volonté et entendement: un problème logique

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Messagepar Faun » 15 juil. 2008, 18:29

Durtal a écrit :Tu es comme le bon chien de garde de la République de Platon: doux avec les amis féroce avec les inconnus :).


Oh mais je ne parlais pas de Russel, que je connais en effet pas, mais de ce que disait notre ami Joseph dans les messages ci-dessus :

"je ne peux pas donner d'exemple d'un énoncé significatif que je ne peux pas nier"
"je ne peux pas donner d'exemple d'un énoncé significatif que je peux nier"

Mais ce qui me paraît plus grave, c'est de faire un procès à Spinoza en ayant dans l'esprit que Spinoza nie la liberté de l'intellect, ce qui est un contre-sens.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 17 juil. 2008, 21:27

Faun a écrit :Mais ce qui me paraît plus grave, c'est de faire un procès à Spinoza en ayant dans l'esprit que Spinoza nie la liberté de l'intellect, ce qui est un contre-sens.


8O

nier la liberté de l'intellect, ce n'est tout de même pas nier la nécessité de l'utiliser, et donc de critiquer quand la raison semble l'exiger ... .

Le more geometrico exige bien au contraire de ne jamais donner son assentiment aussi longtemps qu'on n'est pas convaincu par des arguments purement rationnels.

Il me semble que si en francophonie de plus en plus de philosophes s'orientent vers la philosophie analytique, c'est notamment parce qu'elle refuse catégoriquement et ouvertement ce genre de dogmatisme (hélas assez répandu). Et en cela, comme je l'ai dit dans le sujet "Spinoza et la philosophie analytique", je crois que Joseph a raison: Spinoza lui-même a bel et bien en commun avec le courant analytique de donner la plus haute importance à la raison et à sa capacité critique.

A partir de ce moment-là, on ne peut nullement "imposer" la vérité de telle ou telle doctrine. Celle-ci doit s'imposer d'elle-même, par des moyens purement rationnels. Ce qui implique qu'on soumet TOUTE doctrine à une interrogation rationnelle avant d'être d'accord avec tel ou tel point qu'elle avance (aussi et même surtout quand on se sent spontanément attiré vers elle). Cela implique aussi qu'on est à tout moment prêt à revoir ses propres interprétations, si quelqu'un croit avoir trouvé un argument rationnel qui les contredirait.

D'ailleurs qui, parmi les lecteurs de Spinoza, prétendrait avoir tout compris? S'intéresser à une critique de Spinoza, c'est à mon sens avant tout rendre hommage à la raison, et profiter de l'occasion pour mieux interroger ses propres interprétations du texte, pour approfondir sa compréhension là où elle était encore confuse, etc.

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Messagepar jvidal » 19 juil. 2008, 09:45

Durtal a écrit :Bon en fait Joseph tu ne lis pas ce qu'on t'écrit....

C'est beaucoup simple ainsi je le reconnais....

D.


Bonjour Durtal et bonjour à tous,

Si, je lis bien tout ce que l'on m'écrit. Je comprends que tu ne sois pas satisfait de mon absence de réponse, pour l'instant, à ton argument où tu affirmes que je ne peux pas faire porter le poids de la preuve au spinoziste. Je comprends moins en revanche qu'avant de me rappeler à une réponse sur tel ou tel point, tu t'exprimes de la sorte.
Apparemment c'est toi qui lis mal ce que j'écris: je n'avais tout simplement pas le temps de répondre, parce que j'étais sur le point de partir et je pense qu'on doit pouvoir avoir au moins le droit d'être absent d'internet quelques temps. D'autre part le peu de développement dans certaines de mes réponses est dû au fait que je n'ai pas toujours le temps de développer mon point de vue, tout simplement parce que nous sommes en juillet et que je ne peux pas passer tout mon temps devant mon PC (mes enfants ont aussi besoin de ma présence), alors j'essaie de répondre avec concision.

Merci à Louisa.

Je tenterai dans les jours qui viennent de répondre en détails à TOUS les arguments.
Je n'ai pas changé d'avis et plus j'y réfléchis, plus je pense que la proposition 49 de l'Ethique 2, son Corollaire et son Scolie posent problème. Je reconnais n'avoir pas réussi à le démontrer de façon convaincante et définitive, alors je vous remercie tous pour votre participation.

