La liberté - le déterminisme

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Louisa
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Messagepar Louisa » 08 janv. 2009, 03:59

Vieordinaire a écrit :Il veut demontrer l'absurdite que " l'intelligence et la volonté (qui, dans cette hypothèse,) constitueraient l'essence de Dieu," ?
Car, en autre, sous cette hypothese Dieu ne pourrait etre a "cause libre" (1p17c2)


ah ok, je vois.

En fait, je crois que là il veut montrer non pas qu'il serait absurde que l'intellect divin constitue l'essence de Dieu (car juste après il l'identifie lui-même à la puissance de Dieu), mais qu'il est absurde de concevoir l'intellect divin comme on le ferait selon lui d'habitude, c'est-à-dire comme un genre d'intellect humain, qui peut seulement comprendre "après coup" une chose (ici il réfute donc à mon sens l'idée de Sinusix que Dieu ne comprend pas les choses avant qu'elles n'existent). L'intellect humain diffère de l'intellect divin (ou de ce qu'il appellera plus tard l'attribut de la Pensée) par le fait qu'il est cause des choses. L'intellect humain en revanche peut comprendre les choses (comme le fait l'intellect divin), mais il ne peut pas causer ce qu'il comprend (pour lui comprendre ne va pas de pair avec "créer").

Or c'est parce que par après il va dire que ce qui constitue l'essence divine, c'est la "pensée absolue", et non pas un mode infini (même pas lorsque celui-ci est produite immédiatement par la pensée absolue), que je crois qu'ici par "intellect" il comprend la pensée divine (ce qui à mon ses à l'époque est l'habitude, mais j'essayerai de trouver des preuves, si vous trouvez quelque chose qui va dans le sens inverse, merci de bien vouloir nous le faire savoir), donc déjà ce qui deviendra l'attribut de la Pensée, mais qu'il appelle ici encore selon l'habitude "intellect".

En tout cas, ici il dit bien que c'est l'intellect divin qui est la cause des choses, non? Or on sait aussi qu'un mode infini ne peut pas causer des modes finis (voir ce que j'ai écris à ce sujet ci-dessus, E1P28), donc si ici il voulait par "intellect divin" déjà désigner le mode infini immédiat de l'attribut de la Pensée, il ne pourrait pas dire que celui-ci est cause des choses et qu'il est antérieur à toute production, puisque 1) il n'est pas cause des modes finis et 2)le mode infini appartient déjà à la nature naturée, et non pas à la nature naturante.

D'autre part, ceci permet aussi de mieux comprendre la différence entre l'intellect divin (au sens du mode infini immédiat) et l'intellect humain. Les deux sont constitués d'idées adéquates, et il s'agit même des mêmes idée adéquates (E2P11), raison pour laquelle Spinoza peut dire que l'entendement humain est une partie de l'entendement divin.

A mon avis, la distinction que Sescho veut opérer se situe donc non pas entre l'entendement humain et l'entendement (là la différence n'est que celle d'entre un entendement qui n'a qu'un nombre fini d'idées adéquates et un entendement qui a une idée adéquate de tout (donc aussi de toute chose singulière), donc qui en a en un nombre infini). Elle se situe entre l'attribut de la pensée et l'entendement divin lui-même. L'attribut de la pensée est cause de toute chose, l'entendement divin en tant que mode infini absolument pas (il n'est cause que de ce qui est infini et éternel et est un mode de la Pensée, exception faite de lui-même, bien sûr).

Par conséquent, l'entendement chez Spinoza ne fait avant tout que comprendre, qu'il soit humain ou divin (puis l'entendement divin peut causer des modes infinis médiats, et l'entendement humain peut causer les modes finis que sont ses idées adéquates). En revanche, c'est l'attribut de la Pensée ou l'essence même de Dieu qui est cause de toutes choses (de toutes choses comprises [i]a posteriori[/] par l'entendement divin, la nature naturée étant par définition postérieure aux attributs). Si l'homme peut lui aussi penser (E2 axiome 2), sa pensée ne peut jamais produire autre chose que des idées, et elle n'est pas cause de soi. La pensée de Dieu est très différente, à ce niveau-là.

Bref, à mon sens la distinction pertinente à faire est non pas celle de l'entendement divin versus l'entendement humain, mais celle de l'attribut de la Pensée versus n'importe quel entendement (divin ou humain). Là on a une véritable distinction essentielle (le mode ayant un autre type d'essence (car il se conçoit par autre chose) que l'essence divine (= attribut) elle-même (qui ne se conçoit que par elle-même)), tandis que la distinction entre l'entendement divin et l'entendement humain n'est qu'une distinction non pas de raison, mais de "nombre" (l'un a plus d'idées adéquates que l'autre, même si les idées adéquates qu'a l'un sont identiques en l'autre), il s'agit d'une véritable relation "tout-partie".

Mais vous ne serez peut-être pas d'accord?
L.

