volonté et entendement: un problème logique

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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hokousai
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Messagepar hokousai » 07 juil. 2008, 22:46

à Joseph


la contradiction relève de la négation de ce qui est clair et distinct.


Pourquoi de la négation ? je ne pense pas ainsi .Du point de vue spinoziste une idée confuse n’est pas la négation d’une idée claire et distinctes sur le même sujet .
On peut avoir des idées confuse de l’incertitude ou du doute. L’entendement est alors dans le malaise (ou flottement de l’âme ) mais il s’agit bien de l’entendement .
Et s’il se décide ( ce qui est alors exercice de la dite volonté ) il affirmera ou niera .
On ne sort pas du registre de l’affirmation .Tout cela est compréhensible d’un point de vue spinoziste .
……………………………………………….

qui permet de rendre compte de cette idée claire et distincte de la contradiction,


Votre objection est intéressante .Mais je dirais que vous n’avez pas plus par la formalisation une idée claire de la contradiction.

(p & ~p).! Les contradictions ( même symbolisées! ) sont vides de sens ( sinlos pour être précis et non unsinnig/ non sens )
A t- on une idée plus claire et distincte de ce vide de sens quand on a formalisé ? J’ en doute fort .
La symbolisation est une tentative vaine d’apprivoiser le malaise .
Que n’a t -on pas été obligé de débattre sur cette idée que vous supposez claire et distincte de la contradiction ?

Aristote se mettait en colère quand on le cherchait sur le principe de non contradiction ce qui était peut être un symptôme de ce l’idée n’avait pas la force de persuasion revendiquée . Mais Je vais vous dire ,c’est clair et distinct quand on tranche , quand on affirme fermement qu’il s’agit d’ un vide de sens ( ou comme dit Spinoza que c’est absurde ).


De plus il est évident que la volonté ne s’exerce pas dans l’abstrait . Vous avez dévié de la question de la volonté sur un cas où la question ne se pose pas . Vouloir manger et ne pas manger le foin pour l’ âne ! c’est vide de sens et cela on peut l’affirmer , cette affirmation opérée on doit se décider ne serait ce qu’à pile ou face , ou bien aller voir ailleurs .

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bardamu
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Messagepar bardamu » 09 juil. 2008, 22:39

jvidal a écrit :(...)

Il n'y a aucune raison de supposer que Spinoza aurait adopté le point de vue intuitionniste en logique (à la différence de Descartes si celui-ci n'avait pas exprimé autant de mépris pour la logique), mais je ne vois rien chez Spinoza qui permette de rendre compte correctement de la validité de la première formule.

Cordialement et à bientôt,
Joseph

Bonjour Joseph,
en avant propos, un lien vers une vidéo du cours de P.-F. Moreau traitant précisément des propositions en question et du raisonnement de Spinoza sur volonté et entendement : leçon 10 sur l'Ethique
C'est assez éclairant, je pense, notamment sur une erreur à éviter à laquelle je n'avais pas pensé : la différence entre volonté et désir (et donc "conatus") chez Spinoza. Dans son vocabulaire, la liberté est du côté du "conatus" et pas de la volonté. Ce n'est pas parce qu'au niveau épistémologique l'idée se confond avec la volonté, que nous n'avons pas notre propre puissance de création d'idées.

Sinon, le fait que contrairement à moi, tu ne vois pas de lien à l'intuitionnisme m'interpelle.
Je vais prendre la définition d'une philosophie intuitionniste telle que tu l'empruntes à Vuillemin dans ce papier :

jvidal a écrit :(...)
Sur ce point, la définition qu’en donne Vuillemin (1920-2001) dans [Vuillemin, 1981], [Vuillemin, 1984], ou encore [Vuillemin, 1994], constitue une extension intéressante puisque cette définition permet de ne pas se limiter à la logique intuitionniste mais de voir que l’intuitionnisme est une position philosophique qui peut se comprendre indépendamment d’une révision des lois de la logique classique.