à bientôt donc,
cordialement
Joseph

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Messagepar Durtal » 19 juil. 2008, 17:12

Ok,

j'ai eu un mouvement d'humeur parce que je trouvais simplement le procédé consistant à te citer comme étant l'adresse d'une fin de non recevoir. Dans ses conditions autant valait mieux pisser dans un violon. Je comprends parfaitement par ailleurs que tu ais des choses plus intéressantes à faire dans la vie que de t'embourber dans des discussions sans fin sur un forum. Et il ne s'agit pas de dire que ton argument n'est "pas de taille" ( au contraire je le trouve très astucieux) ou je ne sais pas quoi, il s'agit de dire qu'il repose peut être comme dirait l'autre sur une "illusion grammaticale" (j'ajoute: à laquelle je me suis moi même laissé prendre en consentant à la réponse que tu avais faites à ma première objection sur l'impossibilité du jugement simultané de p et-p).

D.

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A Louisa et à Durtal

Messagepar jvidal » 30 juil. 2008, 12:18

Bonjour à tous,

Pardon pour avoir tardé à répondre.
A Louisa:
Louisa a écrit :PS à Joseph: si j'essaie de résumer ce que je crois avoir compris de ton argument:

* thèse principale: volonté et entendement sont réellement distincts

* argument principale: si p est une wff, alors non p en est une aussi.

* développement du raisonnement:
- prémisse: la volonté est définie par la capacité de dire "j'affirme" ou "je nie", l'entendement par le fait de former une wff, une proposition langagière significative
- il est un fait que pour toute proposition simple qui a un sens, je peux dire "j'affirme" ou "je nie", sans que cela affecte la wff
- conclusion: volonté et entendement sont distincts.

C'est un résumé tout à fait correct de ce que j'ai écrit. La suite ne l'est pas totalement:
Tu sembles être d'accord pour dire que tes définitions de la volonté et de l'entendement ne sont pas cartésiennes.

C'est un malentendu qui vient de ce que j'ai probablement trop concédé. Mon argument est fondé sur la définition cartésienne de la volonté formellement infinie: la capacité d'affirmer et de nier toute idée, quel que soit la valeur de vérité (le vrai ou le faux) que l'on perçoit en cette idée. Cette faculté explique la raison pour laquelle je perçois que "2+3=5" est un énoncé vrai pour le Cogito mais néanmoins métaphysiquement douteux avant la preuve de l'existence de Dieu qui est vérace. Je peux concevoir qu'un malin génie me trompe même dans l'évidence arithmétique que je crois percevoir. Descartes signifie ainsi le libre pouvoir que nous avons de suspendre notre jugement, c'est-à-dire celui de s'abstenir d'affirmer ou de nier une idée. Par conséquent mon "analogie" avec la syntaxe et la sémantique est plus qu'une analogie, elle est une expression précise d'une idée que l'on peut dire cartésienne sans faire offense à l'esprit des Méditations.
"2+3=5" est une expression bien formée qui fait sens en mon entendement et qui est perçue comme vraie par mon entendement. Mais pour ôter les guillemets, c'est-à-dire pour l'affirmer, il faut aussi l'intervention de la volonté (tout comme pour suspendre son jugement ou pour nier à tort cet énoncé).
Tu me poses ensuite une question:
Prétends-tu qu'elles soient spinozistes? Si oui: je crois que tu te trompes.

Ce que Spinoza conteste est clair: il nie que nous ayons le libre pouvoir d'affirmer ou de nier une idée. Le doute cartésien n'est un doute qu'en paroles. Si l'on reprend mon argument, cela signifie que si nous imaginons être libres en mettant un énoncé entre guillemets, c'est parce que nous ignorons la cause qui fait que nous voulons isoler le sens de l'énoncé en faisant abstraction de sa valeur de vérité que l'on perçoit pourtant. Les définitions que je donne ne sont donc évidemment pas spinozistes car pour Spinoza cette description n'est qu'un jeu de langage qui ne correspond pas à la réalité des volontés ou idées singulières: quand je perçois que deux plus trois font cinq, alors j'affirme aussi qu'il en est ainis et je ne peux pas réellement en douter. Autrement dit le doute métaphysique caractérisé par la fiction du mauvais génie, n'a aucune valeur épistémologique, si ce n'est celle de nous faire comprendre que le doute réel n'est pas celui dont parle Descartes.

