La liberté - le déterminisme

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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Sinusix
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Messagepar Sinusix » 23 janv. 2009, 14:33

Bonjour Durtal

Durtal a écrit :
Pour être sur que nous nous comprenons bien : tu veux dire en te référant au problème de l’analyse du continu que par la possibilité du calcul des différences infiniment petites, le rapport du fini et de l’infini, sort des apories auxquelles conduit nécessairement la conception d’un infini divisibles en parties finies (type paradoxe de Zénon : Achille ne rattrape jamais la tortue).


Et oui, j'aurais pu anticiper cette remarque pertinente. Il s'agit bien de l'impossibilité de faire le lien entre infini et fini si l'on se limite à sommer les décompositions successives en oubliant le tout global indivisible qui impose une dynamique à la sommation (la vitesse et le temps pour la flèche ou la tortue ; le mouvement et le repos, donc la puissance d'agir pour ce qui concerne notre problème).

Dans ces conditions, et d'accord avec ton paragraphe suivant, on peut dire que chaque chose singulière est alors comme un arrêt étendue focalisé (donc spatio-temporel, donc négation locale d'infini liée à un rapport spécifique de mouvements et de repos), susceptible de correspondre à un type d'arrêt image focalisé propre à chaque individu/sujet percevant (idée inadéquate), nécessitant redressement possible par les individus/sujet percevants et pensants que nous sommes si nous voulons en avoir une idée adéquate.

Chaque chose singulière est donc bien constitution de "forme" intérieure au tout indivisible et continu, la substance spinoziste étant indivisiblement présente en chaque chose singulière (en raison de l'incommensurabilité entre elle et ses modes), mais étant un infini constitué de ces choses singulières, lesquelles sont commensurables à ses modes puisqu'en étant des parties.

Bien entendu, au delà de la logique langagière et conceptuelle, tout cela reste relever de l'énigme.

Amicalement

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Messagepar Durtal » 24 janv. 2009, 17:55

Sinusix a écrit :Bien entendu, au delà de la logique langagière et conceptuelle, tout cela reste relever de l'énigme.


Je te sens un peu désabusé là... :D

Mais je comprends ce que tu veux dire. D'expérience cependant je sais que les philosophes ne sont jamais là où l'on croit tout d'abord qu'ils sont. Ils ne sont jamais si éloignés de nous que l'on pourrait le croire, mais juste à un endroit un peu différent auquel il faut parvenir à nous placer.


Bon je retourne à la lettre XII (histoire de mettre à profit les quelques heures de répit que j'ai pu arracher à cette société productiviste et chronophage)

D.

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Messagepar sescho » 24 janv. 2009, 18:43

Durtal a écrit :NONNNNNNNN


PAS la discussion sur les "modes infinis médiats"!!!!! :D


Quel est vraiment le problème sérieusement? Si c'est pour colmater le trou qu'on a fait entre Dieu et les choses finies: alors les modes médiats infinis, que Spinoza en parle ou non, ne nous tirerons pas du tout d'affaire .

Le "trou" (le "second" entre les modes infinis et les modes finis) n'est pas acquis selon moi. Nous en discutons et c'est pourquoi je pense qu'il faut "nettoyer" le contexte de toute élucubration, autant que possible.

Durtal a écrit :... si l'on admet l'existence des modes médiats infinis mais aussi qu'il n'y a pas de "trou" entre Dieu et les choses finies, alors le problème n'a plus le caractère crucial qu'il semble revêtir pour les parties en présence.

Certes : si... Mais nous en discutons, justement.

Tout est en Dieu, c'est acquis, mais le statut des choses singulières est encore largement en débat malgré tout. Maintenant si l'on considère que la facies totius universi suit du mode infini immédiat, est la mosaïque de modes finis en interdépendance à un instant donné sur tout l'attribut et change (évidemment) avec le temps, c'est aussi ce que je dis.