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Messagepar vieordinaire » 08 janv. 2009, 04:31

J'ai beacoup de difficulte a vous suivre car votre lecture semble assumer que Spinoza pour l'instant d'une scholie 1p17 decide de modifier de facon radicale le sens de certains de ses expressions et adopter des positions qu'il rejete clairement partout ailleurs. Cela me semble peu probable. Et donc dans le reste de vos discussions, je ne sais jamais vraiment a quel Spinoza vous faites reference ..

Pour Spinoza L'Entendement est un mode, et de ce fait il ne peut constituer l'essence de Dieu. Spinoza utilise dans ses arguments une certain forme d'ironie: les affirmations qu'il fait -- et qui sont contraire a ce qu'il dit ailleurs--sont en fait les positions tenues par d'autres philosophes
Spinoza a écrit :Je sais que plusieurs philosophes croient pouvoir démontrer que l'intelligence suprême et la libre volonté appartiennent à la nature de Dieu ; car, disent-ils, nous ne connaissons rien de plus parfait qu'on puisse attribuer à Dieu que cela même qui est en nous la plus haute perfection : or ces mêmes philosophes, quoiqu'ils conçoivent la souveraine intelligence de Dieu comme existant en acte, ne croient pourtant pas que Dieu puisse faire exister tout ce qui est contenu en acte dans son intelligence.

Spinoza fait de telles affirmations dans ses arguments (et pour certains donnant l'impression qu'il les fait) afin de demontrer les absurdites qui en decoulent.

Concernant cela et le reste, ma chere Louisa, amicalement, je dois vous dire que vous semblez deja en avoir deja plein les bras ou vos assiettes. Laissons de cote pour l'instant la question de la scholie 1p17. C'est pourquoi j'ai enonce des le depart qu'elle a ete l'objet de controverses; j'avais presentis un autre bateau a la derive. Comme j'ai deja dit, vous en avez deja plus que vous pouvez en ramenez a la rive ... Et plus particulierement, si les 100 dernieres annees sont indicatives, il n'y a pas assez d'elements pour trancher cette question ancienne. Adoptez les vues et contradictions qui vous plaisent. Je vais faire de meme.

P.S. (Edite et ajoute) Apres avoir ecrit ce post, j'ai feuilletez l'oeuvre complete de Spinoza (Pleiade) que j'ai achete la semaine derniere (avec le dictionnaire entre autre). Voici un extrait d'une note a ce sujet (p.1423 du bouquin)

Caillois ou Frances ou Misrahi a écrit :"Le passage a ete tres mal compris en general, parce qu'on n'a pas assez vu sa nature polemique. M. Koyre, dans un remarquable article a montre qu'il s'agissait, non 'dune these de Spinoza, mais (comme souvent) d'une refutation par l'absurde."


Personellement, je vois la lecture "polemique" comme etant evidente mais je comprends que certains ne voient pas les choses de cette facon.

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Messagepar hokousai » 08 janv. 2009, 17:49

à Louisa

En revanche, c'est l'attribut de la Pensée ou l'essence même de Dieu qui est cause de toutes choses (de toutes choses comprises [i]a posteriori[/] par l'entendement divin, la nature naturée étant par définition postérieure aux attributs).


alors ça c'est nouveau !! Chez Berkeley peut -être mais pas chez Spinoza .

quand Spinoza écrit à Oldenburg (lettre 32)

""je me suis appliqué à démontrer qu'il découle de la nature de la substance que chacune de ses parties appartient à la nature corporelle et ne peut sans elle exister ni être concue """""""""

il montre que l'étendue est toute aussi importante que la pensée dans sa manière de voir . Les deux attributs à égalité quant à la cause de toutes choses.(ils n'en sont pas d'ailleurs la'' cause ''' ils en sont le tissu )

j'ai l'impresion que sous l'influence de Sescho ont dévie vers un idéalisme . Comme si les essence éteint plus pensée qu'autre chose .

Il ne me semble pas que Spinoza ait écrit que les essence (fussent- elles éternelles ) soient un mode de la pensée .

si Serge trouve de bonnes raison de le penser je veux bien me dédire .

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Messagepar Louisa » 08 janv. 2009, 18:08

Hokousai a écrit :il montre que l'étendue est toute aussi importante que la pensée dans sa manière de voir . Les deux attributs à égalité quant à la cause de toutes choses.(ils n'en sont pas d'ailleurs la'' cause ''' ils en sont le tissu )


oui certainement. Il est vrai qu'on peut lire ce que je viens d'écrire comme si ce n'était pas le cas, mais ce n'était pas du tout ce que je voulais dire. Il faut donc lire: la pensée absolue est cause de toutes choses en tant qu'elles ont une essence objective, c'est-à-dire en tant qu'elle sont des idées. Parallèlement à cela, l'attribut de l'Etendue est bien sûr "tout autant" cause de toutes choses, mais cela en tant que ces choses sont des modes de l'étendue donc des corps.

