La liberté - le déterminisme

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Durtal
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Messagepar Durtal » 30 nov. 2008, 14:50

Bruno31415 a écrit :Voilà une illustration de mon "malaise" face à cette question : quand tu donnes l'exemple de la logique, j'avoue que je ne ressens pas la liberté que tu décris. Prenons un théorème simple, par exemple le fait qu'une suite monotone et bornée est convergente. Quand je le démontre, je ne me sens absolument pas libre, au contraire, je me sens contraint par l'argumentation, comme si j'avais des chaînes... Ainsi, faute de le sentir, je ne comprends pas très bien quand tu dis ressentir un sentiment de liberté dans le cadre d'une application logique. Quel est le genre particulier de "liberté" que tu ressens en démontrant un tel théorème ?


Salut, je m'incruste dans la discussion. Ton illustration est bonne Bruno, mais tu assimiles toujours trop vite les concepts de "détermination" et de "contrainte". "Etre déterminé" ne veut pas (toujours ni forcément ) dire "être contraint".

La liberté de Dieu par exemple est une liberté absolument déterminée mais elle n'est contrainte par rien. Cela veut dire qu'elle n'est déterminée que par soi même. Spinoza parle en ce sens, et contre Descartes, dans une lettre à Schuller de "libre nécessité".

Pour reprendre plus spécifiquement ton illustration les règles de la logique ne "contraignent" pas ton entendement à démontrer correctement un théorème , en revanche elles sont ce qui exprime la nature de ton entendement, et donc lorsque tu démontres, tu ne fais que suivre les lois de ta propre nature, pour autant que celle ci s'exprime en un entendement (cad une puissance de comprendre la réalité). L'alternative n'est pas entre absence de détermination et contrainte mais entre détermination du "dehors" (cela est la contrainte) et détermination du "dedans" (cela est liberté).

Tu demandes où tu interviens quand tu démontres un théorème: je réponds partout, du début à la fin puisque c'est TOI qui le démontres, c'est toi l'AUTEUR de cette action. La situation n'est pas la même que si par exemple, quelqu'un d'autre guide ta main sur le papier, pour écrire des choses valides mais auxquelles tu ne comprends rien. Dans un cas de ce genre tu "démontres" le théorème sous la contrainte (en fait tu ne démontres rien). Ou si tu préfères , parce que cet exemple est invraisemblable, si tu répètes correctement une démonstration apprise par cœur mais à laquelle tu ne comprends rien. Et on ne peut pas dire que c'est toi l'AUTEUR de l'opération que tu viens d'effectuer, c'est quelque chose d'autre qui t'as fait agir comme tu as agi.

Si on se dégage de la notion de la liberté conçue comme libre arbitre de la volonté, il reste une notion que je crois parfaitement consistante de la liberté (qui du reste est beaucoup plus proche EN FAIT de notre idée intuitive de liberté) et qui consiste à agir le moins possible sous la pression ou sous la contrainte de forces externes, et corrélativement en faisant ce que notre force interne et propre nous permet de faire.

D.
Modifié en dernier par Durtal le 05 déc. 2008, 21:33, modifié 2 fois.

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sescho
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Messagepar sescho » 30 nov. 2008, 17:30

Bruno31415 a écrit :... si un homme tue un autre homme, il pourra dire que ce n'est pas le fait de sa libre volonté puisque, d'après Spinoza cette volonté est une illusion, tout est déterminé et donc qu'il serait injuste qu'il soit jugé et condamné, etc.

C'est l'objection classique. Spinoza y répond on ne peut plus clairement dans les lettres, en particulier à Oldenburg, Blyenbergh et Osten, en réponse à Velthuysen. Zénon de Kition y répondait déjà : au serviteur voleur qui devait être fouetté : Comme ce dernier disait : « C’est mon destin de voler », il dit : « Et d’être fouetté. »

L'absence de libre-arbitre n'exclut pas la sanction, ou la mise à l'écart. Je dirais même qu'elle n'interdit pas la peine de mort. On peut dire en revanche qu'elle exclut l'esprit de vengeance, et toute forme d'accusation basée précisément sur la croyance au libre-arbitre.

Bruno31415 a écrit :Voilà une illustration de mon "malaise" face à cette question : quand tu donnes l'exemple de la logique, j'avoue que je ne ressens pas la liberté que tu décris....

Disons au lieu d'un théorème : un jeu quelconque de logique, la résolution d'une énigme, une déduction fine dans l'analyse d'une situation, etc. Oui je trouve qu'il y a une sensation de puissance dans la liberté dans ces exercices (c'est pourquoi j'ai ajouté au début : avec une certaine aisance ; j'ajoute : avec une certaine spontanéité - autrement dit : pas contraint par un devoir scolaire extérieurement imposé, par exemple ...) Mais ceci n'est qu'un exemple : il peut s'agir de comprendre comment quelque chose fonctionne, de le réparer, de le maîtriser. Il peut s'agir d'exprimer un talent artistique ou autre (mais la joie n'est pure que quand l'acte est pur ; d'autant moins qu'y intervient l'orgueil, par exemple.)

Bruno31415 a écrit :Autre façon de poser le problème : toujours en prenant l'exemple de cette démonstration, je me demande "où je suis", "où j'interviens", moi, dans le déroulement de la démonstration. Quelqu'un d'autre pourrait aussi bien la faire et, même, elle est vraie sans que personne ne l'énonce. Ainsi, je ne me retrouve nulle part dans un monde totalement déterministe, je veux dire "moi", en tant qu'être autonome et séparé.

Mais tu n'es pas un être autonome - ou plutôt indépendant - et séparé. Néanmoins, lorsque tu exprimes de la puissance pure tu atteins la liberté de Dieu même, qui est à lui-même sa propre détermination, libre de toute autre détermination. Ce qui pose problème c'est la croyance au libre-arbitre, pas le fait d'être déterminé. Car il n'y a pas de puissance supérieure à celle de Dieu.

C'est en croyant au libre-arbitre que tu es comme tout le monde : à se croire unique, en soi, on est en fait balloté par les évènements, la relation à autrui, la réputation, les craintes et les espoirs divers... C'est le lot commun : celui d'une grande confusion. Ce qui est rare, très rare, c'est de savoir qu'on est non en soi mais en Dieu, manifestation de cet être pur et puissant tout à l'opposé du petit moi imaginaire ; là est la seule véritable puissance.

Bruno31415 a écrit :... que veut dire exactement : "notions communes" ?

