
cartésienne de la volonté formellement infinie: la capacité d'affirmer et de nier toute idée, quel que soit la valeur de vérité (le vrai ou le faux) que l'on perçoit en cette idée. Cette faculté explique la raison pour laquelle je perçois que "2+3=5" est un énoncé vrai pour le
Cogito mais néanmoins métaphysiquement
douteux avant la preuve de l'existence de Dieu qui est
vérace. Je peux concevoir qu'un malin génie me trompe
même dans l'évidence arithmétique que je crois percevoir. Descartes signifie ainsi le libre pouvoir que nous avons de suspendre notre jugement, c'est-à-dire celui de s'abstenir d'affirmer ou de nier une idée. Par conséquent mon "analogie" avec la syntaxe et la sémantique
est plus qu'une analogie, elle est une expression précise d'une idée que l'on peut dire
cartésienne sans faire offense à l'esprit des
Méditations.
"2+3=5" est une expression bien formée qui fait sens en mon entendement et qui est perçue comme vraie par mon entendement. Mais pour ôter les guillemets, c'est-à-dire pour l'affirmer, il faut
aussi l'intervention de la volonté (tout comme pour suspendre son jugement ou pour nier à tort cet énoncé).
Tu me poses ensuite une question:
Prétends-tu qu'elles soient spinozistes? Si oui: je crois que tu te trompes.
Ce que Spinoza conteste est clair: il nie que nous ayons le
libre pouvoir d'affirmer ou de nier une idée. Le doute cartésien n'est un doute
qu'en paroles. Si l'on reprend mon argument, cela signifie que si nous imaginons être libres en mettant un énoncé entre guillemets, c'est parce que nous ignorons la cause qui fait que nous voulons isoler le sens de l'énoncé en faisant abstraction de sa valeur de vérité que l'on perçoit pourtant. Les définitions que je donne ne sont donc évidemment pas spinozistes car pour Spinoza cette description n'est qu'un jeu de langage qui ne correspond pas à la réalité des volontés ou idées singulières: quand je perçois que deux plus trois font cinq, alors j'affirme aussi qu'il en est ainis et je ne peux pas
réellement en douter. Autrement dit le doute métaphysique caractérisé par la fiction du mauvais génie, n'a aucune valeur épistémologique, si ce n'est celle de nous faire comprendre que le doute réel n'est pas celui dont parle Descartes.
J'en viens maintenant, Louisa, à la fin de ton message:
Dernière question: le raisonnement (ou plutôt la conclusion) est-il vrai? Nous donne-t-il une vérité sur un état de choses dans le monde? Cela n'est le cas que si les prémisses sont vraies. Or à mon sens elles sont fausses. Réduire l'affirmation, donc l'adhésion effective à la vérité d'une idée, à un simple "dire", c'est réduire la vérité à tout et n'importe quoi. Je peux aussi dire que "hier j'ai rencontré un cheval ailé". Dire cela ne garantit en rien que cette proposition est vrai. La possibilité d'être énoncé correctement dans une langue et la possibilité d'exister véritablement dans la réalité, sont donc deux choses différentes. On ne peut passer de l'un à l'autre sans déformer l'idée même de vérité. Si donc tu veux maintenir l'idée d'une volonté telle qu'on la définit au XVIIe (capacité de donner un consentement, adhérer à la vérité de, etc), à mon sens tu es obligé d'abandonner l'analogie avec la syntaxe, car avoir une proposition syntaxiquement correcte ne suffit nullement pour déjà pouvoir avoir une proposition vraie.
Ta défense de la thèse spinoziste consiste à dire que, puisque les prémisses cartésiennes sont fausses, alors on peut à partir d'elles démontrer n'importe quoi. Le problème est que tu traduis à tort ces prémisses et donc, si elles sont effectivement fausses, tu ne donnes pas ici l'explication de leur fausseté. Tu commets un contresens sur mon argument: je n'ai jamais soutenu que la correction syntaxique est une preuve de vérité, c'est simplement une condition
sine qua non de le signification dans un langage. Autrement dit, et pour être plus clair encore:
"2+3=5" et"hier j'ai rencontré un cheval ailé" sont deux énoncés bien formés et ils sont de plus doués de sens (à la différence de "quadruplicité boit temporisation" qui est bien formé mais non doué de sens). Leur mise entre guillemets isole leur sens. Ma description suggère que la possibilité de la mise entre guillemets de tout énoncé a pour condition de possiblité la liberté formelle de la volonté, c'est-à-dire la capacité d' affirmer ou de nier ou s'abstenir de faire l'une ou l'autre opération, donc pour tout ebf
p, on peut écrire;
"p", ou |=
p, ou encore |=~
p (et, évidemment, si on peut mettre
p entre guilemets, on le peut aussi pour ~
p) Spinoza ne conteste pas cela, il conteste simplement que notre capacité à mettre ou à ôter les guillemets soit libre, car un tel acte, comme tous les autres, est déterminé par des causes que l'on peut ignorer. Enfin et surtout, si les prémisses de mon argument cartésien sont fausses du point de vue spinoziste, c'est qu'elles sont abstraites, purement linguistiques, et ne représentent rien de réel. De ce qui n'est pas réel (les prémisses) on arrive à une conclusion qui ne l'est pas plus: la distinction de la volonté et de l'entendement.
