La liberté - le déterminisme

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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bardamu
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Messagepar bardamu » 21 janv. 2009, 00:13

sescho a écrit :(...)
On peut peut-être dire que c'est un passage à la limite. Mais dans cette limite l'infinité vient de l'Etendue elle-même, pas de sa manifestation (qui reste finie de nature.) Il y a bien derrière toujours la même difficulté (surtout notable pour l'Etendue) : le changement est dans la Nature mais la Nature ne change pas. Ce qui ne change pas c'est l'Etendue en Mouvement (l'Univers sauf erreur), ce qui change (et n'est donc pas éternel) c'est la face (visage) de l'Univers. Il n'y a pas de différence entre l'Etendue en mouvement et l'ensemble des corps (existant ou pas, soit l'Univers entier). Les corps ne se distinguent que par la proportion de mouvement et de repos.

Bonjour Serge,
un point sur ta pensée que j'aimerais être sûr de comprendre.

Est-ce que tu considères que certaines choses ne peuvent être comprise que selon la durée, lesquelles et selon quelle genre de connaissance ?

Ma conception du problème :

Spinoza dit dans une lettre (je n'ai pas cherché laquelle) que seuls les modes peuvent être conçus selon la durée. Les modes qui découlent de la nature d'un attribut héritent de l'éternité et, à mon sens, Spinoza y introduit en même temps la sempiternité (dém. de E1p21, "supposez (...) que cette idée n'ait pas existé en un certain temps" qui s'oppose à l'idée de concevoir sans relation au temps).
On peut voir là la première introduction de la durée, l'éternité étant là aussi conçue comme sempiternité, durée infinie.
Ensuite, il dit (E1p24 dém.) que "chaque fois que nous regardons à leur essence, nous voyons qu'elle n'enveloppe ni l'existence, ni la durée".
J'en conclus que les essences en tant que telle doivent se concevoir selon l'éternité et par E5p29 scolie que les existences actuelles peuvent se concevoir soit selon la durée, soit selon l'éternité si on les rapporte directement à la nécessité de leur production par Dieu.

Conclusion intermédiaire : dans tous les cas, toute chose me semblent pouvoir se concevoir selon l'éternité, d'abord selon le principe d'une production nécessaire par Dieu (E1p16), en plus par héritage de cette propriété d'éternité (?) pour les modes découlant de la nature d'un attribut, laquelle leur donne aussi la sempiternité.
Quant aux modes finis ils pourront de surcroit être conçus selon une durée finie en prenant en compte la nécessité de la chaine infinie de causes efficientes de proche en proche, chaine infinie dont sont faits les modes infinis et à laquelle correspond une conception de leur éternité comme sempiternité. La durée sera finie par le fait qu'un mode fini est pris dans cette chaine, qu'il est limité par autre chose, que sa durée (continuation indéfinie de l'existence, E2D5) se voit définie par le fait qu'elle est toujours limitée par quelque chose de plus puissant (E4 axiome).

Pour résumer :
- tout peut être conçu selon l'éternité
- seul les modes peuvent être conçus selon la durée
- selon la durée les modes infinis doivent être conçu comme sempiternels
- selon la durée les modes finis doivent être conçus comme pris dans une chaine infinie qui détermine la finitude de leur durée
- selon la durée, on pourra entrer dans la conception d'une existence actuelle, dans des relations de présence ou absence traduites en terme de présent ou passé/futur, d'ici ou de là-bas
- à cette existence actuelle correspond le conatus, expression de l'essence selon cette catégorie d'actualité
- ce qui est éternel ou sempiternel sera toujours présent, son activité sera toujours concevable dans l'actualité, même si selon cette actualité tout le monde n'en a pas l'idée adéquate

Je vois un enveloppement des concepts du genre (éternité (durée (actualité))), les niveaux inférieurs ne pouvant être conçus sans les niveaux supérieurs. On ne peut pas concevoir l'actualité sans la durée et la durée sans l'éternité, alors qu'on peut concevoir l'éternité sans la durée et celle-ci sans l'actualité.
Par rapport aux choses (éternité des essences (expression-explication des essences selon la durée, ordre des relations nécessaires, des rencontres-naissances-destructions (expression-explication des essences selon l'actualité, conatus, désir, tendances))).

Conclusion finale : toutes les choses réelles peuvent être conçu selon l'éternité, concevoir autrement c'est rajouter des catégories plus ou moins abstraites, comme "êtres de raison" (pensée pratique selon la généralité, l'expérience empirique etc.), comme auxiliaire de l'imagination (pensée pratique, représentations, modèles imagés) ou du fait d'une connaissance du premier genre. La Raison comme la Science Intuitive fonctionnent sur l'éternité, le temps ne leur est pas nécessaire, et selon moi il faut s'efforcer de penser en termes de points de vue et des causalités y afférent (immanentes par Dieu, efficientes par la chaine infinie du fini, transitive quand l'absence/présence est transformée en passé/présent/futur et finale quand on confond l'imagination du futur avec une cause efficiente). Mais bon, ces catégories de causalité seraient un sujet en soi.

P.S. : quand j'évoquais le modèle de la représentation 4D (à titre d'auxiliaire de l'imagination, je le rappelle), cela ne pouvait pour moi correspondre à Dieu mais seulement à la conception d'une "éternité modale" au passage éternité-sempiternité-durée finie, nécessaire pour concevoir un mode fini, c'est-à-dire pris dans la chaine infinie des essences en tant qu'on les conçoit comme s'exprimant selon la durée ou l'actualité, en tant qu'on prend en compte la condition d'une cause efficiente par une autre chose finie. Dans le vocabulaire de Spinoza, cette représentation serait tout au plus liée au Mouvement (espace 4D lui-même) et à la face de l'univers entier ("ordre de la nature" organisant les relations de durée et d'actualité selon les causalités efficientes entre choses finies).

P.P.S. : désolé si je fais des phrases compliquées mais j'essaie de sortir du vocabulaire de l'Imagination selon laquelle on a des idées spontanées de passé/présent/futur, de cette expérience qui tend à faire penser qu'on ne peut sortir d'une conception selon le temps.

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Messagepar Enegoid » 21 janv. 2009, 17:36

A Sescho

D’accord, jouons

L'association du soi-disant "mode infini médiat" et de la "face totale de l'univers" n'est absolument pas faite par Spinoza (pas de référence à E1P22 dans E2L7S).


