La liberté - le déterminisme

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Sinusix
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Messagepar Sinusix » 05 janv. 2009, 17:46

Louisa a écrit :
Bardamu a écrit :
Un exemple représentatif, la démonstration de E4p53 :

1er temps, tristesse du fait d'un empêchement :
L'humilité, c'est la tristesse qui naît pour l'homme du spectacle de son impuissance (par la Déf. 26 des pass.). Or l'homme, en tant qu'il a de soi-même une connaissance raisonnable, comprend par cela même son essence, c'est-à-dire (par la Propos. 7, part. 3) sa puissance. Si donc l'homme, en se considérant lui-même, aperçoit en lui quelque impuissance, cela ne peut venir de ce qu'il se comprend lui-même, mais bien (comme on l'a démontré à la Propos. 55, part. 3) de ce que sa puissance d'action est empêchée de quelque manière.

2e temps, conception adéquate d'une limitation par du positif, du plus puissant :
Suppose-t-on que l'idée de cette impuissance vient de ce que l'homme conçoit une puissance plus grande que la sienne et dont la connaissance détermine sa puissance propre ; cela ne signifie pas autre chose alors, sinon que l'homme se comprend lui-même d'une façon distincte (en vertu de la Propos. 26, part. 4), parce que sa puissance d'agir vient à être favorisée.

Conclusion :
Ainsi donc l'humilité, je veux dire la tristesse qui naît pour l'homme de l'idée de son impuissance, ne provient pas de la vraie connaissance de soi-même ou de la raison ; ce n'est point une vertu, c'est une passion.
C. Q. F. D.


en ce qui me concerne, je n'ai pas encore bien compris l'avant-dernière phrase de cette démonstration. Dans la traduction de Pautrat: "Que si nous supposons que l'homme conçoit son impuissance de ce qu'il comprend quelque chose de plus puissant que lui, par la connaissance de quoi il détermine sa puissance d'agir, alors c'est que nous concevons que l'homme se comprend distinctement lui-même, autrement dit (par la Prop. 26 de cette p.) que sa puissance d'agir se trouve aidée." Est-ce qu'ici Spinoza parle de quelque chose de positif ou non? Ce qui me fait penser que non, c'est la phrase juste après, qui dit la Tristesse causée par le fait de contempler son impuissance est une passion. Ce qui me fait penser que oui: Spinoza distingue ici éventuellement deux façons de concevoir l'impuissance: la première cherche de l'impuissance en nous-même, et là nous sommes dans les idées inadéquates donc la passion, la deuxième détermine positivement notre propre puissance en la comparant avec une puissance plus grande et en constatant l'écart. Est-ce que là on est encore dans l'Humilité ou non? Et si non, qu'est-ce qu'on fait plus précisément? Y aurait-il une satisfaction de soi-même dans la détermination de sa propre impuissance comparée à une puissance plus grande, et si oui, comment cela pourrait-il être possible?


Bonjour Louisa,

Si je peux me permettre, sur ce seul passage de votre intéressant échange avec Bardamu, j'y vois une application de certains de mes propos, version imagée du marathonien.

Je cours le marathon depuis des années. Par ma connaissance adéquate de mes capacités physiologiques (test VO2 par exemple), par la technique d'entraînement bien conseillée que j'applique, par mon expérience comparative, etc., je comprends quelque chose de plus puissant que moi en la personne de tel champion, ou tel camarade, qui courre régulièrement en 2h20. Par cette connaissance, je détermine ma puissance d'agir, donc je me comprends distinctement et ma puissance d'agir se trouve aidée.
En effet, au lieu de courir des chimères, j'adapte tout mon entraînement à mes capacités, j'adapte mon régime alimentaire en accord cohérent avec les performances qui sont les miennes, je ne fais pas de "sacrifices" inutiles, bref je juge ma performance le jour venu à l'aune de tout ce savoir et du genre de vie que j'ai adopté en conséquence. Le jour de la course, aucune tristesse ne peut venir du fait que j'aurai réalisé 2h50 ; mes propos ne seront entachés d'aucune humilité, au sens employé en E4P53, parce que je n'ai aucune impuissance à contempler. Il s'agit donc bien d'une acception positive et je la comprends comme telle chez Spinoza.