Selon Jules Vuillemin, on peut appeler “intuitionniste” un système philosophique qui, par les définitions qu’il donne de la vérité, du bien et du beau, les rend dépendants de la méthode par laquelle la connaissance, la conscience morale et le jugement de goût les atteignent.

A la différence d’un système réaliste (ou, dans la terminologie de Vuillemin, “dogmatique”), le vrai est toujours dans un système intuitionniste, “épistémologiquement contraint”, c’est-à-dire fonction de la preuve ou de la vérification.

Les philosophies que Vuillemin appelle “dogmatiques” (celle d’un Platon, d’un Aristote, ou encore d’un Spinoza), accordent peu d’attention à l’activité de la raison dans la découverte de la vérité. L’analyse de cette activité est au contraire fondamentale du point de vue intuitionniste.

Cependant l’intuitionnisme n’est pas une forme de subjectivisme ou de relativisme, et encore moins une expression du scepticisme : l’intuitionnisme ne renonce pas à l’idée de vérité et, de son point de vue, les moyens de preuve offrent un accès effectif à la réalité extra-subjective et ils sont universels en raison de leur rationalité.

C’est en ce sens que les philosophies de la connaissance d’Epicure, de Descartes, sont intuitionnistes : elles ont pour ambition de mettre à jour les conditions de possibilité de toute connaissance claire et disctincte, et de la vérité en général. De la même façon que la logique intuitionniste renonce aux raisonnements mathématiques transcendants, la philosophie intuitionniste (entendue en son sens large), jette un éclairage sur les illusions de la métaphysique dogmatique.


1- les définitions qu’il donne de la vérité, du bien et du beau
Spinoza dissocie assez nettement le bien-beau et la vérité. Le bien et le beau se disent par rapport aux convenances particulières, relatives, de tel ou tel mode (cf E1 Appendice). Ces termes ne correspondent qu'à des comparaison entre choses et sont conservés pour établir un modèle d'homme en général et sa psychologie comportementale (cf E4 préface).

Certaines vérités (notions communes) sont en effet dépendantes de propriétés communes. L'accession à la vérité dépend en première instance de caractéristiques du corps (E2p39 coroll.) qui permettront d'atteindre à ces notions communes. C'est tout un parcours épistémologique qui est proposé : expérience du commun dans les rencontres de corps, mise en conformité d'idées vraies communes par la puissance de l'entendement, accès à l'idée de Dieu, retour aux choses particulières. Si au final on doit atteindre à une vérité, c''est par un effort pratique et théorique.


2- le vrai est toujours (...) “épistémologiquement contraint”, c’est-à-dire fonction de la preuve ou de la vérification.

Du TRE à l'Ethique, il semble évident que Spinoza met en avant la nécessité de prouver (et éprouver) les choses. Sa critique des Ecritures comme n'ayant pas vocation à montrer le vrai va sans doute plus loin que Descartes dans le risque rationnaliste. Il ne s'agit plus d'esquiver le sujet et de s'en remettre aux "vérités de la foi", en cas où quelque autorité y verrait à redire, il s'agit d'affirmer que c'est par la raison qu'on atteint au mieux la vérité.
Non seulement il n'accepte pas les vérités métaphysiques de l'Ecole, mais pousse aussi la critique du côté des sciences expérimentales (cf les lettres sur les travaux de Boyle).
Lorsqu'il affirme le vrai, c'est toujours sous réserve d'une contre-preuve, sans la fausse pudeur de celui qui a une certitude mais simule de ne pas l'avoir et, dans l'Ethique, une vérité orientée par un objectif concret d'efficience (cf la fin de E2p49 corollaire, listant les utilités de sa doctrine).
L'Ethique n'est pas un manuel "scolaire" qu'on ne discute pas, c'est un parcours démonstratif à vérifier pour soi-même.