L’association est d’abord faite par Schuller qui demande à Spinoza des exemples de deux « choses » :
1 « Choses produites immédiatement par Dieu »
2 « Choses produites médiatement par une modification infinie ».

Il ne me semble pas trop forcé (je reprends votre expression) de penser que les « choses produites immédiatement par Dieu » réfèrent à E1p21 et que les « choses produites médiatement par une modification infinie » réfèrent à E1p22.

Schuller appelle 1er genre les choses n°1, 2ème genre les choses numéro 2.
La façon de s’exprimer de Schuller n’est pas remise en cause par Spinoza dans sa réponse, la lettre 64. Et c’est Spinoza lui-même qui associe au 1er genre le mouvement et le repos, et au 2ème genre la « figure de tout l’univers ».

Donc Spinoza donne lui-même la « figure de tout l’univers » comme exemple de « chose produite médiatement par une modification infinie ». La question de savoir s’il s’agit de la figure ou de l’univers n’intervient pas ici.

Même si vous trouvez plus significatif l'absence de lien ebtre le lemme 7 et E22, il reste à expliquer ce que voulait dire Spinoza en répondant à Schuller. Peut-être avait-il fumé ce jour là ?

qui revient à prendre E1P22 comme strictement affirmative, ce qui est précisément en question.


E1p22 est-elle affirmative ?

Dans sa forme elle est aussi affirmative que E1p21.

Mais supposons qu’elle ne le soit pas : cela voudrait dire que Spinoza laisse dans le doute la question de savoir s’il suit ou non quelque chose d’un attribut, « en tant qu’affecté…d’une modification », c’est à dire s’il suit ou non quelque chose de la modification évoquée en E2p21 (mouvement et repos).
Or il suit quelque chose, car sinon il n’y aurait rien. Et je doute que Spinoza en doute. Et je doute que vous-même en doutiez. Ep22 dit que cette chose qui suit doit …être infinie. Elle le dit positivement.


Je ne vais pas plus loin aujourd’hui. Je veux vérifier qu’il y a un minimum de compréhension de votre part et que nous n’en venons pas aux mains dès les premiers échanges !

Cordialement

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Messagepar Enegoid » 21 janv. 2009, 18:05

A Sinusix

Merci de votre remarque concernant p28. Ma remarque concernant le fait qu'il y a deux catégories différentes dans le scolie et la demo n'était pas pertinente. A priori j'ai la même analyse que vous.

Cordialement

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Messagepar Durtal » 21 janv. 2009, 21:39

NONNNNNNNN


PAS la discussion sur les "modes infinis médiats"!!!!! :D


Quel est vraiment le problème sérieusement? Si c'est pour colmater le trou qu'on a fait entre Dieu et les choses finies: alors les modes médiats infinis, que Spinoza en parle ou non, ne nous tirerons pas du tout d'affaire . Il ne fallait simplement pas commencer par creuser le trou :D si l'on admet l'existence des modes médiats infinis mais aussi qu'il n'y a pas de "trou" entre Dieu et les choses finies, alors le problème n'a plus le caractère crucial qu'il semble revêtir pour les parties en présence.

Car de toute façon n'est ce pas (ScolP28 E1) " Tout ce qui est est en Dieu et dépend tellement de Dieu que rien ne peut sans lui ni être ni se concevoir".
(donc que les modes soient infinis ou finis: ils sont Dieu de toute façon, une fois avalé ceci, tout le reste revient à un problème de vocabulaire)

je ne vois pour ma part pas de différence entre a) la pensée de Dieu (l'attribut), b) la totalité des pensées que Dieu forme (ce qui suit de cet attribut: ou l'intellect absolument infini), c) la totalité de ce qui est pensé par ces pensées (ou la face totale de l'univers en tant qu'elle s'explique sous l'attribut de la pensée). Ce sont il me semble trois niveaux de conceptualisation de la même chose ni plus ni moins.

Mais j'ai peut être tort.

D.[/i]

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Messagepar sescho » 21 janv. 2009, 22:16

bardamu a écrit :... un point sur ta pensée que j'aimerais être sûr de comprendre.

Est-ce que tu considères que certaines choses ne peuvent être comprise que selon la durée, lesquelles et selon quelle genre de connaissance ?

Je conçois tout sous la forme de l'éternité. Mais, comme Spinoza lui-même, je conçois aussi en même temps sous la forme du temps. Car ce serait une grossière plaisanterie, la perception de la durée étant innée, de prétendre ne rien voir selon la durée.

Et qu'est-ce que le fameux conatus si ce n'est le principe de la tendance à persister dans l'être, "persister" s'entendant selon le temps ? Ôter la durée de la philosophie de Spinoza, c'est ridicule vis-à-vis de son texte même, et ce de manière répétée.

A partir du moment où tout est conçu (réellement) en Dieu, qui est éternel, ou, ce qui est la même chose les attributs étant donnés : que tout se produit selon les lois éternelles de la Nature (ou décrets divins), tout est conçu sous la forme de l'éternité (et Spinoza ne se réfère pas à autre chose que cela pour parler de concevoir sous la forme de l'éternité.)

Cela dit, j'ai peur que sous prétexte de voir sous la forme de l'éternité on confonde en fait confusément avec cela des perceptions selon la durée.

Exemple : si je dis : "les choses singulières" (à l'existence desquelles est liée la durée, ce qui interdit que ce soit une vérité éternelle : c'est explicitement dit par Spinoza) "manifestent différentes essences au cours du temps", et qu'on me répond "mais non, pas en voyant les choses sous l'angle de l'éternité", on raconte n'importe quoi : on entend réfuter un raisonnement (spinozien) basé sur la durée par un appel à l'éternité. Ce n'est pas voir les choses sous l'angle de l'éternité, cela, c'est voir les choses dans la confusion la plus totale.

Ensuite, tout dépend de ce qu'on appelle "chose" et "éternel". L'existence des choses singulières n'est pas éternelle. Si c'est aussi (existence de chose singulière) ce qu'on appelle "chose" alors elle n'est pas éternelle, au sens strict que lui donne Spinoza.

Maintenant si je dis : "l'incarnation de telle essence était inscrite de toute éternité dans la nature divine" je vois la chose sous la forme de l'éternité, pas parce que l'existence d'une telle chose est éternelle, mais parce qu'elle est causée par une chose éternelle.

Spinoza a écrit :E2P44C2 : Il est de la nature de la raison de percevoir les choses sous la forme de l’éternité.