Au sens strict : les axiomes admis par tout le monde, ou presque (soit les bases universelles du raisonnement, elles-mêmes non démontrées et admises spontanément et clairement comme des assertions - lois - vraies.) Au sens large 1 : tous les axiomes de Spinoza (le fait qu'ils soient admis par tout le monde ou non est très secondaire du point de vue de Spinoza.) Au sens large 2 : il faut y associer les termes utilisés dans les axiomes et définitions et eux-mêmes non définis.


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hokousai
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Messagepar hokousai » 30 nov. 2008, 22:42

"
"""""Ce qui est rare, très rare, c'est de savoir qu'on est non en soi mais en Dieu, manifestation de cet être pur et puissant tout à l'opposé du petit moi imaginaire ; là est la seule véritable puissance. """"""


Il y en beaucoup qui considèrent votre manière de voir comme l'image de l' absolue impuissance .
Vous avez une perspective sur le monde qui contrarie la compréhension la plus commune ne pas vous étonner quelle soit rare , sa rareté n’étant pas un argument en faveur de sa pertinence .
D’aucun estimerons que ce Dieu est imaginaire alors que le sentiment du moi est celui d’un objet très réel .Dommage pour vous qu’ils en retirent une grande satisfaction.. Ceux qui croient libres ne sont pas moins joyeux que ceux qui se croient déterminés .Savoir même s’ils ne sont pas plus joyeux .

De mon point de vue la nature n’a aucune puissance et seulement une existence en acte nécessaire (évidemment nécessaire sinon elle serait autre).

Ainsi aucune puissance ne surplombe le petit moi ( puissance : ni au sens de la force ni au sens de l’en -puissance ie du possible ) Les choses arrivent tout naturellement et comme on dit sans efforts.

Ce n’est pas le cas de l’homme et c’est bien son problème que celui d’une conscience de l’effort obligé.
L’homme se croit libre parce qu’il est obligé de faire des efforts (ce qui n’a pas véritablement à voir avec la connaissance des causes de l’activité ).Il se croit libre et obligé en même temps ,mais pas l’un ou l’autre ..

bref

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Louisa
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Messagepar Louisa » 01 déc. 2008, 05:12

Bruno a écrit :Première remarque :

J'ai une autre lecture que toi, Louisa, concernant les causes de l'engouement de cet homme pour cette femme qu'il trouve belle. Tu parles d'une recherche de gloire (il anticipe de la présenter à ses parents, ses amis, etc.). En me situant à un niveau plus basique et plus vulgaire, j'aurais envie de me placer dans l'hypothèse où l'homme en question ne cherche qu'à posséder physiquement cette femme, sans se soucier aucunement de ce qu'en pensent les autres. Pour le dire crûment : il la trouve belle et il la veut dans son lit, point. Mais que cache ce désir ? Je dirais qu'il cherche à assouvir un appétit sexuel et, au-delà de cela, peut-être, s'assurer de sa virilité, de son pouvoir de séduction, etc. J'aimerais, dans ce cadre de lecture, savoir quelle critique de cette recherche de confiance en soi on pourrait faire, de manière analogue à la critique de la gloire que tu proposes ?


Bonjour Bruno,

désolée de cette réponse un peu tardive. Voici donc une tentative de formuler ce que j'en pense pour l'instant (c'est-à-dire, ce que je pense qu'on peut déduire du spinozisme).

D'abord je dirais que si tu dis "il la trouve belle et la veut dans son lit, point", je crois que là tu parles déjà d'un désir tout à fait précis, et différent de désirs tels que s'assurer de sa virilité (1), de son pouvoir de séduction (2) etc. (3, 4,...). Bien sûr, tous ces désirs peuvent se produire à la fois, mais comme ils sont différents, il faudra un "remède" spécifique pour chacun d'entre eux.

On peut éventuellement reprendre tous ces désirs et donner à l'ensemble l'étiquette "confiance en soi". Mais je crois que d'un point de vue spinoziste, cela n'est pas très "efficace". Comme Spinoza le dit dans le TIE (rappelé récemment par Enegoid dans un autre fil): plus on va vers le singulier, plus on s'approche du réel. Et subir une passion, cela provoque une souffrance bien réelle, donc mieux vaut essayer de l'attaquer dans sa singularité même (mais comme tu l'auras peut-être déjà compris, cela se discute, bien sûr, je ne fais que te donner le résultat de ma lecture actuelle à moi; toute critique est la bienvenue!!).

Commençons donc par le premier désir: il la trouve belle, il la veut dans son lit. Quoi de plus "normal", on dirait? Or si c'est normal, cela doit avoir une cause, cause qui explique que cela se produit si fréquemment. Quelle en est donc la cause? La réponse est différente selon le philosophe qu'on lit. Pour beaucoup de philosophes chrétiens, la cause de ce désir, c'est le côté "animal" de l'homme. Les "animaux" seraient alors ceux qui quand ils trouvent quelqu'un du sexe opposé "beau", ils veulent "par instinct" copuler avec elle/lui. Entre-temps on sait que dans le monde animal, les choses sont beaucoup plus compliquées que cela, il n'en demeure pas moins que cette idée est toujours bien présente chez de nombreux Occidentaux: la sexualité ne serait pas proprement "humaine", elle serait l'aspect "archaïque", "animal" de l'homme. D'un point de vue chrétien, cela signifie qu'elle est tout ce qui éloigne l'homme de Dieu, tout ce qui n'a rien à voir avec "l'homme créé à l'image de Dieu". C'est donc ce qui est à repousser, à mépriser, à craindre etc. Après mai '68, on a décidé de penser exactement l'inverse: la sexualité étant le côté "animal" de l'homme, elle serait ce qu'il y a de plus profond, de plus "vrai" en lui. Et c'est là qu'on a renforcé l'idée latente du christianisme: qu'être un homme, c'est avant tout savoir utiliser régulièrement ses parties génitales (idem en ce qui concerne la femme, même si l'idée est moins "acceptée"). Aujourd'hui, la socio-"biologie" se base sur la même hypothèse (idem en ce qui concerne la psychanalyse dans ses postulats de base).

Les autres désirs que tu mentionnes me semblent se déduire plus ou moins facilement de cette idée-là: si être un homme c'est avant tout pouvoir faire l'amour, alors on doit douter de sa virilité si on ne le fait pas sans cesse, on doit même douter de soi-même si on n'arrive pas à séduire la femme dont on a envie etc.