Au contraire, malgré tout le travail préparatoire, et les ambitions affichées ici ou là, le jour venu, pour des raisons que j'ignore, ou que je connais (telles que autres soucis, manque de sommeil, embarras gastrique, etc.), je fais une contreperformance, je la vis bien comme une puissance d'agir contrariée, vais en éprouver de la Tristesse, laquelle va s'extérioriser de manières diverses.

Donc, la connaissance par chacun de sa puissance personnelle, dans le sens d'une acceptation comparative de l'existence de puissances supérieures à la sienne, autrement dit, à un moment et dans des conditions données, l'acceptation de soi est un élément fondamental permettant de ne pas verser exagérément dans la tristesse, les causes "extérieures" à moi étant suffisamment nombreuses pour cela pour que je n'ajoute pas celles, intérieures, inhérentes à la méconnaissance de moi-même.

En ce sens, E4P53 est limpide.

Je progresse.

Amicalement

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Messagepar sescho » 05 janv. 2009, 21:23

Bonsoir Sinusix,

Nous sommes d'accord sur le sujet du déterminisme absolu mais sur une prévisibilité relative. Le propos de Spinoza est d'ailleurs plus de décrire les lois que de prédire, même si c'est lié.

Pour le reste, je me propose de répondre en deux temps. Pour le premier, je ne retiens que les points qui m'occupaient au premier chef. A ce titre, je précise que mon premier objectif est de retranscrire ce que Spinoza signifie, et non d'en juger la pertinence (ce qui est tout aussi intéressant et même plus, mais cela suppose de toute façon d'être d'accord sur le premier point.)

Dans ce cadre, le point qui m'intéresse le plus c'est que Spinoza dit en substance, de manière claire et répétée : ce qui est vu selon le troisième genre de connaissance, c'est ce qui est énoncé par le deuxième, mais vu intuitivement, sans démarche démonstrative, sans intermédiaire (peu importe le mécanisme pour l'instant.)

Ceci va de pair avec le côté fondamentalement éclairant de la Raison, c'est-à-dire du raisonnement, des démonstrations, qui constituent le deuxième genre et toute l'Ethique, que Spinoza nous indique, et même souvent comme seule voie possible (à partir des axiomes, ou notions communes), même si ce n'est pas l'aboutissement ultime (qui est le troisième genre, donc.) Sinon tout s'effondre et c'est là que nous sombrons dans le grotesque (savoir qu'il n'y a aucun lien entre toute l'Ethique et la connaissance du troisième genre qu'elle mentionne sans démonstration...)

Je comprends que vous êtes totalement et clairement d'accord avec cela. Confirmez-vous ?

Sinusix a écrit :
sescho a écrit :Note : la Raison ne fonctionne absolument pas sur du singulier en tant que singulier, c’est impossible.


Fort heureusement si, mais en s'appuyant sur ce qui précède avant d'aller directement à l'intuition.

Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Mais ma formulation était sans doute incomplète : je voulais dire que la Raison ne connaît pas les choses singulières en tant que singulières (c'est-à-dire non comme manifestant individuellement l'essence de genre en laissant de côté comme secondaires les détails qui à la marge différentient, mais en considérant au contraire que le moindre détail change toute l'essence ainsi manifestée ; ce qui est pour moi très contre-intuitif, et contredit par l’usage général en sciences, en passant.) La Raison - que nous venons d'admettre comme voie royale chez Spinoza - se développant uniquement sur la base de la comparaison des choses, et par-là les essences de genre pour ce qui les réunit, elle ne saurait atteindre ce "moindre détail".

Sinusix a écrit :
sescho a écrit :Que les choses singulières nous sont accessibles clairement et distinctement dans leur singularité ?