Démonstration : En effet, il est de la nature de la raison de percevoir les choses comme nécessaires et non comme contingentes (par la Propos. précédente). Or, cette nécessité des choses, la raison la perçoit selon le vrai (par la Propos. 41, partie 2), c’est-à-dire (par L’Axiome 6, partie 1) telle qu’elle est en soi. De plus (par la Propos. 16, partie 1), cette nécessité des choses est la nécessité même de l’éternelle nature de Dieu. Il est donc de la nature de la raison d’apercevoir les choses sous la forme de l’éternité. Ajoutez à cela que les fondements de la raison, ce sont (par la Propos. 38, partie 2) ces notions qui contiennent ce qui est commun à toutes choses, et n’expliquent l’essence d’aucune chose particulière (par la Propos. 37, partie 2), notions qui, par conséquent, doivent être conçues hors de toute relation de temps et sous la forme de l’éternité. C. Q. F. D.

De même, Spinoza dit bien qu'à ce qui se conçoit selon le nombre, l'existence ne peut appartenir à l'essence (ce qui est la condition de l'éternité : E1D7). Pourquoi ? Parce qu'il s'agit d'une essence unique et d'une existence multiple.

La réalité est simple : à l'existence d'une chose singulière selon la durée ne correspond en principe aucune constance dans l'essence incarnée (elle n'est, relativement, que par le principe d'inertie ou conatus, mais sans jamais s'imposer absolument du fait de l'interdépendance dans la Nature, ou plus simplement du Mouvement dans l'Etendue.) Pour résumer encore : il n'y a aucun lien de principe entre l'existence et l'essence pour une chose singulière. Autrement dit enfin : ce qu'on appelle "chose singulière" (chose particulière en acte) est un phénomène transitoire et n'a pas d'être en soi, mais seulement un être en Dieu.

Je garde le commentaire de ton texte pour un prochain message (mais vu le concentré de sens qui se présente actuellement, je ne serai sans doute pas à la hauteur du tout... :-) )


Serge
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Messagepar bardamu » 22 janv. 2009, 01:09

sescho a écrit :(...)
La réalité est simple : à l'existence d'une chose singulière selon la durée ne correspond en principe aucune constance dans l'essence incarnée (elle n'est, relativement, que par le principe d'inertie ou conatus, mais sans jamais s'imposer absolument du fait de l'interdépendance dans la Nature, ou plus simplement du Mouvement dans l'Etendue.) Pour résumer encore : il n'y a aucun lien de principe entre l'existence et l'essence pour une chose singulière. Autrement dit enfin : ce qu'on appelle "chose singulière" (chose particulière en acte) est un phénomène transitoire et n'a pas d'être en soi, mais seulement un être en Dieu.

Bonjour Serge,
que "à l'existence d'une chose singulière selon la durée ne correspond en principe aucune constance dans l'essence incarnée" me semble quasi-tautologique si on se place d'emblée dans la durée, quasi-tautologique parce que je dirais plutôt "actualité" que durée (à cause de l'usage, discutable..., que je fais du terme durée pour parler des phénomènes naissance-mort, c'est-à-dire de la chaine infinie du fini dans laquelle s'exprime une essence).
Je ne sais pas trop si tu fais une distinction entre durée et actualité.

Un truc que je ne suis pas sûr d'avoir saisi : tu conçois tout selon l'éternité mais j'ai l'impression que pour toi l'existence des "choses singulières" ne peut pas être conçues en dehors de la durée, c'est-à-dire que l'existence d'une chose singulière n'a de sens que comme existence dans la durée. Il y aurait alors une chose qui pour toi ne pourrait être conçue selon l'éternité, ce serait l'existence des choses singulières.
Tu admettrais l'éternité uniquement pour les essences et verrais une rupture entre l'essence d'une chose singulière et son existence qui ne serait concevable que selon la durée (je dis seulement "existence" parce que si on disait "existence actuelle" ce serait évidemment tautologique).

A ces idées (que tu les aies vraiment ou pas...), j'opposerais les textes suivants (les numéros entre crochet sont utilisés plus bas) :
E5p23 dém. : (...) comme ce qui est conçu par l'essence de Dieu avec une éternelle nécessité est quelque chose, ce quelque chose, qui se rapporte à l'essence de l'âme, est nécessairement éternel [1].

E5p23 scolie : (...) Cette idée qui exprime l'essence du corps sous le caractère de l'éternité [2] est, comme nous l'avons dit, un mode déterminé de la pensée qui se rapporte à l'essence de l'âme et qui est nécessairement éternel.(...)
Aussi, quoique nous ne nous souvenions pas d'avoir existé avant le corps, nous sentons cependant que notre âme [3], en tant qu'elle enveloppe l'essence du corps sous le caractère de l'éternité, est éternelle, et que cette existence éternelle [4] ne peut se mesurer par le temps ou s'étendre dans la durée. Ainsi donc, on ne peut dire que notre âme dure, et son existence ne peut être enfermée dans les limites d'un temps déterminé qu'en tant qu'elle enveloppe l'existence actuelle du corps ; et c'est aussi à cette condition seulement qu'elle a le pouvoir de déterminer dans le temps l'existence des choses et de les concevoir sous la notion de durée.


Je comprends ainsi : l'existence d'une chose singulière (notre "âme", trad. Saisset) est concevable sub specie aeternitatis, il y a une existence éternelle [4]. Plutôt que "concevable" il faut peut-être dire que cette existence est sensible intellectuellement (nous sentons) [3]. Cette "sensation" est une idée qui exprime l'essence du corps sub specie aeternitatis [2].
Cette idée d'existence correspond à "ce quelque chose, qui se rapporte à l'essence de l'âme" et est "conçu par l'essence de Dieu" [1]

Donc, je pars du principe que l'existence est une expression de l'essence. Si on conçoit cette expression dans l'actualité (conatus) on a l'existence selon la durée et le temps, si on la conçoit selon l'éternité on a l'existence éternelle.
A cette existence éternelle d'une chose singulière ne peut correspondre une idée du premier genre de connaissance (mémoire) ni une idée du second genre dont on ne tire la connaissance d'aucune essence de chose singulière. Il ne reste que le 3e genre qui porterait alors bien son nom de Science Intuitive si l'idée est une "sensation", une sensation intellectuelle comme il y a un amour intellectuel.

