jvidal a écrit :(...)
Il n'y a aucune raison de supposer que Spinoza aurait adopté le point de vue intuitionniste en logique (à la différence de Descartes si celui-ci n'avait pas exprimé autant de mépris pour la logique), mais je ne vois rien chez Spinoza qui permette de rendre compte correctement de la validité de la première formule.
Cordialement et à bientôt,
Joseph
Bonjour Joseph,
en avant propos, un lien vers une vidéo du cours de P.-F. Moreau traitant précisément des propositions en question et du raisonnement de Spinoza sur volonté et entendement :
leçon 10 sur l'EthiqueC'est assez éclairant, je pense, notamment sur une erreur à éviter à laquelle je n'avais pas pensé : la différence entre volonté et désir (et donc "conatus") chez Spinoza. Dans son vocabulaire, la liberté est du côté du "conatus" et pas de la volonté. Ce n'est pas parce qu'au niveau épistémologique l'idée se confond avec la volonté, que nous n'avons pas notre propre puissance de création d'idées.
Sinon, le fait que contrairement à moi, tu ne vois pas de lien à l'intuitionnisme m'interpelle.
Je vais prendre la définition d'une philosophie intuitionniste telle que tu l'empruntes à Vuillemin dans
ce papier :
jvidal a écrit :(...)
Sur ce point, la définition qu’en donne Vuillemin (1920-2001) dans [Vuillemin, 1981], [Vuillemin, 1984], ou encore [Vuillemin, 1994], constitue une extension intéressante puisque cette définition permet de ne pas se limiter à la logique intuitionniste mais de voir que l’intuitionnisme est une position philosophique qui peut se comprendre indépendamment d’une révision des lois de la logique classique.
Selon Jules Vuillemin, on peut appeler “intuitionniste” un système philosophique qui, par les définitions qu’il donne de la vérité, du bien et du beau, les rend dépendants de la méthode par laquelle la connaissance, la conscience morale et le jugement de goût les atteignent.
A la différence d’un système réaliste (ou, dans la terminologie de Vuillemin, “dogmatique”), le vrai est toujours dans un système intuitionniste, “épistémologiquement contraint”, c’est-à-dire fonction de la preuve ou de la vérification.
Les philosophies que Vuillemin appelle “dogmatiques” (celle d’un Platon, d’un Aristote, ou encore d’un Spinoza), accordent peu d’attention à l’activité de la raison dans la découverte de la vérité. L’analyse de cette activité est au contraire fondamentale du point de vue intuitionniste.
Cependant l’intuitionnisme n’est pas une forme de subjectivisme ou de relativisme, et encore moins une expression du scepticisme : l’intuitionnisme ne renonce pas à l’idée de vérité et, de son point de vue, les moyens de preuve offrent un accès effectif à la réalité extra-subjective et ils sont universels en raison de leur rationalité.
C’est en ce sens que les philosophies de la connaissance d’Epicure, de Descartes, sont intuitionnistes : elles ont pour ambition de mettre à jour les conditions de possibilité de toute connaissance claire et disctincte, et de la vérité en général. De la même façon que la logique intuitionniste renonce aux raisonnements mathématiques transcendants, la philosophie intuitionniste (entendue en son sens large), jette un éclairage sur les illusions de la métaphysique dogmatique.
1-
les définitions qu’il donne de la vérité, du bien et du beau
Spinoza dissocie assez nettement le bien-beau et la vérité. Le bien et le beau se disent par rapport aux convenances particulières, relatives, de tel ou tel mode (cf E1 Appendice). Ces termes ne correspondent qu'à des comparaison entre choses et sont conservés pour établir un modèle d'homme en général et sa psychologie comportementale (cf E4 préface).
