La liberté - le déterminisme

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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hokousai
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Messagepar hokousai » 23 nov. 2008, 23:26

à Durtal


oh vous savez on est pas plus responsable d'être optimiste que pessimiste et pourtant on est soi l'un soi l'autre .
on n’est pas plus responsable de la sensibilité à la souffrance .
Je dirais même qu'il est des natures qui pervertissent la loi et aiment bien souffrir .

Une nature dotée nativement d’un grand optimisme ,d’une faible sensibilité à la souffrance et d’une inclination pour la joie sera bien évidemment moins sujette à exercer une volonté pouvant contrarier ce que le moins bien loti a en héritage .

""Mobilisons toute notre énergie""" se dit en un discours intérieur celui qui croit à la volonté et cela l’aide .Il ne se le dirait pas s’ il ne pensait pas que cela l’aide . Je ne dis pas qu’il soit libre ou pas de se dire cela, je dis que cela l’aide . Je dis que ce qui est perçu comme un exercice de la volonté est efficace .

http://www.spinozaetnous.org/ftopict-713.html

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Sinusix
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Messagepar Sinusix » 24 nov. 2008, 15:19

Bonjour,

Faute peut-être d'une lecture exhaustive de tous les échanges et des liens indiqués, je me permets d'ajouter le paramètre de réflexion qui suit sur ce thème difficile.
Il me semble en effet que le problème posé par Spinoza, selon lequel les hommes se croient libres parce qu'ils sont conscients de leurs actes, mais ignorants des causes par lesquels ils sont déterminés, s'éclaircit partiellement si l'on fait la distinction suivante au sein de ce qui devient "l'inconscient" (non pris dans son sens psychanalytique), à savoir :
1/ les actes "automatiques", tels que le battement cardiaque, la respiration et la majorité des fonctions physiologiques stricto sensu :
2/ les actes coordonnés et réfléchis, qui ne remontent pas au niveau de la conscience ;
3/ les actes coordonnés et réfléchis qui remontent au niveau de la conscience (et dans ce cas, éventuellement, avec décalage temporel faisant néanmoins primer l'action à la conscience de l'avoir commandée, selon la théorie controversée de Benjamin Libet).
Il se peut en effet qu'une lecture superficielle ou rapide donne à penser que l'homme, s'il n'est pas libre (ce que je crois effectivement, sinon je ne serais pas "spinoziste") serait conditionné par des comportements "réflexe programmés".
Il ne me semble donc pas que telle doive être la lecture à faire, mais que, dans tous les exemples évoqués, il ne s'agit pas de penser que la décision prise par l'intéressé n'a pas fait l'objet d'une délibération intérieure, mais que cette délibération intérieure n'est pas consciente, ou ne correspond pas à "l'extraction" qui en est faite pour devenir consciente.
Sans entrer dans aucun détail du "consensus approximatif" actuel sur les sciences cognitives ou connexionnelles, il est admis en effet que le niveau conscient, si l'on retient le concept "d'espace de travail global", travaille en mode sériel (donc limité - nous ne sommes conscients que d'une chose à la fois) alors que le niveau inconscient, comme tout le reste du cerveau, travaille en mode parallèle, plus puissant, sans commune mesure. En l'état actuel, et peut-être futur selon les opinions, il est impossible de savoir suivant quelle "logique" l'extraction vers l'espace de travail global est faite.
Tout ceci pour dire que le choix de la cravate, ou l'amourette, n'est pas un processus qui a échappé à une "délibération" selon les lois de ma nature, bien au contraire, mais que cette délibération ne relève pas de l'illusion d'une prise de décision consciente "volontaire", autrement dit que l'impression d'avoir décidé en toute conscience est "l'extraction" décalée du résultat de la délibération inconsciente, laquelle laisse croire à une délibération consciente.
Bien entendu encore, il est "logique" de constater que mieux on connaît "sa nature", moins on sera étonné du "décalage" entre la décision prise et le raisonnement logique que l'on pourra tenir par rapport à elle. Cette connaissance aidant, on évitera au maximum de se mettre dans des situations qui sont contraires à ladite nature.
Amicalement

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Messagepar Bruno31415 » 24 nov. 2008, 21:35

Bonjour,

Je reviens sur quelques passages du post de Serge qui me paraissent importants dans ma recherche, et à propos desquels je souhaiterais quelques éclaircissements.


sescho a écrit :
Bruno31415 a écrit :... L'homme peut avoir plus ou moins "d'être" suivant qu'il est en adéquation ou non avec la Nature. Par exemple, un homme qui connaît la joie a "plus d'être" qu'un homme affecté par la tristesse.