Durtal a écrit :... je ne vois pour ma part pas de différence entre a) la pensée de Dieu (l'attribut), b) la totalité des pensées que Dieu forme (ce qui suit de cet attribut: ou l'intellect absolument infini), c) la totalité de ce qui est pensé par ces pensées (ou la face totale de l'univers en tant qu'elle s'explique sous l'attribut de la pensée). Ce sont il me semble trois niveaux de conceptualisation de la même chose ni plus ni moins.

Mais j'ai peut être tort.

Pour moi tu as raison (même si l'entendement infini est un mode de l'attribut pensée et non cet attribut même, il est éternel et infini)... sauf que je ne vois pas la face de l'univers entier là-dedans. Elle est dite changer par Spinoza. Qu'est-ce qui change dans ce que tu décris ?

As-tu une bonne raison pour parler de "face totale" (latiniste de formation ancienne et de très courte durée je suis...) ?

Je reviens sur l’analyse précise de texte :

A) E2L7S : … la nature tout entière est un seul Individu, dont les parties, c’est-à-dire tous les corps, varient d’une infinité de manières sans que change l’Individu tout entier.

Nous en tirons :

1) Ce qui ne change pas = Individu = la nature tout entière.

2) Ce qui varie d’une infinité de manières = les parties = tous les corps.

On peut préciser que, les corps étant en acte (et l’ensemble des « corps possibles » étant éternel et immuable, donc sans changement), « tous les corps » doit être entendu comme « la mosaïque de corps qui couvre l’étendue à un instant donné, variant d’une infinité de manières au cours du temps. »

B) Lettre 64 : … la face de l’univers entier, qui reste toujours la [le] même, quoiqu’elle change d’une infinité de façons. … (Voyez, sur ce point, le Scholie du Lemme 7, avant la Propos. 14, part. 2.)

Note : quelqu’un peut-il me dire à partir du texte d’origine de la lettre si l’on pourrait alternativement mettre ce « le » à la place de « la » (ou remplacer l’ « univers » par un mot de genre féminin – comme « Nature » - ce qui revient au même) ; sinon il y a une incohérence (ce qui change ne peut être toujours le même, et le parallèle obligé avec E2L7S ne fonctionne plus, car ce qui conserve sa nature c’est l’Individu, pas ses parties.) Quoique si j’en crois ce livre, ce n’est pas forcément gagné pour autant…

Denique exempla, quae petis, primi generis sunt in cogitatione intellectus absolute infinitus, in extensione autem motus et quies; secundi autem facies totius universi, quae quamvis infinitis modis variet, manet tamen semper eadem, de quo vide schol. lem. 7. ante prop. 14. P. 2.

Source

La locution « face de l’univers » - « face » voulant dire « visage, » « apparence » - distingue bien deux choses : 1) l’univers lui-même et 2) sa face.

Le rapport à E2L7S indique donc :

L’Univers = la Nature (= l’Individu qui ne change pas.)

Ceci est consolidé par l’ajout d’ « entier » dans les deux cas : « nature tout entière » / « univers entier. » Ceci semble pour le moins naturel.

Ce qui change = les parties = tous les corps (à un instant donné) = la face de l’Univers (ce qui semble aussi naturel.)

Il reste par ailleurs cette évidence : ce qui est éternel ne change pas dans une perspective temporelle (« sempiternel » le dit par lui-même.) Ce qui change n’est donc pas éternel, ce qui exclut dans tous les cas « la face de l’univers » comme soi-disant mode infini et éternel « médiat. »

La difficulté tient toujours dans le même fait : le changement est dans la Nature mais la Nature ne change pas. C’est ce qui est et est néanmoins en quelque part impensable (d’où une série de difficultés qui n’en sont que des versions.)