Si je ne l'ai pas dit explictement c'était uniquement parce qu'il s'agissait de différencier, au sein même de la pensée, la pensée absolue ou l'attribut de la Pensée, de l'intellect divin qui deviendra (plus "tard" que dans l'E1P17 scolie, comme il le dit lui-même au début du scolie) dans le spinozisme non plus un attribut (cause de toutes choses) mais un mode (effet de l'essence divine ou effet d'un attribut).
L.

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Messagepar Sinusix » 08 janv. 2009, 18:09

Bonsoir Sescho,

Je me permets de m'adresser en préambule à Louisa, concernant sa réponse/réaction sur votre message objet de ma réponse, dans la mesure où je crois nécessaire qu'elle la reprenne après relecture approfondie de votre message et du mien.

Je n'ai bien entendu pas de raison d' imposer à Louisa un mode de présentation plus synthétique de ses interventions, toujours riches de sa connaissance des textes. Je n'ai pas plus de raison d'attirer son attention sur l'importance de la prise de recul, parfois nécessaire, pour répondre à une intervention, en fonction de sa teneur et de sa "lourdeur", pour reprendre vos propres termes. Enfin, j'ai encore moins de raison de m'exprimer ainsi en mettant en avant que, en l'occurrence, en dépit des quelques points qu'il me faut travailler et des quelques distinctions mineures qui me semblent judicieuses, votre réponse dense et au contraire très synthétique colle parfaitement à ma vision de ce que j'appelle la base "métaphysique et cognitive" de l'Ethique. J'essaierai d'imager tout cela, au fil du temps, comme j'aime à le faire pour fixer les idées, en des termes plus courants que vous, n'ayant pas le maniement conceptuel aussi facile que vous.

En premier lieu, à la lecture de la longue dissertation de Louisa, je crains d'observer une utilisation inadéquate de la principale citation choisie, d'autant plus inadéquate, et pourtant elle s'en rend compte elle-même par la suite, qu'elle contredit le point marquant de mon accord profond avec vous, à savoir sur ce que vous appelez de votre côté le "saut ontologique". En effet, en s'appuyant sur la citation de l'intellect dans E1P17 (proposition qui se situe à l'intérieur des propositions qui traient de la nature naturante), Louisa me semble faire le contresens qui forme la base de notre raisonnement, ledit intellect, version E1P17, en tant que cause de l'ensemble des effets infinis envisageables, étant incommensurable avec l'entendement humain. Elle ne peut donc absolument pas s'appuyer sur E1P17 pour contredire ce qui relève de toute la suite de E1P21, la nature naturante et la nature naturée étant incommensurables puisque la nature naturante est cause de toutes les essences et de toutes les existences.

Ceci précisé, je vous relis avec bonheur.

sescho a écrit :Bonsoir Sinusix,

Je voudrais reprendre ici le « dur » point 1 :

Parfaitement d’accord. C’est ce que j’ai appelé le « saut ontologique » (« premier » lorsque j’en introduisais un second entre le Mouvement et les choses singulières, ce sur quoi je me suis ensuite partiellement ravisé.) En revanche, j’avais manqué E1P17S sur le sujet… Par ailleurs, sans préjuger des conclusions finales, ceci se rapproche d’une autre chose que j’avais pensée et indiquée, sur la base de E2P10S, savoir que l’étendue n’appartenait pas en fait à l’essence d’un corps, qui n’était qu’une forme dans l’étendue. Je reviendrai plus tard là-dessus.


En effet, ce n'est pas l'Etendue, mais une certaine disposition des "parties de l'Etendue" (il faut distinguer l'Etendue cause, incommensurable avec ses effets, et l'Etendue nature naturée, après sa division modale, donc divisible à l'infini mais continue) qui constitue l'essence d'un corps. Les attributs constituent l'essence de Dieu et contiennent les essences modales. Ils ont donc, de ce fait, comme une "double nature", liée au saut ontologique. C'est d'ailleurs cette présence [directe] qui permet de lever la difficulté de E1P17S dans la mesure où une chose singulière est issue, pour son existence, d'un rapport causal de type "transitif" comme vous le dîtes, et d'une appartenance, pour son essence, à un certain niveau modal de la substance.