L'homme, comme toute chose, est nécessairement dans la Nature et donc en parfaite adéquation avec elle. Il a plus d'être, au sein de cette Nature, quand il agit (réellement) plus en accord avec sa nature propre, c'est-à-dire sans être sous l'influence de choses extérieures à lui (réaction, passion ; ceci n'étant pas s'il y a communauté réelle de nature, cependant.)


J'ai du mal à comprendre que l'homme puisse avoir une nature propre. Si j'ai bien compris, l'homme est un mode de la Nature-Dieu et Spinoza dit qu'il n'est pas "un empire dans un empire". Ainsi, comment peut-il avoir une "nature propre" : n'y a-t-il pas identification entre sa nature et la Nature ?

Pour reprendre un exemple que j'ai lu sur le site (définitions : mode) : le galop est un mode de la Substance "cheval" : peut-on parler de nature propre du galop ?

sescho a écrit :
Bruno31415 a écrit :... si la Nature est parfaite et que nous ne le sommes pas, il me semble que des éléments échappent à la Nature qui font que nous ne sommes pas en adéquation avec elle. Je vois là un paradoxe : car si des choses échappent à la Nature, alors ces choses existent en dehors d'elle, ce qui est absurde.)


Oui, que la Nature soit parfaite en tout (ceci c'est le plan factuel) ne signifie pas que nous ayons atteint la perfection à laquelle notre nature nous autorise (ceci c'est le plan éthique ; il s'agir d'un être de raison qui n'en illustre pas moins une loi tout-à-fait réelle : la loi de la puissance et de l'impuissance.) L'Homme n'est qu'un mode, qui ne peut se concevoir dans la réalité que comme partie soumise aux autres parties ; ceci fonde le problème éthique.


C'est le passage que j'ai surligné en gras que je ne comprends pas bien. Au fond, ça rejoint ma question précédente : Si la Nature est parfaite et que nous sommes un mode de la Nature, comment expliquer que nous ne soyons pas parfaits nous aussi ? La perfection du galop du cheval doit être adéquat à la perfection du cheval ? Sinon, cela voudrait dire que quelque chose "échappe" à la Nature-Dieu puisqu'elle admettrait, au sein de sa perfection, des éléments imparfaits (donc non identiques à elle) ?

Je ne sais pas si je suis clair... :oops:

--

Je profite de ce post, pour vous poser une question sur un passage de mon cours que je ne comprends pas bien, toujours à propos de la liberté. Le prof a présenté l'opinion de Spinoza suivant laquelle le libre arbitre est une illusion, puis il écrit :

"Cette illusion repose sur l’ignorance des causes qui nous détermine, mais en même temps, en tant qu’elle est une illusion, et pas simplement une ignorance, elle explicite quelque chose de vrai concernant la structure de notre présence au monde : le fait que nous ne
soyons qu’une partie de la nature et donc dans une situation de dépendance et de vulnérabilité, de maîtrise impossible qui nous voue à ne pas pouvoir faire de la représentation et de la compréhension du tout la forme normale et spontanée de notre appréhension du réel."


Quelle différence faites-vous, ici, entre illusion et ignorance ?

D'autre part, si je comprends bien ce passage, l'illusion du libre arbitre dit quelque chose de vrai sur notre condition : à savoir que nous ne sommes qu'une partie de la nature, etc. Je ne comprends pas l'articulation argumentative : pourriez-vous me dire, d'un point de vue argumentatif, pourquoi/comment l'illusion du libre arbitre permet d'en déduire les choses que le prof écrit quant à la façon dont nous sommes présents au monde ?

