Je constate avec satisfaction que d’autres que moi défendent les mêmes fondamentaux. On se sent moins seul (surtout vue l’importance primordiale de ces aspects dans la démarche de Spinoza), outre que l’effort est partagé
.
Je signale que pour l’occasion des extraits assez étendus sur les « notions générales » et autres dénominations, ... sont maintenant disponibles
ici.
Quoique Spinoza utilise effectivement des termes sévères vis-à-vis des notions générales, il n’en reste pas moins, je le répète une nième fois :
- Qu’il ne fait que cela de les utiliser tout au long de l’
Ethique – il y en a des centaines –, qu’il le dit (on serait étonné à moins) et que je vois mal comment il pourrait faire autrement, c’est-à-dire pour énoncer des lois par ses propositions (communes à tout ou à une catégorie bien définie de choses, et pas déductibles d’une chose singulière prise dans sa singularité.)
- Que si l’on refuse comme moi l’emploi de formulations bâtardes qui disent une chose et son contraire, de deux choses l’une : 1) Les notions générales n’ont aucun sens, la démarche de Spinoza est donc entièrement basée sur le non-sens et le mieux c’est indubitablement de passer à autre chose. 2) Spinoza est conséquent et compétent, et alors les notions générales ont du sens (point, pas de « cela peut être utile mais c’est hautement confus, et … »), ce qui impose alors de bien repenser ce que dit Spinoza et sa démarche réelle, qui parle encore plus.
- Il est probable que les notions générales relèvent de la connaissance du premier genre selon Spinoza (qui est à la base, donc, du deuxième, lequel est à la base du troisième, avec un saut qualitatif à chaque fois), mais je suis d’accord pour dire, bien que « notion commune » n’est explicitement attribué qu’aux axiomes admis par tout le monde, qu’il est indispensable au bon développement de la Raison que les notions générales utilisées conjointement par Spinoza soient elles-aussi admises clairement par tout le monde (outre les règles de base de la logique.) Par exemple, la vérité éternelle « rien ne vient de rien » veut dire « quelque chose ne peut être produit par pas quelque chose », utilisant « quelque chose », une des notions les plus générales (qui veut dire « pas rien… ») , explicitement désignée comme telle par Spinoza. Par ailleurs, Spinoza semble donner un statut particulier à la « notion commune » mais sa genèse dans l’esprit reste assez mystérieuse, et pas forcément bien distincte du premier genre. Si je voulais saler la note, je dirais que l’on pourrait s’interroger même sur ce qui distingue un attribut et un mode infini d’une idée générale…
- Il faut noter que dans les exemples de généralisations donnés par Spinoza, il y en a pas mal qui ne peuvent entrer dans la catégorie précédente (celle des êtres de
Raison), cependant : toute généralisation abusive, définition incomplète, etc. qui pour le coup porte intrinsèquement la confusion.
- Je précise enfin, quoique je pense que c’est assez clair, que « l’idée claire et distincte de l’essence d’une chose singulière, et seulement cela », semble-t-il sous-tendue par « l’entendement de l’Homme c’est l’entendement de Dieu » sont des interprétations de certains intervenants sur le forum, qui sont contestées par d’autres, dont moi-même, et je dis même que c’est franchement contraire à l’ensemble du texte de Spinoza (tout en connaissant « notre esprit en tant qu’il comprend clairement et distinctement est une partie de l’entendement infini de Dieu » et autres propositions similaires.) Le contredire n’est donc pas (nécessairement… je suis gentil) contredire Spinoza (au contraire, me semble-t-il, donc.)