Deux types d'images me viennent.
Celle de la modulation de fréquence ou d'amplitude. On pourrait dire, par exemple, que Paul est une variation de fréquence sur la porteuse "homme", présente en tant que telle dans le patrimoine d'essences de Dieu. Chaque "génération", épiphénomène par rapport au niveau atemporel que vous analysez pertinemment, ne fait intervenir que quelques facteurs locaux de variation (le processus causal "transitif"), le principal, à savoir l'essence de genre homo sapiens, étant "issu" de la partition ayant conduit à ce mode, présent en chacun de nous et qui, à supposer que nous gommions l'effet temporel imaginaire de la succession des générations, est l'aspect modal principal.
Autre mode de raisonnement par image, lié au fait que ce qui nous caractérise est la fusion combinée de notre essence (au sens étroit de E2D2) et des notions communes présentes du fait de notre appartenance au mode "homo sapiens". A partir du moment où la nature naturée est infiniment divisible mais continue, que les choses singulières sont des parties du tout constituées sur la base de rapports spécifiques, etc., il est clair que la nature naturée fonctionne par jeu de propriétés collectivisantes de toutes sortes, homogènes avec les lois de fonctionnement nécessaire de la nature. C'est ainsi qu'il y a bien une propriété collectivisante, "en Dieu", permettant de donner corps à l'idée d'essence de genre (c'est une idée vraie puisqu'elle permet de comprendre l'homme au travers de son génome par exemple), mais permettant de comprendre des "êtres" d'un autre genre, tels qu'une nation, une entreprise, une famille, etc. En effet, tout collectif de choses singulières a une puissance cumulée "proportionnelle" à la puissance individuelle de ses membres, et qui plus est fonction des idées adéquates qui président à son fonctionnement collectif. L'Histoire est pleine de ces congruences entre la force du lien social et la puissance cumulée des composants.

Bref, cette fonction collectivisante, qui au stade ultime amène Spinoza à rappeler que la nature naturée est un individu, n'est compréhensible que si on dépasse, comme vous le dîtes, le stade ultime des choses singulières, duquel au contraire nous partons spontanément, et qui fait que nous ne comprenons plus rien.

sescho a écrit :C’est la dominance de cette seconde approche, la plus immédiate et de loin la plus répandue, qui conduit à ne pas comprendre Spinoza, en substantialisant les modes c’est-à-dire en singularisant les essences, la base étant la croyance dans la permanence et surtout la pose de l’existence avant l’essence et (donc) des choses singulières avant Dieu (qui n’est que « rattaché » a posteriori en vérité - même s’il est dit « évidemment » en amont - au lieu d’être mis en tête et le Mouvement après lui, dans toute conception, spécialement de chose singulière) ce qui est totalement opposé à Spinoza.

Il est clair cependant que quoique la considération du Mouvement (donc le repos) soit supérieure et indispensable à la véritable science, elle ne peut nous donner quoi que ce soit sur la réalité en tant que modifiée. Nous sommes au contraire des choses singulières confrontées / associées à d’autres choses singulières, et c’est la base de nous connaissant et de notre connaissance. Pas moyen d’y couper (heureusement d’ailleurs…) Nous devons donc garder en conscience deux causalités, alors qu’il n’y en a qu’une. La vraie, c’est l’immanente ; en pratique, c’est encore l’immanente (par les lois), mais aussi la transitive qui part des sensations et est semi-imaginaire (imaginaire au sens de Spinoza.) La causalité transitive est une connaissance du premier genre…, sauf E1P28 et ses suivantes… ;-).


Je ne suis pas sûr d'avoir compris la notion de supériorité. En fait, de mon point de vue, le Mouvement (je dirais même personnellement le Changement, en référence à la remarque d'Hokousai) est la base même du "saut ontologique", puisqu'il s'identifie à Dieu opérateur, Dieu actif, Dieu Puissance, comme on veut, et représente donc le dynamisme à partir duquel tout ce dont nous parlons et tout ce qui nous préoccupe a un sens. En effet, la science n'est possible que pour un entendement (Dieu ne connaît pas les choses puisqu'il ne se regarde pas tant que la machine "entendement infini" n'est pas lancée), raisonnant sur des choses singulières à partir desquelles seules il peut aller chercher les idées ou essences objectives. Faute de cela, pas de science.
J'observe également, en référence à un message d'Hokousai, que (dixit déjà Aristote, me semble-t-il), le concept de temps ne vient pas du seul changement, mais de la mise en rapport de ce dernier avec l'immuable de la substance, puisqu'un changement est, par définition changement de quelque chose. En tout cas, je suis entièrement d'accord sur la bipolarisation causale.

Il s'agit là d'ailleurs d'une distinction potentiellement riche, mais éventuellement problématique. D'une part elle permet de penser que nombre de questions qui ont été posées sur certains fils (le choix de la couleur de cravate par exemple, propos de ma part qui n'a rien de désobligeant ni d'ironique) ne relevaient pas d'une analyse sur fond de l'Ethique (Deleuze a dit des choses plus profondes sur le sujet), d'autre part il peut être intéressant de raccrocher à ce sujet certaines préoccupations que d'aucuns peuvent avoir sur les conséquences "réelles" de l'imaginaire, individuel ou collectif.

Mais je m'envole.

Pour le reste, je suis globalement d'accord avec ce que vous avancez. Ma préoccupation est plutôt de savoir si je peux dépasser le stade de la "compréhension purement intellectuelle de cette éternité des essences", Spinoza me semblant donner à cette découverte de l'Eternité une dimension "mystique" qui, personnellement, ne me préoccupe pas du tout.