Lien avec la lettre 32 à Oldenburg : … tous les corps sont environnés par d’autres corps, et se déterminent les uns les autres à l’existence et à l’action suivant une certaine loi, le même rapport du mouvement au repos se conservant toujours dans tous les corps pris ensemble, c’est-à-dire dans l’univers tout entier ; d’où il suit que tout corps, en tant qu’il existe d’une certaine façon déterminée, doit être considéré comme une partie de l’univers, s’accorder avec le tout et être uni à toutes les autres parties. Et comme la nature de l’univers n’est pas limitée comme celle du sang, mais absolument infinie, toutes ses parties doivent être modifiées d’une infinité de façons et souffrir une infinité de changements en vertu de la puissance infinie qui est en elle. …

Une difficulté par rapport à ce qui précède se présente dans l’équivalence, au moins apparente (il faudrait là-aussi reconsidérer finement la traduction) :

Tous les corps pris ensemble = l’univers tout entier.

Autrement dit, il manque la référence à parties / individu (ou la référence à la « face… » en considérant la lettre 64.)

La suite du texte (qui est importante : elle affirme la nécessité de l’interdépendance et de l’impermanence) parle de la nature de l’univers qui est absolument infinie et est une puissance infinie. Il est donc hors de question qu’il ne s’agisse pas intégralement de la Nature.

Puisqu’il est question de « conservation » (de la quantité de mouvement), il est forcément aussi question de changement dans le temps. D’un autre côté, la quantité de mouvement est bien une constante de l’univers, indépendamment du temps et des changements qui interviennent en permanence dans la nature des corps, cette valeur étant la somme de celles de tous les corps existant à un instant donné, quelconque.

Quoiqu’il en soit, l'écart dans l’expression avec E2L7S est un fait. Je pense que nous pouvons conclure que l'équivalence ci-dessus n’est qu’apparente et qu'il s'agit d'une écriture plus sommaire dans la lettre.

Après compléments :

Dans la traduction Appuhn, les choses sont quelque peu différentes (c’est effectivement un souci, la traduction …) :

Lettre 32 : … Nous pouvons et devons concevoir tous les corps de la nature en même manière que nous venons de concevoir le sang ; tous en effet sont entourés d'autres corps qui agissent sur eux et sur lesquels ils agissent tous, de façon, par cette réciprocité d'action, qu'un mode déterminé d'existence et d'action leur soit imposé à tous, le mouvement et le repos soutenant dans l'univers entier un rapport constant. De là cette conséquence que tout corps, en tant qu'il subit une modification, doit être considéré comme une partie de l'Univers, comme s'accordant avec un tout et comme lié aux autres parties. Et comme la nature de l'Univers n'est pas limitée ainsi que l'est celle du sang, mais absolument infinie, ses parties subissent d'une infinité de manières la domination qu'exerce sur elles une puissance infinie et subissent des variations à l'infini. Mais je conçois l'unité de substance comme établissant une liaison encore plus étroite de chacune des parties avec son tout. Car, ainsi que je vous l'écrivais dans ma première lettre, alors que j'habitais encore Rijnsburg, je me suis appliqué à démontrer qu'il découle de la nature infinie de la substance que chacune des parties appartient à la nature de la substance corporelle et ne peut sans elle exister ni être conçue.


Amicalement


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Messagepar sescho » 25 janv. 2009, 17:47

Bon, finalement, j'en reviens à ce qu'en a dit Durtal, et qui correspondait à ma première lecture avant que je ne pèse chaque mot. Ceci suppose de "glisser sur la forme", ou de "lisser la forme" :

Ce qui suit des modes immédiats, ce sont tous les modes finis (ce qui rejoint alors tous les passages où Spinoza dit que les modes finis sont causés par les modes généraux, et particulièrement les corps par le Mouvement.) Il n'y a, c'est absolument clair, aucun mode intermédiaire entre les premiers et les seconds. Finalement, E2L7S en est lui-même une des meilleures preuves, qui place les corps comme manifestation directe de la Nature.

