Désir et plaisir

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Désir et plaisir

Messagepar nepart » 09 août 2008, 12:44

Il y a quelque chose que je ne comprends pas dans l'éthique.

Il est dit que le désir précédé le fait que nous pensons qu'une chose est utile.

Or il me semble évident que si je désire quelque chose, c'est parce qu'il me semble que c'est utile (le contraire donc).

ex: Si je désire partir en vacances, c'est parce que je pense que cela me procurera du plaisir.

Quelqu'un pourrait-il m'expliquer cela?

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Louisa
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Messagepar Louisa » 10 août 2008, 00:44

Nepart a écrit :Il y a quelque chose que je ne comprends pas dans l'éthique.

Il est dit que le désir précédé le fait que nous pensons qu'une chose est utile.

Or il me semble évident que si je désire quelque chose, c'est parce qu'il me semble que c'est utile (le contraire donc).

ex: Si je désire partir en vacances, c'est parce que je pense que cela me procurera du plaisir.

Quelqu'un pourrait-il m'expliquer cela?


Bonjour Nepart,

tentative d'explication. Reprenons d'abord la référence exacte:

Spinoza E3P9 scolie a écrit :Cet effort, quand on le rapporte à l'Esprit seul, s'appelle Volonté; mais, quand on le rapporte à la fois à l'Esprit et au Corps, on le nomme Appétit, et il n'est, partant, rien d'autre que l'essence même de l'homme, de la nature de uqi suivent nécessairement les actes quiservent à sa conservation; et par suite l'homme est déterminé à les faire.
Ensuite, entre l'appétit et le désir il n'y a pas de différence, sinon que le désir se rapporte généralement aux hommes en tant qu'ils sont conscients de leurs appétits, et c'est pourquoi on peut le définir ainsi: le Désir est l'appétit avec la conscience de l'appétit. Ils ressort donc de tout cela que, quand nous nous efforçons à une chose, quand nous la voulons, ou aspirons à elle, ou la désirons, ce n'est jamais parce que nous jugeons qu'elle est bonne; mais au contraire, si nous jugeons qu'une chose est bonne, c'est précisément parce que nous nous y efforçons, nous la voulons, ou aspirons à elle, ou la désirons.


De quel "effort" s'agit-il plus précisément? De l'effort qui caractérise toute essence, et qui est un effort de "persévérer dans son être". C'est le fameux conatus spinoziste: chaque chose tend inévitablement à continuer à exister le plus longtemps possible (impossible de désirer sa propre mort donc, dans le spinozisme, puisque la seule chose à laquelle on aspire nécessairement, c'est de continuer à vivre).

Or en tant que nous voulons vivre, nous sommes nécessairement déterminés à faire un certain nombre de choses dont on pense qu'elles vont réellement nous permettre à pouvoir vivre maximalement.

Ainsi pouvons-nous constater que nous sommes naturellement déterminés à vouloir boire, manger, dormir, à vouloir nous "unir" aux "choses singulières" qui conviennent avec notre nature et augmentent notre puissance, etc. C'est le fait même que notre désir au fond n'est rien d'autre qu'une "affirmation" de notre essence, qui elle-même ce définit par cet effort qu'est le conatus, qui fait que nous sommes portés vers certaines choses, et nous éloignons d'autres encore.

Autrement dit: c'est parce que j'ai envie de boire que, au moment où j'ai soif, j'appelle "bonne" telle ou telle boison capable de me désaltérer. Tandis qu'à un autre moment, lorsque par exemple je n'ai pas tellement soif mais plutôt envie de me détendre, il est bien possible que je préférerai un autre type de boisson (boisson alcoolisée, ...), et que donc j'appelerai "bon" un tout autre type de boisson.

Conclusion: ce n'est pas la boisson en elle-même qui possède la propriété "bonne" (ou "mauvaise"), c'est parce qu'à un tel moment j'y tends, j'en ai envie, qu'à ce moment je l'appelerai moi bonne, sachant qu'à un autre moment ou du point de vue d'une autre personne, jamais cette boisson ne pourra être dite bonne (pour les boissons alcoolisées, par exemple: à certains moments de la journée/semaine, elles sont dites "bonnes" par pas mal de chrétiens, tandis qu'elles sont toujours, sans exception, dites "mauvaises" par pas mal de musulmans).