Merci.

A bientôt,
Bruno.

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Messagepar hokousai » 24 nov. 2008, 23:00

A sinusix

vous parlez en 3(ci dessous ) des actes coordonnés et réfléchis qui remontent
il n’y a pas de 4
3/ les actes coordonnés et réfléchis qui remontent au niveau de la conscience (et dans ce cas, éventuellement, avec décalage temporel faisant néanmoins primer l'action à la conscience de l'avoir commandée, selon la théorie controversée de Benjamin Libet).


Je parlerais en 4 des actes effectués après une décision consciente. Ce qui est ce dont parle Spinoza. (ie il croient qu’ils décident mais ce n’est qu’illusion,en fait ils ignorent les causes qui les déterminent, s’ils les connaissaient ils ne penseraient pas qu’ils décident ).

Je maintiens que la cause est connue, si ce n’est pas la seule , c 'est la plus proche et la mieux connue .
La décision consciente est une cause qui n’est certainement pas moins pertinente que des causes inconnues.

Nous ne voulons que ce que nous apercevons être en notre pouvoir ( Maine de Biran )
Le passage à l’acte est consécutif de la décision consciente.
Vous me direz que la consécutivité ne suffit pas à établir une relation d’efficience, mais supprimer la décision consciente, il n’y a plus d’actes tel que celui décidé.

hokousai

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Messagepar sescho » 24 nov. 2008, 23:12

Bruno31415 a écrit :J'ai du mal à comprendre que l'homme puisse avoir une nature propre. Si j'ai bien compris, l'homme est un mode de la Nature-Dieu et Spinoza dit qu'il n'est pas "un empire dans un empire". Ainsi, comment peut-il avoir une "nature propre" : n'y a-t-il pas identification entre sa nature et la Nature ?

Dire qu'un mode est bien un mode, c'est-à-dire qu'il n'est pas concevable en soi mais seulement comme manifestation de la Nature, cela ne veut pas dire qu'il n'a pas de nature déterminée (ce qui serait stupide.) Toute chose finie est quelque chose à tout moment, c'est une lapalissade. S'il me semble acquis que dans le principe toute chose change perpétuellement de nature (autrement dit, n'incarne jamais exactement la même essence), il ne s'agit pas d'un chaos perpétuel (de toute évidence.) Il y a du mouvement, mais il y a aussi du repos. Si l'on considère l'essence de genre (par exemple le fait d'appartenir à l'espèce humaine) il faut constater comme évidence qu'il y a des constantes suffisantes dans la durée pour pouvoir distinguer sensément une telle nature et en traiter. Ceci ne remet pas du tout en cause le fait qu'un mode est bien une manière d'être de la Nature, non-absolument permanente (et donc impermanente en principe) et non-absolument indépendante (et donc interdépendante en principe.) Reste, pour l'homme au moins, ce qu'elle peut actualiser et qui ne dépend strictement que de sa seule nature (qui est partie de la nature divine), et est alors éternel.

Bruno31415 a écrit :... Si la Nature est parfaite et que nous sommes un mode de la Nature, comment expliquer que nous ne soyons pas parfaits nous aussi ? La perfection du galop du cheval doit être adéquat à la perfection du cheval ? Sinon, cela voudrait dire que quelque chose "échappe" à la Nature-Dieu puisqu'elle admettrait, au sein de sa perfection, des éléments imparfaits (donc non identiques à elle) ?

Là il y a confusion entre deux acceptions nettement différentes de "parfait" utilisées par Spinoza.

La première n'utilise "parfait" que pour en anéantir un usage pervers : la Nature en elle-même ne saurait être dite imparfaite, et donc rien de réel ne peut l'être en soi. La Nature s'impose dans tous ses actes, ses manifestations, en tant qu'elle est toute puissance et ne peut être comparée à rien. Dans le même sens, elle ne devrait non plus être dite parfaite ; mais s'agissant de Dieu, l'être souverainement parfait, on accepte le terme comme expression de l'amor fati (l'amour de Dieu étant la même chose.)