Pour finir quelques extraits, qui sans masquer les qualificatifs très « négatifs » utilisés par Spinoza dans certains passages des PM et de l’
Ethique, relève l’usage clair de notions générales (ou autre aspect général, ponctuellement), son principal souci étant qu’elles ne soient pas confondues avec des êtres réels (mais qu’elles soient dans l’entendement n’en a pas moins de la valeur, et même l’entendement est toute valeur pour l’Homme ; et parce que l’entendement humain passe par les affections du corps, inadéquates en toute connaissance de chose singulière, et est donc très différent de l’entendement divin, qui lui ne connaît « que » lui-même (naturant) et ses modes (naturé) tels qu’il sont :
Spinoza a écrit :PM1Ch5 : De ce que nous comparons les choses entre elles il naît certaines notions qui cependant ne sont rien, en dehors des choses elles-mêmes, que de simples modes de penser. Cela se voit à ce que, si nous voulons les considérer comme des choses posées hors de la pensée, nous rendons ainsi confus le concept clair que nous avons d’elles d’autre part. Telles sont les notions d’Opposition, d’Ordre, de Concordance, de Diversité, de Sujet, de Complément, et d’autres semblables qui peuvent s’ajouter à celles-là.
Ce que sont l’Opposition, l’Ordre, la Concordance, la Diversité, le Sujet, le Complément, etc. – Ces choses, dis-je, sont assez clairement perçues par nous, aussi longtemps que nous les concevons, non comme quelque chose de distinct des essences des choses opposées, ordonnées, etc., mais seulement comme des modes de penser par lesquels nous retenons ou imaginons plus facilement les choses elles-mêmes. C’est pourquoi je ne juge pas nécessaire d’en parler ici plus amplement et je passe aux termes dits communément transcendantaux.
TRE 75. … en procédant sans ordre et en confondant la nature avec les principes abstraits, bien qu'ils soient de véritables axiomes, on s'aveugle soi-même et on renverse l'ordre de la nature. Pour nous, si nous procédons avec le moins d'abstraction possible, si nous remontons autant qu'il se peut faire aux premiers éléments, c'est-à-dire à la source et à l'origine de la nature, une telle erreur n'est plus à redouter.
76. Or, en ce qui concerne l'origine de la nature, il n'est nullement à craindre que nous la confondions avec des abstractions ; car lorsque l'on a une conception abstraite, comme sont tous les universaux, ces universaux s'étendent toujours dans l'esprit bien au delà des êtres particuliers qui peuvent réellement exister dans la nature. Après cela, comme dans la nature il y a beaucoup de choses dont la différence est si petite qu'elle échappe presque à l'intelligence, alors (si l'on conçoit ces choses abstractivement) il peut facilement arriver qu'on les confonde. Mais comme l'origine de la nature, ainsi que nous le verrons plus tard, ne peut être conçue d'une manière ni abstraite, ni universelle, et ne peut s'étendre dans l'esprit plus qu'elle ne s'étend dans la réalité, et qu'elle n'a aucune ressemblance avec les êtres soumis au changement, il n'y a point à redouter de confusion dans cette idée, pourvu que nous possédions la règle de vérité (que nous avons déjà posée), c'est à savoir, cet Être unique, infini, c'est-à-dire l'Être qui est tout l'être, et hors duquel il n'y a rien.
CT1Ch10 : (1) Pour dire brièvement ce qu'est en soi le bien et le mal, nous ferons remarquer qu’il y a certaines choses qui sont dans notre entendement sans exister de la même manière dans la nature, qui sont par conséquent le produit de notre pensée et ne nous servent qu'à concevoir les choses distinctement : par exemple, les relations, et ce que nous appelons des êtres de raison.
CT2Ch3 : (2) L'admiration est une passion qui naît du premier mode de connaissance, car, lorsque de plusieurs exemples on s'est fait une règle générale, et qu’il se présente un cas contraire à cette règle, on est surpris. …
CT2Ch4 : (5) Nous avons déjà dit que toutes choses sont nécessaires, et que dans la nature il n'y a ni bien ni mal ; aussi, lorsque nous parlons de l’homme, nous entendons parler de l'idée générale de l'homme, laquelle n'est autre chose qu’un être de raison (Ens rationis). L'idée d'un homme parfait, conçue par notre esprit, nous est un motif, quand nous nous observons nous-mêmes, de chercher si nous avons quelque moyen d'atteindre à cette perfection.