Par ce scolie Spinoza s'oppose donc à un courant de pensée fort présent parmi ceux qu'il appelle les "Théologiens" (notamment Thomas d'Aquin), pour qui "LE" bien existe, et se trouve toujours dans la chose même, de telle sorte qu'il faut dire des choses en elles-mêmes qu'elles sont bonnes ou mauvaises. On se base souvent sur ce scolie pour dire que le spinozisme n'est pas une "morale" mais une "éthique", au sens où l'éthique se contente de décrire ce qui apparemment est appelé "bon" par tel ou tel genre de personnes, tandis qu'une morale croit en l'existence d'un "bien en soi", et veut "imposer" ce bien de façon "normative" (c'est-à-dire sans d'abord démontrer POURQUOI telle ou telle chose serait réellement bonne pour telle ou telle personne).

Enfin, tu pourrais te dire que comme tu ne connais pas ces "Théologiens", tu n'aurais jamais pu comprendre ce que Spinoza veut dire par ce scolie sans une telle explication. Mais je ne crois pas que c'est vrai. Car Spinoza lui-même revient régulièrement sur ce scolie, donc au fur et à mesure qu'il réapparaît, on peut voir davantage de quoi il s'agit plus précisément. Pour savoir à quels endroits plus précisément un passage que tu ne comprends pas très bien est repris et approfondi, tu peux utiliser le lien qui se trouve ici à droite du forum, et qui contient toutes les propositions dans lesquelles figure tel ou tel énoncé. Il suffit que tu aies retrouvé la référence exacte (donc ici E3P9) pour obtenir la liste de toutes les autres propositions.

C'est alors que l'on rencontre par exemple l'E3P39, qui effectivement explique déjà un peu plus clairement ce que Spinoza voulait dire dans le scolie de l'E3P9:

Spinoza E3P39 scolie a écrit :Par bien j'entends ici tout genre de Joie, et de plus tout ce qui y contribue, et surtout ce qui donne satisfaction au regret, quel qu'il soit. Et par mal tout genre de Tristesse, et surtout ce qui déçoit le regret. Nous avons en effet montré plus haut (dans le Scol. Prop. 9 de cette p.) que ce n'est pas parce que nous jugeons que quelque chose est un bien que nous le désirons, mais au contraire que c'est ce que nous désirons que nous nommons un bien; et par conséquent nous appelons un mal ce pour quoi nous avons de l'aversion; et donc chacun selon son affect juge ou estime ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui est meilleur, ce qui est pire, et enfin ce qui est le meilleur et ce qui est le pire.

Ainsi l'Avare juge-t-il que le meilleur, c'est l'abondance d'argent, et le pire, le manque d'argent. Et l'Ambitieux ne désire rien tant que la Gloire, et au contraire ne redoute rien tant que la Honte. Ensuite, à l'Envieux rien de plus agréable que le malheur d'autrui, et rien de plus pénible que le bonheur d'autrui; et ainsi chacun selon son affect juge-t-il qu'une chose est bonne ou mauvaise, utile ou inutile.


Cette proposition 39 est elle-même assez importante pour comprendre le mécanisme des affects, puisqu'elle revient regulièrement par la suite, notamment dans le scolie de l'E3P41, qui montre que le fait de juger les choses selon son affect finalement est l'une des causes de l'inconstance de l'homme, car souvent les affects sont peu stables. Ainsi appellera-t-on "courageux" celui qui fait des choses dont on a nous-mêmes peur. Autrement dit: ce n'est pas parce que cette personne aurait une essence singulière caractérisée par "le courage" que je l'appelle courageuse (ou qu'elle me donne l'impression d'être courageuse), mais c'est simplement parce que moi-même je n'ose pas faire ce qu'elle fait (tandis qu'il est bien possible que pour elle, c'est un acte tout à fait banal, qui ne coûte aucun effort, qui ne demande pas du tout du courage).

Or le fait que la proposition 39 réapparaît dans la proposition 41 fait que maintenant il faut faire attention à trois propositions déjà: il faut chercher les occurrences de l'E3P9, de l'E3P39, et de l'E3P41, parce il est probable que Spinoza explicitera de nouveau davantage ce qu'il veut dire par là dans les démonstrations ou scolies qui s'appuient sur l'une de ces propositions (par conséquent, voir les prop. E3P45, 46, 47 (!!), 48, la première définition des Affects, etc).

Bref, il est clair que l'E3P9 est une proposition tout à fait fondamentale pour bien comprendre la mécanique spinoziste des affects, et juste suivre attentivement son parcours dans les livres 3 et 4 permet déjà d'en reconstituer au fur et à mesure le sens et la portée.