La seconde utilise le terme dans un sens relatif (qui équivaut à "puissance" ou "bien") : c'est de dire que si l'on considère que la nature d'un mode lui autorise un certain potentiel de puissance, il peut être dit plus ou moins parfait suivant le degré réel d'actualisation. Une variante dans la même acception, c'est de dire qu'un étant est d'autant plus parfait qu'il s'approche plus de la nature de Dieu prise dans toute sa puissance, autrement dit qu'il actualise plus de l'étendue de puissance de Dieu (de la Nature) qu'un autre étant.

Par exemple, si j'ai une dent infectée, du point de vue de la Nature c'est parfait, comme tout autre fait. En revanche, par rapport à ma puissance propre - ou celle de ma dent -, c'est moins parfait que la même dent soignée, ou que la dent d'à-côté qui est saine.

Bruno31415 a écrit :Quelle différence faites-vous, ici, entre illusion et ignorance ?

Je dirais qu'une ignorance est plus neutre qu'une illusion : c'est de pas savoir quelque chose. Une illusion c'est d'attribuer faussement une nature précise. L'illusion naît de l'ignorance mais ne s'y résume pas.

Sur le reste je dirais que ce qui est signifié c'est que l'illusion - involontaire - montre qu'il y a, de par notre état de mode singulier confronté à d'autres modes singuliers, un défaut inhérent à notre perception spontanée, qui n'inclut pas la perception claire de l'ordre de la Nature, et donc de la primauté de la substance dans l'ordre ontologique. C'est cela que Spinoza signifie en disant qu'on n'a pas de Dieu une idée aussi claire que les notions communes, ou que l'existence de Dieu n'est pas aussi évidente que celle des choses singulières, etc. L'illusion n'est pas un simple défaut de connaissance, mais une fausse connaissance (le premier genre, qui pour être un défaut de connaissance est en même temps défaut d'intégrité de la connaissance, et donc confusion.)


Serge
Modifié en dernier par sescho le 25 nov. 2008, 21:01, modifié 1 fois.
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Messagepar Sinusix » 25 nov. 2008, 15:50

hokousai a écrit :A sinusix

vous parlez en 3(ci dessous ) des actes coordonnés et réfléchis qui remontent
il n’y a pas de 4
3/ les actes coordonnés et réfléchis qui remontent au niveau de la conscience (et dans ce cas, éventuellement, avec décalage temporel faisant néanmoins primer l'action à la conscience de l'avoir commandée, selon la théorie controversée de Benjamin Libet).


Je parlerais en 4 des actes effectués après une décision consciente. Ce qui est ce dont parle Spinoza.
hokousai

Bonjour hokousai,
Je m'aperçois qu'ayant été trop succinct, je n'ai pas été clair. En fait, mon 3 est partiellement votre 4. J'ai simplement voulu signifier que (raison de la parenthèse), selon un des courants existant parmi les nombreux neurophysiciens privilégiant le monisme spinoziste, lequel s'appuie sur les expériences de Benjamen Libet (décalage entre le déclenchement du potentiel primaire, antérieur de 0,2 millisecondes à la décision consciente), les actes relevant de nos décisions conscientes ont en fait été déclenchés légèrement avant la décision consciente, phénomène qui, sur les schémas attachés à ces expériences, révèle deux chemins "parallèles" la causalité dans la pensée et la causalité dans le fonctionnement moteur. Bien entendu, et vous avez raison, l'action effectuée correspond bien à l'action voulue et pensée (mais le décalage temporel mis à jour semble montrer que l'accès à la conscience de la commande : je lève le bras, est légèrement postérieur au lancement effectif de l'opération par la partie "inconsciente" profonds du cerveau.
Il ne s'agit donc pas de prétendre qu'il n'y a pas de décision consciente, mais de prétendre que l'extraction du processus faite vers la consciente est une duplication (une image) du processus psychophysique qui s'effectue parallèlement.
Amicalement

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Messagepar hokousai » 25 nov. 2008, 21:43

A Sinusix

Je ne vous parle pas de l’exécution de l’acte ( problème débattu du temps de Maine de Biran )
Décider d’ouvrir ma main après que j’ai compté jusqu’à 5 ( par exemple demain à midi ) ne me parait pas être ce dont vous parlez .

