Mort à la mort (Ethique IV 67)

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Mort à la mort (Ethique IV 67)

Messagepar Pourquoipas » 08 sept. 2008, 01:01

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Messagepar PifLeChien » 08 sept. 2008, 13:38

PROPOSITION LXVII

La chose du monde a laquelle un homme libre pense le moins, c'est la mort, et sa sagesse n'est point la méditation de la mort, mais de la vie.

donc l'homme libre ne souhaite pas "la mort de la mort", mais il ne pense pas à la mort, ce qui est différent ..

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Messagepar Pourquoipas » 08 sept. 2008, 17:32

PifLeChien a écrit :PROPOSITION LXVII

La chose du monde a laquelle un homme libre pense le moins, c'est la mort, et sa sagesse n'est point la méditation de la mort, mais de la vie.

donc l'homme libre ne souhaite pas "la mort de la mort", mais il ne pense pas à la mort, ce qui est différent ..


Merci de la leçon, ô savantissime maître (chien ?) en spinozologie !

PS 1 : « ne penser à rien moins que » ne signifie pas « ne pas penser à ».
PS 2 : un homme libre se passe-t-il de la médecine ? un médecin ne peut-il être spinoziste ?
PS 3 : merci de me rappeler que je ne suis ni libre ni sage...

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Messagepar PifLeChien » 09 sept. 2008, 00:56

Ok autant pour moi,
En fait j'avais en tête la traduction de R. Misrahi "L'homme libre ne pense à RIEN MOINS qu'à la mort (...)". Aujourd'hui ce "rien moins que" minimise la pensée de la mort par rapport à l'autre traduction. Mais en effet, tout cela ne veut pas dire que "l'homme libre" ne pense pas à la mort. Sinon, je ne suis pas un maître chien (ni maître chiant) , je serais plutôt un chien sans maître (même Spinoza). Concernant les maîtres chiens, je n'ai pas de ressentiment contre eux, car ils ne sont qu'un aspect d'une société, de rapports sociaux où dominent les affects sécuritaires et donc les passions tristes.
cordialement,

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Messagepar Louisa » 09 sept. 2008, 14:13

Pourquoipas a écrit :un homme libre se passe-t-il de la médecine ? un médecin ne peut-il être spinoziste ?


un médecin qui respecte la loi française ne pourra peut-être pas être tout à fait spinoziste, puisque si je ne m'abuse, l'article 10 du code déontologique stipule que le médecin doit "limiter ses actes à ce qui est nécessaire pour donner des soins". Ce qui ressemble fort à une façon purement "thérapeutique" de penser la médecine: celle-ci aurait pour unique but de rétablir un équilibre "naturel" lorsque cet équilibre vient d'être perturbé. Du point de vue de cette conception, on pourrait facilement se dire que le métier du médecin consiste principalement à lutter contre la maladie et donc contre la mort.

Or le fait même que déjà aujourd'hui il existe une "médecine de l'amélioration", qui ne se limite point à "guérir", mais qui veut aller au-delà, pour réellement améliorer les capacités du corps humain, et cela notamment en ce qui concerne la longévité, montre que le slogan "mort à la mort" est plutôt la conséquence logique de toute lutte contre la mort. Ce qui souligne le caractère paradoxal du code déontologique quand celuci oblige à se limiter à rétablir un état censé être "naturel".

A mon avis, la façon dont Spinoza semble penser la médecine évite ce paradoxe. Spinoza nous dit dès le début que son but n'est rien d'autre que d'essayer d'acquérir une nature PLUS parfaite, c'est-à-dire de ne pas en rester à la nature humaine actuelle, pour essayer d'en créer une qui soit meilleure. La médecine fait entièrement partie de ce projet, puisqu'elle est l'une de ces "sciences" qu'il faudra diriger vers cette "seule fin" (TIE B15-G9).