Mais est-ce qu'on est obligé de tenir cette idée de base pour vraie? Est-ce que faire l'amour pour un homme c'est quitter son humanité pour avoir accès à ce qui est animal en lui et à ce qui serait en même temps le plus archaïque et le plus "authentique" en lui? Si tu crois pouvoir prouver cette idée, je suis curieuse d'entendre les arguments qui pourraient en démontrer la vérité. En attendant, je crois qu'il s'agit, comme c'est le cas pour la majorité des idées humaines, d'idées, c'est-à-dire de façons de concevoir le monde que l'on reçoit du milieu social dans lequel on vit et que l'on ne remet pas en question simplement parce que personne ne les met en question. Mais ce n'est pas parce que personne (ou peu de gens qu'on connaît) la trouvent évidente qu'une idée est vraie, bien sûr.

Par conséquent, l'originalité d'un philosophe comme Spinoza, à mon sens, c'est qu'à ce sujet il propose une idée assez nouvelle et fort intéressante (voire assez révolutionnaire, si l'on se base sur l'opinion commune d'aujourd'hui): il n'y a pas de côté "animal" chez l'homme, au sens où il y aurait un aspect de lui qui ne serait pas humain. Tout est humain chez l'homme, y compris la sexualité. Même les clients réguliers des prostitué(e)s sont avant tout des hommes, et ont un comportement à 100% humain. Comment alors expliquer ce comportement?

Spinoza le fait (rapidement) en deux temps. D'abord il explique que ce qui touche certaines zones du corps humain est tel que cela occupe pendant quelques instant tout l'Esprit. Il s'agit bien sûr des parties dites "érogènes". En effet, entre-temps on sait qu'il y a beaucoup plus d'innervation dans ces zones qu'ailleurs, donc oui, le cerveau est fort stimulé lorsque ces zones sont touchées. Or c'est bien un cerveau humain qui est touché, et qui par conséquent va produire des effets proprements humains: c'est toute la dynamique de l'imagination humaine qui sera mis en branle. Tout le troisième (et le 4e) livre de l'Ethique en montre les mécanismes (on peut entrer plus en détail à ce sujet si tu souhaites l'approfondir).

Donc premier élément: ce qui touche certaines parties du Corps humain, occupe fort l'Esprit humain (parties érogènes). Deuxième élément: du fait même qu'il a longtemps regardé les bêtes en train de copuler, l'homme a eu souvent cette idée présente à l'Esprit, et s'est dit que c'est sans doute cela ce qu'on doit faire aussi, nous animaux humains. Il a donc imaginé que faire comme il voit faire les bêtes devrait être ce qui est le plus utile pour nous. Pour Spinoza, cela n'est qu'une idée imaginaire, et inadéquate. Car lorsqu'on étudie l'être humain, on constate que pour contrarier l'effet négatif des affects-passions, on a besoin d'affects-actions, qui eux justement se caractérisent par le fait qu'ils expriment toute notre puissance à nous, et pas juste le pouvoir de telle ou telle partie de nous. Autrement dit, que les plaisirs sexuels soient des plaisirs donc des Joies (c'est-à-dire des affects qui augmentent notre puissance) n'est pas du tout problématique, au contraire. Mais il se fait qu'ils n'augmentent pas notre puissance durablement (voir le fameux animal triste post coitum, ou ce qu'en français on appelle "la petite mort"), car non seulement ils se changent très facilement en Haine, mais ils ont aussi pour désavantage, comme tu l'as déjà signalé, d'occuper tout notre Esprit d'une telle façon qu'il ne peut plus être affecté d'autre chose, tandis que notre puissance singulière se mesure précisément au nombre de manières différentes dont on peut être affecté par le monde qui nous entoure.

Bref, Spinoza "déconstruit" résolument l'idée que la sexualité est ce qui définit l'essence même de l'homme, pour la remplacer par une idée beaucoup plus "terre à terre": si l'on s'imagine que la sexualité est l'essence même de l'homme, on va se concentrer sur un seul affect, sur une seule affection humaine possible, et par là même restreindre fortement sa puissance d'agir et de pensée. Cela n'est donc pas très utile. Il vaut mieux ne pas tout "miser" sur la sexualité, mais diversifier maximalement les façons dont le monde autour de nous peut nous affecter.

Ceci pour ce qui concerne le premier désir dont tu parlais. Quant au désir d'avoir confiance en soi: là la réponse spinoziste est fort différente. Il affirme sans aucune ambiguïté que la "satisfaction de soi" est le plus grand bonheur qu'on peut atteindre, en tant qu'homme. Autrement dit, avoir confiance en soi est l'essence même de l'éthique spinoziste. Comme il le dit: "En vérité, la Satisfaction de soi-même est ce que nous pouvons espérer de plus haut" (E4P52 scolie). Seulement, il s'agit de bien comprendre quel type de satisfaction de soi nous donne ce bonheur suprême. La plaisir sexuel? Pas vraiment, car il est très partiel et fort changeant. Bien sûr, lorsqu'on s'imagine que ce plaisir traduit notre essence même, on en tirera déjà un plaisir beaucoup plus profond. Il n'en demeure pas moins que pour Spinoza cette idée est imaginaire, et fausse. La vraie satisfaction de soi selon Spinoza naît de la "raison". Pourquoi? Parce que ce qui caractérise notre nature humaine, ce qui fait notre singularité en tant qu'homme en général, c'est n'est pas la sexualité, c'est la raison. C'est le fait de pouvoir comprendre quelque chose, et de pouvoir modifier son comportement en fonction de ce qu'on a compris. C'est pour ça que l'homme est le seul animal capable d'aller sur la lune, capable de détruire la planète etc. Se rendre compte du fait qu'on a compris quelque chose d'essentiel non seulement pour notre survie, mais surtout pour pouvoir atteindre le bonheur, voici en quoi consiste selon Spinoza notre suprême bonheur. Alors bon, il est évident qu'on a compris quelque chose lorsqu'on arrive à séduire une femme. Mais qu'est-ce qu'on a compris plus précisément ... ? Souvent c'est très difficile à dire. Est-ce que cela va marcher aussi avec la femme suivante? on l'espère, mais cela n'est jamais sûr. Tandis qu'avoir compris que si on change de boulot pour gagner moins mais faire ce qui nous passionne dans la vie, on sera plus heureux au sens profond du terme, là on éprouve une Joie tout à fait différente, et fort utile à notre béatitude et à notre liberté. De même, avoir compris quelque chose de telle ou telle femme avec laquelle on a envie de partager sa vie entière, cela donne une Joie beaucoup plus profonde et durable que de juste avoir réussi à séduire la femme qu'on désire à tel ou tel moment, et constater qu'on est capable de le faire.