Le fameux problème auquel répond ainsi Spinoza est celui-ci : l'Etendue modifiée ne peut qu'être considérée effectivement étendue. Dans ce cadre, à un instant donné, elle est bien modifiée d'une certaine façon et non d'une autre ; elle n'est pas l'ensemble des corps mais seulement ceux qui sont effectivement là. Pourtant l'étendue en mouvement "contient tous les corps". C'est ce paradoxe qui est impensable, quoique la Raison doive l'accepter, car en partant dans l'ordre requis pour philosopher, autrement dit de Dieu, c'est cette seconde assertion qui s'impose, quoi que nos sens nous indiquent.

D'autres façons de dire ce paradoxe c'est : "le changement est dans la Nature, mais la Nature ne change pas", ou encore : "le temps vient avec l'existence des choses finies, mais Dieu, qui contient tout, n'est pas soumis au temps", ou encore "l'existence des modes se distingue totalement de leur essence, alors qu'en Dieu elles se confondent." Tout cela recouvre la même chose.

Dans ce cadre, les expressions précédemment discutées peuvent être acceptées comme disant aussi la même chose, la "face" étant un moyen terme entre l'aspect temporel et l'univers entier, lequel recouvre tous les corps, existant en acte ou non à un instant donné. L'univers est toujours le même (même étendu) quoiqu'il se manifeste d'une infinité de façons. Une façon différente de se le représenter est de considérer qu'une fois donnés l'Etendue et le Mouvement, tous les corps, existant ou non, s'en déduisent (des lois du Mouvement en particulier.) Ceci Spinoza le dit très clairement et abondamment.

Il reste, par cela et par tous les extraits qui le disent directement, que les corps suivent directement du Mouvement, et qu'il n'y a rien d'intercalé entre eux chez Spinoza. Les soi-disant "modes infinis médiats" sont en tout état de cause, même chez ceux qui les posent, des fantômes.


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Messagepar Durtal » 25 janv. 2009, 19:02

sescho a écrit :
Le fameux problème auquel répond ainsi Spinoza est celui-ci : l'Etendue modifiée ne peut qu'être considérée effectivement étendue. Dans ce cadre, à un instant donné, elle est bien modifiée d'une certaine façon et non d'une autre ; elle n'est pas l'ensemble des corps mais seulement ceux qui sont effectivement là. Pourtant l'étendue en mouvement "contient tous les corps". C'est ce paradoxe qui est impensable, quoique la Raison doive l'accepter, car en partant dans l'ordre requis pour philosopher, autrement dit de Dieu, c'est cette seconde assertion qui s'impose, quoi que nos sens nous indiquent.


je suis d'accord avec ton approche à ceci près toutefois que tu me semble placer une confiance qui pourrait bien s'avérer téméraire dans les concepts de quantité et de temps. C'est pourquoi je veux pousser plus avant l'étude de la lettre XII aussi courte qu'elle est dense, qui distingue notamment Durée et Temps, Grandeur et Mesure. Sur fond d'une distinction unique entre ce qui est infini par nature et ce qui est infini par sa cause. La mesure et le temps, s'appliquent sans contradiction à ce qui est infini par sa cause mais s'y révèlent comme des manières de l'imagination qui mènent à des paradoxes si on les confond avec des choses réelles.

Donc prudence peut être...avec des expressions comme "à un instant donné" et comme "l'ensemble de tous les corps". Je crois que la "piste du continu" lancée par Sinuxis est la bonne pour y voir un peu plus clair dans ce problème du rapport du fini et de l'infini mais il faut encore la pousser.

Je suis désolé d'être allusif et flou dans mes remarques, mais c'est aussi que j'ai encore des choses à mettre au point.

Je reviendrai à la charge (ou peut être pas, si mon château de carte s'effondre lamentablement :D)

bb.

D.

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Messagepar sescho » 25 janv. 2009, 20:24

Il faut simplement, me semble-t-il, garder à l'esprit que Spinoza considère le Temps comme une métrique de la durée, de même que la Grandeur est une métrique de l'étendue (il n'y a pas d'espace distinct de la matière chez Spinoza.)