3- les moyens de preuve offrent un accès effectif à la réalité extra-subjective et ils sont universels en raison de leur rationalité
On dirait du Spinoza...
E5p23 scolie : Les yeux de l'âme, ces yeux qui lui font voir et observer les choses, ce sont les démonstrations.

Si on regarde l'ontologie spinozienne et les principes de raisonnement qu'il promeut (définition "génétique"), tout cela est orienté vers une recherche d'une réalité concrète, l'évitement des Universaux aussi généraux qu'improductifs tout autant que celui de l'acceptation passive des idées (opinions, images...) qui nous passent par la tête sans qu'on sache d'où elles nous viennent.

A mon sens, sa tendance tend à l'intuitionnisme même si il construit des objets que les intuitionnistes du XXe siècle n'auraient pas reconnus comme valides (infini actuel ?). Ne sachant pas que des règles d'aujourd'hui lui interdirait telle ou telle chose, il les a utilisé, et finalement, il faudrait vérifier si c'est nos règles qui sont à changer ou sa pensée. Après tout, l'infini actuel sert en mathématiques pour des démonstrations de résultats finis et les ordinateurs qui ne connaissent guère la volonté ou la négation (ils ne se dissolvent pas quand leurs états logiques, leur "entendement" passe de 1 à 0) semblent malgré tout pouvoir être "intuitionnistes" et "raisonner" par l'absurde. A mon sens, si on conçoit la logique comme un ensemble de règles inventées (créées/découvertes) pour des jeux de langage, il vaudra mieux s'orienter vers ceux destinés à un usage "physique", respectant le rapport corps/esprit chez Spinoza.

Dernier point : je ne vois guère qu'il soit moins dogmatique que Descartes si ce n'est qu'il prétend, sans en douter, que la raison suffise à nous éclairer sur la réalité, que notre propre puissance de penser selon les conditions déterminées par la Nature, par l'expérience et la réflexion, suffise à construire une perception vraie du monde. Ou pour être horriblement tautologique : le sens de "perception vraie du monde" n'est rien d'autre que le résultat de cet effort de notre puissance de penser laquelle est aussi celle de la Nature. Un rationalisme et un causalisme radical certes, mais quelle est l'alternative ? L'homme comme empire dans un empire ? L'inspiration inconditionnée, sans effort, sans méditation, Révélation tombant par hasard sur un logicien-poète-prophète ?

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Messagepar jvidal » 10 juil. 2008, 10:14

Rebonjour à tous,

Merci pour les liens et pour ces remarques stimulantes. Pardon aussi, bien sincèrement, de ne pas tenter de répondre à tout dans cet envoi. Je veux juste encore une fois préciser mon argument de façon à ce qu'il apparaisse comme démonstratif. Ainsi on pourra m'indiquer là où je fais erreur.

Spinoza s'oppose à l'argument cartésien selon lequel la liberté est "formellement infinie" puisque, remarque Descartes, nous pouvons indifféremment affirmer ou nier n'importe quelle idée, quel que soit son contenu représentatif, à la différence de l'entendement qui est fini, puisqu'il y a une infinité d'idées que nous ne pouvons pas comprendre (par exemple nous n'avons pas d'idée de toute l'omniscience divine, comme nous ne pouvons pas comprendre comment se concilient l'omniscience et l'omnipotence divines avec la liberté de la volonté humaine). La réponse spinoziste à cet argument consiste à dire que les affirmations (comme les négations singulières) diffèrent entre elles et qu'en raisonnant comme le fait Descartes nous confondons les êtres de raison avec les être réels. C'est en cela que Spinoza est nominaliste: le discours vrai n'est pas le discours abstrait qui s'écarte de la réalité singulière, mais celui qui l'exprime. Or dans la réalité, pour Spinoza, l'affirmation et la négation ne sont pas séparables de l'idée en tant qu'idée et n'ont pas plus de liberté que le cours des choses et des idées. Evidemment toute démonstration formelle se verra rejetée comme ne répondant pas à l'exigence de réalité des idées réelles. Mais on peut aussi demander au spinoziste une preuve irréfutable du bien fondé de sa critique de la théorie cartésienne. Voici une synthèse de l'argument cartésien et le défi posé au spinozisme:

(1) J'appelle expression bien formée (ebf) toute idée ou tout énoncé de mon langage qui est syntaxiquement correct et qui, isolément, fait sens.