J'en viens maintenant, Louisa, à la fin de ton message:

Dernière question: le raisonnement (ou plutôt la conclusion) est-il vrai? Nous donne-t-il une vérité sur un état de choses dans le monde? Cela n'est le cas que si les prémisses sont vraies. Or à mon sens elles sont fausses. Réduire l'affirmation, donc l'adhésion effective à la vérité d'une idée, à un simple "dire", c'est réduire la vérité à tout et n'importe quoi. Je peux aussi dire que "hier j'ai rencontré un cheval ailé". Dire cela ne garantit en rien que cette proposition est vrai. La possibilité d'être énoncé correctement dans une langue et la possibilité d'exister véritablement dans la réalité, sont donc deux choses différentes. On ne peut passer de l'un à l'autre sans déformer l'idée même de vérité. Si donc tu veux maintenir l'idée d'une volonté telle qu'on la définit au XVIIe (capacité de donner un consentement, adhérer à la vérité de, etc), à mon sens tu es obligé d'abandonner l'analogie avec la syntaxe, car avoir une proposition syntaxiquement correcte ne suffit nullement pour déjà pouvoir avoir une proposition vraie.


Ta défense de la thèse spinoziste consiste à dire que, puisque les prémisses cartésiennes sont fausses, alors on peut à partir d'elles démontrer n'importe quoi. Le problème est que tu traduis à tort ces prémisses et donc, si elles sont effectivement fausses, tu ne donnes pas ici l'explication de leur fausseté. Tu commets un contresens sur mon argument: je n'ai jamais soutenu que la correction syntaxique est une preuve de vérité, c'est simplement une condition sine qua non de le signification dans un langage. Autrement dit, et pour être plus clair encore:
"2+3=5" et"hier j'ai rencontré un cheval ailé" sont deux énoncés bien formés et ils sont de plus doués de sens (à la différence de "quadruplicité boit temporisation" qui est bien formé mais non doué de sens). Leur mise entre guillemets isole leur sens. Ma description suggère que la possibilité de la mise entre guillemets de tout énoncé a pour condition de possiblité la liberté formelle de la volonté, c'est-à-dire la capacité d' affirmer ou de nier ou s'abstenir de faire l'une ou l'autre opération, donc pour tout ebf p, on peut écrire;
"p", ou |=p, ou encore |=~p (et, évidemment, si on peut mettre p entre guilemets, on le peut aussi pour ~p) Spinoza ne conteste pas cela, il conteste simplement que notre capacité à mettre ou à ôter les guillemets soit libre, car un tel acte, comme tous les autres, est déterminé par des causes que l'on peut ignorer. Enfin et surtout, si les prémisses de mon argument cartésien sont fausses du point de vue spinoziste, c'est qu'elles sont abstraites, purement linguistiques, et ne représentent rien de réel. De ce qui n'est pas réel (les prémisses) on arrive à une conclusion qui ne l'est pas plus: la distinction de la volonté et de l'entendement.

Je répond maintenant à Durtal, ce qui me permettra de conclure de façon plus ferme (du moins je l'espère):

Durtal a écrit :
jvidal a écrit :Oui, au sens où Spinoza verrait dans ce calcul une abstraction, mais une abstraction illusoire dès qu'il s'agit de comprendre les volitions singulières réelles.


Mais au fond il me suffit que tu m'accordes le point (a). Car se faisant tu reconnais que la question des ebf est indépendante de la thèse concernant le caractère libre ou non libre du jugement. Comme ces caractéristiques du calcul sont conservées alors que la thèse de Descartes est niée, on ne peut donc pas dire que cette thèse est confirmée par l'existence de ces caractéristiques. Et par conséquent je crois que tu ne peux plus maintenir la "charge de preuve"que tu as formulé.


Le fait de savoir si un énoncé p est une ebf dépend de l'adéquation de cet énoncé avec les règles du langage et n'a donc pas, du point de vue cartésien que je défends, de rapport avec la volonté. Je continue de soutenir que l'on peut très bien, du point de vue cartésien, faire porter au spinoziste la charge de la preuve suivante:

Le cartésien soutient que:

(1) L'énoncé contradictoire p & ~p n'est représentable par aucun modèle, autrement dit n'est pas satisfiable, et cela est perçu par l'entendement.
(2) Par l'opération de la volonté je peux isoler la signification de p & ~p et, via la mise entre guillemets, ne pas considérer la valeur de vérité de l'énoncé contradictoire, mais uniquement son sens. Cela est possible quand je considère par exemple l'expression "l'ensemble de tous les ensembles" qui est démonstrativement contradictoire dans la théorie classique (zermelienne) des ensemble, mais qui ne l'est pas dans la théorie NF de Quine. Ces démonstrations respectives sont perçues par l'entendement. Le fait de ne considérer que le sens de l'énoncé requiert l'opération de la volonté.
(3) On doit distinguer enfin le fait d'asserter un énoncé p sans preuve, et le fait de l'asserter en se fondant sur des preuves. Les deux actes demandent le concours de la volonté et de la perception, mais le second exige aussi une perception claire et distincte, autrement dit le recours de l'entendement.

Au spinoziste donc de prouver que cette description cartésienne est fausse en exhibant un énoncé dont le sens ne puisse être isolé indépendamment de sa valeur de vérité. Ainsi il serait évident que la volonté et l'entendement ne sont qu'une seule et même chose, pour au moins une idée. Mais l'on peut dire, du point de vue spinoziste, que la volonté n'étant qu'un mode, elle n'est pas quelque chose qui peut se concevoir indépendamment de la chose ou de l'idée affirmée ou niée. De la même façon que le poisson dans le bocal et le poisson rouge dans le bocal sont une seule et même chose, il n'y a aucune différence entre une idée Y existante et cette même idée Y affirmée (ou niée). Bref, Spinoza refuse de considérer la volonté en tant que faculté, puisqu'elle n'est qu'un mode et non quelque chose qui peut être et se concevoir par soi. En ce sens seulement il échappe à la charge de la preuve, tout simplement parce qu'il utilise "volonté et entendement" en un autre sens quand il écrit qu'ils sont une seule et même chose. Son seul tort est de concéder qu'il accepte que la volonté s'entend plus loin que l'entendement seulement seulement si l'on entend par "entendement" les idées claires et disctinctes. Car Descartes ne demande en fait rien d'autre.
Le dernier (et plus grave) problème est qu'il reconnaît aussi que la volonté traduite ainsi (par l'affirmation ou la négation) est une essence adéquate qui doit être dans chaque idée, et la même dans toutes. Mais il nie que cette description soit une compréhension de la réalité puisque les idées diffèrent entre elles selon leur contenu, et donc diffèrent aussi les volontés singulières. En conséquence, la description cartésienne appartiendrait à la connaissance du 2nd genre, et l'énoncé spinoziste sur l'identité de l'entendement et de la volonté à la connaissance du troisième genre. Le problème étant qu'une connaissance du 3ème genre ferait apparaître une connaissance du second genre comme fausse, puisque la description cartésienne insiste sur la différence de la volonté et de l'entendement. A la critique "externe" fondée sur la syntaxe, s'ajoute une critique interne fondée la proposition 42 de la seconde partie de l'Ethique.

Si l'on résume, le spinoziste considère que la description cartésienne de la volonté n'a pas de pertinence ou de prise sur la réalité des idées ou des volitions. Si la description formelle que je fais de la théorie cartésienne est exacte, elle souffre des mêmes défauts aux yeux d'un spinoziste. L'étude formelle du raisonnement n'éclaire donc en rien le raisonnement réel, si l'on se place du point de vue spinoziste, ce qui accentuerait encore le mépris cartésien pour la logique formelle. En ce sens, Leibniz, qui a perçu clairement l'importance de la logique pour la philosophie, aurait raison de caractériser le spinozisme, comme "un cartésianisme outré".

Fin de ma réponse à Louisa et à Durtal.

Cordialement,
Joseph

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Messagepar sescho » 30 juil. 2008, 14:34

Je ne suis pas sûr d’avoir tout saisi, mais j’indique néanmoins ce qui m’est venu à l’esprit sur le sujet.

Pour Spinoza (que l'on voit vraiment mal se planter sur un aspect aussi élémentaire, en passant, et encore moins compte tenu de l'effort tout particulier qu'il a mis à en traiter), Volonté / Entendement ne sont pas des modes (un mode) mais des notions générales formées par le Mental humain et dont l'objet n'a pas d'être singulier : il n'y a en réalité modale que des idées, qu'une idée quand elle se présente dans un homme particulier (hors entendement divin.) Spinoza prend un soin très particulier (au point que E2P40S1 est très souvent sur-interprété, c'est-à-dire mal interprété) à écarter toute mutation artificielle d’un universel en "faculté" existant soi-disant per se (E2P48.) Et il a raison selon moi (ceci ne condamnant nullement la pertinence des notions générales – au contraire, et de façon d’ailleurs incontournable car indissociable du deuxième genre de connaissance, Spinoza en fait un usage éminemment précieux, et ce donc comme traduction d’une réalité, qui n’est pas pour autant modale.) La capacité de suspendre son jugement n'existe pas non plus, autrement que comme effet du « flou » lié à une idée inadéquate : E2P49 et C.