Ou pour revenir à ta question initiale: c'est parce que tu penses que des vacances te seront utiles ou te procureront du plaisir que tu désires partir. Mais cela, ce n'est donc pas le contraire de ce que dit Spinoza, comme j'espère l'avoir montré, c'est plutôt exactement ce qu'il dit.

Le contraire serait de se dire que c'est par un genre de "loi" de la nature (ou "loi morale") que partir en vacances, c'est "bien", et que donc toi aussi, que tu en aies envie ou non, tu DOIS partir. Selon Spinoza, il y a plein de situations et "d'affects" possibles où pour la personne concernée, il vaut mieux cette année-là ne PAS partir en vacances, et partant on ne peut appeler "bien" la chose singulière "vacances" en tant que telle, considérée en soi c'est-à-dire dans son essence, dans ce qu'elle EST.
L.

PS: "moraliser", au sens spinoziste du terme, signifie alors notamment le fait de se baser sur ce qu'on pense être bon pour soi-même afin de juger les actes d'autres gens. Par exemple: j'ai constaté que faire ceci ou cela me fait du bien, et cela me suffit pour dire ensuite que si un tel va mal, c'est sans doute parce qu'il ne fait PAS ce que moi je fais et avec quoi je me sens bien. Ou je constate que ceci ou cela m'a fait du bien, et du coup je le conseille à tout le monde. Ne pas moraliser signifie dès lors faire TRES attentation (le caute spinoziste) quand on juge les autres gens, en tenant compte du fait que ce qui est bon pour moi est en règle générale davantage déterminé par mon affect à moi que de relever déjà de l'une ou l'autre loi morale prouvée. Pour savoir ce que quelqu'un "devrait mieux" faire, il faut quasiment être cette autre personne, ou déjà TRES bien la connaître et comprendre.

Mais il y a bien sûr d'autres acceptions du terme "morale", qui n'ont plus grand-chose à voir avec ce que Spinoza appelait "les Moralistes", et qui s'appliquent tout à fait à l'éthique spinoziste (par exemple: la morale comme théorie rationnelle concernant le bien suprême).

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Messagepar nepart » 10 août 2008, 12:36

C'est bien ce que j'avais compris, mais je suis toujours en désacord.

Pour reprendre l'exemple de la soif:

Quand toi tu penses que je penses qu'il serai bon pour moi de boire parce que je le désires, moi je pense que je désire boire car je sais que si je bois je vais avoir plus de plaisir ou moins de douleur.

Donc l'utilité provoque le désir et non le contraire.

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Re: Désir et plaisir

Messagepar sescho » 10 août 2008, 14:24

nepart a écrit :Il y a quelque chose que je ne comprends pas dans l'éthique.

Il est dit que le désir précédé le fait que nous pensons qu'une chose est utile.

Or il me semble évident que si je désire quelque chose, c'est parce qu'il me semble que c'est utile (le contraire donc).

ex: Si je désire partir en vacances, c'est parce que je pense que cela me procurera du plaisir.

Quelqu'un pourrait-il m'expliquer cela?

Cette affirmation de E3P9S ne m'a jamais parue parfaitement convaincante, mais ce sans approfondir ; c'est l'occasion...

Dans mon esprit, il y a le principe du désir ("pulsion", "fin de besoin") qui se comprend sans objet particulier, et le désir (particulier) même qui est le croisement de cette fin de besoin avec la proximité d'un objet qui lui correspond ou plutôt qui est jugé lui correspondre (fin d'assimilation.)

Ma "force vitale" est excitée par la faim ("pulsion nutritive.") Je cherche en conséquence de quoi manger sans toutefois en avoir à proximité. J'avise après quelque quête une pomme de belle couleur : je juge, sur cette foi, positive la perspective de manger cette pomme (je juge "bonne" l'hypothèse de manger la pomme) ; je m'en saisis et plante les dents dedans... avec à la suite immédiate une analyse du goût, de la consistance, prêt à recracher.

Si je m'aperçois que l'intérieur de la pomme est pourri, ou extrêmement âpre ou acide, je la rejette. Je ne juge plus ("pas", maintenant) bonne pour moi de manger la pomme et donc plus bonne l'hypothèse de le faire, contrairement à mon mouvement initial.