Personnellement je ne fais référence à aucune métrique. Quand je dis "le temps" (c'est le terme moderne pour signifier cela), je me réfère à la durée chez Spinoza. Spinoza utilise "durée" car - voir l'échange précédent avec Bardamu - le temps est indissociable de l'existence des choses singulières (qui durent plus ou moins.) Spinoza rejette l'idée d'un temps / durée qui serait sans les choses singulières.

Il ne faut donc pas jeter la durée avec le temps chez Spinoza, de même qu'on ne jette pas l'étendue avec la géométrie. Quant à l'instant présent, c'est le seul "lieu" d'existence des choses singulières (ou pourrait presque dire que c'est l'existence même des choses singulières.)


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Messagepar sescho » 26 janv. 2009, 00:10

Juste une précision.

Je conçois très bien le fini dans l'infini, ainsi que nous en avons discuté avec Hokousai plus haut (et suivants.)

Et pour moi le fini est introduit par le Mouvement, lequel est introduit par un "saut ontologique" (il est impossible de le déduire de la seule considération de l'Etendue.)

Mon problème se situe au niveau du passage de la causalité immanente à la causalité transitive (que j'estime imaginaire) avec E1P28, ou plutôt de la superposition des deux causalités (puisque l'immanente est constamment réaffirmée, et ce dès E1P29.) Pour l'instant, je ne vois pas d'autre chose que ce que j'en ai déjà dit : la causalité transitive est introduite parce que la seule considération du Mouvement ne nous permet pas d'aboutir, de par nos limites (il manque en outre les conditions initiales, voire aussi les conditions aux limites, puisqu'il y a infinité dans toutes les directions), aux choses singulières. Il faut que nous les constations (ce qui pose alors interrogation sur la démarche de la Raison pure, en passant...)

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Messagepar Enegoid » 26 janv. 2009, 12:29

A Sescho.

Votre post du 22/01 me pose un problème dès les premières lignes. Je me concentre sur elles, car je ne vois pas comment avancer, sans éclaircir la différence de points de vue.

Sescho a écrit :Je ne vois pas de problème sur ce point. Schuller se trompe dans son exemple en prenant les attributs pour des modes infinis immédiats et le mouvement et l'entendement infini comme modes infinis "médiats" (pour le coup, je le mets puisqu'il se trompe.) Spinoza rectifie sans le faire remarquer et cite la face totale de l'univers comme produite par les modes infinis immédiats, sans se référer à E1P22. Ni Schuller ni Spinoza ne disent que la modification qui découle des modes éternels et infinis immédiats serait elle-même infinie (si ce n'est l'erreur faite par Schuller.)



1. Ni Schuller ni Spinoza ne parlent de « modes infinis » (médiats ou immédiats). Schuller parle de « choses produites immédiatement » et de « choses produites médiatement ». Spinoza parle de «premier genre » et de « deuxième genre », admettant ainsi qu’il y a bien les deux « genres » de choses évoquées par Schuller.Il ne remet pas en question les catégories proposées par Schuller.

2. Schuller se trompe effectivement en mettant les attributs pensée et étendue à la place du premier genre de choses. Spinoza rectifie en lui disant implicitement : « ce que vous mettez en second, c’est-à dire l’entendement et le mouvement doit être mis en premier : ce sont des choses produites immédiatement par Dieu. Et pour ce qui est votre deuxième genre de choses, cad les choses produites médiatement, il s’agit de la figure du tout de l’univers ».

3. Cette « figure de l’univers » est infinie et éternelle, que ce soit la figure, ou l’univers lui-même). Et c’est une chose « produite médiatement » par Dieu.

4. Maintenant, je suis bien d’accord sur le fait que le concept de « face de l’univers » pose quelques problèmes. Notamment deux
a. Le premier tient au concept même d’individu. Mon corps, le vôtre, celui d’une grenouille, change en permanence tout en restant le même. Voir « le sentiment même de soi ».
b. La notion d’individu infini est contradictoire dans les termes : cercle carré.