Ce qui vient ci-dessous est en bonus mais je préfèrerais qu'on se concentre sur la partie ci-dessus, savoir si j'ai bien compris tes idées et où tu verrais une faille dans mon raisonnement. Le point essentiel sur ta pensée serait pour moi de savoir si tu considères effectivement que l'essence d'une chose singulière est concevable selon l'éternité mais pas son existence, ou bien que "existence éternelle" peut s'appliquer à une chose singulière (au moins notre esprit).


---------- BONUS --------------


Peut-on caractériser un objet de cette idée d'existence éternelle d'une chose particulière ? Qu'est-ce que cette intuition sent ? Qu'est-ce qu'on "intuitionne" en soi et dans toutes choses, comment ça se passe ? Où s'arrête le commun et l'entrée dans l'éternité du singulier ?

Là, pour la n-ième fois, je vais avoir du mal à trouver dans le texte quelque chose qui permette de décrire cela, de donner une idée de cette intuition, de même qu'une description "froide" de l'amour intellectuel de Dieu ne le fait pas ressentir.
Il faudra que je ré-essaie, peut-être en reprenant sur une discussion existante, et je pense que je m'appuierais sur la lettre XVII à Balling dont il a été fait mention il y a peu et qui a influencée mes réflexions des mois derniers.

Comprendre : "en raison de son union avec son fils, le père est une partie du fils, il est nécessaire aussi que l'âme du père participe de l'essence idéale du fils, de ses affections et de leurs conséquences"

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Messagepar Sinusix » 22 janv. 2009, 10:45

Durtal a écrit :NONNNNNNNN


PAS la discussion sur les "modes infinis médiats"!!!!! :D

Car de toute façon n'est ce pas (ScolP28 E1) " Tout ce qui est est en Dieu et dépend tellement de Dieu que rien ne peut sans lui ni être ni se concevoir".
(donc que les modes soient infinis ou finis: ils sont Dieu de toute façon, une fois avalé ceci, tout le reste revient à un problème de vocabulaire)

je ne vois pour ma part pas de différence entre a) la pensée de Dieu (l'attribut), b) la totalité des pensées que Dieu forme (ce qui suit de cet attribut: ou l'intellect absolument infini), c) la totalité de ce qui est pensé par ces pensées (ou la face totale de l'univers en tant qu'elle s'explique sous l'attribut de la pensée). Ce sont il me semble trois niveaux de conceptualisation de la même chose ni plus ni moins.

Mais j'ai peut être tort.

D.[/i]


Bonjour Durtal,

En ce cas, nous sommes deux, et peut-être trois puisque, me semble-t-il, telle est aussi l'affirmation de Laurent Bove dans son livre "la stratégie du conatus". L'analyse doit donc être projetée à un autre niveau ou sur un autre terrain.

S'agissant donc de la continuité physique descendante, et pas simplement logique ou métaphysique, entre la trinité unitaire substance-attributs/modes infinis immédiats/modes infinis médiats (ou binaire dans la version Sescho controversée) et la continuité physique montante attachée à E2Lemme7S, je trouve une approche intéressante dans la thèse d'Epaminondas Vampoulis, intitulée "La physique de Spinoza" - présentée en 2000 - Directeur de thèse P.F Moreau, et le lien avec la Méthode des Invisibles de Cavalieri, précurseur du calcul infinitésimal.
L'intérêt de l'approche réside essentiellement dans le recours au dynamisme du mouvement en vue de la constitution du continu. En effet, en faisant appel au mouvement, dont l'appartenance à la trinité ci-dessus lui confère un statut "éminent", on peut concevoir que tombe la critique que ne manque pas d'attirer sur elle la conception "cumulatrice" de la constitution de l'infini par le fini, laquelle renvoie plutôt à l'indéfini (voir sur ce sujet également la critique kantienne que, me semble-t-il, rappelle Deleuze selon laquelle il est impossible d'appréhender dans l'instantané la construction du cercle à partir de l'infinité des diamètres sans devoir faire intervenir le temps, donc la séquenciation de l'opération effectuée par l'entendement).
J'observe que cette utilisation du mouvement comme forme logique de l'explication de l'infini à partir de la cause (démarche de démonstration de l'idée adéquate), Spinoza l'utilise dans sa définition de l'idée adéquate du cercle (par rotation d'un rayon), ou de la sphère (par rotation du demi-cercle). Ce faisant, par un raisonnement dont on retrouve l'assimilé dans la notion de lieu mathématique, cette introduction du mouvement comme lien logique entre le fini et l'infini, lequel permet de faire la "jonction", ne peut bien entendu pas gommer le tour de passe-passe inévitable, le concept de mouvement recelant en lui l'aporie du temps, mais au moins la laisse-t-il là où elle ne peut qu'être "compréhensible", à savoir au sein de la trinité.
D'une certaine manière, un mathématicien pourrait suggérer que chaque niveau d'explication d'un espace à 2, 3 ou 4 dimensions (votre 4D ou espace-temps) s'appuie sur le mouvement, dans la 2ème, la 3ème ou la 4ème dimension de l'hyper-plan associé à l'espace de dimension respective 2, 3 ou 4, réflexion qui n'a pour seule valeur que son esthétique éventuelle bien sûr.
En tout état de cause, et comme déjà dit, il apparaît bien que l'attribut étendue ne peut être limité à la conception statique à laquelle notre expérience concrète, donc notre imagination, nous conduit, mais doit se concevoir comme co-extensif à la dynamique qui le définit pareillement, dynamique à partir de laquelle il est possible de concevoir l'infini en acte à partir du fini.
Tout cela, direz-vous, c'est des mots. Il me sera difficile de dire le contraire.

Amicalement

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Messagepar sescho » 22 janv. 2009, 21:57

Sans du tout oublier le texte initial de Bardamu (mais s'il y a progression exponentielle, je ne pourrai pas suivre) je repasse sur les prétendus modes infinis médiats, en particulier pour faire plaisir à Durtal et Sinusix...

Enegoid a écrit :L’association est d’abord faite par Schuller qui demande à Spinoza ...

Donc Spinoza donne lui-même la « figure de tout l’univers » comme exemple de « chose produite médiatement par une modification infinie ». La question de savoir s’il s’agit de la figure ou de l’univers n’intervient pas ici.

Je ne vois pas de problème sur ce point. Schuller se trompe dans son exemple en prenant les attributs pour des modes infinis immédiats et le mouvement et l'entendement infini comme modes infinis "médiats" (pour le coup, je le mets puisqu'il se trompe.) Spinoza rectifie sans le faire remarquer et cite la face totale de l'univers comme produite par les modes infinis immédiats, sans se référer à E1P22. Ni Schuller ni Spinoza ne disent que la modification qui découle des modes éternels et infinis immédiats serait elle-même infinie (si ce n'est l'erreur faite par Schuller.)