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Messagepar Bruno31415 » 29 nov. 2008, 00:34

Bonjour,

Merci beaucoup, Serge, pour tes réponses toujours très intéressantes et instructives.

Je voudrais revenir sur ton dernier post.

sescho a écrit :
Bruno31415 a écrit :... Si la Nature est parfaite et que nous sommes un mode de la Nature, comment expliquer que nous ne soyons pas parfaits nous aussi ? La perfection du galop du cheval doit être adéquat à la perfection du cheval ? Sinon, cela voudrait dire que quelque chose "échappe" à la Nature-Dieu puisqu'elle admettrait, au sein de sa perfection, des éléments imparfaits (donc non identiques à elle) ?

Là il y a confusion entre deux acceptions nettement différentes de "parfait" utilisées par Spinoza.



sescho a écrit :La première n'utilise "parfait" que pour en anéantir un usage pervers : la Nature en elle-même ne saurait être dite imparfaite, et donc rien de réel ne peut l'être en soi. La Nature s'impose dans tous ses actes, ses manifestations, en tant qu'elle est toute puissance et ne peut être comparée à rien.


Jusqu'ici, j'ai bien compris : pour reprendre la fameuse définition de E2D6 : "Par réalité et perfection, j'entends la même chose", la Nature étant la réalité ultime (rien n'est transcendant à elle), la Nature est ainsi parfaite.

sescho a écrit :Dans le même sens, elle ne devrait non plus être dite parfaite ; mais s'agissant de Dieu, l'être souverainement parfait, on accepte le terme comme expression de l'amor fati (l'amour de Dieu étant la même chose.)


Ici, je ne comprends pas la nuance que tu as voulu introduire (passage surligné en gras par moi). Je ne comprends pas l'articulation entre : "Dans le même sens" et : "elle ne derait (pas) non plus être dite parfaite"... Je vois, à mon niveau, une contradiction avec ce que tu as écrit plus haut, à savoir que la Nature est parfaite. Pourquoi ne peut-elle pas être dite parfaite ?


sescho a écrit :La seconde utilise le terme dans un sens relatif (qui équivaut à "puissance" ou "bien") [...]

Par exemple, si j'ai une dent infectée, du point de vue de la Nature c'est parfait, comme tout autre fait. En revanche, par rapport à ma puissance propre - ou celle de ma dent -, c'est moins parfait que la même dent soignée, ou que la dent d'à-côté qui est saine.


Merci pour cet exemple qui m'a bien éclairci. Cependant, que dirais-tu de la personne qui a une dent cariée et qui refuse de se faire soigner ? Autrement dit, comment est-il possible que, lorsque nous constatons notre imperfection (par rapport à notre puissance propre), il se peut parfois que nous ne désirons pas aller vers plus de perfection ?

Connais-tu " les carnets du sous-sol" de Dostoïevski ? Cela commence ainsi :

"Je suis un homme malade... Je suis un homme méchant. Un homme repoussoir, voilà ce que je suis. Je crois que j'ai quelque chose au foie. [...] Je ne me soigne pas, je ne me suis jamais soigné [...] Oui, c'est par méchanceté que je ne me soigne pas. J'ai mal au foie. Tant mieux, qu'il me fasse encore plus mal ! " (chapitre 1, ed. Babel, trad. A. Markowicz)

--> Comment expliques-tu, dans une perspective spinoziste, le comportement de ce personnage ?

---

Sinon, je voudrais revenir sur le problème de la liberté et du déterminisme. J'ai relu les messages postés sur ce sujet, ainsi que les articles proposés dans la somme spinoziste et, j'aurais à présent tendance à penser ceci :

Certes, tout est déterminé, mais nous-même sommes des déterminants. C'est donc en prenant conscience du fait que nous pouvons nous-mêmes être "cause" (et pas seulement effet passif de causes) des événements que nous pouvons nous dire libres. Nous exprimons ainsi notre liberté, non pas d'un lieu hors du monde (ce serait le libre-arbitre), mais à l'intérieur même d'un enchainement de causes dont nous faisons entièrement partie.