(2) Sont des ebf atomiques tous les énoncés du langage ordinaire de la forme "sujet-verbe-(complément)" dépourvus des connecteurs propositionnels: "non, et, ou, si...alors..., si et seulement si".

(3) Quel que soit un énoncé p, si p est une ebf, alors la négation de p est ausis une ebf. Ce point est une autre façon d'exprimer l'idée du caractère formellement infini de la volonté.

CHARGE DE LA PREUVE: Si la volonté n'est pas formellement infinie, alors il faut trouver une ebf qui falsifie (3). Si c'est impossible (cela doit l'être puisque le calcul des énoncés est démonstrativement cohérent), alors l'argument spinoziste est sans objet.

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Messagepar Durtal » 10 juil. 2008, 16:32

Hello Joseph,

Que penses-tu de ceci:

Aucune ebf ne peut résulter de l'affirmation simultanée de p et -p.

Donc ou bien la thèse de Descartes sur le caractère formellement infini de la volonté, entend ces actes d'affirmation et de négations comme intervenant les uns après les autres, et dans ce cas il dit la même chose que Spinoza.

Ou bien le caractère formellement infini de la volonté doit s'entendre comme une capacité d'affirmation simultanée de p et de -p et ce qui est affirmé par là est que la volonté est libre d'énoncer des flatus vocis, ou de ne rien déterminer.

A bientôt,

D.

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Messagepar jvidal » 10 juil. 2008, 17:51

Bonjour Durtal,

Je réponds à ta suggestion de manière concise mais détaillée:

Si p est une ebf, alors non-p est une ebf, et (p & non-p) est aussi une ebf qui est une contradiction (ou une antilogie) en raison des tables de vérité et évidemment non-(p & non-p) est une tautologie. Donc cela ne convient pas puisque l'on cherche un énoncé qui ne pourrait pas être nié sans syntaxiquement incorrect (et non pas uniquement contradictoire sur le plan sémantique).

Mais pour être totalement équitable, il faut ajouter que Spinoza reconnaîtrait l'impossibilité de la tâche puisqu'il écrit dans le scolie de la prop. 49 de l'Ethique 2:

[...] je pense [...] avoir répondu à la 3eme objection, à savoir que la volonté est un être universel, que l'on prédique de toutes les idées, et qui signifie seulement ce que les idées ont toutes en commun, à savoir l'affirmation, dont, pour cette raison, l'essence adéquate, en tant qu'on la conçoit ainsi abstraitement, doit être dans chaque idée, et sous ce seul rapport, la même dans toutes; mais non en tant qu'on la considère constituer l'essence de l'idée; car sous ce rapport, les affirmations singulières sont autant différentes entre elles que le sont les idées elles-mêmes. Par ex. l'affirmation qu'enveloppe l'idée du cercle diffère autant de celle qu'enveloppe l'idée du triangle, que l'idée du cercle diffère de l'idée du triangle."