Enegoid a écrit :Même si vous trouvez plus significatif l'absence de lien ebtre le lemme 7 et E22, il reste à expliquer ce que voulait dire Spinoza en répondant à Schuller. Peut-être avait-il fumé ce jour là ?

Je vais le répéter : il ne va pas dire "cette chose que j'ai là devant moi, en contact avec de l'air et avec le sol, puis cette autre là, etc. et toutes leurs idées en parallèle" alors que c'est sans fin et qu'en plus son lecteur ne les voit pas (et peut-être auront-elles changé lorsqu'il lira.) Ce serait ridicule. Il emploie la seule formule sensée pour parler de toutes les choses singulières qui existent en interdépendance à un instant donné : la face de l'univers entier.

Mais il aurait peut-être pu dire :

Spinoza a écrit :CTApp1P4Dm : La vraie essence d'un objet est quelque chose de réellement distinct de l’idée de cet objet ; et ce quelque chose, ou bien existe réellement (par l'ax. III), ou est compris dans une autre chose qui existe réellement et dont il ne se distingue que d'une manière modale et non réelle. Telles sont les choses que nous voyons autour de nous, lesquelles, avant d'exister, étaient contenues en puissance dans l’idée de l’étendue, du mouvement et du repos, et qui, lorsqu'elles existent, ne se distinguent de l'étendue que d'une manière modale et non réelle. ...

Par ailleurs, Spinoza dit on ne peut plus clairement et de manière répétée dans les extraits reproduits plus haut que les corps sont causés par le Mouvement (mode infini "immédiat".) Il faudrait peut-être aussi le garder à l'esprit...

Pour être très clair encore une fois : pour moi il n'y a pas de différence entre la "face totale de l'Univers" et "toutes les choses singulières" (à un instant donné, donc, puisque je parle bien de "chose singulière", par définition existant en acte, et non de "chose particulière.") Dit autrement : la "face totale de l'Univers" est la plus grande des choses singulières. Ou encore : la "face totale de l'Univers" est causée, comme les choses singulières qu'elle contient, par le Mouvement (pour les corps) et n'est pas éternelle (en tant qu'existante), autrement dit elle est bien causée par les modes éternels (immédiats, donc) mais elle n'est pas elle-même éternelle. A moins de contredire par la logique du texte un de ces points, toute objection tombe à côté.

Enegoid a écrit :E1p22 est-elle affirmative ?

Dans sa forme elle est aussi affirmative que E1p21.

Ni plus, ni moins. Sauf que dans E1P21Dm Spinoza introduit un exemple qui sera validé par E2P3 (finalement, malgré la formulation prêtant à confusion, je pense que la référence à E1P11 n'a trait qu'à l'attribut Pensée.) Il n'y a aucun exemple pour E1P22.

Enegoid a écrit :Mais supposons qu’elle ne le soit pas : cela voudrait dire que Spinoza laisse dans le doute la question de savoir s’il suit ou non quelque chose d’un attribut, « en tant qu’affecté…d’une modification », c’est à dire s’il suit ou non quelque chose de la modification évoquée en E2p21 (mouvement et repos).
Or il suit quelque chose, car sinon il n’y aurait rien. Et je doute que Spinoza en doute. Et je doute que vous-même en doutiez. Ep22 dit que cette chose qui suit doit …être infinie. Elle le dit positivement.

Nous sommes bien d'accord que la "positivité" de la proposition pose un problème en l'occurrence.

Maintenant nous savons très bien ce qui suit (mais pas "immédiatement') : les choses singulières. Comment les introduisez-vous ces choses singulières que tout le monde attend ? A coup de modes éternels et infinis ?

D'où revient la question à laquelle vous ne répondez pas : expliquer logiquement pourquoi E1P22 ne s'applique pas en boucle. Parce que si je prolonge votre raisonnement, le soi-disant "mode infini médiat" doit aussi avoir un effet, non ? Quel type d'effet ? Nous sommes dans la logique de la raison, là, pas dans la pensée magique. Il ne faut pas sortir subitement là le "saut ontologique" vers les choses singulières. Vous avez un mode éternel et infini dont doit nécessairement suivre quelque chose. Sur quelle proposition vous basez-vous pour dire ce qui en suit ?


Cordialement

P.S. L'intérêt de tout ceci c'est d'éviter de sévèrement brouiller la compréhension de Spinoza avec des inventions.
Modifié en dernier par sescho le 22 janv. 2009, 22:11, modifié 1 fois.
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Messagepar Durtal » 22 janv. 2009, 22:05

Salut Sinuxis

Sinusix a écrit : Epaminondas Vampoulis


Quel patronyme extraordinaire!:D (pour une oreille française en tout cas)


Sinusix a écrit : L'intérêt de l'approche réside essentiellement dans le recours au dynamisme du mouvement en vue de la constitution du continu. En effet, en faisant appel au mouvement, dont l'appartenance à la trinité ci-dessus lui confère un statut "éminent", on peut concevoir que tombe la critique que ne manque pas d'attirer sur elle la conception "cumulatrice" de la constitution de l'infini par le fini, laquelle renvoie plutôt à l'indéfini (voir sur ce sujet également la critique kantienne que, me semble-t-il, rappelle Deleuze selon laquelle il est impossible d'appréhender dans l'instantané la construction du cercle à partir de l'infinité des diamètres sans devoir faire intervenir le temps, donc la séquenciation de l'opération effectuée par l'entendement).


Pour être sur que nous nous comprenons bien : tu veux dire en te référant au problème de l’analyse du continu que par la possibilité du calcul des différences infiniment petites, le rapport du fini et de l’infini, sort des apories auxquelles conduit nécessairement la conception d’un infini divisibles en parties finies (type paradoxe de Zénon : Achille ne rattrape jamais la tortue).

Sous le bénéfice de cette observation (c'est-à-dire si je t’ai compris correctement) je suis parfaitement d’accord avec toi.