Ce que l'on peut dire déjà c'est qu'on se situe là partout dans l'imagination (qui n'en est pas moins indispensable à la survie, en passant...) sauf au moment (si ce n'est pas un dégoût provoqué par quelque conception forgée) du rejet spontané. Il y a là deux acceptions du bon et du mauvais : 1) Le fait que je juge de tout en fonction de ma complexion du moment, que ceci soit pertinent ou non. 2) Le goût / dégoût réel en situation. La troisième : la connaissance vraie du bon et du mauvais (bien et mal) n'est pas en cause ici.

Sous un autre aspect, Spinoza cherche comme ligne directrice à déterminer les causes de tout mouvement psychique selon le principe d'économie : il se préoccupe de savoir s'il dispose déjà de la cause, ou s'il lui faudrait introduire quelque déterminant primaire nouveau (ce qui répugne au principe d'économie.) C'est dire s'il n'est pas enclin à multiplier les "facultés"... : la "volonté" (l'affirmation ou la négation) ne se distingue pas de l'entendement, c'est-à-dire de l'affirmation que contient déjà toute idée, et en plus l'entendement est une notion générale, seule existant comme mode réel telle idée. Et de son côté le désir ne se distingue pas de l'essence même, en tant (restriction) qu'elle est par quelque affection d'elle-même poussée à faire quelque chose. On pourrait dire que le désir naît de la rencontre d'une nature préexistante et d'un objet qui l'affecte de telle sorte qu'elle en vienne à agir. Finalement, comme déjà dit, ce n'est rien de plus que l'acception usuelle du désir.

Note : le désir actif (qui pourrait d'ailleurs comme déjà dit avoir été ajouté a posteriori par Spinoza en toute fin de E3 hors Appendice, si l'on en juge outre cela par la Définition générale des affects dans l'Appendice, qui ne comprend en fait que les passions - Traité des passions -, les désirs actifs : Fermeté (Piété, Religion) et Générosité, n'y étant pas repris strictement par ailleurs) se distingue en cela qu'il n'a pas d'objet extérieur, où alors tous les objets extérieurs, ou plutôt encore : tout, Dieu ; et n'est pas basé sur l'imagination, semble-t-il.

Spinoza n'en distingue pas moins le désir de l'entendement, et en outre le couple Joie-Tristesse. Trois déterminants de base à tout mouvement psychique : Idée, Désir, Joie-Tristesse ("Emotion.")

Dans ce cadre "juger bon" fait un peu figure d'oxymore : "juger" relève de l'entendement et "bon" de l'émotivité. Mais Spinoza nous dit "juger bon" (sans séparer les termes) c'est en fait simplement la conscience d'une appétence, autrement dit le désir lui-même. Il est parfaitement cohérent dans ces conditions en disant que l'appétence vient logiquement avant le "juger bon" (qui est conscience de l'appétence, de même par ailleurs que la vertu vient logiquement avant la dissolution des appétits lubriques - tous ces "mauvais" désirs qui sont des passions - (E5P42), par la perception de ce qui est, clairement et distinctement, qu'elle suppose préalablement.)

A défaut de ressenti direct, le terme "bon" implique d'ailleurs par lui-même le désir, et le désir appuyé sur l'imagination (ce qui encore une fois est en même temps indispensable à la survie des animaux, dont l'Homme.) Ce qui donne raison à Spinoza.

La notion de "rencontre" entre une pulsion et un objet qui y correspond colle aussi parfaitement avec le placement de l'appétence avant la conscience de celle-ci. En revanche on peut se demander si Spinoza n'aurait pas placé les "pulsions" dans les notions générales (il l'aurait très probablement fait : l'essence est pour lui le principe premier du désir, même si cela ne nous avance pas beaucoup et qu'encore une fois, affection de l'essence ou pas, le désir est bien distingué comme principe premier du fonctionnement psychique par Spinoza). Cela voudrait dire cependant qu'il n'y a pas de force désirante sans l'objet ou l'imagination de l'objet en acte, ce qui me semble très discutable sans autre précision. Mais si l'on considère que l'essence est la force désirante potentielle permanente et que la faim, par exemple, est une tristesse qui affecte l'essence et la pousse à agir, générant ainsi le désir, cela est finalement parfaitement acceptable, comprise quand-même la "recherche de puissance" que Spinoza fait découler de l'essence avec E3P12-13 et qui complète bien utilement la notion de "désir" de E3P9 (alors simple résistance à la déformation, traduction du principe d'inertie.)