Ce qui est très surprenant, dans ce passage, est que Spinoza semble reconnaître que l'essence adéquate de l'affirmation (et donc, implicitement, de la négation), certes conçue abstraitement, est la même dans chaque idée. Or il n'en faut pas plus effectivement pour reçonnaître ce que Descartes désigne comme le caractère formellement infini de la volonté. Cette volonté n'est cependant pas libre, pour Spinoza, car les volitions sont déterminées par l'ordre de la causalité naturelle. Mais le simple fait que l'on puisse, abstraitement, nier toute idée qui fait sens, ou, ne considérer que sa signification (en la mettant entre guillemets) et s'abstenir de l'affirmer, montre bien que l'on a, via les opérations logiques, une idée formelle de la liberté de la volonté. Le problème, à mes yeux, est que Spinoza nie à la fois une évidence naturelle (la spontanéité du libre arbitre) et le fait que des idées claires et distinctes exprimées dans la logique du langage puissent traduire une réalité: en l'occurrence l'infinité formelle de la volonté ne traduit pas pour lui la réalité du libre arbitre. Le fait que je puisse nier n'importe quel énoncé doué de sens ne traduit que l'illusion de la liberté de la volonté, mais, en revanche, les théorèmes de l'arithmétique élémentaire ne sont pas douteux. Il y a là comme une pétition de principe que je ne m'explique que par l'adoption d'un déterminisme strict dans lequel Spinoza voit des conséquences morales avantageuses: miséricorde pour tous. Pour Descartes au contraire on ne peut être loué ou blâmé que pour nos actions volontaires.

Se déterminer sur cette question, c'est faire un choix philosophique. Mais si l'on ne juge qu'en fonction des raisons, je ne crois pas que la clarté et la disctinction puissent être des normes qui fassent pencher la balance en faveur de Spinoza (sur ce point précis du moins), car je ne vois vraiment pas pourquoi, même dans le système de Spinoza, ce qui exprimerait l'essence adéquate d'une idée, à savoir ici l'affirmation et la négation, même d'un point de vue abstrait, ne devrait pas être ce quoi doit être pris en compte par la connaissance philosophique.

à bientôt,

Joseph

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Messagepar bardamu » 10 juil. 2008, 21:41

jvidal a écrit :(...) Cette volonté n'est cependant pas libre, pour Spinoza, car les volitions sont déterminées par l'ordre de la causalité naturelle. Mais le simple fait que l'on puisse, abstraitement, nier toute idée qui fait sens, ou, ne considérer que sa signification (en la mettant entre guillemets) et s'abstenir de l'affirmer, montre bien que l'on a, via les opérations logiques, une idée formelle de la liberté de la volonté. Le problème, à mes yeux, est que Spinoza nie à la fois une évidence naturelle (la spontanéité du libre arbitre) et le fait que des idées claires et distinctes exprimées dans la logique du langage puissent traduire une réalité: en l'occurrence l'infinité formelle de la volonté ne traduit pas pour lui la réalité du libre arbitre. Le fait que je puisse nier n'importe quel énoncé doué de sens ne traduit que l'illusion de la liberté de la volonté, mais, en revanche, les théorèmes de l'arithmétique élémentaire ne sont pas douteux. Il y a là comme une pétition de principe que je ne m'explique que par l'adoption d'un déterminisme strict dans lequel Spinoza voit des conséquences morales avantageuses: miséricorde pour tous. Pour Descartes au contraire on ne peut être loué ou blâmé que pour nos actions volontaires.

Bonjour Joseph,
j'allais donner à ton message précédent une réponse proche de celle de Durtal (p : il existe quelque chose, non-p : il n'existe pas quelque chose) mais à mon sens, c'est moins le point 3 qui concerne Spinoza que sens et syntaxe que tu relies sur le point 1 : "toute idée ou tout énoncé de mon langage qui est syntaxiquement correct et qui, isolément, fait sens".
Chez Spinoza, on peut jouer avec n'importe quel système syntaxique. Aucun problème à ce qu'à toute ebf corresponde une ebf pour la proposition inverse, au pire ce ne sera que la manifestation de notre puissance d'imaginer, par contre il faudrait justifier le "isolément fait sens", justifier en quoi la proposition peut être isolée du langage l'ayant produite et en quoi ce langage fait sens par rapport à la réalité.
C'est bien le contenu de "entendement" et "volonté" qui intéresse Spinoza, le système de pensée cartésien dans ses aspects formels et sémantiques.