Non. Comme je le dis parfois, j'ai l'impression que certains artistes s'emploient à vouloir percer le mur de l'intersubjectif.

Nous sommes donc bien d'accord sur ce second point fondamental aussi (qui va avec le premier, pour la raison qui vient d'être exposée.)

Sinusix a écrit :
sescho a écrit :29. Le quatrième mode [troisième genre] seul saisit l'essence adéquate de la chose [la même sans doute possible], et d'une manière infaillible ; c'est donc celui dont nous devrons faire principalement usage. ...


A supposer que j'y accède, j'ai un problème de rattachement. Le 2ème genre, se concentrant sur les notions communes, n'atteint pas l'essence, ce qui est logique à en croire E2D2 et E2P37, il faut donc attraper autrement l'essence singulière. On peut effectivement en conclure que la connaissance du tout, essence singulière et notions communes ou propriétés, exige l'apport cumulé de 2ème et 3ème.

Là à nouveau, je ne comprends plus. C’est contradictoire avec ce qui précède. La conclusion est donc forcément fausse.

Toutefois, comme le développement approfondi de cela m’est apparu assez difficile (mais pas parce qu’en fait ce serait vrai) je le garde pour un prochain message. Juste trois remarques pour l’instant :

1 - Pour l'essentiel, comme je l'ai déjà dit, E2D2 est expliqué par E2P10S (interpréter en l'oubliant est une faute) :

Spinoza a écrit :E2P10S : ... pourquoi je n’ai pas dit que l’essence d’une chose, c’est ce sans quoi elle ne peut exister ni être conçue. Les choses particulières, en effet, ne peuvent exister ni être conçues sans Dieu ; et cependant Dieu n’appartient point à leur essence. En conséquence, j’ai dit : ce qui constitue l’essence d’une chose, c’est ce dont l’existence emporte celle de la chose, et la destruction sa destruction, en d’autres termes, ce qui est tel que la chose ne peut exister sans lui, ni lui sans la chose.

L'objectif de la formulation est donc indiqué on ne peut plus clairement par Spinoza lui-même : ne pas dire que l'essence de Dieu appartient à l'essence d'une chose, alors même que la chose ne peut exister ni être conçue sans lui.

2 - E2P37Dm se réfère elle-même à E2D2 ; il n’y a donc pas lieu, sauf exception, de les combiner une nouvelle fois (ce qui sent plutôt, au contraire, le contresens.)

3 – Ce qui est l’objet de E2P37 ce sont les notions communes, qui ne sont selon le texte strict de Spinoza (ou Meyer, vérifié par Spinoza) que les axiomes (et nous ajouterons avec ShBJ : Dieu.) Nous concevons fort bien qu’effectivement ces axiomes n’appartiennent pas à des choses singulières, mais à Dieu, en particulier l’Etendue en Mouvement (toujours selon l’explication de Spinoza de E2D2 : Dieu et le Mouvement n’appartiennent pas aux essences des choses singulières alors que l’inverse est vrai.) Mais Spinoza introduit par ailleurs les notions générales ou « essences de genre » ; je ne vois pas qu’il ait été gêné pour cela par sa deuxième définition de la partie 2 de l’Ethique… Nous avons donc les essences (communes) de choses singulières par là, tout simplement.

Quant aux essences singulières en tant que singulières, nous ne pouvons pas y accéder, tout simplement, comme nous l’avons admis plus haut.


Amicalement


Serge
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Messagepar hokousai » 05 janv. 2009, 23:06

à Sescho

Nous sommes d'accord sur le sujet du déterminisme absolu mais sur une prévisibilité relative.

ça veut dire quoi ?
bon bref !

maintenant:

Quant aux essences singulières en tant que singulières, nous ne pouvons pas y accéder, tout simplement, comme nous l’avons admis plus haut.


Alors c'est le déterminisme de quoi exactement ?