Plus précisément :
sans se référer à E1P22


Ni Schuller ni Spinoza ne se réfèrent à E1p22 Ils ne se réfèrent pas non plus à E1p21, et pourtant vous n'en tirez pas la conclusion que les modes infinis immédiats n'existent pas. Il me semble, encore une fois, non forcé de penser que les deux genres de choses évoqués par Schuller concernent ces deux propositions.


Ni Schuller ni Spinoza ne disent que la modification qui découle des modes éternels et infinis immédiats serait elle-même infinie


Spinoza dit que la face de l'univers "chose produite médiatement" est infinie.


(si ce n'est l'erreur faite par Schuller


L'erreur de Schuller est d'avoir confondu attribut et mode infini, et d'avoir considéré comme "médiat" ce qui est "immédiat".
NB Dans l'édition Pleïade on trouve une "note en marge du manuscrit " (de Schiller) évoquant le "facies totius naturae"




En fait, je suis de plus en plus perplexe, à vous lire, et je ne vous comprends vraiment pas (c'est un euphémisme) : vous écrivez (je prends un exemple, mais ce que je cite, vous le dites en plusieurs endroits) :

« Nous en tirons : « Ce qui ne change pas = individu= la nature tout entière » »


Je vous pose la question : Qu’est-ce que la nature tout entière sinon un mode ? Ce mode n’est-il pas infini et éternel ? (Deus sive natura).


Querelle de mots, selon moi en grande partie. Modes infinis ou pas il y a quelque chose à nommer. Mais je ne sais quel est l’enjeu sous-jacent ! Et je ne comprends pas non plus ce qui me parait vraiment être une obstination à qualifier de « fantôme » l’univers entier !

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Messagepar Sinusix » 26 janv. 2009, 18:31

Bonsoir à tous,

Je persiste à ne pouvoir suivre Sescho et vous livre quelques pistes de réflexion complémentaires. La remarque ci-dessous de Durtal me semblant appuyer, comme celle d'Enegoid, sur un point crucial, je la rappelle et focalise en caractère gras.

Durtal a écrit :
je suis d'accord avec ton approche à ceci près toutefois que tu me semble placer une confiance qui pourrait bien s'avérer téméraire dans les concepts de quantité et de temps. C'est pourquoi je veux pousser plus avant l'étude de la lettre XII aussi courte qu'elle est dense, qui distingue notamment Durée et Temps, Grandeur et Mesure. Sur fond d'une distinction unique entre ce qui est infini par nature et ce qui est infini par sa cause. La mesure et le temps, s'appliquent sans contradiction à ce qui est infini par sa cause mais s'y révèlent comme des manières de l'imagination qui mènent à des paradoxes si on les confond avec des choses réelles.