Si Spinoza nie l'évidence "naturelle" (?) du libre-arbitre, c'est justement que de l'acceptation de principes premiers sur ce qu'est Dieu et l'homme, ce libre-arbitre ne peut être qu'illusion. Les idées ont par elle-même un caractère de vérité ou de fausseté de même qu'un système axiomatique étant posé les théorèmes en découlent nécessairement.
Dès lors que la vérité ou la fausseté appartiennent à l'idée et pas à un jugement sur l'idée, l'affirmation ou la négation de cette idée ne sont que l'idée elle-même.

L'essentiel dans la démonstration de E2p49 me semble la réciprocité :
"cette affirmation ne peut exister sans l'idée du triangle. Elle ne peut donc ni être conçue, ni exister sans cette idée.
De même, l'idée du triangle doit envelopper cette même affirmation, que les trois angles du triangle sont égaux à deux droits ; de sorte que, réciproquement, elle ne peut ni exister, ni être conçue sans elle : par conséquent (en vertu de la Déf. 2, partie 2) cette affirmation se rapporte à l'essence de l'idée du triangle, et n'est absolument rien autre chose."


Si l'entendement est fini, alors la volonté est finie. Si il est infini, alors la volonté est infinie. L'homme a en vue un infini potentiel de volonté-entendement/vérité-réalité, et on pourrait imaginer un homme immortel pouvant énumérer l'infinité des nombres entiers, c'est-à-dire exprimant leur "vérité" ou énumérant une infinité d'idées fausses 2+1= 4, 2+3=5 etc., infini potentiel qui est actuel pour Dieu.
Quand Dieu ou l'homme exprime une idée, il exprime en même temps sa vérité ou sa fausseté, lesquelles n'appartiennent pas plus à son jugement que la vérité d'un théorème n'en dépend une fois les axiomes posés.

L'inconséquence qu'attaque Spinoza est celle d'un système affirmant à la fois que Dieu est cause de toute chose selon un ordre déterminé, et que la vérité ou la fausseté dépende du jugement d'un homme. Soit Dieu n'est pas cause de nos choix et notre volonté peut fixer librement des réalités, seraient-elle abstraites, soit il en est cause et le système du jugement comme volonté s'appliquant à une idée n'a plus de sens, il faut redéfinir les termes à la fois de volonté et d'entendement. L'entendement ne propose pas des idées à la volonté qui jugerait, il produit des idées qui contiennent déjà leur vérité ou fausseté.

Et à mon sens, Spinoza redéfinit les termes en raison de ses principes ontologiques sur l'essence de Dieu, de la réalité, et pas sur l'idée affective d'une miséricorde. Il ne s'agit aucunement de se dédouaner de sa responsabilité, chacun ayant justement l'entendement comme instrument productif de ce qu'il sera, dans les conditions permises par sa/la nature.
Si la volonté est l'entendement, alors l'entendement est la volonté, l'instrument de la transformation de soi par la connaissance.
jvidal a écrit :(...) je ne vois vraiment pas pourquoi, même dans le système de Spinoza, ce qui exprimerait l'essence adéquate d'une idée, à savoir ici l'affirmation et la négation, même d'un point de vue abstrait, ne devrait pas être ce quoi doit être pris en compte par la connaissance philosophique.

On peut très bien vouloir appeler "volonté" ce qu'il appelle "entendement" puisque de toute manière c'est la même chose.
L'important est de savoir si on accepte la vertu transformatrice de la pensée, qui n'est certes pas absolument libre mais dont la réflexivité assure un potentiel de libération. Auto-détermination plutôt que libre-arbitre, compréhension et délibération plutôt que jugement et arbitraire.

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Messagepar Faun » 10 juil. 2008, 23:34

bardamu a écrit : Les idées ont par elle-même un caractère de vérité ou de fausseté de même qu'un système axiomatique étant posé les théorèmes en découlent nécessairement.
Dès lors que la vérité ou la fausseté appartiennent à l'idée et pas à un jugement sur l'idée, l'affirmation ou la négation de cette idée ne sont que l'idée elle-même.

