Louisa a écrit :Bardamu a écrit :
Un exemple représentatif, la démonstration de E4p53 :
1er temps, tristesse du fait d'un empêchement :
L'humilité, c'est la tristesse qui naît pour l'homme du spectacle de son impuissance (par la Déf. 26 des pass.). Or l'homme, en tant qu'il a de soi-même une connaissance raisonnable, comprend par cela même son essence, c'est-à-dire (par la Propos. 7, part. 3) sa puissance. Si donc l'homme, en se considérant lui-même, aperçoit en lui quelque impuissance, cela ne peut venir de ce qu'il se comprend lui-même, mais bien (comme on l'a démontré à la Propos. 55, part. 3) de ce que sa puissance d'action est empêchée de quelque manière.
2e temps, conception adéquate d'une limitation par du positif, du plus puissant :
Suppose-t-on que l'idée de cette impuissance vient de ce que l'homme conçoit une puissance plus grande que la sienne et dont la connaissance détermine sa puissance propre ; cela ne signifie pas autre chose alors, sinon que l'homme se comprend lui-même d'une façon distincte (en vertu de la Propos. 26, part. 4), parce que sa puissance d'agir vient à être favorisée.
Conclusion :
Ainsi donc l'humilité, je veux dire la tristesse qui naît pour l'homme de l'idée de son impuissance, ne provient pas de la vraie connaissance de soi-même ou de la raison ; ce n'est point une vertu, c'est une passion.
C. Q. F. D.
en ce qui me concerne, je n'ai pas encore bien compris l'avant-dernière phrase de cette démonstration. Dans la traduction de Pautrat: "Que si nous supposons que l'homme conçoit son impuissance de ce qu'il comprend quelque chose de plus puissant que lui, par la connaissance de quoi il détermine sa puissance d'agir, alors c'est que nous concevons que l'homme se comprend distinctement lui-même, autrement dit (par la Prop. 26 de cette p.) que sa puissance d'agir se trouve aidée." Est-ce qu'ici Spinoza parle de quelque chose de positif ou non? Ce qui me fait penser que non, c'est la phrase juste après, qui dit la Tristesse causée par le fait de contempler son impuissance est une passion. Ce qui me fait penser que oui: Spinoza distingue ici éventuellement deux façons de concevoir l'impuissance: la première cherche de l'impuissance en nous-même, et là nous sommes dans les idées inadéquates donc la passion, la deuxième détermine positivement notre propre puissance en la comparant avec une puissance plus grande et en constatant l'écart. Est-ce que là on est encore dans l'Humilité ou non? Et si non, qu'est-ce qu'on fait plus précisément? Y aurait-il une satisfaction de soi-même dans la détermination de sa propre impuissance comparée à une puissance plus grande, et si oui, comment cela pourrait-il être possible?
Bonjour Louisa,
Si je peux me permettre, sur ce seul passage de votre intéressant échange avec Bardamu, j'y vois une application de certains de mes propos, version imagée du marathonien.
Je cours le marathon depuis des années. Par ma connaissance adéquate de mes capacités physiologiques (test VO2 par exemple), par la technique d'entraînement bien conseillée que j'applique, par mon expérience comparative, etc., je comprends quelque chose de plus puissant que moi en la personne de tel champion, ou tel camarade, qui courre régulièrement en 2h20. Par cette connaissance, je détermine ma puissance d'agir, donc je me comprends distinctement et ma puissance d'agir se trouve aidée.
En effet, au lieu de courir des chimères, j'adapte tout mon entraînement à mes capacités, j'adapte mon régime alimentaire en accord cohérent avec les performances qui sont les miennes, je ne fais pas de "sacrifices" inutiles, bref je juge ma performance le jour venu à l'aune de tout ce savoir et du genre de vie que j'ai adopté en conséquence. Le jour de la course, aucune tristesse ne peut venir du fait que j'aurai réalisé 2h50 ; mes propos ne seront entachés d'aucune humilité, au sens employé en E4P53, parce que je n'ai aucune impuissance à contempler. Il s'agit donc bien d'une acception positive et je la comprends comme telle chez Spinoza.
Au contraire, malgré tout le travail préparatoire, et les ambitions affichées ici ou là, le jour venu, pour des raisons que j'ignore, ou que je connais (telles que autres soucis, manque de sommeil, embarras gastrique, etc.), je fais une contreperformance, je la vis bien comme une puissance d'agir contrariée, vais en éprouver de la Tristesse, laquelle va s'extérioriser de manières diverses.
Donc, la connaissance par chacun de sa puissance personnelle, dans le sens d'une acceptation comparative de l'existence de puissances supérieures à la sienne, autrement dit, à un moment et dans des conditions données, l'acceptation de soi est un élément fondamental permettant de ne pas verser exagérément dans la tristesse, les causes "extérieures" à moi étant suffisamment nombreuses pour cela pour que je n'ajoute pas celles, intérieures, inhérentes à la méconnaissance de moi-même.
En ce sens, E4P53 est limpide.
Je progresse.
Amicalement