Je répond maintenant à Durtal, ce qui me permettra de conclure de façon plus ferme (du moins je l'espère):
Durtal a écrit :jvidal a écrit :Oui, au sens où Spinoza verrait dans ce calcul une abstraction, mais une abstraction illusoire dès qu'il s'agit de comprendre les volitions singulières réelles.
Mais au fond il me suffit que tu m'accordes le point (a). Car se faisant tu reconnais que la question des ebf est indépendante de la thèse concernant le caractère libre ou non libre du jugement. Comme ces caractéristiques du calcul sont conservées alors que la thèse de Descartes est niée, on ne peut donc pas dire que cette thèse est confirmée par l'existence de ces caractéristiques. Et par conséquent je crois que tu ne peux plus maintenir la "charge de preuve"que tu as formulé.
Le fait de savoir si un énoncé
p est une ebf dépend de l'adéquation de cet énoncé avec les règles du langage et n'a donc pas, du point de vue cartésien que je défends, de rapport avec la volonté. Je continue de soutenir que l'on peut très bien, du point de vue cartésien, faire porter au spinoziste la charge de la preuve suivante:
Le cartésien soutient que:
(1) L'énoncé contradictoire
p & ~p n'est représentable par aucun modèle, autrement dit n'est pas satisfiable, et cela est
perçu par l'entendement.
(2) Par l'opération de la volonté je peux isoler la signification de
p & ~p et, via la mise entre guillemets, ne pas considérer la valeur de vérité de l'énoncé contradictoire, mais uniquement son sens. Cela est possible quand je considère par exemple l'expression "l'ensemble de tous les ensembles" qui est démonstrativement contradictoire dans la théorie classique (zermelienne) des ensemble, mais qui ne l'est pas dans la théorie NF de Quine. Ces démonstrations respectives sont perçues par l'entendement. Le fait de ne considérer que le sens de l'énoncé requiert l'opération de la volonté.
(3) On doit distinguer enfin le fait d'asserter un énoncé
p sans preuve, et le fait de l'asserter en se fondant sur des preuves. Les deux actes demandent le concours de la volonté et de la perception, mais le second exige aussi une perception claire et distincte, autrement dit le recours de l'entendement.
Au spinoziste donc de prouver que cette description cartésienne est fausse en exhibant un énoncé dont le sens ne puisse être isolé indépendamment de sa valeur de vérité. Ainsi il serait évident que la volonté et l'entendement ne sont qu'une seule et même chose, pour au moins une idée. Mais l'on peut dire, du point de vue spinoziste, que la volonté n'étant qu'un mode, elle n'est pas quelque chose qui peut se concevoir indépendamment de la chose ou de l'idée affirmée ou niée. De la même façon que le poisson dans le bocal et le poisson rouge dans le bocal sont une seule et même chose, il n'y a aucune différence entre une idée
Y existante et cette même idée
Y affirmée (ou niée). Bref, Spinoza refuse de considérer la volonté en tant que faculté, puisqu'elle n'est qu'un mode et non quelque chose qui peut être et se concevoir par soi. En ce sens seulement il échappe à la charge de la preuve, tout simplement parce qu'il utilise "volonté et entendement" en un autre sens quand il écrit qu'ils sont une seule et même chose. Son seul tort est de concéder qu'il accepte que la volonté s'entend plus loin que l'entendement seulement seulement si l'on entend par "entendement" les idées claires et disctinctes. Car Descartes ne demande en fait rien d'autre.
Le dernier (et plus grave) problème est qu'il reconnaît aussi que la volonté traduite ainsi (par l'affirmation ou la négation) est une essence adéquate qui doit être dans chaque idée, et la même dans toutes. Mais il nie que cette description soit une compréhension de la réalité puisque les idées diffèrent entre elles selon leur contenu, et donc diffèrent aussi les volontés singulières. En conséquence, la description cartésienne appartiendrait à la connaissance du 2nd genre, et l'énoncé spinoziste sur l'identité de l'entendement et de la volonté à la connaissance du troisième genre. Le problème étant qu'une connaissance du 3ème genre ferait apparaître une connaissance du second genre comme fausse, puisque la description cartésienne insiste sur la différence de la volonté et de l'entendement. A la critique "externe" fondée sur la syntaxe, s'ajoute une critique interne fondée la proposition 42 de la seconde partie de l'Ethique.
Si l'on résume, le spinoziste considère que la description cartésienne de la volonté n'a pas de pertinence ou de prise sur la réalité des idées ou des volitions. Si la description formelle que je fais de la théorie cartésienne est exacte, elle souffre des mêmes défauts aux yeux d'un spinoziste. L'étude formelle du raisonnement n'éclaire donc en rien le raisonnement réel, si l'on se place du point de vue spinoziste, ce qui accentuerait encore le mépris cartésien pour la logique formelle. En ce sens, Leibniz, qui a perçu clairement l'importance de la logique pour la philosophie, aurait raison de caractériser le spinozisme, comme "un cartésianisme outré".
Fin de ma réponse à Louisa et à Durtal.
Cordialement,
Joseph