Donc oui, chercher une confiance en soi c'est ce que pour le spinozisme aussi tout homme est déterminé à faire. Mais certains moyens sont beaucoup plus efficaces pour atteindre ce but que d'autres. Vérifier si l'on peut avoir telle ou telle femme dans son lit, c'est pas mal, bien sûr. Cela dit bien quelque chose de notre puissance singulière à nous (car après tout, c'est pas tel ou tel collègue qui y a réussi, mais moi). Seulement, cela ne va pas encore très loin. Une femme qui se laisse séduire ainsi le lendemain se laissera peut-être séduire par un autre, et on aura de nouveau l'impression de ne pas être très "viril", d'être déconnecté de son "animalité" et donc de son "vrai soi" etc. Bref, cela ne peut jamais donner un bonheur durable, sur lequel on peut construire plein de choses. Raison pour laquelle il vaut mieux ne pas laisser dépendre sa confiance en soi de ce genre de choses uniquement.

Bruno a écrit :Deuxième remarque :

Louisa a écrit :A partir de ce moment-là, on peut se demander dans quelle mesure cette Car en effet, réussir à séduire cette femme finalement ne dépend pas seulement de nos capacités à nous, mais en grande partie aussi du hasard.

Or cela signifie que le fait même que cette femme ressentira la même passion pour nous ou non, dépend en partie de ce que "la rencontre fortuite avec la nature" lui a fait aimer.


Je suis surpris que tu emploies le terme hasard : est-ce que le hasard a une place dans le déterminisme spinoziste ?


oui certainement. Si j'ai mis "la rencontre fortuite avec la nature" entre guillemets, c'est parce l'expression vient de Spinoza lui-même. Seulement, tout comme pour la liberté, le mot "hasard" acquiert un autre sens dans un système déterministe que dans un système non déterministe. Pour Spinoza, enchaîner des idées selon nos "rencontres fortuites de la nature", cela s'oppose à les enchaîner selon un "ordre pour l'intellect". En effet, si par exemple tu es le fils d'une mère qui a des yeux bleus, un petit côté masochiste, et des cheveux noirs, cela aura crée des "associations d'images" et d'imaginations dans ton Corps et Esprit telles que (supposons un instant qu'elle était aussi une mère qui aimait son fils) lorsque tu rencontres une jeune femme qui a des yeux bleus, cheveux noirs et un côté "moi je me sacrifie pour ceux que j'aime", tu as toutes chances d'être séduit. Mais dans ce cas, ce qui va te séduire n'est que le résultat d'un enchaînement d'idées sans aucun ordre pour la raison. Il se fait que, indépendamment de ta volonté (et de ce qui est utile pour toi), tu avais une mère qui était telle, et tu vas te sentir attiré vers des femmes semblables (ou parfois, selon les cas, vers des femmes qui sont exactement l'inverse). Autrement dit, que tu es séduit par une jeune femme semblable ne relève pas de ta "raison" à toi, n'a rien à voir avec ce qui est réellement utile pour toi. Tandis qu'une femme qui partage certaines de tes passions (au sens de "centres d'intérêt"), qui en plus partage en gros ta vision de comment organiser sa vie et de comment éduquer des enfants (si vous voulez tous les deux des enfants) et de comment faire l'amour etc. pourra sans doute te donner une vie beaucoup plus heureuse et épanouie que celle qui partage "par hasard" quelques caractéristiques avec les femmes que tu aimes déjà, mais qui pour le reste éventuellement est fort différente de toi, même si de prime abord elle frappe ton imagination beaucoup plus fortement.

Autrement dit, le "hasard" et le "possible" ou le "contingent" ont toujours une place dans un système déterminé, mais acquièrent un autre sens. Un enchaînement d'idées "par hasard", c'est un enchaînement qui a été causée par les rencontres faites avec le monde extérieur (qui lui ne se soucie guère de ton bonheur singulier à toi), et s'oppose à un enchaînement "rationnel". Le possible ou le contingent, c'est ce dont on ne sait pas encore s'il va se produire ou non, c'est-à-dire ce dont on ignore les causes réelles ou dont on ne sait pas si celles-ci vont se produire, dans le futur, ou non.

Bruno a écrit :Liberté et déterminisme.

J'en viens à présent, à nouveau, au problème du déterminisme et de la liberté.

J'avoue que c'est toujours aussi obscur pour moi. Quelque part, j'ai l'impression que Spinoza c'est un peu "la physique quantique" de la philosophie , dans la mesure où il bouleverse le sens des notions que nous tenions pour évidentes et communes. De même que la physique qantique bouleverse nos conceptions du réel, Spinoza bouleverse notre conception de la liberté et de quantité d'autres concepts.


je crois qu'ici tu touches à quelque chose de tout à fait fondamental. Pour Platon, père fondateur de la philosophie, celle-ci avait pour but premier de bouleverser nos conceptions du réel. Et cela non pas juste pour nous embêter un peu (l'image caricaturale que l'on garde trop souvent de Socrate, Socrate la "torpille"), mais parce que ces conceptions souvent ne sont fondées que sur l'habitude, et pas du tout sur des preuves solides de leur vérité. En ce sens, prendre un grand philosophe au sérieux c'est toujours accepter un "dépaysement" conceptuel assez absolu. C'est accepter de s'interroger soi-même et d'admettre que le seul fondement de beaucoup de nos idées, c'est simplement le sentiment d'évidence qui les accompagne. C'est accepter aussi que ce sentiment ne se fonde que sur le fait que cette idée soit ressentie comme étant évidente par la culture dans laquelle on vit, etc. Bref, elle nous a été "inculquée", et sans savoir pourquoi, on la trouve "vraie", on s'y est attaché, on a orienté sa vie sur base d'elle. Or il se fait que cela ne suffit pas du tout pour déjà être vrai. Les sciences nous le montrent régulièrement: plein de nos idées reçues sont carrément fausses (par exemple l'idée que le soleil tourne autour de la terre).

Bien sûr, si aujourd'hui on lit Kant, on peut avoir beaucoup moins ce sentiment de bouleversement. Mais à mon sens cela prouve uniquement que l'opinion commune aujourd'hui dans l'Occident est fort kantienne. Cela ne dit rien par rapport à la vérité de celle-ci.