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Messagepar Louisa » 08 janv. 2009, 18:31

Sinusix a écrit :Je n'ai bien entendu pas de raison d' imposer à Louisa un mode de présentation plus synthétique de ses interventions, toujours riches de sa connaissance des textes. Je n'ai pas plus de raison d'attirer son attention sur l'importance de la prise de recul, parfois nécessaire, pour répondre à une intervention, en fonction de sa teneur et de sa "lourdeur", pour reprendre vos propres termes. Enfin, j'ai encore moins de raison de m'exprimer ainsi en mettant en avant que, en l'occurrence, en dépit des quelques points qu'il me faut travailler et des quelques distinctions mineures qui me semblent judicieuse, votre réponse dense et au contraire très synthétique colle parfaitement à ma vision de ce que j'appelle la base "métaphysique et cognitive" de l'Ethique. J'essaierai d'imager tout cela, au fil du temps, comme j'aime à le faire pour fixer les idées, en des termes plus courants que vous, n'ayant pas le maniement conceptuel aussi facile que vous.


Bonjour Sinusix,
j'avais demandé des critiques par rapport à ce que je venais d'écrire, et c'est ce que vous faites ici, donc je ne peux que vous en remercier. Voici ce que j'en pense en ce qui concerne la "forme" de ma réponse (de mes réponses).

D'abord, il est clair que mes messages les plus longs sont quasiment toujours analytiques, et non pas synthétiques. Ce sont des messages de "recherche", pas du tout des messages "didactiques". Je me rends parfaitement compte du fait que cela ne facilite pas la lecture. Par conséquent, je ne peux pas demander à ceux qui m'ont mal compris en me lisant (ce qui bien sûr ne peut qu'arriver assez régulièrement) de lire avec plus d'attention. C'est à moi de clarifier par après ce qui pour un lecteur n'était pas clair, et je présuppose de toute façon que si ce n'était pas claire, c'est que je peux "mieux faire".

Par contre, j'avoue ne pas très bien comprendre en quoi consisterait plus précisément ce que vous appelez ici un "manque de prise de recul". Que voulez-vous dire par là plus précisément?

Sinusix a écrit :En premier lieu, à la lecture de la longue dissertation de Louisa, je crains d'observer une utilisation inadéquate de la principale citation choisie, d'autant plus adéquate, et pourtant elle s'en rend compte elle-même par la suite, qu'elle contredit le point marquant de mon accord profond avec vous, à savoir sur ce que vous appelez de votre côté le "saut ontologique". En effet, en s'appuyant sur la citation de l'intellect dans E1P17 (proposition qui se situe à l'intérieur des propositions qui traient de la nature naturante), Louisa me semble faire le contresens qui forme la base de notre raisonnement, ledit intellect, version E1P17, en tant que cause de l'ensemble des effets infinis envisageables, étant incommensurable avec l'entendement humain. Elle ne peut donc absolument pas s'appuyer sur E1P17 pour contredire ce qui relève de toute la suite de E1P21, la nature naturante et la nature naturée étant incommensurables puisque la nature naturante est cause de toutes les essences et de toutes les existences.


je n'ai pas très bien compris ce que vous voulez dire ici, hormis le fait qu'il semble s'agir d'une critique de l'une ou l'autre interprétation proposée par moi-même. Serait-il possible de préciser de quelle idée interprétative il s'agit plus précisément, et en quoi selon vous elle n'est pas correcte?

(si vous ne voyez pas très bien ce que je veux dire, voici quelques questions plus précises:
- quelle est selon vous l'utilisation inadéquate de la citation (et de quelle citation plus exactement parlons-nous, puisque nous avons déjà cité différents passages du même scolie), et quelle en est l'utilisation adéquate?
- en quoi cette citation contredit-elle le point marquant de votre accord avec Sescho (l'idée d'un saut ontologique)?
- quel est le contresens que je fais moi-même et sur lequel votre raisonnement est basé?
- en quoi est-ce que je me serais basée sur l'E1P17 pour contredire ce qui suit de l'E1P21?)

Merci par avance!
L.

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Messagepar sescho » 08 janv. 2009, 21:33

hokousai a écrit :Le mouvement ne suffit pas à vous faire percevoir un corps . La preuve en est que vous percevez encore mieux des corps immobiles .Le mouvement c’est le mouvement des choses, le mouvement en soi est une abstraction .
Il y a des choses en mouvement , sans mouvement il y aurait encore des choses posées , immobiles , il y aurait plus en revanche de temps .(cas de figure improbable )

Personnellement, j'en reste au texte de Spinoza (la meilleure base en l'occurrence est le CT, mais je n'ai pas vu encore de contradiction sainement démontrée avec l'Ethique, au contraire) : les modes finis sont causés par le mode infini (immédiat, et il n'y en a pas d'autres) Mouvement (pour les corps.) Celui-ci introduit à la fois la finitude et le temps (l'espace étant assimilé à l'Etendue elle-même.)