Ce qui pourrait éventuellement intéresser c'est de savoir si les choses singulières sont déterminées ou pas . Mais nous ne savons rien de ces choses singulières , rien d'un savoir digne de ce nom , c'est à dire du nom de de la science par cause et effet ( syllogisme et tout ce qui s'en suit de sciences actuellement mathématisées )

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Messagepar Durtal » 05 janv. 2009, 23:23

Durtal a écrit :Bardamu,



je vais revenir sur ton intéressante intervention. Mais je trouve que ta solution en terme de "concession au vocabulaire" n'est pas vraiment satisfaisante. Je vois mal dans ce cas en effet pourquoi Spinoza dirait le genre de choses qu'il dit sur Dieu (qu'il est la substance étendue) dirait le genre de chose qu'il dit sur le rapport de l'intellect humain et celui de Dieu corollaire P11 E2 en l'assortissant d'un commentaire dont la substance est: je sais bien que vous n'allez rien comprendre du tout, mais vous ne le pouvez pas encore: lisez tout, que Dieu n'agit pas par la liberté de sa volonté, que le libre arbitre est un rêve, que l'âme périt (en partie) avec le corps, Bref des choses qui en un certain sens était au moins aussi scandaleuses (et dangereuses pour lui même à l'époque) que l'affirmation de son (supposé)"amoralisme".

Pourquoi serait-il aussi radical et dirait-il les choses aussi franchement ici et plus du tout quand il parle de "servitude" humaine?

Je suis assez d'accord pour dire avec Serge que si "l'Ethique" s'appelle "l'Ethique" c'est qu'elle EST une Ethique ( et pas par exemple un traité de physiologie humaine qui est autre chose, ni même "d'éthologie" comme le dit Deleuze je crois). Que Spinoza ne soit pas le penseur d'une éthique du Devoir ( d'une éthique déontologique) est une chose (bien sur c'est vrai) mais il défend clairement une solution de type "utilitariste" et "conséquentialiste" par certains de ces aspects au "problème moral" (N'en déplaise peut être à Deleuze qui, lorsqu'il parle de morale parle en fait toujours de Kant avec lequel il avait semble-t-il un compte a régler :D ), bien qu'il prolonge aussi cela dans une perspective qui n'a sans doute plus grand chose à voir avec l'utilitarisme ( savoir en une doctrine de la béatitude).

Mais je reprendrai le problème que tu poses dès que j'en aurais le temps.

D.




Ayant relu avec un peu plus d'attention le message auquel je faisais référence, je n'y trouve rien en fait avec quoi je ne m'accorde pas, hors le point considéré , mais ce n'est sans doute pas non plus un point de désaccord très considérable .

Peut être que je ne vois pas bien pourquoi tu dis ceci parce que je n'ai pas en tête la lettre dont tu parles (je vais la relire).

Quoiqu'il en soit je continue de penser que Spinoza ne fait pas plus de concession là qu'il n'en fait ailleurs, sauf que sur certain points ses propres principes aboutissent de fait à des concordances avec les jugements moraux communs (la condamnation de l'envie ou de l'orgueil par exemple) tandis que sur certains autres il s'en sépare de façon particulièrement nette ( dans le fait par exemple qu'il nie que la pitié soit une vertu et plus intéressant encore que l'humilité en soit une, en contradiction comme on sait, avec la tradition des valeurs judéo-chrétiennes).

On pourrait dire je crois qu'il redistribue les valeurs morales ordinaires en fonction d'un critère indépendant (ce qu'il appelle "l'utile propre" et dont l'arrière plan est bien sûr la puissance), recevant dès lors les unes quand elles passent "le test" écartant les autres quand elles ne le passent pas .

Le problème de la morale ordinaire c'est qu'elle est en grande partie irrationnelle, et qu'elle relève des affects et des passions qu'elle prétend elle-même hiérarchiser et réguler (c'est le sens je pense de la référence faite aux "rieurs" et aux "pleureurs"qui jugent les affects par l'affect), mais pas je crois qu'il y en ait une.