Spinoza emploie « entendement » comme notion générale recouvrant toutes les idées, adéquates ou non ; il est donc fondé à dire que si l’on voulait restreindre « entendement » aux seules idées claires et distinctes, alors il faudrait appeler l’entendement en général d’un autre nom, par exemple « volonté » ; mais c’est faire une complication terminologique plus nuisible qu’utile. Toute notion générale appartient au deuxième genre ; le troisième genre (qui voit l’acte dans les choses singulières) n’a pas à être invoqué en l’espèce.

Il ne suffit pas de dire que je peux nier pour nier. C’est l’idée de négation en général qui est alors à l’œuvre, appliqué à un énoncé ou un autre, et non la « pseudo-idée niée. » C’est pourquoi la distinction entre le plan verbal et une véritable idée est justifié (même si j’admets que l’adéquation du deuxième genre de connaissance pose quelque interrogation dans ce cadre.)

Plus généralement, pour moi, un énoncé comme « la neige est intrinsèquement noire » n’est pas à proprement parler une idée, comme celle de « cheval ailé » ; c’est la concaténation de plusieurs idées générales : « la couleur est une propriété des corps » ; « neige est un corps », « noir est une couleur » (par extension), donc l’énoncé est verbalement et même sémantiquement correct. Mais ce n’est pas à proprement parler une seule et même idée. Ce que j’affirme seulement par-là est que les conditions d’un énoncé sémantiquement correct sont remplies en l’occurrence, c’est tout. C'est cela la véritable idée en acte. Je n’affirme nullement que la neige est noire. Il ne s’agit tout simplement pas des mêmes idées. Ou alors j'affirme effectivement de la neige le noir dans un rêve (l'idée étant inadéquate.)

Dans ce cadre, on ne coupe pas me semble-t-il à d’abord bien définir ce qu’on entend par « idée, » (simple) et ce en particulier s’agissant du deuxième genre.

Serge
Modifié en dernier par sescho le 30 juil. 2008, 22:12, modifié 2 fois.
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Messagepar jvidal » 30 juil. 2008, 15:34

sescho a écrit :Je ne suis pas sûr d’avoir tout saisi, mais j’indique néanmoins ce qui m’est venu à l’esprit sur le sujet.

Pour Spinoza (que l'on voit vraiment mal se planter sur un aspect aussi élémentaire, en passant), Volonté / Entendement ne sont pas des modes (un mode) mais des notions générales formées par le Mental humain et dont l'objet n'a pas d'être singulier



Je ne vois pas bien le sens de la fin de cette phrase, mais la volonté est bien un mode pour Spinoza, voir par exemple la Démonstration de la proposition 33 de l'Ethique 1:
La volonté n'est qu'un certain mode (ou "une certaine manière" traduit Pautrat) de penser, de même que l'entendement.


Quant à ce qui est dit sur l'entendement divin, c'est aussi un contresens, voire sur ce point le fameux article de Koyré. En bref, il n'y a pas de distinction chez Spinoza entre l'entendement divin et les entendements humains, si l'on veut faire court.

Cordialement
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Messagepar Faun » 30 juil. 2008, 15:41

Quand Spinoza dit que l'intellect et la volonté sont des "manières de penser", il veut dire que ce sont des modes de l'imagination, des idées que nous imaginons, mais non des choses qui existent réellement.

Par exemple, lettre 12 :

"on voit clairement par là que la mesure, le temps et le nombre ne sont rien que des manières de penser, ou plutôt d'imaginer."

Quant à ce qui est dit sur l'entendement divin, c'est aussi un contresens, voire sur ce point le fameux article de Koyré. En bref, il n'y a pas de distinction chez Spinoza entre l'entendement divin et les entendements humains, si l'on veut faire court.


Absolument d'accord avec vous. Mais je ne connais pas cet article de Koyré, est-il disponible en ligne ?