J’ajoute pour ma part une remarque complémentaire. La « philosophie » du calcul infinitésimal (s’il m’est permis de m’exprimer ainsi et pour ce que j’en sais -c’est à dire pas grand-chose-) revient à comprendre le fini par l’infini. Je veux dire : au lieu de faire l’inverse. Et c’est pour cela justement que l’articulation est possible alors qu’elle ne l’est pas dans l’autre sens. S’il est impossible de constituer de l’infini en accumulant des parties finies les unes aux autres, en revanche il est possible de constituer le fini comme un produit d’analyse de l’infini. On ne peut pas construire mathématiquement un mouvement en se contentant d’accumuler les différentes positions d’un mobile (car Zénon vous attendra toujours au tournant), en revanche on peut reconstruire toutes les positions d’un mobile par analyse de son mouvement précisément grâce au calcul "des différences évanouissantes".

Et, (c’est pourquoi je suis d’accord avec ta remarque), c’est dans cet esprit il me semble que Spinoza traite la question (non pas entendons nous bien sous le rapport du développement des instruments mathématiques mais sous l’angle plus général de la philosophie des rapports entre fini et infini), lui qui donne cette indication aussi discrète qu’elle est importante pour la question en E1P8 scol.1 « Etre fini est en vérité, partiellement négation ».

Le fini c’est de l’infini « partiellement nié », le fini c’est un « moment » de l’infini, pas la « négation » (pure et simple) de l’infini (ou le « contraire » de l’infini) mais sa « négation partielle » ce qui est très différent. De même les idées inadéquates sont, non pas le contraire ou la négation pure et simple de la connaissance, mais de la connaissance « partielle », de même les passions ne caractérisent pas la négation totale de notre activité ou de notre pouvoir d’agir, mais sa négation partielle (la causalité partielle) etc…. Beaucoup de choses fonctionnent en fait chez Spinoza sur ce schéma de la finitude comme « négation partielle » de l’infini.

Sinusix a écrit : Ce faisant, par un raisonnement dont on retrouve l'assimilé dans la notion de lieu mathématique, cette introduction du mouvement comme lien logique entre le fini et l'infini, lequel permet de faire la "jonction", ne peut bien entendu pas gommer le tour de passe-passe inévitable, le concept de mouvement recelant en lui l'aporie du temps, mais au moins la laisse-t-il là où elle ne peut qu'être "compréhensible", à savoir au sein de la trinité.


Là je ne sais pas dans quelle mesure il y a ou non « tour de passe passe ». Je vois bien le problème (du moins je crois) mais je n’ai pas encore eu le courage de réfléchir à fond là-dessus pour voir si mes idées étaient cohérentes. C’est une question (le statut exact du temps) qui, pour ce qui me concerne, fait partie des plus difficiles de la philosophie de Spinoza. Toutefois (sous toute réserve encore une fois : je ne suis pas encore certain du sens que cela a, ni même que cela en ait un.) le temps pourrait être tout aussi bien un « effet de surface » du mouvement, en d’autre terme le temps pourrait être (et n’être que cela) une idée inadéquate (une perception confuse) de l’éternité et de la nécessité. Grosso modo, je suis certain que c’est ce que Spinoza cherche à expliquer, mais je suis beaucoup moins certain de ce que cela signifie exactement

D.

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Messagepar sescho » 23 janv. 2009, 00:07

bardamu a écrit :... que "à l'existence d'une chose singulière selon la durée ne correspond en principe aucune constance dans l'essence incarnée" me semble quasi-tautologique si on se place d'emblée dans la durée, quasi-tautologique parce que je dirais plutôt "actualité" que durée (à cause de l'usage, discutable..., que je fais du terme durée pour parler des phénomènes naissance-mort, c'est-à-dire de la chaine infinie du fini dans laquelle s'exprime une essence).
Je ne sais pas trop si tu fais une distinction entre durée et actualité.

Je te retournerai bien la question, mais à l'inverse : je ne sais trop si tu sens le lien entre durée et actualité. Car le passé n'est plus, le futur n'est pas encore, et l'instant présent n'a pas d'épaisseur. Rien dans ces conditions n'est perceptible en vérité. La perception de l'existence des choses singulières est intimement lié à la perception innée de la durée, et se fait dans la durée, et se fait donc déjà, puisque l'actualité change dans la durée, de manière confuse.

Mais oui, heureusement, je fais la différence entre ce qui est (même si je ne le connais de fait que confusément) à un instant donné et ce qui change au cours du temps. Ce qui est à un instant donné c'est l'actualisation d'une essence divine modale finie, et cette essence est éternelle comme toute essence (puisque c'est l'essence de Dieu qui est éternel). En passant, ceci vaut que je perçoive clairement l'essence ou pas (en l'occurrence, c'est "pas", mais je vois quand-même clairement qu'il y a là un mode fini en acte, alors même, donc, que je ne le vois pas clairement dans son essence même.)

Mais je le répète : vouloir éliminer la perception selon le temps c'est totalement inconséquent, tant vis-à-vis de la réalité de l'Homme que vis-à-vis du texte de Spinoza (qui traite heureusement des mouvements - physiques ou mentaux - des modes finis, humains, et qui dit "mouvement", dit "évolution dans le temps".)

bardamu a écrit :Un truc que je ne suis pas sûr d'avoir saisi : tu conçois tout selon l'éternité mais j'ai l'impression que pour toi l'existence des "choses singulières" ne peut pas être conçues en dehors de la durée, c'est-à-dire que l'existence d'une chose singulière n'a de sens que comme existence dans la durée. Il y aurait alors une chose qui pour toi ne pourrait être conçue selon l'éternité, ce serait l'existence des choses singulières.

C'est cela, avec Spinoza.

Spinoza a écrit :PM1Ch4 : De la division faite ci-dessus de l’Être en être dont l’essence enveloppe l’existence et être dont l’essence n’enveloppe qu’une existence possible, provient la distinction entre l’éternité et la durée. Nous parlerons ci-après plus amplement de l’éternité.

Ce qu’est l’éternité. – Ici nous dirons seulement qu’elle est l’attribut sous lequel nous concevons l’existence infinie de Dieu.

Ce qu’est la durée. – Elle est l’attribut sous lequel nous concevons l’existence des choses créées en tant qu’elles persévèrent dans leur existence actuelle. D’où il suit clairement qu’entre la durée et l’existence totale d’une chose quelconque il n’y a qu’une distinction de Raison. Autant l’on retranche à la durée d’une chose, autant on retranche nécessairement à son existence. …

PM2Ch1 : Raisons pour lesquelles les Auteurs ont attribué à Dieu la durée. – La cause de cette erreur commise par les Auteurs est :

1° Qu’ils ont entrepris d’expliquer l’éternité, sans avoir égard à Dieu, comme si l’éternité pouvait se connaître en dehors de la contemplation de l’essence divine ou était autre chose que l’essence divine ; et cela même provient de ce que nous avons accoutumé, à cause de l’insuffisance du vocabulaire, d’attribuer l’éternité même aux choses dont l’essence est distincte de l’existence (comme lorsque nous disons qu’il n’implique pas contradiction que le monde ait été de toute éternité) ; et aussi aux essences des choses, alors que nous ne concevons pas les choses comme existantes : car nous appelons alors les essences éternelles.