D.

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Messagepar Louisa » 06 janv. 2009, 05:06

(erreur)

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Messagepar Durtal » 06 janv. 2009, 09:07

Pour une fois que tu le reconnais....


D.

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Messagepar lefada » 06 janv. 2009, 13:14

Pourquoi les filles râlent quand les garçons leur tirent les cheveux?

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Messagepar Sinusix » 06 janv. 2009, 17:16

sescho a écrit :
Dans ce cadre, le point qui m'intéresse le plus c'est que Spinoza dit en substance, de manière claire et répétée : ce qui est vu selon le troisième genre de connaissance, c'est ce qui est énoncé par le deuxième, mais vu intuitivement, sans démarche démonstrative, sans intermédiaire (peu importe le mécanisme pour l'instant.)

Ceci va de pair avec le côté fondamentalement éclairant de la Raison, c'est-à-dire du raisonnement, des démonstrations, qui constituent le deuxième genre et toute l'Ethique, que Spinoza nous indique, et même souvent comme seule voie possible (à partir des axiomes, ou notions communes), même si ce n'est pas l'aboutissement ultime (qui est le troisième genre, donc.) Sinon tout s'effondre et c'est là que nous sombrons dans le grotesque (savoir qu'il n'y a aucun lien entre toute l'Ethique et la connaissance du troisième genre qu'elle mentionne sans démonstration...)

Je comprends que vous êtes totalement et clairement d'accord avec cela. Confirmez-vous ?


Absolument.
Ma seule précision, tirée de mon expérience personnelle, laquelle doit être rapportée, donc limitée, à ma propre puissance, expérience par ailleurs ancrée dans une méthodologie de pensée rationnelle occidentale, est celle d'une identité de connaissance entre les deux, mais forgée, pour ce qui me concerne, au regard de l'intuition, au pas du raisonnement déductif.
Peut-être devrais-je préciser : ceci dans le contexte de la recherche consciente d'une idée adéquate. Chacun a pu expérimenter, en effet, le fait de s'endormir après avoir séché pendant plusieurs heures sur un problème, puis se réveiller le lendemain matin pour coucher, sur le papier cette fois, en cinq minutes la solution désespérément cherchée la veille. Il s'agit là, bien entendu, d'autre chose que l'intuition du 3ème genre, s'étant agi d'un fonctionnement neuronal inconscient mais de même nature que le fonctionnement conscient.

sescho a écrit :
Sinusix a écrit :
sescho a écrit :Note : la Raison ne fonctionne absolument pas sur du singulier en tant que singulier, c’est impossible.


Fort heureusement si, mais en s'appuyant sur ce qui précède avant d'aller directement à l'intuition.


Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Mais ma formulation était sans doute incomplète : je voulais dire que la Raison ne connaît pas les choses singulières en tant que singulières (c'est-à-dire non comme manifestant individuellement l'essence de genre en laissant de côté comme secondaires les détails qui à la marge différentient, mais en considérant au contraire que le moindre détail change toute l'essence ainsi manifestée ; ce qui est pour moi très contre-intuitif, et contredit par l’usage général en sciences, en passant.) La Raison - que nous venons d'admettre comme voie royale chez Spinoza - se développant uniquement sur la base de la comparaison des choses, et par-là les essences de genre pour ce qui les réunit, elle ne saurait atteindre ce "moindre détail".


Il s'agit effectivement d'une méprise en raison du caractère lapidaire de la phrase. Je voulais simplement dire que la démarche de connaître partait du singulier, premier à tomber sous les sens, mais par cela même inaccessible puisque toute démarche de l'entendement, scientifique, se développe sur une base comparative, donc les notions communes (ou essences de genre puisque la signification me semble identique).
La science ne peut atteindre le moindre détail. La difficulté pour "le scientifique" ou le "raisonneur" me semble en fait résider, comme je l'ai déjà fait remarquer, sur la notion d'unicité, dans la mesure où, pour conclure avec certitude à l'unicité d'une chose singulière, il faudrait pouvoir appréhender l'infinité des choses singulières.