Et c'est peut-être aussi une des raisons pour laquelle tu as des difficultés avec les réponses de Sescho et de Durtal à tes questions: car à quelques nuances (plus ou moins importantes) près je crois qu'elles traduisent assez bien le point de vue spinoziste à ce sujet, mais bien sûr, jamais ils pourront te donner l'argument décisif qui prouvera qu'il n'y a pas de libre arbitre et qu'il faut commencer à concevoir la liberté autrement. C'est qu'aussi bien le libre arbitre qu'une liberté conçue comme être cause adéquate de soi, ce ne sont que des idées, pas du tout des vérités scientifiquement prouvées donc pour un certain temps tout à fait solides. Jamais ils ne pourront te donner une telle "preuve". Hokousai pourra toujours répondre que lui il oriente sa vie sur la notion du libre arbitre et que puisque cette idée reçue est évidente pour lui, il ne voit pas pourquoi l'abandonner. Il aura toujours autant "raison" que Sescho et Durtal et Spinoza. Seulement, l'"enjeu" de la philosophie, à mon sens, n'est pas là. L'enjeu consiste à prendre conscience du fait que trouver telle ou telle idée évidente n'est aucunement une preuve de sa vérité, et à voir ce que cela donne concrètement, dans sa vie quotienne, que de concevoir pendant quelque temps la liberté autrement. Sans ce genre d'exercice "pratique", je ne vois pas à quoi pourrait servir la philosophie, puisque justement, personne n'est capable de véritablement démontrer l'absence ou la présence du libre arbitre chez l'homme. Plus même, je crois que c'est très intéressant de construire une vie humaine sur l'idée du libre arbitre. Seulement, cela donnera une autre vie, et une autre société, que s'il on décide de se baser sur une autre conception de la liberté (spinoziste, leibnizien, stoïcien, etc.). La philosophie consiste à nous faire ressentir la possibilité de ce choix, afin de pouvoir choisir en toute connaissance de cause. Mais on ne peut le ressentir que si l'on est un instant prêt à suspendre ses propres évidences, pour "expérimenter" ce que serait un monde humain bâti, construit, sur d'autres idées, autres idées qui ne sont pas moins "vraies".

Bruno a écrit :Bon, voilà comment je vois à présent les choses.

Il existe la Nature (ou Dieu), et c'est la seule chose qui existe. Il n'y a rien en dehors d'elle (pas de transcendance) et il n'y a rien de plus ou de moins qu'elle : elle est la perfection (ou la réalité).


en effet, je crois que c'est cela le point de vue spinoziste.

Bruno a écrit :Il existe également l'homme. Mais, contrairement à la Nature qui est cause de soi, l'homme est un mode, c'est-à-dire une affection de la Nature, c'est-à-dire qu'il existe par elle : la Nature peut continuer à exister si on ôte l'homme mais pas l'inverse.


en effet. La preuve: demain tu meurs, le Mont-Blanc sera toujours là.

Bruno a écrit :L'homme peut avoir plus ou moins "d'être" suivant qu'il est en adéquation ou non avec la Nature. Par exemple, un homme qui connaît la joie a "plus d'être" qu'un homme affecté par la tristesse.

(- Ici, première question : au fond, si nous existons par la nature et que celle-ci contient le maximum d'être, comment se fait-il qu'il n'en soit pas de même pour nous ? Ou plus simplement : pourquoi arrive-t-il que nous soyons malheureux ? Je pose cette question sur un plan très général : qu'est-ce qui fait que nous ne sommes pas toujours en adéquation avec la Nature ? Le problème que je veux soulever c'est que si la Nature est parfaite et que nous ne le sommes pas, il me semble que des éléments échappent à la Nature qui font que nous ne sommes pas en adéquation avec elle. Je vois là un paradoxe : car si des choses échappent à la Nature, alors ces choses existent en dehors d'elle, ce qui est absurde.)


oui, le paradoxe que tu soulèves ici me semble être une réelle contradiction. Or qu'est-ce qui te fait penser que les modes pourraient ne pas être "en adéquation" avec la Nature? A mon avis, Spinoza jamais ne dit cela. Il dit bien plutôt que notre essence existe de toute éternité en Dieu. Nous sommes de toute éternité "du Dieu". Jamais il n'y a un écart entre Dieu et nous. La seule différence entre Dieu et nous, c'est que l'essence de Dieu n'est pas la même que l'essence d'un mode. Mais aussi bien l'essence que le mode sont divin, sont "du Dieu". C'est pourquoi en Dieu toute idée est adéquate: l'idée que nous sommes, l'essence objective que nous sommes, est toujours déjà adéquate en Dieu.

Puis Spinoza me semble être très explicite à ce sujet (voir la préface de l'E4, mais on peut en discuter si tu trouves que cela ne s'en déduit pas): non seulement l'essence de Dieu est toujours déjà parfaite, tout ce qui est divin l'est, et donc aussi les modes. Nous sommes donc parfait, et une partie de notre bonheur consiste à prendre conscience de cela (une autre partie consiste à prendre conscience du fait que tous les autres hommes, aussi le plus grand criminel, sont parfaits eux aussi ...). Sinon, comme tu le dis, ce serait absurde.

N'empêche qu'en effet, seule l'essence de la Nature a l'être maximal, et non pas les modes de la Nature. Pourquoi? Parce que dans le spinozisme, avoir l'être maximal, c'est avoir une essence qui n'est causé que par soi-même. Alors ça, cela ne vaut que pour l'essence de la Nature. Les modes ont une essence causée par autre chose qu'eux-mêmes (ils peuvent causer des choses par eux-mêmes seuls, mais pas leur propre existence ou essence). Ils dépendent donc d'autre chose. Et c'est cela aussi qui fait notre malheur, en tant que mode: on dépend pour notre survie et en partie pour notre bonheur de choses hors de nous, alors qu'on n'a pas une puissance telle qu'on peut commander tout ça. Certains modes nous échappent, on ne peut pas les faire faire ce qui est le plus utile pour nous. Puis hélas notre puissance de penser est limitée aussi, donc souvent on croit que X est le plus utile pour nous, tandis que si l'on pouvait penser à plus de choses à la fois (comme c'est le cas lors d'une Joie active), alors on aurait déjà compris que non, on se trompe. C'est donc parce qu'on n'est qu'un mode que parfois on est "battu" par un autre mode, plus puissant sous tel ou tel rapport. Mais c'est aussi parce qu'on est un mode qu'on peut éprouver des Joies, c'est-à-dire des augmentations de notre puissance. On est donc capable des deux: malheur et bonheur. L'essence divine non. Elle a la puissance infinie, donc ne connaît ni malheur ni bonheur. Par conséquent, Dieu ne connaît le malheur et le bonheur qu'en tant qu'il est un mode, pas en tant qu'il est l'essence de la Nature.