2° Qu’ils attribuaient la durée aux choses en tant seulement qu’ils les jugeaient soumises à un changement continuel, non comme nous en tant que leur essence est distincte de leur existence.

3° Qu’ils ont distingué l’essence de Dieu, comme celle des choses créées, de son existence.

Ces erreurs, dis-je, ont été l’occasion d’erreurs nouvelles. La première fut cause qu’ils ne connurent pas ce qu’était l’éternité mais la considérèrent comme un certain aspect de la durée. La seconde, qu’ils ne purent facilement trouver la différence entre la durée des choses et l’éternité de Dieu.

La dernière enfin que, la durée étant seulement une affection de l’existence, comme ils distinguaient l’existence de Dieu de son essence, ils durent, ainsi que nous l’avons dit, lui attribuer la durée.

… une chose créée peut être dite jouir de l’existence parce qu’en effet l’existence n’est pas de son essence ; mais Dieu ne peut être dit jouir de l’existence, car l’existence de Dieu est Dieu lui-même ; de même aussi que son essence ; d’où suit que les choses créées jouissent de la durée, mais que Dieu n’en jouit en aucune façon.

toutes les choses créées, tandis qu’elles jouissent de la durée et de l’existence présente, ne possèdent en aucune façon la future, puisqu’elle doit leur être continûment accordée ; mais de leur essence on ne peut rien dire de semblable. Quant à Dieu son existence étant son essence nous ne pouvons lui attribuer l’existence future ; car cette existence qu’il aurait dans l’avenir lui appartient en acte dès à présent ; ou, pour parler plus proprement, une existence infinie en acte appartient à Dieu de la même façon qu’un entendement infini lui appartient en acte. Cette existence infinie je l’appelle Éternité, et il ne faut l’attribuer qu’à Dieu, mais non à aucune chose créée, alors même que sa durée serait illimitée dans les deux sens. …

PM2Ch10 : ...Il n’a point existé de temps ou de durée avant la création. – 4° Enfin, avant la création nous ne pouvons imaginer aucun temps et aucune durée, mais le temps et la durée ont commencé avec les choses. Car le temps est la mesure de la durée ou plutôt il n’est rien qu’un mode de penser. Il ne présuppose donc pas seulement une chose créée quelconque, mais avant tout les hommes pensants. Quant à la durée, elle cesse où les choses créées cessent d’être et commence où les choses créées commencent d’être ; je dis les choses créées, car nulle durée n’appartient à Dieu mais seulement l’éternité, nous l’avons montré plus haut avec une suffisante évidence. La durée suppose donc avant elle ou au moins implique les choses créées. Pour ceux qui imaginent la durée et le temps avant les choses créées, ils sont victimes du même préjugé que ceux qui forgent un espace par-delà la matière, comme il est assez évident de soi. ...

ils imaginent le temps et la durée avant la création du monde et veulent qu’il existe une durée indépendante des choses créées comme d’autres une éternité hors de Dieu, et il est constant maintenant que l’une et l’autre opinions sont les plus éloignées qu’il se puisse de la vraie. ...

Enfin, pour ne pas perdre de temps ici à répondre à de futiles arguments, il suffit de prendre garde d’une part à la distinction établie entre l’éternité et la durée et d’autre part à ce que la durée sans les choses créées et l’Éternité sans Dieu ne sont intelligibles en aucune façon ; cela étant clairement vu, on pourra très facilement répondre à toute argumentation. Il n’est donc pas nécessaire de nous attarder ici davantage.

TRE : 100. … pour la série des choses particulières sujettes au changement, il serait impossible à la faiblesse humaine de l'atteindre, tant à cause de leur multitude innombrable qu'à cause des circonstances infinies qui se rencontrent dans une seule et même chose et peuvent être cause qu'elle existe ou n'existe pas ; puisque l'existence de ces choses n'a aucune connexion avec leur essence, ou, comme nous l'avons déjà dit, puisqu'elle n'est pas une vérité éternelle.

E1A7 : Quand une chose peut être conçue comme n’existant pas, son essence n’enveloppe pas l’existence.

E1P17S : … .un homme est cause de l’existence d’un autre homme, non de son essence. Cette essence, en effet, est une vérité éternelle, et c’est pourquoi ces deux hommes peuvent se ressembler sous le rapport de l’essence ; mais ils doivent différer sous le rapport de l’existence, et de là vient que, si l’existence de l’un d’eux est détruite, celle de l’autre ne cessera pas nécessairement. Mais si l’essence de l’un d’eux pouvait être détruite et devenir fausse, l’essence de l’autre périrait en même temps. …

E1P24 : L’essence des choses produites par Dieu n’enveloppe pas l’existence.

Corollaire : Il suit de là que Dieu n’est pas seulement la cause par qui les choses commencent d’exister, mais celle aussi qui les fait persévérer dans l’existence, et (pour employer ici un terme scholastique) Dieu est la cause de l’être des choses (causa essendi). En effet, alors même que les choses existent, chaque fois que nous regardons à leur essence, nous voyons qu’elle n’enveloppe ni l’existence, ni la durée ; par conséquent, elle ne peut être cause ni de l’une ni de l’autre, mais Dieu seul, parce qu’il est le seul à qui il appartienne d’exister (par le Coroll. 1 de la Propos. 14). C. Q. F. D.

E5P23 : L’âme humaine ne peut entièrement périr avec le corps ; il reste quelque chose d’elle, quelque chose d’éternel.

Démonstration : … nous n’attribuons à l’âme humaine aucune durée qui se puisse déterminer dans le temps, si ce n’est en tant qu’elle exprime l’existence actuelle du corps, laquelle se développe dans la durée et peut se déterminer dans le temps ; en d’autres termes (par le Coroll. de la Propos. 8, part. 2), nous n’attribuons à l’âme une durée que pendant la durée du corps. Toutefois, comme ce qui est conçu par l’essence de Dieu avec une éternelle nécessité est quelque chose, ce quelque chose, qui se rapporte à l’essence de l’âme, est nécessairement éternel (par la Propos. précéd.). C. Q. F. D.