Sinusix a écrit :
sescho a écrit :29. Le quatrième mode [troisième genre] seul saisit l'essence adéquate de la chose [la même sans doute possible], et d'une manière infaillible ; c'est donc celui dont nous devrons faire principalement usage. ...


A supposer que j'y accède, j'ai un problème de rattachement. Le 2ème genre, se concentrant sur les notions communes, n'atteint pas l'essence, ce qui est logique à en croire E2D2 et E2P37, il faut donc attraper autrement l'essence singulière. On peut effectivement en conclure que la connaissance du tout, essence singulière et notions communes ou propriétés, exige l'apport cumulé de 2ème et 3ème.


sescho a écrit :Là à nouveau, je ne comprends plus. C’est contradictoire avec ce qui précède. La conclusion est donc forcément fausse.

Toutefois, comme le développement approfondi de cela m’est apparu assez difficile (mais pas parce qu’en fait ce serait vrai) je le garde pour un prochain message. Juste trois remarques pour l’instant :

1 - Pour l'essentiel, comme je l'ai déjà dit, E2D2 est expliqué par E2P10S (interpréter en l'oubliant est une faute) :

Spinoza a écrit :E2P10S : ... pourquoi je n’ai pas dit que l’essence d’une chose, c’est ce sans quoi elle ne peut exister ni être conçue. Les choses particulières, en effet, ne peuvent exister ni être conçues sans Dieu ; et cependant Dieu n’appartient point à leur essence. En conséquence, j’ai dit : ce qui constitue l’essence d’une chose, c’est ce dont l’existence emporte celle de la chose, et la destruction sa destruction, en d’autres termes, ce qui est tel que la chose ne peut exister sans lui, ni lui sans la chose.

L'objectif de la formulation est donc indiqué on ne peut plus clairement par Spinoza lui-même : ne pas dire que l'essence de Dieu appartient à l'essence d'une chose, alors même que la chose ne peut exister ni être conçue sans lui.

2 - E2P37Dm se réfère elle-même à E2D2 ; il n’y a donc pas lieu, sauf exception, de les combiner une nouvelle fois (ce qui sent plutôt, au contraire, le contresens.)

3 – Ce qui est l’objet de E2P37 ce sont les notions communes, qui ne sont selon le texte strict de Spinoza (ou Meyer, vérifié par Spinoza) que les axiomes (et nous ajouterons avec ShBJ : Dieu.) Nous concevons fort bien qu’effectivement ces axiomes n’appartiennent pas à des choses singulières, mais à Dieu, en particulier l’Etendue en Mouvement (toujours selon l’explication de Spinoza de E2D2 : Dieu et le Mouvement n’appartiennent pas aux essences des choses singulières alors que l’inverse est vrai.) Mais Spinoza introduit par ailleurs les notions générales ou « essences de genre » ; je ne vois pas qu’il ait été gêné pour cela par sa deuxième définition de la partie 2 de l’Ethique… Nous avons donc les essences (communes) de choses singulières par là, tout simplement.

Quant aux essences singulières en tant que singulières, nous ne pouvons pas y accéder, tout simplement, comme nous l’avons admis plus haut.