Toutefois, on peut objecter comme tu le fais que certes j'ai le désir en principe (je juge bon d'aller me détendre, de manger), mais qu'avant de passer à l'acte sur un objet précis (ce séjour là, cette pomme là) je fais une évaluation (nécessairement par l'imagination, donc, et selon ma complexion, c'est-à-dire avec toute possibilité d'erreur) de la probabilité de satisfaction (de bon réel) dans le résultat avec cet objet précis et je ne me lance dans l'action que si cette probabilité estimée me semble suffisante, et sous réserve de confirmation à l'essai (sinon je bouge, je recrache...) Donc le désir précis sur un objet précis est ici postérieur à un "juger bon."

Là je crois que nous pêchons en ne distinguant pas assez - comme par ailleurs dans le cas d'un énoncé dit "sémantiquement correct" - les composantes élémentaires d'un mouvement psychique complexe. Le désir vient après l'idée (E2A3) de cet objet (indépendamment de "juger bon") et c'est donc seulement à sa suite que le désir peut s'enclencher ; c'est là seulement que le "juger bon" se réalise.

Dans l'exemple de la pomme, mis à part le rejet spontané qui est de l'ordre de l'émotion (fondée par E3P11), lorsque je m'aperçois qu'elle est pourrie, je la juge "pomme pourrie" ; l'appétence s'inverse alors après ce jugement de la chose même. Consécutivement je "juge pas bon", conscience de rejet selon le désir. Conclusion : il y a une distinction de fond à faire entre "juger" (de la chose ; ordre de l'entendement appliqué à la chose) et "juger pas bon" la chose (ordre de l'entendement appliqué au désir de la chose.)

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Messagepar nepart » 10 août 2008, 16:33

Je n'ai pas compris grand chose, le terme "essence"" me bloque bien souvent.

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Messagepar Louisa » 10 août 2008, 17:31

Nepart a écrit :C'est bien ce que j'avais compris, mais je suis toujours en désacord.

Pour reprendre l'exemple de la soif:

Quand toi tu penses que je penses qu'il serai bon pour moi de boire parce que je le désires, moi je pense que je désire boire car je sais que si je bois je vais avoir plus de plaisir ou moins de douleur.

Donc l'utilité provoque le désir et non le contraire.


L'utilité de la chose x pour la personne y provoque en effet le désir de posséder la chose x. Cela, Spinoza ne le conteste pas.

Mais ce qu'on dit ici, c'est que c'est l'UTILITE qui le provoque. Or ce qui est utile pour toi à un moment x de la journée, ne l'est pas à un autre moment. Tu vas boire, par exemple, quand tu as soif. La boisson n'est utile QUE pour toi et QUE au moment où tu as soif. Si en revanche tu as pris la voiture et tu te trouves au plein milieu de la campagne, sans plus d'essence, et que tu n'as qu'une bouteille d'eau dans la voiture, cette même bouteille ne te sera pas du tout utile.

Ce que Spinoza veut dire (à mon sens; je dois encore lire le message de Sescho ci-dessus), c'est que l'utilité n'est pas dans les choses, elle est avant tout dans la personne qui désire. Une seule et même chose peut être utile ou inutile, en fonction du désir du moment. Ce qui détermine qu'on désire quelque chose, c'est la mesure dans laquelle cette chose à ce moment-là est utile pour nous, pas l'une ou l'autre caractéristique de la chose qui serait un genre d'utilité en général, "en soi".

Et ce désir (deuxième chose que Spinoza dit à mon sens), il précède la chose, au sens précis où tu n'as pas besoin de déjà voir une bouteille d'eau pour te dire, tiens, cela pourrait m'être utile. Tu peux être derrière ton PC, par exemple, et puis tout à coup te dire que tu as soif, et seulement ensuite aller chercher une boisson. C'est la soif (et l'idée du plaisir de boire) qui précède la recherche de la boisson. C'est ton désir qui REND la boisson utile, et non pas utile en soi mais utile pour toi.

Et cette soif, tu l'as parce que tu es un être vivant, et parce que tout être vivant a comme caractéristique propre (= essence)* de désirer vivre. Et qui désire vivre, a de temps en temps besoin de certaines choses, par exemple, dans le cas d'un être humain: des boissons.
L.

* essence = "ce que la chose est"; du latin essentia, substantif dérivé du verbe esse, qui signifie simplement "être". L'essence ou les propriétés essentielles d'une chose s'oppose traditionnellement, en philosophie, aux caractéristiques "accidentelles" de la chose (du latin accidere, "incomber", donc ce qui incombe aux choses, ce qui leur arrive).