Certes, on pourrait objecter que le passage concerné est ambigue, et que Spinoza pense néanmoins avant tout à une médecine qui ne nous donne qu'une bonne santé, sans plus (comme la préface de l'E V semble le confirmer). Mais en vertu du parallélisme je ne vois pas comment on pourrait acquérir une meilleure "nature" sans que ce que signifie la "santé" pour cette meilleure nature ne change en même temps.

Par conséquent, je crois qu'il faut lire l'E IV.67 de la manière suivante: un médecin "spinoziste" n'est pas un médecin qui "refoule" certaines "idées vraies", idées telles que celle qui dit que tout homme un jour doit mourir, ou celle qui dit que toute essence singulière s'efforce nécessairement de persévérer maximalement dans son être. La seule chose qui change par rapport à un médecin qui respecte consciencieusement le code déontologique, c'est que le médecin spinoziste ne va pas penser la maladie comme une privation de santé, ni son travail comme un rétablissement d'une quelconque "norme" de santé, norme qui coïnciderait avec l'un ou l'autre état antérieur ou jugé "naturel". Il pensera son travail plutôt comme un "rendre plus fort" de la nature humaine du patient, plus fort qu'elle ne l'est au moment où celui-ci lui rend visite. Il s'agira donc davantage d'une tentative d'augmenter la puissance actuelle du patient, que d'une tentative de "réaliser" une puissance que le patient aurait (ou aurait eu) "virtuellement", s'il n'y avait pas eu de maladies et de causes de mort dans la nature.

Autrement dit, un médecin spinoziste ne nie pas l'axiome de l'E IV, il va plutôt aller bien au-delà, essayant de rendre les hommes toujours plus puissants, toujours plus "existants" ou "réels" ou "parfaits". Toute sa pensée est donc occupée par la question "comment rendre tel ou tel homme plus fort?", plutôt que par la question "comment éviter que tel ou tel homme ne meure?". Il se peut que dans pas mal de situations, cela revient au même, dans la pratique, puisqu'il ne s'agit que de deux perspectives différentes sur le même métier. Mais peut-être qu'un médecin qui veut relever le défi de rendre ses patients toujours plus forts sera un peu plus "heureux" que celui qui est obsédée par une lutte contre la mort... ?
L.

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Messagepar Sinusix » 10 sept. 2008, 18:57

PifLeChien a écrit :PROPOSITION LXVII

La chose du monde a laquelle un homme libre pense le moins, c'est la mort, et sa sagesse n'est point la méditation de la mort, mais de la vie.

donc l'homme libre ne souhaite pas "la mort de la mort", mais il ne pense pas à la mort, ce qui est différent ..


Bonjour,
petite incursion sur ce thème :
1/ Référence au texte latin, je préfère la traduction suivante : l'homme libre ne pense à rien moins (de nulla re minus) qu'à la mort, et sa sagesse est une méditation (meditatio est) non de la mort, mais de la vie.
2/ Si je comprends bien, ce qui intéresse Spinoza à la proposition LXVII, c'est l'attitude de chacun envers la mort de soi et non envers celle de l'autre (donc la mort de soi du médecin, de "l'angoisse" éventuelle de laquelle éventuellement sa médecine ne le prive pas).
3/ En revanche, pour rebondir sur l'analyse bien sentie de Louisa, il serait intéressant de savoir comment réagirait un médecin spinoziste, au regard d'autres propositions (la LXIII par exemple) devant des situations telles que l'IVG et l'euthanasie.
Amicalement

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Messagepar PifLeChien » 10 sept. 2008, 22:54

Bonsoir,
Mais si l'on ne pense "à rien moins que la mort" pour soi, alors il en est de même de la mort de l'autre non (sinon par un processus d'identification on penserait à sa propre mort aussi) ? Le médecin ou bien l'homme sage devrait donc agir pour le bien de l'autre (accroitre la puissance de l'autre comme le dit Louisa) comme pour son bien propre.
cordialement,
PLC


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