Est-ce que cette formulation est à peu-près juste ? (j'avance pas à pas).

Reste un problème : supposons que je décide de soigner ma dent malade, je serai ainsi cause de ma guérison. Mais cette décision fait elle-même partie d'un enchainement de causes : est-ce que cet enchainement de causes qui a conduit à ma prise de décision de me faire soigner n'annule pas la liberté dont je pense avoir fait preuve en décidant d'aller chez le dentiste ?

A bientôt,
Bruno.

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Messagepar sescho » 29 nov. 2008, 16:27

Bonjour Bruno,

Bruno31415 a écrit :... je ne comprends pas la nuance que tu as voulu introduire (passage surligné en gras par moi). Je ne comprends pas l'articulation entre : "Dans le même sens" et : "elle ne devrait (pas) non plus être dite parfaite"... Je vois, à mon niveau, une contradiction avec ce que tu as écrit plus haut, à savoir que la Nature est parfaite. Pourquoi ne peut-elle pas être dite parfaite ?

C'est un détail : normalement "imparfait" est une notion relative, qui s'oppose (et s'associe) à "parfait" (ce qui est le cas pour la seconde acception.) Donc quelque chose qui ne saurait être dit imparfait, ne saurait non plus être dit "parfait" de ce point de vue. Toutefois, on peut garder le terme (même si cela a un petit parfum d'anthropomorphisation) comme expression de l'amor fati, comme je l'ai dit ; c'est ce qui fait dire aussi que Dieu est un être parfait.

Bruno31415 a écrit :Cependant, que dirais-tu de la personne qui a une dent cariée et qui refuse de se faire soigner ? Autrement dit, comment est-il possible que, lorsque nous constatons notre imperfection (par rapport à notre puissance propre), il se peut parfois que nous ne désirons pas aller vers plus de perfection ?

Nous désirons toujours aller vers plus de perfection ; sauf peut-être à être dans la perfection même (mais qui n'est pas pour autant statique.) Celui qui ne se soigne pas quoique le pouvant a forcément une idée (inadéquate) qui lui indique qu'il y a plus de puissance à faire ainsi (besoin de personne d'autre, cette société m'emm..., pas de dépense pour cela, pas le courage, je veux que mon corps lutte par lui-même, etc.)

Évidemment si nous pouvions juger sans faille de ce qui fait notre puissance, il n'y aurait aucune impuissance, et donc aucune éthique. Mais ce n'est pas le cas : la puissance se constate et ne s'imagine pas. Le désir d'imaginer ce qui accroît la puissance du corps et de l'âme, ou de repousser ou détruire ce qui s'y oppose (E3P12-13-54) est avant tout le moteur de la servitude.

Bruno31415 a écrit :Certes, tout est déterminé, mais nous-même sommes des déterminants. C'est donc en prenant conscience du fait que nous pouvons nous-mêmes être "cause" (et pas seulement effet passif de causes) des événements que nous pouvons nous dire libres. Nous exprimons ainsi notre liberté, non pas d'un lieu hors du monde (ce serait le libre-arbitre), mais à l'intérieur même d'un enchainement de causes dont nous faisons entièrement partie.

Nous sommes à la fois déterminés et déterminants puisqu'il n'y a rien de quoi ne s'ensuive quelque effet. De ce fait, nous sommes toujours cause de quelque chose et ne pouvons donc pas être dits libres en tant que nous sommes cause, mais seulement en tant que nous sommes cause adéquate, c'est-à-dire cause d'un effet qui se comprend par notre nature prise seule (l'Entendement au sens restreint.) Sinon nous ne sommes que cause partielle. Dans le "je suis cause", ce qui est en question ce n'est pas tant "cause" que "je."

Bruno31415 a écrit :Reste un problème : supposons que je décide de soigner ma dent malade, je serai ainsi cause de ma guérison. Mais cette décision fait elle-même partie d'un enchainement de causes : est-ce que cet enchainement de causes qui a conduit à ma prise de décision de me faire soigner n'annule pas la liberté dont je pense avoir fait preuve en décidant d'aller chez le dentiste ?