Par exemple, quand tu as soif tu cherches un verre d'eau. Mais ce que tu chercher avant tout, c'est l'eau. Qu'elle soit dans tel ou tel verre n'est pas important, c'est plutôt de l'ordre du hasard, car ce n'est pas la qualité du verre qui détermine le fait que l'eau est désaltérant, ce sont les caractéristiques que l'eau a en propre qui provoquent cet effet.

Autre exemple: supposons que tu as des cheveux longs. Il s'agit de propriétés accidentelles, car si demain tu vas chez le coiffeur, tu seras toujours le même Nepart, "au fond", c'est-à-dire essentiellement.

Enfin, il se fait que Spinoza a créé sa propre définition de l'essence, qui restreint encore plus le nombre de propriétés qui peuvent appartenir à cette essence - mais ce n'est peut-être pas encore nécessaire de s'apesantir là-dessus. Pour l'instant ce serait déjà chouette si tu comprends mieux ce que désigne en général le terme "essence", et donc si tu dis en quoi ce que je viens de dire te semble être ok ou non.

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Messagepar sescho » 10 août 2008, 18:51

nepart a écrit :Je n'ai pas compris grand chose, le terme "essence"" me bloque bien souvent.

OK. Je suis parti dans un début d'analyse de fond à ma sauce... (qui m'a fait mieux voir la logique très pure de Spinoza à la base de son développement, cela dit, même si je n'en ai jamais douté.) Je reprends sur ton exemple seul (j'ai eu la même objection personnellement) :

Je pense que partir en vacances me procurera du plaisir ; en conséquence, je désire partir en vacances. Donc l'idée que la chose est bonne précède le désir.

Je dis que Spinoza dit que "juger bon" (de façon "spontanée" ; il ne s'agit pas là de la connaissance vraie du bon et du mauvais) n'est pas une idée simple de chose, mais un jugement de valeur ressenti (et non seulement verbal) de la gratification qui résulterait d'une interaction (union) de moi-même et de la chose, ou, puisqu'il s'agit de vacances en général, d'une chose de cette catégorie (il s'agit plus simplement de la remémoration de prise de plaisir en vacances qui se mue en imagination de plaisir futur dans une action similaire, puis d'impulsion vers elle : c'est le mouvement mental classique du passé vers le futur, le tout étant imaginaire.) Une généralité sur la chose (par exemple : "les vacances sont généralement reposantes") est encore autre chose.

Autrement dit, le "juger bon" n'est pas une idée de la chose même, mais une prise de conscience de l'envie, laquelle est imaginairement fondée sur la chose dont on a eu préalablement l'idée. C'est donc en fait le désir lui-même, qui est conscience d'un appétit selon la définition de Spinoza. Dans ce cadre, l'appétit vient d'abord, le "juger bon" ensuite.

Pour être parfaitement clair je décompose l'exemple en unités de base :

1) Je me remémore (imagination selon Spinoza) le plaisir passé de vacances. Je peux là dire que je pense à une chose qui est "plaisirs de vacances" ou "vacances plaisantes" ou "vacances dans ce que cela a généralement de plaisant", ce qui en soi strictement ne comprend pas de "juger bon" (mais j'admets que cela se discute dans la notion de "plaisant" ; peut-être doit-on l'ôter ici.) Ceci c'est l'idée de la chose qui, elle, précède obligatoirement le désir de cette chose (E2A3.)

2) Cette idée (couplée à une autre, qui est que rien ne l'exclut) rencontre une aspiration à ce plaisir qui est liée aussi à ma nature propre (ou essence), l'appétence me vient donc de renouveler l'expérience (imaginaire toujours.)

3) Je prend conscience directe de cette appétence sous forme de l'idée "c'est bon les plaisirs de vacances", c'est le désir tel que défini exactement par Spinoza : une envie consciente.

Donc il y a une différence entre penser la chose, qui relève de l'entendement et qui est nécessaire en tout état de cause, et juger bonne la chose (ce qui est équivalent à "juger désirable" et donc en fait à "désirer", en conscience. On pourrait souhaiter un seul mot : "désirabiliser la chose" ? :-) ) "Juger bon" et désirer c'est la même chose, c'est appéter avec la conscience de cette appétence.

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Messagepar nepart » 10 août 2008, 20:13

Louisa a écrit :
Nepart a écrit :C'est bien ce que j'avais compris, mais je suis toujours en désacord.