E2P48S : On démontrerait de la même manière qu’il n’y a dans l’âme humaine aucune faculté absolue de comprendre, de désirer, d’aimer, etc. D’où il suit que ces facultés et toutes celles du même genre, ou bien, sont purement fictives, ou ne représentent autre chose que des êtres métaphysiques ou universels que nous avons l’habitude de former à l’aide des choses particulières.
... par volonté j’entends la faculté d’affirmer ou de nier, et non le désir ; j’entends, dis-je, la faculté par laquelle l’âme affirme ou nie ce qui est vrai ou ce qui est faux, et non celle de ressentir le désir ou l’aversion. Or comme nous avons démontré que ces facultés sont des notions universelles qui ne se distinguent pas des actes particuliers à l’aide desquels nous les formons, ...
E2P49S : … nous avons montré que la volonté est un être universel ou une idée par laquelle nous expliquons toutes les volitions particulières, c’est-à-dire ce qui leur est commun. Or, nos contradicteurs se persuadant que cette idée universelle, commune à toutes les volitions, est une faculté, il n’est point surprenant qu’ils soutiennent que cette faculté s’étend à l’infini au delà des limites de l’entendement, puisque l’universel se dit également d’un seul individu, de plusieurs, d’une infinité. …
Par les réflexions qu’on vient de lire je crois avoir répondu d’avance à la troisième objection. Qu’est-ce en effet que la volonté ? Quelque chose d’universel qui convient en effet à toutes les idées particulières et ne représente rien de plus que ce qui leur est commun, savoir l’affirmation, d’où il résulte que l’essence adéquate de la volonté, ainsi considérée d’une manière abstraite, doit se retrouver dans chaque idée particulière et s’y retrouver toujours la même...
E3P56S : Il suffit, dis-je, de comprendre les propriétés générales des passions et de l’âme pour déterminer quelle est la nature et le degré de la puissance que l’âme possède pour modérer et contenir les passions. Ainsi donc, bien qu’il y ait une grande différence entre tel et tel amour, telle et telle haine, tel et tel désir, par exemple , entre l’amour qu’on a pour ses enfants et celui qu’on a pour une épouse, il n’est point nécessaire à notre objet de connaître ces différences, et de pousser plus loin la recherche de la nature et de l’origine des passions.
E5P36S : … la connaissance des choses particulières, que j’ai appelée intuitive ou du troisième genre (voyez le Schol. 2 de la Propos. 40, part. 2), est préférable et supérieure à la connaissance des choses universelles que j’ai appeler du second genre ; car, bien que j’aie montré dans la première partie d’une manière générale que toutes choses (et par conséquent aussi l’âme humaine) dépendent de Dieu dans leur essence et dans leur existence, cette démonstration, si solide et si parfaitement certaine qu’elle soit, frappe cependant notre âme beaucoup moins qu’une preuve tirée de l’essence de chaque chose particulière et aboutissant pour chacune en particulier à la même conclusion.
Lettre 34 : … Admettons, par exemple, qu’il existe dans la nature vingt hommes (pour éviter toute confusion, nous les supposeront contemporains) : il ne suffira pas pour rendre raison de leur existence de chercher la cause de la nature humaine en général, il faudra chercher aussi pourquoi il existe justement vingt hommes, ni plus, ni moins ; car, d’après notre troisième supposition, il est nécessaire que chacun d’eux ait une cause ou raison de son existence. Or cette cause, par la seconde et la troisième supposition, ne peut être enfermée dans la nature de l’homme toute seule, la définition vraie de l’homme n’enveloppant aucun nombre d’hommes déterminé.
Serge
Connais-toi toi-même.