Bruno a écrit :Je reprends mon questionnement. Supposons donc un homme affecté par la tristesse et supposons qu'il veuille sortir de cette état. Spinoza nous dit que le libre arbitre est une illusion. Ainsi, dans une perspective déterministe, cet homme n'a pas le choix entre le fait de rester dans la tristesse ou d'essayer d'en sortir. Car s'il avait ce choix, cela voudrait dire qu'il a un libre arbitre qui lui permet précisément de "choisir" entre ces deux voies. Ainsi donc, s'il se trouve qu'il essaye de s'en sortir et qu'il parvient au bonheur, ce ne sera pas le fait de sa volonté, mais le fait de causes innombrables, ne dépendant pas d'une illusoire vonlonté pure, qui déterminent sont parcours. De même, s'il ne s'en sort pas, c'est que des causes ont déterminé le fait qu'il reste dans son état de tristesse. Y a-t-il ainsi des êtres voués au mlaheur et d'autres aux bonheurs ?


je ne crois pas que Spinoza élimine la volonté. Il l'identifie à l'entendement, ou à l'affirmation que contient toute idée, ce qui est différent. Dans un système déterministe spinoziste, l'homme en effet ne peut pas ne pas essayer de sortir de sa Tristesse, puisque par définition, chacun désire devenir le plus heureux possible. Seulement, en fonction de ce qu'on a déjà compris de la vie, on se dit que le bonheur maximalement possible, ça doit être ceci ou cela. Alors que lorsqu'on a compris davantage, on change en règle générale d'idée, on se dit que finalement, ce qu'on croyait être le bonheur ne l'est peut-être pas tout à fait, il faudrait orienter différemment notre vie pour être vraiment heureux, etc.

Abandonner le libre arbitre, c'est abandonner l'idée que notre bonheur serait une affaire "simple", ne dépendrait que d'un peu de bonne volonté. C'est concevoir le bonheur différemment: c'est se dire que pour être heureux, il faut d'abord déjà très bien comprendre ce que c'est que le bonheur pour l'homme, et donc avoir déjà une puissance de comprendre donc de penser assez élevée. Par conséquent, c'est se dire que fait partie de mon bonheur tout ce qui augmente ma puissance de penser, car alors j'aurai une idée beaucoup plus utile ou vraie du bonheur. C'est donc s'y prendre autrement, dans la pratique, que de se dire que le bonheur ne dépend que de quelques "choix". Comme si les "choix" nous sont déjà donnés, comme si bien comprendre ce que dans telle ou telle situation on peut réellement faire ne demande pas déjà tout un effort de penser.

Bruno a écrit :Ainsi donc, qu'est-ce que le mot liberté veut bien dire dans ce contexte ? On peut me rétorquer que la liberté reposerait dans le fait de la réunification de l'homme à la Nature.


je ne crois pas que cela soit très spinoziste. Il s'agit plutôt, comme Spinotza le dit, d'une union à la Nature (union non pas de "l'homme", mais de toi, Bruno). La différence entre une "union" et une "réunification", c'est d'abord qu'on prend acte du fait que cette union est à faire, n'est jamais là comme ça, donnée, sans aucun effort (au contraire, on naît tous sans grande puissance, augmenter la puissance du bébé est ce que vise toute éducation, et augmenter sa puissance (autrement dit être plus Joyeux) est ce que désire tout adulte). Puis c'est se rappeler que chez Spinoza, s'unir à la Nature cela veut dire toujours comprendre plus de la Nature, et cela en comprenant toujours plus de choses singulières (après avoir compris en quoi consiste l'essence de Dieu et l'éternité). En effet, si j'aurai mieux compris mon chef de département, je saurai beaucoup mieux comment obtenir de lui ce qui est vraiment utile pour moi, etc. Mais tout cela demande de cultiver sa puissance de penser, cela n'arrive pas comme ça, juste grâce aux "rencontres fortuites de la Nature".

Bruno a écrit : Qu'il expérimente sa liberté à travers la libre nécessité de la nature, comme dans l'exemple donné par Serge de la logique.


dans la préface à l'E5 Spinoza dit que la logique c'est comme la médecine: cela sert juste à nous maintenir en forme, sans plus. Cela n'augmentera pas notre puissance. Faire quelques exercices de logiques ce n'est pas ce en quoi consiste notre Liberté. Elle consiste à comprendre quelque chose de singulier dans le monde, dans notre monde à nous (c'est-à-dire dans le monde qui nous concerne), et elle consiste surtout dans le fait de comprendre que telle ou telle chose singulière exprime elle aussi la puissance infinie de la Nature. Comme le dit Bernard Pautrat (traducteur de l'Ethique et prof à la rue d'Ulm): la liberté spinoziste consiste à parvenir à se dire lorsqu'on est dans le bus que cette femme-là, avec sa sacoche noire, ses lunettes bon marchées etc., exprime elle aussi, dans sa singularité à elle, Dieu. Pouvoir comprendre et ressentir cela, cela donne effectivement une Joie assez extraordinaire, qui n'a plus rien à voir avec un petit exercice de logique.

Bruno a écrit : Oui mais, nous pouvons nous tromper lorsque nous expérimentons la logique, nous pouvons faire un faux raisonnement : or, comment cela est-il possible ? Comment est-il possible de faire un faux raisonnement alors que la Nature est censée "parler à travers nous" dans le sens où nous sommes causés par elle ? Ce que je veux dire c'est que si nous pouvons nous tromper, faire de faux raisonnements, être malheureux, c'est bien qu'il y a en nous quelque chose qui échappe à la Nature parfaite... Et donc cela remet sur le tapis la possibilité d'une transcendance...


en effet, mais où est-ce que tu vois, dans l'Ethique, un passage où Spinoza dirait que nous ne sommes pas parfaits ... ? Le fait que nous nous trompons régulièrement dans le spinozisme n'est pas dû au fait que nous serions "hors Dieu", autrement dit que quelque chose en nous ne serait pas "naturel" (car Dieu, ce n'est après tout que la Nature). L'erreur est due au fait que nous ne sommes qu'une partie de la Nature, et par là même n'avons pas la puissance de comprendre immédiatement tout.

Enfin, voilà la façon dont je lis pour l'instant l'Ethique. N'hésite pas à revenir sur ce que je viens de dire si cela ne te semble pas être clair ou si tu n'es pas d'accord.
L.

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Messagepar hokousai » 01 déc. 2008, 13:45

la liberté spinoziste consiste à parvenir à se dire lorsqu'on est dans le bus que cette femme-là, avec sa sacoche noire, ses lunettes bon marché etc., exprime elle aussi, dans sa singularité à elle, Dieu.


chère Louisa

nous avons eu en France un certain docteur Coué ( que vous trouverez aisément sur le net )

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Messagepar Enegoid » 01 déc. 2008, 18:35

Coué, çà marche un peu, parfois...