Pour reprendre l'exemple de la soif:

Quand toi tu penses que je penses qu'il serai bon pour moi de boire parce que je le désires, moi je pense que je désire boire car je sais que si je bois je vais avoir plus de plaisir ou moins de douleur.

Donc l'utilité provoque le désir et non le contraire.


L'utilité de la chose x pour la personne y provoque en effet le désir de posséder la chose x. Cela, Spinoza ne le conteste pas.

Mais ce qu'on dit ici, c'est que c'est l'UTILITE qui le provoque. Or ce qui est utile pour toi à un moment x de la journée, ne l'est pas à un autre moment. Tu vas boire, par exemple, quand tu as soif. La boisson n'est utile QUE pour toi et QUE au moment où tu as soif. Si en revanche tu as pris la voiture et tu te trouves au plein milieu de la campagne, sans plus d'essence, et que tu n'as qu'une bouteille d'eau dans la voiture, cette même bouteille ne te sera pas du tout utile.

Ce que Spinoza veut dire (à mon sens; je dois encore lire le message de Sescho ci-dessus), c'est que l'utilité n'est pas dans les choses, elle est avant tout dans la personne qui désire. Une seule et même chose peut être utile ou inutile, en fonction du désir du moment. Ce qui détermine qu'on désire quelque chose, c'est la mesure dans laquelle cette chose à ce moment-là est utile pour nous, pas l'une ou l'autre caractéristique de la chose qui serait un genre d'utilité en général, "en soi".

Et ce désir (deuxième chose que Spinoza dit à mon sens), il précède la chose, au sens précis où tu n'as pas besoin de déjà voir une bouteille d'eau pour te dire, tiens, cela pourrait m'être utile. Tu peux être derrière ton PC, par exemple, et puis tout à coup te dire que tu as soif, et seulement ensuite aller chercher une boisson. C'est la soif (et l'idée du plaisir de boire) qui précède la recherche de la boisson. C'est ton désir qui REND la boisson utile, et non pas utile en soi mais utile pour toi.

Et cette soif, tu l'as parce que tu es un être vivant, et parce que tout être vivant a comme caractéristique propre (= essence)* de désirer vivre. Et qui désire vivre, a de temps en temps besoin de certaines choses, par exemple, dans le cas d'un être humain: des boissons.
L.

* essence = "ce que la chose est"; du latin essentia, substantif dérivé du verbe esse, qui signifie simplement "être". L'essence ou les propriétés essentielles d'une chose s'oppose traditionnellement, en philosophie, aux caractéristiques "accidentelles" de la chose (du latin accidere, "incomber", donc ce qui incombe aux choses, ce qui leur arrive).

Par exemple, quand tu as soif tu cherches un verre d'eau. Mais ce que tu chercher avant tout, c'est l'eau. Qu'elle soit dans tel ou tel verre n'est pas important, c'est plutôt de l'ordre du hasard, car ce n'est pas la qualité du verre qui détermine le fait que l'eau est désaltérant, ce sont les caractéristiques que l'eau a en propre qui provoquent cet effet.

Autre exemple: supposons que tu as des cheveux longs. Il s'agit de propriétés accidentelles, car si demain tu vas chez le coiffeur, tu seras toujours le même Nepart, "au fond", c'est-à-dire essentiellement.

Enfin, il se fait que Spinoza a créé sa propre définition de l'essence, qui restreint encore plus le nombre de propriétés qui peuvent appartenir à cette essence - mais ce n'est peut-être pas encore nécessaire de s'apesantir là-dessus. Pour l'instant ce serait déjà chouette si tu comprends mieux ce que désigne en général le terme "essence", et donc si tu dis en quoi ce que je viens de dire te semble être ok ou non.




AHHHHH!


Si j'ai bien compris cela revient à dire que l'utilité d'une chose n'est pas défini et constante, mais qu'elle dépends du moment et de la personne.

Pour essence, j'essaye souvent de le remplacer par caractéristiques mais ce n'est certainement pas pertinent.

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Louisa
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Messagepar Louisa » 10 août 2008, 20:38

Nepart a écrit :AHHHHH!

Si j'ai bien compris cela revient à dire que l'utilité d'une chose n'est pas défini et constante, mais qu'elle dépends du moment et de la personne.


oui voilà, c'est tout à fait ça!

Nepart a écrit :Pour essence, j'essaye souvent de le remplacer par caractéristiques mais ce n'est certainement pas pertinent.


c'est qu'il faut seulement prendre en compte ces caractéristiques qui sont vraiment propres à la chose, pour pouvoir parler de son "essence", et non pas les caractéristiques dites "accidentelles", sinon cela ne marche plus.

