La liberté - le déterminisme

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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hokousai
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Messagepar hokousai » 12 nov. 2008, 22:16

Je ne sais plus où Spinoza fait la comparaison avec un pierre


lettre 58 à Schuller

Spinoza y définit la chose libre """comme une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature , contrainte , celle qui est déterminée par une autre à exister et agir d' une certaine façon déterminée ."""...

Dieu existe librement bien que nécessairement parce qu'il existe par la seule nécessité de sa nature .

Il écrit ensuite
""Je ne fais pas consister la liberté dans un libre décret mais dans une libre nécessité .""
.......................................
il est bien évident que l'idée de nature d'une chose est capitale puisque la nécessité est la conformité avec la nature .La nécessité ne tient pas seule chez Spinoza . Est nécessaire ce qui ne peut pas ne pas être ce qu’il est et cela est en vertu d’ une nature ( d'une essence, et dans le cas de Dieu l 'essence est éternelle , son essence ne varie pas .)

Dieu n'est pas celui qui peut au gré d 'un libre décret mais celui qui peut de par sa nature .

Et donc tout est déterminé par la nécessité de la nature divine .et il n 'y a rien de contingent .(proposition 29 partie 1)

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Bruno31415
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Messagepar Bruno31415 » 14 nov. 2008, 21:26

Bonjour,

sescho a écrit :La liberté c'est d'agir sans aucune dépendance extérieure.


Merci beaucoup, Serge, pour cette définition a minima de la liberté chez Spinoza. Ca va me permettre d'avancer dans mon étude.

Je voudrais essayer d'illustrer cette idée de liberté (chez Spinoza) en prenant un exemple très "naïf" :) .

Prenons l'exemple d'un triangle tracé sur une feuille de papier et supposons que ce triangle soit capable de penser.

Si ce triangle est "cartésien", s'il croit donc au libre arbitre, il pourra se dire qu'il peut choisir d'avoir les propriétés d'un carré : il sera donc en pleine illusion, pensant, par exemple, qu'il a quatre côtés.

Maintenant, si c'est un triangle "spinoziste", il sera libre dans la mesure où il se pensera comme possédant toutes les propriétés d'un triangle : que la somme de ses angles sont égales à deux droits, etc. De cette manière, en prenant conscience de son essence de triangle, il n'est déterminé que par lui-même : il n'agit que sous la dépendance de lui-même.

Est-ce que cet exemple est assez correct ? (en très schématique).

---

Sinon, concernant la différence entre déterminisme et fatalisme, que j'ai un peu du mal à saisir, je voudrais vous soumettre l'exemple suivant :

Supposons une personne qui souhaiterait gagner le gros lot au loto. S'il est déterministe, alors il se dira qu'une des causes nécessaires à son gain est le fait d'acheter un billet de loto ! C'est là une pensée rationnelle : si je ne joue pas, si je n'achète pas un billet, je n'ai aucune chance de gagner.

Supposons que cette personne soit fataliste. Alors, s'il est otpimiste, il se dira que, quoi qu'il fasse, il va gagner le gros lot cette semaine : "c'est déjà écrit" se dira-t-il. Quoi qu'il fasse : donc même s'il n'achète pas de billet ! Il se produira, dans ce cas, des événements extraordinaires qui feront qu'il gagnera au loto même sans avoir acheté de billet car "s'était écrit" : voilà une position tout à fait irrationnelle.

Est-ce que cet exemple illustre bien la différence entre déterminisme et fatalisme ?

A bientôt,
Bruno.

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sescho
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Messagepar sescho » 14 nov. 2008, 22:19

platoche a écrit :Là, je ne comprends plus : le déterminisme serait total, mais on pourrait s'affranchir du déterminisme culturel ?

Là je pense que c'est juste une question de mots ; "déterminisme culturel" c'est une formule, ce n'est pas le déterminisme divin dans sa généralité. Certes il est bien difficile de se dégager de l'erreur, qui "a" son conatus comme toute autre chose, mais c'est possible.

platoche a écrit :Quant à la puissance, c'est à dire le conatus : il est aussi déterminé.