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Messagepar sescho » 01 déc. 2008, 21:55

hokousai a écrit :... Vous avez une perspective sur le monde qui contrarie la compréhension la plus commune ne pas vous étonner quelle soit rare , sa rareté n’étant pas un argument en faveur de sa pertinence .

Ni de sa non-pertinence. Mais Spinoza dit lui-même en conclusion de l'Éthique qu'elle est très rare.

hokousai a écrit :D’aucun estimerons que ce Dieu est imaginaire alors que le sentiment du moi est celui d’un objet très réel .Dommage pour vous qu’ils en retirent une grande satisfaction.. Ceux qui croient libres ne sont pas moins joyeux que ceux qui se croient déterminés .Savoir même s’ils ne sont pas plus joyeux .

La Nature imaginaire ? Une grande satisfaction ? Impossible ! Sauf aux justes, qui n'ont besoin de rien pour être purement et simplement. Mais ils sont aussi rares que les autres, et se sentent forcément dans la Nature comme eux. Il y a un problème d'acception sur "joyeux" ; l'orgueil, la pire des passions est une joie (note : évidemment, quand je parle du "petit moi", je ne parle pas du "Soi.") La Béatitude est à la limite seulement du sens de "joie" chez Spinoza. La souffrance psychologique se voit partout, ou presque, et les mécanismes psychologiques qui les sous-tendent aussi. Ils sont bien tels que les décrits Spinoza. Être libre implique absolument de se libérer du "petit moi" ; c'est même une lapalissade.

hokousai a écrit :De mon point de vue la nature n’a aucune puissance et seulement une existence en acte nécessaire (évidemment nécessaire sinon elle serait autre).

La puissance de la Nature et son action sont la même chose.

hokousai a écrit :L’homme se croit libre parce qu’il est obligé de faire des efforts (ce qui n’a pas véritablement à voir avec la connaissance des causes de l’activité ).Il se croit libre et obligé en même temps ,mais pas l’un ou l’autre ..

Il se croit indéterminé, et du coup n'est pas libre. C'est quand il prend vraiment, profondément conscience de sa détermination qu'il accède à la liberté. L'Amour suprême voit en tout Dieu comme cause (ce n'est pas de la théorie à ranger une fois énoncée, de la gymnastique intellectuelle, voire de l'intellectualisme stérile, c'est une vision intuitive et permanente de la réalité...)

Serge
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Messagepar hokousai » 01 déc. 2008, 22:41

à Serge



Puisque je lie liberté et obligation je pense qu’être libéré du petit moi implique ne plus avoir aucun sens de la liberté .
Si ce n’est pas moi qui fait effort ou qui décide de tel ou tel acte, qui le fait ?
Est-ce un autre ?
Suis-je libre si la liberté n’ a plus de signification pour moi-même ?
…………………………..
Si la puissance et l’action sont la même chose pourquoi parler de puissance alors que dans le langage courant puissance et action ne vise pas du tout la même chose et encore moins dans la tradition philosophique , la puissance est distingué de l’acte depuis Aristote .

Il me semble évident que quand vous parlez de puissance l’ idée de force est connotée .et plutôt que l’idée de possible. Nous voila donc écrasé par la puissance de Dieu voire annihilé on ne peut plus certes revendiquer une quelconque liberté , mais peut on en tirer de la joie ?
……………………………..

La question du sentiment de liberté ne me semble pas relever d’une indétermination illusoire/illusion dindétermination (Il se croit indéterminé),mais bien plutôt de la conscience des déterminations .
J’inverse votre propos . C’est parce qu’il s’éprouve contraint que le sentiment de liberté advient à l’homme . C’est face à la nécessité de faire un effort et de décider contre des pesanteurs qu’il a le sentiment d’exercer un pouvoir .
Sil n’avait aucune contrainte actuelle il n' éprouverait pas ce sentiment de liberté .

hokousai

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Messagepar Bruno31415 » 11 déc. 2008, 02:19

Bonjour,

Merci beaucoup pour vos réponses, Serge, Louisa et Durtal.

J'ai laissé reposer mes questions quelques temps afin de prendre du recul et de digérer les textes que j'ai pu lire.

Bon, ça reste toujours obscur, pour moi, cette histoire de liberté et de déterminisme. Cependant, l'autre jour m'est venue une idée et je voudrais vous la soumettre afin de savoir si je m'approche un peu de ce qu'entends Spinoza par liberté.

Figurons nous ainsi la Nature comme une gigantesque machine. (note : je me rends bien compte de la pauvreté de cette comparaison, le Dieu-Nature est bien plus qu'un automate, mais bon, c'est pour partir d'un concept que je visualise bien).

Donc, la Nature serait comme une gigantesque machine, avec plein de rouages qui tournent selon des lois parfaitement déterminées et nous serions un de ces rouages. Or, nous sommes capables de penser (faculté elle-même soumise au déterminisme... mais bon passons pour ne pas compliquer les choses). La liberté, telle que je la comprends au sens de Spinoza, serait, au fond, la prise de conscience de notre participation à la Nature en tant que rouage. Nous avons alors conscience que nos efforts participent du mouvement du tout ; que nous ne sommes certes qu'une partie de ce tout mais, par la prise conscience de participer au mouvement de l'ensemble, nous sentons en nous la pleine puissance de la Nature et nous en éprouvons un sentiment de joie : voilà la liberté, c'est la joie que l'on ressent en se sentant agir sans détermination extérieure à soi, c'est-à-dire en ne se sentant agir que par la nécessité et la puissance infinie de la Nature.

Que pensez-vous de cette idée ?

Au fond, si on remplaçait le mot liberté par le joie, je crois que je comprendrais mieux ce que veut dire Spinoza.

A+,
Bruno.

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Messagepar Louisa » 11 déc. 2008, 04:28

Bruno a écrit :Figurons nous ainsi la Nature comme une gigantesque machine. (note : je me rends bien compte de la pauvreté de cette comparaison, le Dieu-Nature est bien plus qu'un automate, mais bon, c'est pour partir d'un concept que je visualise bien).