Quand Dieu ou l'homme exprime une idée, il exprime en même temps sa vérité ou sa fausseté, lesquelles n'appartiennent pas plus à son jugement que la vérité d'un théorème n'en dépend une fois les axiomes posés.

L'entendement ne propose pas des idées à la volonté qui jugerait, il produit des idées qui contiennent déjà leur vérité ou fausseté.


Je pense que Bardamu a bien résumé ce pour quoi votre problème portant sur des abstractions est dénué de sens dans le Spinozisme.

Les idées pour Spinoza sont des choses réelles, vivantes, qui expriment elles-mêmes leur propre vérité. On ne peut discuter que des idées elles-mêmes, c'est à dire de telle ou telle idée. Car l'affirmation n'est rien d'autre que l'existence pour Spinoza. Or une idée même fausse existe, et contient donc une part d'affirmation.

Du reste les démonstrations chez Spinoza sont autre chose qu'une pure logique, elles contiennent pour la plupart une dimension rhétorique qu'il ne faut pas négliger. Le style dans l'Ethique, et pas seulement dans les scolies, fait partie du sens qu'il nous faut comprendre.

La démonstration de la propostion 11 partie 1 en est un bel exemple. "Si tu le nies, conçois, si c'est possible, etc." On ne peut pas dire qu'il s'agit là d'un langage purement mathématique.

Car les idées sont toujours affectives pour Spinoza.
Modifié en dernier par Faun le 10 juil. 2008, 23:46, modifié 2 fois.

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Messagepar Durtal » 11 juil. 2008, 00:07

Rebonjour, Joseph

Voici ce que je pense sur le fond du problème. Cela tient en deux points.

Le premier point est que je ne crois finalement pas que la position de Spinoza doive entraîner la conséquence en effet assez désastreuse que tu pointes. A savoir que pour tout énoncé p, s’il n’est pas possible de nier ou d’affirmer indifféremment « p », alors « -p » n’a pas de sens (ou « –p » est une expression mal formée) à la place de laquelle on devrait plutôt dire par exemple « q ».

Le second point est que s’il en va ainsi, et c’est ce que j’espère montrer, c’est peut-être qu’au fond, et contrairement à l’intitulé du fil que tu as proposé, le problème de l’identité ou de la différence entre la volonté et l’entendement n’est pas un problème logique. Ou plutôt : n’est pas un problème tel que les seules considérations de logique puisse nous permettre de statuer dans un sens ou dans l’autre.

Premier point : Pourquoi en fait penses-tu que l’identité de la volonté et de l’entendement entraîne les conséquences en effet assez baroques que tu as dites ? Parce que, c’est du moins ce qu’il me semble, tu interprètes unilatéralement la critique de Spinoza à l’égard de la thèse du caractère formellement infini de la volonté. Je m’explique : bien sûr il dit que ce concept est une abstraction, mais du même coup il reconnaît aussi que ce point de vue a du sens si par « représentation » (jugement, proposition..) on entend la représentation « en général ». Le problème n’est pas que ce soit un concept abstrait, le problème est l’application que Descartes fait de ce concept abstrait. ( je reviendrai sur ce dernier point)

Autrement dit, comme le montre d’ailleurs à mon sens très bien le passage que tu cites, si l’on se place au niveau de l’énoncé des règles du jugement (ou de la représentation), alors on peut parfaitement dire de n’importe quelle représentation qu’elle est susceptible d’être également niée ou affirmée (ou que la négation et l’affirmation sont des propriétés communes à toutes les représentation). La raison de ceci est simple : lorsque je parle de représentations « en général », j’entends bien sûr les deux cas possibles de représentations, celles qui enveloppent une négation et celles qui enveloppent une affirmation et comme parler de représentation « en général » implique que nous parlons des deux cas, alors on peut dire en ce sens que pour une représentation donnée, elle peut avoir un contenu négatif comme un contenu affirmatif.