Scholie : … on ne peut dire que notre âme dure, et son existence ne peut être enfermée dans les limites d’un temps déterminé qu’en tant qu’elle enveloppe l’existence actuelle du corps ; et c’est aussi à cette condition seulement qu’elle a le pouvoir de déterminer dans le temps l’existence des choses et de les concevoir sous la notion de durée.

E5P29 : Tout ce que l’âme conçoit sous le caractère de l’éternité, elle le conçoit non pas parce qu’elle conçoit en même temps l’existence présente et actuelle du corps, mais bien parce qu’elle conçoit l’existence du corps sous le caractère de l’éternité.

Démonstration : L’âme, en tant qu’elle conçoit l’existence présente du corps, conçoit la durée, laquelle se détermine dans le temps, et elle n’a, par conséquent, que le pouvoir de concevoir les choses en relation avec le temps (par la Propos. 21, part. 5 et la Propos. 26, part. 2). Or, l’éternité ne peut se déterminer par la durée (en vertu de la Déf. 8, part. 1 et de l’Explication qui la suit). Donc l’âme, sous ce point de vue, n’a pas le pouvoir de concevoir les choses sous le caractère de l’éternité ; mais comme il est de la nature de la raison de concevoir les choses sous le caractère de l’éternité (par le Coroll. 2 de la Propos. 44, part. 2), et qu’il appartient aussi à la nature de l’âme de concevoir l’essence du corps sous le caractère de l’éternité (par la Propos. 23, part. 5), et comme enfin, hormis ces deux choses, rien de plus n’appartient à l’essence de l’âme (par la Propos. 13, part. 2), il s’ensuit que cette puissance de concevoir les choses sous le caractère de l’éternité n’appartient à l’âme qu’en tant qu’elle conçoit l’essence du corps sous le caractère de l’éternité. C. Q. F. D.

Scholie : Nous concevons les choses comme actuelles de deux manières : ou bien en tant que nous les concevons avec une relation à un temps ou un lieu déterminés, ou bien en tant que nous les concevons comme contenues en Dieu et résultant de la nécessité de la nature divine. Celles que nous concevons de cette seconde façon comme vraies ou comme réelles, nous les concevons sous le caractère de l’éternité, et leurs idées enveloppent l’essence éternelle et infinie de Dieu, ainsi que nous l’avons montré dans la Propos. 45, part. 2 ; voyez aussi le Scholie de cette Proposition.

E5P30Dm : … concevoir les choses sous le caractère de l’éternité, c’est concevoir les choses en tant qu’elles se rapportent, comme êtres réels, à l’essence de Dieu, en d’autres termes, en tant que par l’essence de Dieu elles enveloppent l’existence.

Lettre 12 : … nous concevons l’existence de la substance comme entièrement différente de celle des modes. Et de là vient la distinction de l’éternité et de la durée ; car il n’y a que l’existence des modes qui tombe dans la durée ; celle de la substance est dans l’éternité, je veux dire qu’elle consiste dans une possession infinie de l’être (essendi).


bardamu a écrit :A ces idées (que tu les aies vraiment ou pas...), j'opposerais les textes suivants (les numéros entre crochet sont utilisés plus bas) :
E5p23 dém. : (...) comme ce qui est conçu par l'essence de Dieu avec une éternelle nécessité est quelque chose, ce quelque chose, qui se rapporte à l'essence de l'âme, est nécessairement éternel [1].

Concevoir par l'essence de Dieu et concevoir sous l'aspect de l'éternité sont synonymes (voir extraits plus haut.)

bardamu a écrit :E5p23 scolie : (...)

... je pars du principe que l'existence est une expression de l'essence. Si on conçoit cette expression dans l'actualité (conatus) on a l'existence selon la durée et le temps, si on la conçoit selon l'éternité on a l'existence éternelle.

L'existence se fait toujours comme manifestation d'une essence (ce que la chose est) et l'essence est éternelle. Mais l'existence en tant qu'incarnation d'une essence précise ne l'est pas (car ce qui est éternel est sempiternel lorsque vu selon le temps.)

Toutefois l'essence est éternelle en Dieu, dont l'existence, cette fois et pour lui seul, ne se distingue pas de l'essence. Conclusion : l'existence d'une chose singulière n'est pas éternelle, mais l'existence de Dieu si, qui s'exprime dans toute existence de chose singulière. C'est ce que signifie "mode", soit "mode de manifestation" : c'est concevable non en soi mais en Dieu, et quand on conçoit en Dieu, on conçoit sous l'angle de l'éternité (ce qui ne gomme pas le sens inné du temps.)

bardamu a écrit :A cette existence éternelle d'une chose singulière ne peut correspondre une idée du premier genre de connaissance (mémoire) ni une idée du second genre dont on ne tire la connaissance d'aucune essence de chose singulière. Il ne reste que le 3e genre qui porterait alors bien son nom de Science Intuitive si l'idée est une "sensation", une sensation intellectuelle comme il y a un amour intellectuel.

Je dirais donc : "existence vue sous l'aspect de l'éternité", autrement dit comme étant non du tout en soi mais en Dieu. Je ne reviens pas sur le fait que le troisième genre porte sur la même chose que le deuxième mais vu intuitivement... Mais effectivement, de même que la réalité de Dieu est la base de la base de la Raison, le sommet de la connaissance du troisième genre c'est de voir en tout la manifestation de Dieu. Il n'y a nullement pour cela à voir adéquatement l'essence d'une chose singulière en tant que singulière, ce qui est impossible (tant par l'inadéquation des sensation, que du point de vue du changement permanent), il suffit de voir qu'il y a là une chose singulière en acte.

bardamu a écrit :Ce qui vient ci-dessous est en bonus mais je préfèrerais qu'on se concentre sur la partie ci-dessus, savoir si j'ai bien compris tes idées et où tu verrais une faille dans mon raisonnement. Le point essentiel sur ta pensée serait pour moi de savoir si tu considères effectivement que l'essence d'une chose singulière est concevable selon l'éternité mais pas son existence, ou bien que "existence éternelle" peut s'appliquer à une chose singulière (au moins notre esprit).


Existence éternelle n'appartient qu'à Dieu et nullement à une chose singulière, comme les extraits ci-dessus le montrent abondamment. Mais comme tout est en Dieu, voir les choses en Dieu c'est les voir sous l'aspect de l'éternité, y compris l'existence passagère des choses singulières.

Serge
Connais-toi toi-même.


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