Vous me dites : la finitude se conçoit sans le mouvement. Cela semble vrai en première impression, mais déjà je ne vois pas où relever cela chez Spinoza. En outre, à l'analyse, on peut se demander si c'est effectivement exact, en fait ; car le Mouvement se conçoit aussi à la plus petite échelle, disons à l'échelle atomique. Et là, sans examiner très précisément la chose, je dirais que c'est bien dans des rapports différents de mouvement et de repos que les frontières entre les choses singulières résident. Ou si l'on prend "Mouvement" au sens large, comme étant synonyme d'Energie (en laissant tomber, donc, les distinctions précises de la Physique au profit du sens), nous retombons sur l'équivalence de la matière et de l'énergie.

hokousai a écrit :Ce qui est sempiternel ce n’est pas le mouvement mais l’impermanence des choses comme éléments solubles d’événements fluctuants .( pour tout dire les positions changent et les choses in fine se dissolvent ,les positions changent mais d’une place à une autre la chose elle même a changé ).

A nouveau Spinoza me semble dire clairement que le Mouvement est éternel et que la quantité de mouvement dans l'univers ne change pas (Galilée, jusqu'à Einstein.) En fait j'ai tendance à associer directement impermanence et Mouvement (mais je n'ai peut-être pas senti une nuance...)

hokousai a écrit :Mais sur ce constat vous ne pouvez pas du tout dégager des essences éternelles des choses particulières . Bien au contraire vous les annihilez .

Les attributs et les lois intemporelles du Mouvement nous montrent clairement ce qu'est l'éternité.

Je reconnais que j'ai du mal à accepter la causalité transitive, introduite par E1P28 (Spinoza disant en outre bien par ailleurs que le Mouvement est la cause des corps.) Étant entendu que la nature absolue du Mouvement ne peut être invoquée, puisque la sempiternité n'est pas transmise aux modes finis, pour lesquels de fait l'existence se distingue de l'essence. Un corps qui en heurte un autre n'est à proprement parler cause de rien, mais les lois seules. C'est la nécessité de caractériser les choses singulières (par genres) qui m'y pousse, à partir de l'expérience sensible qui m'est offerte, à moi sujet singulier aussi. Il est bien clair que la seule considération du Mouvement, chez moi, mode fini et très limité en regard de Dieu, ne me permet pas d'en déduire les choses singulières, soit les manifestations du Mouvement. D'où l'introduction des essences de genre. C'est une nécessité d'ordre pratique liée à notre condition de mode fini. Mais ce que l'entendement dégage de cela, ce sont des lois... La vraie cause ressort de cette "approximation nécessaire"...


Serge
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Messagepar hokousai » 08 janv. 2009, 23:42

à Serge


Vous me dites : la finitude se conçoit sans le mouvement. Cela semble vrai en première impression, mais déjà je ne vois pas où relever cela chez Spinoza.


Et non il n'a pas dit que sa table immobile lui semblait limitée sur les bords .
Il y a plein de choses qu'il n'a pas dit et sur l'échelle atomique en particulier .

L'impermence ce n'est pas le mouvement .le mouvement suppose des chose stables qui se déplacent . L'impermanence ne suppose pas de chose stables, il n'y a aucune chose qui se déplace puisqu' il n'y a pas de chose stable .
Vous ne pouvez faire aucune physique avec l'impermanence .La physique suppose la permanence (identité à soi durant un temps x) d'un mobile .

Les lois intemporelles du Mouvement sont des lois de la physique ce ne sont pas des lois philosophiques .

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Messagepar Louisa » 09 janv. 2009, 02:57

Vieordinaire a écrit :J'ai beacoup de difficulte a vous suivre car votre lecture semble assumer que Spinoza pour l'instant d'une scholie 1p17 decide de modifier de facon radicale le sens de certains de ses expressions et adopter des positions qu'il rejete clairement partout ailleurs. Cela me semble peu probable. Et donc dans le reste de vos discussions, je ne sais jamais vraiment a quel Spinoza vous faites reference ..