Il s'agit effectivement d'un des points les plus difficiles de la pensée Spinoziste et qui s'était obscurci suite au feuilleton sur les essences de genre et singulières. Dans la foulée de mon "eureka" d'hier, j'en ai eu un autre cette nuit et viens enfin de comprendre, ceci à partir de la formulation utilisée par M. Guéroult (Spinoza I - paragraphe XII du chapitre X - Le Dieu Cause - p 290 de mon édition), à savoir : L'aporie se résout, néanmoins, une fois aperçu que, s'il y a incommensurabilité entre ce qui produit l'effet et ce que cet effet tient de ce qui le produit, la chose qui est posée comme effet ne tient de la chose qui est dite sa cause qu'une part de son être. C'est cette part seule qui est incommensurable avec la cause, car l'autre part, n'en étant pas l'effet, lui est identique et institue par là une commune mesure entre la chose produite et la chose qui produit.
Je rattache ceci de manière totalement cohérente avec vos citations ci-dessus.
Pour vérification, je propose deux exemples de conclusions pratiques.
1/ En s'accouplant (idée adéquate ou pas) Pierre et Marie sont cause de la naissance à terme de Jacques. Nous avons entretenu, en tout cas moi, pendant plusieurs semaines, l'illusion que Pierre et Marie avaient transmis à Jacques une recombinaison de leurs génomes. En fait, Pierre et Marie, ont été le vecteur de perpétuation/transmission du génome humain, lui-même résultat d'un enchaînement de séquences depuis plusieurs milliards d'années (notion de l'imagination), division modale des attributs indivisibles de la substance indivisible présente en chacun d'eux, à savoir dès sa conception pour Jacques. Le débat sur l'essence de genre était un faux débat dans la mesure où il était placé là où il ne fallait pas, ces essences de genre existant donc bien en Dieu, et le genre "homo sapiens" existant bien en Dieu.
2/ E3P4 que je n'arrivais pas à comprendre devient clair. Il ne concerne pas, en effet, la mort de Pierre, mais la disparition d'"homo sapiens". En cela, en effet, de même qu'a disparu "homo néandertalensis", vraisemblablement sous la pression extérieure d'homo sapiens, homo sapiens est manifestement en passe de créer les conditions extérieures de sa disparition bien avant l'explosion de notre soleil en naine blanche.

J'observe néanmoins, au terme de cette avancée, que cette présence en Dieu de toutes les essences, me semble empreinte d'une vision "créationniste", au sens de présence modale directe des genres et espèces qui lui sont contemporains, laquelle ne pouvait manquer d'habiter Spinoza, Darwin n'étant pas encore passé par là. Il serait donc intéressant d'analyser la compatibilité de la construction avec une remontée "plus en amont" du principe générationnel au niveau de la nature naturée. Je ne vois pas de difficulté majeure a priori.

Amicalement
Modifié en dernier par Sinusix le 06 janv. 2009, 17:28, modifié 4 fois.

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Messagepar Durtal » 06 janv. 2009, 17:21

lefada a écrit : Pourquoi les filles râlent quand les garçons leur tirent les cheveux?


Parce que c'est douloureux.


Post scriptum: je ne résiste pas au plaisir (idiot) de le faire. Au dernier chapitre du TP ( et pour ceux qui ne connaîtraient pas encore)

spinoza a écrit :"Peut-être demandera-t-on si les femmes sont par nature ou par institution sous l'autorité des hommes? Si c'était par institution nulle raison ne nous obligeait à exclure les femmes du gouvernement. Si toutefois nous faisons appel à l'expérience, nous verrons que cela vient de leur faiblesse"



J'ai eu d'ailleurs un prof à la fac- "Spinoziste" il va sans dire- et dont je suivais les cours sur Spinoza, que ce passage faisait hurler de rire tellement disait-il en substance il en trouvait l'argumentaire (non reproduit ici) "absurde".

D.

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Messagepar Durtal » 06 janv. 2009, 19:19

Pour Sinuxis,

je note et apprécie la teneur de la réponse que tu m'as faites non seulement bien sûr pour la part de sympathie qu'elle exprime à l'égard des choses que j'ai pu dire mais aussi pour son contenu propre.

J'y répondrais certainement mais il me faut d'abord l'étudier plus avant car tu soulèves des questions aussi intéressantes que difficiles à traiter.

Mais, le temps me manquant cruellement, je te prie de ne pas prendre mon absence de réaction immédiate pour de l'indifférence à l'égard de ce qui encore une fois me semble riche de conversations futures (voire de controverses) utiles et enrichissantes.

D.


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