En tant qu'apprenti philosophe (remarque lucide qui n'attend pas de désaveu de votre part), je ne peux qu'appliquer ma capacité de raisonnement en toute humilité, et donc songer en premier lieu à comprendre en confrontant ma propre lecture à celle de commentateurs divers et variés, dont les vôtres, mais dont de nombreuses publiées et méritant le respect. Premier constat donc, aucun des commentaires lus ne laisse entrevoir l'inutilité de E1P22.
Plus, la majorité de ces commentaires peuvent être résumés de la façon suivante : Le partage immédiat-médiat recoupe le passage essence-existence. Comment pourrait-il en être autrement puisque, si des choses produites par Dieu l'essence n'enveloppe pas l'existence, il faut bien étager logiquement la production de Dieu en conséquence.
Deuxième constat troublant : Bien que nous sachions que l'existence nécessaire soit synonyme d'éternité, je m'interroge sur la rédaction différenciée que fait Spinoza entre E1P21 - qui se termine par : est, par cet attribut, éternel et infini - et E2P22 (comme E2P23) qui se terminent par : [i]doit aussi exister nécessairement et comme infini. Compte tenu de la rigueur que nous lui connaissons, n'est-ce pas là la trace première de la distinction entre l'infini par la cause et l'infini par nature.
En piste intermédiaire de réflexion, j'observe que l'infinité des essences éternelles de mode étant posée, est simultanément posée l'existence de ladite infinité d'essences (dans le contexte E2P8, l'infinité des essences étant la puissance de Dieu, représentée par le mouvement et le repos, lui-même défini de façon particulière - intensive dirait Deleuze), existence qu'il faut obligatoirement associer à un Existant infini, qui n'est autre que le mode médiat. Car en effet, au contraire du 2ème étage qui reste dans l'éternité dans la mesure où, les essences étant éternelles, c'est-à-dire existant éternellement, ne sont pas affectées par le "commerce des choses", au contraire l'Existant se présente sous deux aspects :
1/ "La matière existante" totale, indépendante de toutes ses recombinaisons, masse atemporelle et infinie, qui constitue l'ensemble modal infini existant, invariable dans cette acception, mais devenu divisible dans la continuité. Il faut bien que cette "masse totale" soit donnée pour qu'ait un sens la connexion avec l'attribut étendue et les autres, en tant qu'ils existent par et dans la triade logique d'origine, "suite" à laquelle il n'y aura plus de "création". En bref, le paquet matière continuement divisible est là, je ne dirais pas l'ensemble de tous les ensembles (lequel, comme par hasard, est paradoxal), mais la catégorie d'infini, particulière par sa cause, qui constitue la facies. Ce visage n'est-il pas le bien nommé qui enveloppe tout l'existant (sans préoccupation à ce niveau de grandeur ni de temps), c'est-à-dire Dieu en tant qu'il est et non pas simplement qu'il se conçoit.
2/ Ce potentiel matière infini ne va entrer dans le temps et la grandeur que comme collection infinie de choses singulières, elles-même constituées d'infini (ce qui préserve totalement l'impossibilité du vide), tout étant "occupé", spatialement et temporellement. Cet ensemble infini, au delà du visage, perpétuellement changeant, se regroupe en l'individu infini de E2Lemme 7 et n'est que l'intérieur du visage (des mathématiciens pourraient l'assimiler à une boule ouverte, l'Univers étant la boule fermée et le visage la sphère). On pourrait se demander si la réponse à l'objection sérieuse que fait Sescho sur le renouvellement incessamment possible de E2P23 par rapport à E2P22 n'a pas pour objet justement de permettre à l'individu tout entier de ne pas changer malgré ce renouvellement continuel de ses parties puisque, en tant qu'infini, il ne peut qu'être issu de E2P21 ou de E2P22.

Il me semble qu'effectivement, comme le signale Durtal (mais c'est un peu, me semble-t-il, aussi l'approche Deleuzienne de distinction des deux types d'infini, intensif de E2P8, et extensif de la lettre à Meyer), que la difficulté principale réside dans le concept d'infini pour Spinoza et, corollairement, de sa "hantise" à ne pas introduire le nombre, nulle part dans sa démonstration.

Amicalement

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Messagepar Enegoid » 26 janv. 2009, 19:34

Sinusix a écrit :On pourrait se demander si la réponse à l'objection sérieuse que fait Sescho sur le renouvellement incessamment possible de E2P23 par rapport à E2P22 n'a pas pour objet justement de permettre à l'individu tout entier de ne pas changer malgré ce renouvellement continuel de ses parties puisque, en tant qu'infini, il ne peut qu'être issu de E2P21 ou de E2P22.



Selon moi, le rôle de E2p23 est de bloquer sur deux niveaux le renouvellement potentiellement infini de la boucle 21/22. A développer si nécessaire...

(A l'époque (nov 2008) j'étais d'accord avec l'objection)

Cordialement


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