Bonjour Vieordinaire,
en fait, je crois que c'est plutôt l'inverse: avant de modifier radicalement le sens du terme "intellect divin", Spinoza l'utilise au sens commun (comme il le dit lui-même dans ce scolie), et montre déjà en quoi certaines idées qu'on associe à ce terme ne sont pas adéquates. Mais il ne montre pas encore pourquoi l'intellect divin ne peut pas appartenir à la nature de Dieu, c'est-à-dire ne peut pas être un attribut. Cela, dit-il également explicitement, il ne le montrera que plus loin. Puisqu'on est dans un livre écrit à la manière des géomètres, on ne peut pas s'attendre à ce qu'on comprenne déjà au début du texte le mot dans le sens qu'ils ne recevront que plus tard. Si donc Spinoza y dit que communément on pense par rapport à l'intellect divin deux choses, premièrement qu'il s'agit d'un attribut de Dieu, et deuxièmement qu'il ressemble parfaitement à l'intellect humain (donc ne comprend les choses qu'après coup) mais est infini tandis que celui-ci est fini, force est de constater que dans ce scolie il ne va réfuter qu'un seul de ces deux présupposés. Il va juste montrer qu'il est impossible que l'intellect humain soit à la fois cause des choses (ce qu'il doit être s'il est un attribut de Dieu) et un ensemble d'idées qui comprennent les choses qu'une fois qu'elles ne sont créées. Car dire que l'intellect divin est cause de toute chose, c'est supposer qu'il est antérieur à toute chose, tandis que considérer l'intellect divin comme un intellect humain, c'est dire qu'il ne peut former ses idées qu'a posteriori, une fois que les choses sont déjà là et qu'il essaie de les comprendre. Les deux ne peuvent donc pas être vrais à la fois.

Or Spinoza ici maintient clairement l'idée de l'intellect qui serait un attribut de Dieu (en effet, ce serait choquant de ne plus dire cela), et dit qu'il ne parle que de ce qui en Dieu est cause des choses. Par intellect il maintient ici donc l'un des deux suppositions propres au sens commun de l'époque: celle qui dit que l'intellect, en tant qu'attribut de Dieu, est cause des choses. Il rejette le deuxième aspect, celui qui dit que l'intellect divin est comme l'intellect humain et donc ne comprend les choses qu'après coup.

Il peut donc dire ici que l'intellect constitue l'essence de Dieu puisqu'il vient d'écarter toute ressemblance avec l'intellect humain (il n'y a plus qu'une convenance de nom), ce qui fait qu'effectivement, par intellect ici il faut comprendre la cause de toute chose, il faut comprendre quelque chose de l'ordre de la pensée qui constitue l'essence de Dieu et cause tout le reste. C'est ce que par après il va appeler l'attribut de la Pensée, une fois qu'il a indiqué que l'intellect divin lui-même n'est qu'un mode. Et c'est là qu'on comprend qu'il n'y a aucune incommensurabilité entre l'intellect divin et l'intellect humain: les deux sont postérieurs à l'essence divine, et ne sont rien d'autre que des idées composées de toutes les idées adéquates que l'intellect en question a. L'incommensurabilité se pose maintenant entre l'attribut de la Pensée et le mode infini immédiatement produit par cet attribut et qui est l'intellect divin. Et en effet, déjà le scolie de l'E1P17 le dit, il faut bien qu'entre les deux il y a incommensurabilité, puisque toujours l'essence de l'effet est différente de l'essence de la cause.

A Sinusix: je viens de résumer ici de manière plus "didactique" ce que j'ai dit hier au sujet de l'entendement divin. Si vous n'êtes toujours pas d'accord, merci déjà de bien vouloir indiquer avec quoi plus précisément et si possible pourquoi!

Vieordinaire a écrit :Concernant cela et le reste, ma chere Louisa, amicalement, je dois vous dire que vous semblez deja en avoir deja plein les bras ou vos assiettes. Laissons de cote pour l'instant la question de la scholie 1p17. C'est pourquoi j'ai enonce des le depart qu'elle a ete l'objet de controverses; j'avais presentis un autre bateau a la derive. Comme j'ai deja dit, vous en avez deja plus que vous pouvez en ramenez a la rive ... Et plus particulierement, si les 100 dernieres annees sont indicatives, il n'y a pas assez d'elements pour trancher cette question ancienne. Adoptez les vues et contradictions qui vous plaisent. Je vais faire de meme.

P.S. (Edite et ajoute) Apres avoir ecrit ce post, j'ai feuilletez l'oeuvre complete de Spinoza (Pleiade) que j'ai achete la semaine derniere (avec le dictionnaire entre autre). Voici un extrait d'une note a ce sujet (p.1423 du bouquin)

Caillois ou Frances ou Misrahi a écrit:

"Le passage a ete tres mal compris en general, parce qu'on n'a pas assez vu sa nature polemique. M. Koyre, dans un remarquable article a montre qu'il s'agissait, non 'dune these de Spinoza, mais (comme souvent) d'une refutation par l'absurde."

Personellement, je vois la lecture "polemique" comme etant evidente mais je comprends que certains ne voient pas les choses de cette facon.


merci pour l'info et pour la citation! Est-ce que par hasard l'édition Pleiade dit aussi de quel article de Koyre il s'agit plus précisément?

Sinon il me semble que le raisonnement que je viens de développer ci-dessus tient assez bien la route, à mon avis il y a suffisamment d'éléments dans le texte même pour pouvoir trancher, donc disons que je préfère ne pas me contenter de l'idée que ceci n'est que "mon" interprétation à moi, pour essayer de voir ce que ceux qui ne sont pas d'accord avec elle pourraient/voudraient y objecter (peut-être à juste titre, bien sûr).
Amicalement,
L.