Hum ! Toujours quelque difficulté à associer liberté et détermination, semble-t-il... ;-) Ce qui est fallacieux, et indéfendable, c'est cette idée "spontanée" de liberté indéterminée, de liberté par indétermination, que la liberté serait à opposer à la détermination. Cette idée "évidente" est en fait irréfléchie et ne supporte pas l'examen. La liberté ne peut en fait se concevoir clairement que dans la détermination.

Je ne suis aucunement libre en tant que cause propre (cause de soi) de mes actes. Il n'y a rien de tel. Seul Dieu - la Nature est cause libre. Je suis libre en tant que j'exprime des idées claires et distinctes, qui sont entières, intègres, dans la nature même de Dieu (et à ce titre, libres comme Dieu même, mais plus alors en tant que chose singulière vue comme en propre dans sa singularité, mais en tant que mode de Dieu, ce qui est en réalité une vue très différente de la même chose.) L'exemple de la dent n'est sans doute pas parfait de ce point de vue, car comprenant des déterminants extérieurs. C'est en fait dans la compréhension même de la détermination que ma puissance réside pour l'essentiel. Mais lorsque j'ai conscience de ce qui fait ma puissance, c'est-à-dire la puissance exprimée par le mode de Dieu que je suis, compris dans son essence propre, la raison m'indique ce qu'il convient de faire pour tenter au mieux de remédier à une attaque extérieure.

Encore une fois, la liberté ce n'est pas d'agir comme cause de soi (c'est impossible) mais d'agir d'une façon qui se comprend par mon essence propre, autrement dit en n'étant pas déterminé à agir, ne serait-ce que partiellement, par une chose extérieure. Lorsque j'exprime la logique, j'ai un sentiment de liberté, tout en étant le plus clairement du monde déterminé.

Serge
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Messagepar Bruno31415 » 30 nov. 2008, 00:29

Bonsoir,

Merci pour ta réponse, Serge. Effectivement, j'ai encore bien du mal avec cette notion de liberté... En fait, le problème c'est que je n'arrive pas à concevoir la liberté autrement que comme expression d'un libre arbitre. Je n'arrive donc pas à saisir la subtilité du spinozisme. Mais bon, je persévère dans mon effort pour comprendre ! :)

Pour moi, résultat sans doute de mon éducation, liberté = libre arbitre. Ainsi, si on me dit que je vis dans un monde totalement déterministe, je vais penser automatiquement que je n'ai aucune liberté. Et, de là, plein de questions du genre : si un homme tue un autre homme, il pourra dire que ce n'est pas le fait de sa libre volonté puisque, d'après Spinoza cette volonté est une illusion, tout est déterminé et donc qu'il serait injuste qu'il soit jugé et condamné, etc.

Voilà une illustration de mon "malaise" face à cette question : quand tu donnes l'exemple de la logique, j'avoue que je ne ressens pas la liberté que tu décris. Prenons un théorème simple, par exemple le fait qu'une suite monotone et bornée est convergente. Quand je le démontre, je ne me sens absolument pas libre, au contraire, je me sens contraint par l'argumentation, comme si j'avais des chaînes... Ainsi, faute de le sentir, je ne comprends pas très bien quand tu dis ressentir un sentiment de liberté dans le cadre d'une application logique. Quel est le genre particulier de "liberté" que tu ressens en démontrant un tel théorème ?

Autre façon de poser le problème : toujours en prenant l'exemple de cette démonstration, je me demande "où je suis", "où j'interviens", moi, dans le déroulement de la démonstration. Quelqu'un d'autre pourrait aussi bien la faire et, même, elle est vraie sans que personne ne l'énonce. Ainsi, je ne me retrouve nulle part dans un monde totalement déterministe, je veux dire "moi", en tant qu'être autonome et séparé.

--

Je profite de ce message pour poser une question à propos d'un terme que tu as employé dans un autre post et que j'ai lu ici ou là : qu'est-ce que veut dire exactement : "notions communes" ?

A+,
Bruno.


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