Donc, la Nature serait comme une gigantesque machine, avec plein de rouages qui tournent selon des lois parfaitement déterminées et nous serions un de ces rouages. Or, nous sommes capables de penser (faculté elle-même soumise au déterminisme... mais bon passons pour ne pas compliquer les choses). La liberté, telle que je la comprends au sens de Spinoza, serait, au fond, la prise de conscience de notre participation à la Nature en tant que rouage. Nous avons alors conscience que nos efforts participent du mouvement du tout ; que nous ne sommes certes qu'une partie de ce tout mais, par la prise conscience de participer au mouvement de l'ensemble, nous sentons en nous la pleine puissance de la Nature et nous en éprouvons un sentiment de joie : voilà la liberté, c'est la joie que l'on ressent en se sentant agir sans détermination extérieure à soi, c'est-à-dire en ne se sentant agir que par la nécessité et la puissance infinie de la Nature.

Que pensez-vous de cette idée ?

Au fond, si on remplaçait le mot liberté par le joie, je crois que je comprendrais mieux ce que veut dire Spinoza.


Bonjour Bruno,
je crois que c'est effectivement ainsi que l'on s'imagine la liberté lorsqu'on pense à une liberté "mécanique". Or à mon sens la métaphore n'est pas tout à fait valide dans le cas du spinozisme. Pourquoi pas? Parce que toute machine a toujours besoin de choses extérieures à soi, d'une part pour pouvoir obtenir l'énergie nécessaire pour produire du mouvement, d'autre part pour pouvoir mettre en mouvement des choses qui ne sont pas elle (une locomotive met en mouvement un train, par exemple). Tandis que la substance ou nature spinoziste n'a pas d'extérieur. Par conséquent, il ne faut pas juste s'imaginer un déterminisme comme celui d'une machine, il faut aussi y ajouter l'idée qu'il s'agit d'une machine tout à fait inédite: une machine qui est "cause de soi". On pourrait se dire que cela n'est pas très important pour comprendre la liberté spinoziste, mais à vrai dire, je crois que cela change tout (raison pour laquelle l'Ethique devait bel et bien commencer par une définition de la cause de soi).

Qu'est-ce que cela change? Cela signifie que Dieu n'est rien d'autre que la nature elle-même, autrement dit que toute chose singulière est "du Dieu". Et être "du Dieu" signifie avoir une puissance propre. Puissance limitée bien sûr, lorsqu'il s'agit de choses singulières, mais puissance propre tout de même. Ici il n'y a pas d'ouvrier qui met sans cesse du charbon dans le four de la locomotive, on n'a que la locomotive et les wagons, et les deux forment un tout inséparable.

Par conséquent, si l'on veut garder l'analogie de la machine, il faut à mon sens essayer de concevoir une machine où les rouages ne sont pas seulement mis en mouvement par d'autres rouages, et ceux-ci par une source de mouvement externe. Il faut s'imaginer une machine où les rouages ont eux-même une force de mouvoir, qu'ils ne reçoivent pas d'un autre rouage. Cette force, ils la recoivent de l'essence de la machine en tant que telle (Dieu comme cause immanente et non pas transitive de toute essence singulière). Puis il faut s'imaginer que cette force de mouvoir propre à tel ou tel rouage peut changer.

C'est alors qu'on retrouve la distinction qu'a amené ci-dessus Durtal: il y a deux façons d'augmenter la force de mouvoir de tel ou tel rouage. Ou bien un rouage acquiert, par exemple, une plus grande vitesse (et transmettra cette vitesse à d'autres rouages) en recevant davantage d'énérgie d'un autre rouage. C'est ce que Spinoza appelle une Joie "passive". Ou bien un rouage provoque lui-même, tout seul, une augmentation de sa propre vitesse. Alors on a ce que Spinoza appelle une "Joie active".

Enfin, parmi les Joies actives il faut encore distinguer deux catégories: celles du deuxième genre de connaissance (connaissance adéquate de propriétés communes) et celles du troisième genre de connaissance (connaissance adéquates d'essences des choses). Seul ce dernier est appelé "liberté" à proprement parler. Seul ce dernier donne lieu à ce que Spinoza appelle la "Joie suprême". Ici il s'agit d'une augmentation de la puissance d'un rouage qui se fait d'une manière tout à fait particulière: elle se fait lorsque le rouage a compris l'éternité de telle ou telle essence singulière.

Et c'est cela qui me semble être assez différent de ce que tu dis: la liberté spinoziste ne consiste pas à se concevoir soi-même comme n'étant "que" un rouage dans une machine, d'abord parce que contempler son impuissance pour Spinoza est source de Tristesse et non pas source de Joie, et ensuite parce qu'un rouage dans une machine est précisément ce qui est entièrement "mis en mouvement" donc déterminé par d'autres rouages. La liberté spinoziste consiste dans le fait de changer le monde, au sens où l'on peut déterminer donc changer soi-même sa propre puissance, au sens où l'on peut réussir à augmenter durablement sa propre puissance, et ainsi les effets que l'on produit sur le monde, sur les choses singulières hors de nous.

Par quel moyen obtenir une telle augmentation? Pas en s'imaginant qu'on est tout-puissant ou identique à l'essence même de Dieu, donc pas en se "coupant" du monde, mais en faisant l'inverse: pour pouvoir concevoir l'éternité de tel ou tel autre rouage, il faut augmenter non seulement sa puissance d'affecter (la puissance de mettre en mouvement d'autres rouages) mais aussi son aptitude à être affecté (l'aptitude à être mis en mouvement par d'autres rouages). Devenir "conscient" du monde n'est possible que chaque fois que nous devenons capable de nous laisser affecter par une nouvelle chose singulière, et que nous sommes en plus capables d'augmenter nous-mêmes notre propre puissance à l'occasion d'une telle affection. Devenir de plus en plus libre est donc une véritable "Action", comme le disait déjà Durtal, et une Action très particulière: réussir à comprendre d'abord l'éternité de soi-même, puis l'éternité de telle ou telle chose singulière. Cela n'a pas grand-chose à voir avec l'idée de s'imaginer comme n'étant qu'un rouage dans une machine, entièrement à la merci des autres rouages extérieurs à nous. Cela signifie plutôt qu'on parvient à comprendre et augmenter notre puissance à nous, en ayant compris l'essence singulière d'un maximum de choses.

Bref, je dirais qu'effectivement la liberté spinoziste est incompréhensible sans tenir compte de la notion de Joie, mais encore faut-il comprendre qu'il s'agit d'une Joie très précise, et non pas de n'importe quelle Joie (ni d'une Joie passive, ni d'une Joie propre à toute idée adéquate du deuxième genre de connaissance).
L.

PS: n'hésite pas à me demander des références précises au texte de l'Ethique et des explicitations du raisonnement qui va de celui-ci à ce que je viens d'écrire si tu as l'impression que ce que je viens de dire s'en déduit difficilement.


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