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Messagepar sescho » 30 juil. 2008, 17:26

jvidal a écrit :Je ne vois pas bien le sens de la fin de cette phrase, mais la volonté est bien un mode pour Spinoza, voir par exemple la Démonstration de la proposition 33 de l'Ethique 1:
La volonté n'est qu'un certain mode (ou "une certaine manière" traduit Pautrat) de penser, de même que l'entendement.

Dans E1P31-32 (pas 33 mais E2A3, E2P33, E2P48, ...) "manière de penser" (Pautrat uniquement) me semble devoir être "pris en bloc" (et donc non pas découpé en "mode" puis "de penser") et être acceptable comme façon de parler d'une notion générale, qui représente ce qu'il y a de commun à tout ce qu'elle recouvre. Mais E2P7 utilise la même formulation (avec ajouté "singulière" : "manière de penser singulière") pour une seule idée existante (qui dans mon esprit est bien cette fois une manière déterminée de la Pensée), et aussi E2P49, la définition E2D3 introduisant, elle, "concept" (que Spinoza oppose aux images et aux mots dans E2P49, qui est au cœur du sujet.) Passé cela, le terme ne se retrouve plus que deux fois à la fin de E5 (manière de penser précise, éternelle.)

Donc OK. J'ai sans doute mal choisi mon terme (surtout pour accrocher dessus...) Il y a là-encore une distinction d'emploi des termes entre l'Etendue et la Pensée. Le parallèle corporel serait peut-être, par exemple : l'état liquide est une manière d'extension. Mais l'état liquide n'est pas une chose identifiable comme manière infinie cause des liquides, de même qu'aucune volonté n'est identifiable comme cause des volitions, mais c'est seulement un terme désignant un caractère commun aux volitions particulières (caractère qui n'en recouvre pas moins une réalité ; c'est la raison des tournures un peu alambiquées pour lesquelles j'ai opté.)

Sur le fond, donc, il y a distinction entre une entité réelle, tel un corps particulier existant, et la notion générale "corps" qui traduit ce que tous les corps ont de commun : être des entités finies suivant l'existence sous la forme étendue. La notion générale "corps" n'est pas une entité réelle, qui serait cause des corps particuliers ; ce caractère commun n'en est pas moins une réalité (mais pour moi, le terme de "mode", ou "manière" ne peut être pris là que dans un sens usuel, et non comme mode infini ou chose singulière ; mais la définition de "mode" est effectivement très générale : ce qui est conçu non par soi mais en autre chose, autrement dit tout ce qui a une réalité et n'est pas Dieu, si celui-ci est vu comme Nature naturante.) Il en est de même pour la volonté, qui de plus ne se distingue pas de l'entendement.

Spinoza, traduit par E. Saisset, a écrit :E2P49CS : Qu’est-ce en effet que la volonté ? Quelque chose d’universel qui convient en effet à toutes les idées particulières et ne représente rien de plus que ce qui leur est commun, savoir l’affirmation, d’où il résulte que l’essence adéquate de la volonté, ainsi considérée d’une manière abstraite, doit se retrouver dans chaque idée particulière et s’y retrouver toujours la même ; mais cela n’est vrai que sous ce point de vue, et cela cesse d’être vrai quand on considère la volonté comme constituant l’essence de telle ou telle idée ; car alors les affirmations particulières diffèrent l’une de l’autre tout autant que les idées : par exemple, l’affirmation enveloppée dans l’idée du cercle diffère de celle qui est enveloppée dans l’idée du triangle, exactement comme ces deux idées diffèrent entre elles. Enfin, je nie absolument que nous ayons besoin d’une puissance de penser égale, pour affirmer que ce qui est vrai est vrai, et pour affirmer que ce qui est faux est vrai ; car ces deux affirmations, si vous les rapportez à l’âme, ont le même rapport l’une avec l’autre que l’être avec le non être, puisque ce qui constitue l’essence de l’erreur dans les idées n’est rien de positif (voyez la Propos. 35, partie 2, avec son Schol., et le Schol. de la Propos. 47, partie 2). Et c’est bien ici le lieu de remarquer combien il est aisé de se tromper, quand on confond les universaux avec les choses particulières, les êtres de raison et les choses abstraites avec les réalités.


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Messagepar jvidal » 30 juil. 2008, 19:02

Pautrat traduit "mode" par "manière".


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