Au cas où ce que je dis ne soit pas suffisamment clair je vais me servir d’un exemple élémentaire de construction de notre ensemble « représentation en général ». Supposons comme cela arrive souvent, que je doute. A l’instant t-1 je pense « que p », à l’instant t, je pense au contraire «que –p ». Faisant retour sur ces expériences je remarque qu’il m’a été possible d’affirmer p, comme de le nier. Et je dis : "pour ce qui concerne « p » je puis aussi bien l’affirmer que le nier" et ce sera parfaitement exact. Bien sûr cependant je n’ai pas pu faire ces deux choses en même temps, c’est le début de généralisation et d’abstraction qui me permet de « gommer » la diversité temporelle, pour affirmer que p peut indifféremment être nié ou affirmé. Et (nota bene) Nul besoin ici de faire intervenir une liberté d’indifférence dans le jugement pour rendre compte de la construction de mon début d'ensemble "représentation en général".

Or Spinoza, du moins je ne vois aucune raison de penser le contraire, ne conteste pas la légitimité de cette construction, qui expose en quelque sorte les règles de fonctionnement des représentations « en général ». Je ne sache pas, d’ailleurs, que les abstractions ou les idéalisations (cf. les notions communes) soient frappées d’une indignité systématique dans sa philosophie (il est nominaliste certes mais il n'est pas non plus une caricature à la Protagoras du Thééthète). Ce qu’il reproche à Descartes, en revanche, c’est de présenter cette construction comme une description de ce qui se passe lorsque nous jugeons. Il lui conteste donc le droit qu’il a de se référer à un modèle idéalisé du jugement, qui est utile, pertinent, et tout ce que l’on voudra dans sa propre sphère d’application ( et cette sphère est de façon paradigmatique, bien sûr, la logique) pour décrire une expérience, celle de la supposée liberté de la volonté. On pourrait presque parler d’une opération de clarification conceptuelle « à la Wittgenstein » : Spinoza reproche à Descartes de confondre en somme un concept logique avec un concept psychologique.

J’en viens maintenant- la transition est toute prête- à mon deuxième et dernier point. Je crois qu’une grande partie de ton trouble ou du problème que te pose cette histoire vient précisément de ce que tu cherches- et j’ajoute avec un peu de malignité : en bon cartésien- à aborder le problème d’un point de vue logique, alors que, je le crois, ce n’est pas vraiment la question. Je pense que les deux thèses adverses n’ont en fait aucune incidence au point de vue logique tout simplement parce que la logique n’est pas une théorie du jugement, au sens, si tu veux d’une théorie relative à la «psychologie du jugement », ce qui me semble être l’enjeu réel de ces passages. Tout ça pour dire que ta question sur la liberté reste entière ( et je serais un grand menteur si je disais qu’elle ne me pose, personnellement aucun problème), mais c’est une question de métaphysique, dont je ne crois pas que l’on puisse décider uniquement à l’aide d’outils logiques.

Tu n'es pas obligé de partager mon point de vue sur ce dernier point. Ce qui m'importe et ce que j'ai voulu montrer essentiellement est que ton astucieux "challenge" d'une part ne peut bien sur pas être relevé, mais d'autre part et surtout je pense que Spinoza n'a pas à le relever, parce que sa thèse ici ne revient pas à nier, pour le dire vite, la "bipolarité" des propositions, je crois au contraire qu'il l'admet parfaitement.

A bientôt,

N.

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Messagepar Durtal » 11 juil. 2008, 00:13

:idea:
Modifié en dernier par Durtal le 11 juil. 2008, 03:29, modifié 1 fois.

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Messagepar Durtal » 11 juil. 2008, 00:15

triplet. Ma fonction "édition" déconne...suis-je le seul?


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