Traditionnellement, on dit que ces caractéristiques "propres" sont les caractéristiques qui font que la chose est comme elle est (par exemple qui font que Socrate est un homme et non pas un cheval). L'essence, c'est donc ce sans quoi la chose ne peut être/exister (si Socrate n'avait pas en soi quelque chose comme l'essence de l'homme, il ne pourrait jamais être un homme, donc pas être lui-même, tandis que si ses cheveux changent de couleur, il sera toujours lui-même, donc la couleur de ses cheveux est accidentelle).

Spinoza en revanche y ajoute un deuxième critère: non seulement l'essence désigne ce sans quoi la chose ne peut être, mais ... aussi ce qui sans la chose ne peut être. C'est alors que surgit l'idée d'une "essence singulière": il n'y a plus vraiment d'essence de l'homme, en général. L'essence de Socrate n'est plus que ce qui caractérise Socrate et PERSONNE d'autre. Donc ici, il faut prendre en compte encore moins de caractéristiques que dans la première définition, où l'on élimine déjà les caractéristiques "accidentelles". Ici, tout ce que Socrate a en commun avec d'autres choses (ses "propriétés communes") ne constituent plus son essence non plus. Ce qui est sans doute un peu plus difficile à concevoir que l'essence dans sa définition traditionnelle.

Pour Spinoza, cette essence singulière est un "degré de puissance". Ton degré de puissance est forcément différent que le mien, etc. Mais bon, nous en avons déjà discuté, il n'est pas encore tout à fait clair comment il faut plus précisément comprendre ce "degré de puissance".
L.

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Messagepar bardamu » 10 août 2008, 21:37

nepart a écrit :C'est bien ce que j'avais compris, mais je suis toujours en désacord.

Pour reprendre l'exemple de la soif:

Quand toi tu penses que je penses qu'il serai bon pour moi de boire parce que je le désires, moi je pense que je désire boire car je sais que si je bois je vais avoir plus de plaisir ou moins de douleur.

Donc l'utilité provoque le désir et non le contraire.

Boujour Nepart,
j'y vais aussi de ma petite explication sur le désir, qui va sans doute diverger, au moins au niveau du style, de ce qu'ont dit Sescho et Louisa.

1- l'essence est ce qui caractérise l'essentiel chez une chose quelconque, ce qui la "définit", ce qui détermine une réalité d'où découle certains effets.

2- une chose quelconque existe de 2 manières : du point de vue de l'éternité, c'est-à-dire d'après une "définition" de ce qu'elle est, et du point de vue de la durée, c'est-à-dire dans sa capacité à exister ici et maintenant comme elle est vraiment.

3- Dans la durée, tout est en mouvement, toute chose peut être détruite par une autre (Axiome, début de partie IV), et une chose ne se maintient que par un effort de cohésion, par une persévérance. C'est l'"effort à persévérer dans son être", "conatus" en latin.

4- L'essence de la chose, ce qu'elle est, conditionne les formes de l'effort à persévérer, c'est-à-dire le rapport dans la durée à soi et aux autres choses. Si A est constitué de manière essentielle de corps B, alors A tend à produire ou s'approprier B pour compenser les pertes dues aux mouvements divers. C'est l'appétit.

5- Cet appétit accompagné d'une conscience est appelé désir.

Exemple :
Chose : cheval du pré d'â côté, appelons le "Jolly Jumper"
Essence : ce qui fait que Jolly Jumper est ce qu'il est, et qu'il n'est pas "Black" ou un autre cheval
Conatus : puissance appartenant à Jolly Jumper et par laquelle il fait effort pour rester Jolly Jumper
Appétit : tendances de Jolly Jumper exprimant ce qu'il est et donc son rapport aux autres choses : Jolly Jumper est cheval donc Jolly Jumper tend à des rapport alimentaires avec l'herbe ou des rapports de production par rapport aux crins blonds (il est blond).
Désir : comme l'appétit avec conscience

Si je donne l'exemple de la production de crin du cheval, c'est qu'ainsi on voit en quoi l'appétit ou le désir ne sont pas fondamentalement en lien avec un manque. On peut avoir le désir de musique sans manquer de musique, on ne fait qu'exprimer une nature mélomane. Le manque, le besoin, ne sont que les effets secondaires d'une impuissance à durer par soi-même alors que l'appétit/désir sont l'effet premier d'une nature, l'expression d'une puissance à être.


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