Certaines vérités (notions communes) sont en effet dépendantes de propriétés communes. L'accession à la vérité dépend en première instance de caractéristiques du corps (E2p39 coroll.) qui permettront d'atteindre à ces notions communes. C'est tout un parcours épistémologique qui est proposé : expérience du commun dans les rencontres de corps, mise en conformité d'idées vraies communes par la puissance de l'entendement, accès à l'idée de Dieu, retour aux choses particulières. Si au final on doit atteindre à une vérité, c''est par un effort pratique et théorique.
2-
le vrai est toujours (...) “épistémologiquement contraint”, c’est-à-dire fonction de la preuve ou de la vérification.
Du TRE à l'Ethique, il semble évident que Spinoza met en avant la nécessité de prouver (et éprouver) les choses. Sa critique des Ecritures comme n'ayant pas vocation à montrer le vrai va sans doute plus loin que Descartes dans le risque rationnaliste. Il ne s'agit plus d'esquiver le sujet et de s'en remettre aux "vérités de la foi", en cas où quelque autorité y verrait à redire, il s'agit d'affirmer que c'est par la raison qu'on atteint au mieux la vérité.
Non seulement il n'accepte pas les vérités métaphysiques de l'Ecole, mais pousse aussi la critique du côté des sciences expérimentales (cf les lettres sur les travaux de Boyle).
Lorsqu'il affirme le vrai, c'est toujours sous réserve d'une contre-preuve, sans la fausse pudeur de celui qui a une certitude mais simule de ne pas l'avoir et, dans l'Ethique, une vérité orientée par un objectif concret d'efficience (cf la fin de E2p49 corollaire, listant les utilités de sa doctrine).
L'Ethique n'est pas un manuel "scolaire" qu'on ne discute pas, c'est un parcours démonstratif à vérifier pour soi-même.
3-
les moyens de preuve offrent un accès effectif à la réalité extra-subjective et ils sont universels en raison de leur rationalité
On dirait du Spinoza...
E5p23 scolie : Les yeux de l'âme, ces yeux qui lui font voir et observer les choses, ce sont les démonstrations.
Si on regarde l'ontologie spinozienne et les principes de raisonnement qu'il promeut (définition "génétique"), tout cela est orienté vers une recherche d'une réalité concrète, l'évitement des Universaux aussi généraux qu'improductifs tout autant que celui de l'acceptation passive des idées (opinions, images...) qui nous passent par la tête sans qu'on sache d'où elles nous viennent.
A mon sens, sa tendance tend à l'intuitionnisme même si il construit des objets que les intuitionnistes du XXe siècle n'auraient pas reconnus comme valides (infini actuel ?). Ne sachant pas que des règles d'aujourd'hui lui interdirait telle ou telle chose, il les a utilisé, et finalement, il faudrait vérifier si c'est nos règles qui sont à changer ou sa pensée. Après tout, l'infini actuel sert en mathématiques pour des démonstrations de résultats finis et les ordinateurs qui ne connaissent guère la volonté ou la négation (ils ne se dissolvent pas quand leurs états logiques, leur "entendement" passe de 1 à 0) semblent malgré tout pouvoir être "intuitionnistes" et "raisonner" par l'absurde. A mon sens, si on conçoit la logique comme un ensemble de règles inventées (créées/découvertes) pour des jeux de langage, il vaudra mieux s'orienter vers ceux destinés à un usage "physique", respectant le rapport corps/esprit chez Spinoza.
Dernier point : je ne vois guère qu'il soit moins dogmatique que Descartes si ce n'est qu'il prétend, sans en douter, que la raison suffise à nous éclairer sur la réalité, que notre propre puissance de penser selon les conditions déterminées par la Nature, par l'expérience et la réflexion, suffise à construire une perception vraie du monde. Ou pour être horriblement tautologique : le sens de "perception vraie du monde" n'est rien d'autre que le résultat de cet effort de notre puissance de penser laquelle est aussi celle de la Nature. Un rationalisme et un causalisme radical certes, mais quelle est l'alternative ? L'homme comme empire dans un empire ? L'inspiration inconditionnée, sans effort, sans méditation, Révélation tombant par hasard sur un logicien-poète-prophète ?