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Messagepar Louisa » 09 janv. 2009, 03:25

Hokousai a écrit :
Sescho a écrit :Vous me dites : la finitude se conçoit sans le mouvement. Cela semble vrai en première impression, mais déjà je ne vois pas où relever cela chez Spinoza.


Et non il n'a pas dit que sa table immobile lui semblait limitée sur les bords .
Il y a plein de choses qu'il n'a pas dit et sur l'échelle atomique en particulier .


Spinoza a tout de même dit que le mouvement et le repos ne sont qu'un mode infini, produit par la nature même de Dieu. Cette nature est constituée d'une infinité d'attributs, dont l'attribut de la Pensée. Or on voit mal en quoi il faudrait du mouvement pour pouvoir produire des idées singulières, donc finies et déterminées, puisque justement l'attribut de la Pensée n'a rien en commun avec l'attribut de l'Etendue. La finitude dans l'attribut de la Pensée ne peut pas se définir par le mouvement et le repos.

Puis si l'on se base sur l'Ethique, même à l'intérieur de l'attribut de l'Etendue on ne peut pas dire que l'impermanence est équivalent au mouvement et la permanence au repos. D'abord pour la raison que vous venez de donner:

Hokousai a écrit :L'impermence ce n'est pas le mouvement .le mouvement suppose des chose stables qui se déplacent . L'impermanence ne suppose pas de chose stables, il n'y a aucune chose qui se déplace puisqu' il n'y a pas de chose stable .
Vous ne pouvez faire aucune physique avec l'impermanence .La physique suppose la permanence (identité à soi durant un temps x) d'un mobile .


mais à mon avis une deuxième raison s'y ajoute: c'est que l'impermanence est une notion temporelle. Elle ne dit rien d'autre qu'une durée finie. Cela en tant que tel n'a rien à voir avec le repos. Le repos, tout comme le mouvement, chez Spinoza est relatif: est en repos le mobile qui ne bouge pas par rapport à un autre mobile, est en mouvement le mobile qui bouge par rapport à un autre mobile. Nous sommes ici dans la physique du XVIIe (physique qui vient de se transformer en une physique proprement mathématique), et donc dans une définition du mouvement qui est possible non pas par rapport à la permanence temporelle, mais seulement par rapport à un système d'axes, ce système d'axes (dira-t-on plus tard) en réalité étant un autre mobile (Einstein sera le premier à tirer de ceci toutes ses conséquences, ce qui fera basculer la physique dans la mécanique quantique).

A mon avis c'est pour ça que dans l'Ethique Spinoza dit que le mode infini immédiat de l'étendue ce n'est pas "le Mouvement", comme le dit Sescho, mais un rapport de mouvement et de repos. L'un n'existe pas sans l'autre, et les deux, mouvement et repos, appartiennent à la nature naturée, et non pas à la nature naturante, comme le suggère Sescho. L'immuabilité de l'essence divine n'a rien à voir avec une permanence dans le temps ou un repos, elle ne s'explique pas du tout par ces termes qui n'appartiennent qu'aux modes, elle se définit par le fait d'avoir une essence toujours identique à elle-même, une essence qui ne peut pas changer selon ce qui l'affecte, selon "l'existence".

Inversément, tout ceci n'enlève aucune "consistance" aux choses ou modes finis (donc singuliers), puisqu'une substance ne serait pas une substance (infinie) si elle n'avait pas de modes finis. Une substance est précisément infinie (ou de puissance infinie) parce qu'elle est capable de donner une réalité, une consistance, à une infinité d'effets "déterminés et précis" c'est-à-dire à une infinité de choses finies (et donc singulières, en vertu de l'E2D2).

Bref, il y a bien sûr une question de "tempérament" comme vous l'avez déjà dit: Sescho a envie de tirer le spinozisme vers une substance sans modes finis, moi j'ai envie de tirer le spinozisme vers une substance ayant une multiplicité infinie d'effets finis. Mais si l'on s'intéresse à la vérité, on ne peut pas s'en tenir là, on ne peut pas s'en tenir à des "synthèses globales" qui retraduisent une "pensée du simple" en des termes techniques spinozistes, ni à une idée synthétique globale qui fait de Spinoza un grand adepte de la "multitude irréductible", comme j'aimerais bien faire moi-même. On doit passer de la synthèse à l'analyse, pour vérifier quelle idée correspond de manière rationnelle (et non pas seulement de manière "indubitable" pour l'un d'entre nous) à quelle partie du texte, on doit activement solliciter des objections et les prendre directement en compte. Dans le pire des cas, ce qu'on risque ainsi, c'est de devoir constater que Spinoza n'est pas le philosophe qu'on aimerait qu'il soit. Mais on aura peut-être gagné quelque chose de beaucoup plus intéressante: une compréhension du spinozisme capable d'affronter "calmement" toute objection?
L.


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