Le conatus, qui est donné avec l'essence en acte, c'est l'expression de la puissance divine, pas nécessairement de la puissance de mode.

platoche a écrit :Donc ça ne change rien au fait que mon attitude face à cet entretien, qu'elle soit positive ou négative, est entièrement déterminée. Sinon, il faut m'expliquer d'où provient la liberté qui, indépendamment de toute cause externe, me ferait faire un choix libre.

Tout est déterminé par les lois de la Nature et il n'y a pas de libre choix, pas de libre-arbitre. La liberté c'est de faire des choses dont nous sommes cause adéquate, c'est-à-dire qui peuvent se comprendre par notre essence prise seule.

platoche a écrit :On en revient toujours au même problème avec le spinozisme ; certes, mon désir fait partie des causes immanentes et en ce sens j'agis sur le monde.

Non, il est causé de façon immanente (et aussi externe sauf dans le cas d'un désir actif). Il est lui-même cause transitive, je dirais.

platoche a écrit :Mais ce désir est déterminé. Et si je souhaite en avoir une idée claire pour pouvoir faire le choix adéquat, ce souhait en lui-même n'échappe pas au déterminisme. Ma volonté d'avoir une perception claire est elle-meêm déterminée : je n'ai donc pas le choix d'opter pour avoir une perception claire : si je l'ai, c'est que j'étais déterminé à l'avoir.

Certes, et pour paraphraser Spinoza encore une fois, s'il était en notre pouvoir d'avoir des idées claires à la demande, cela se saurait...


Serge
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Messagepar Louisa » 15 nov. 2008, 05:12

Sescho a écrit :
Platoche a écrit :Quant à la puissance, c'est à dire le conatus : il est aussi déterminé.


Le conatus, qui est donné avec l'essence en acte, c'est l'expression de la puissance divine, pas nécessairement de la puissance de mode.


on sait que Spinoza définit le conatus par l'effort par lequel chaque chose s'efforce de persévérer dans son être (in suo esse) (E3P6), et que c'est cela même qui définit l'essence actuelle de la chose (E3P7), essence constituée d'idées adéquates et d'idées inadéquates (E3P9 démo), contrairement à l'essence divine ou à l'entendement divin, qui lui n'est constitué que d'idées adéquates.

Puis, en l'E4P25 Spinoza dit que:

"Personne ne s'efforce de conserver son être à cause d'autre chose que soi-même."

Par conséquent, je crois qu'il faut dire que le conatus chez Spinoza est en un certain sens nécessairement et uniquement l'expression du degré de puissance qui caractérise le mode. Dieu ne s'efforce pas à conserver son être (= son existence dans le temps), puisque jamais (contrairement aux modes) il ne le perd. Dieu n'a pas de conatus, Dieu ne doit pas essayer de persévérer dans ou de conserver son être pendant un certain temps, puisque Dieu est infini et éternel, son essence enveloppe par définition l'existence. Ce n'est pas le cas pour le mode.

Enfin, "les choses singulières sont des manières, par lesquelles s'expriment les attributs de Dieu de manière précise et déterminée, c'est-à-dire des choses qui expriment de manière précise et déterminée la puissance de Dieu, par laquelle Dieu est et agit (...) " (E3P6 démo).

En ce sens précis, les choses singulières peuvent donc bel et bien être dites exprimer la puissance de Dieu. Mais comme on le voit, elles ne l'expriment que de manière précise et déterminée, c'est-à-dire, justement, en tant que mode, en tant que degré de puissance. Un mode exprime la puissance divine en tant que celle-ci s'explique par le degré de puissance propre à tel ou tel mode. Cette puissance est bel et bien "déterminée", au sens de "limitée", mais aussi au sens où "les choses ne peuvent rien d'autre que ce qui suit nécessairement de leur nature déterminée" (E3P7 démo).

Conclusion: le conatus de telle ou telle chose singulière n'exprime la puissance divine que en tant que celle-ci s'explique d'une façon précise et déterminée, c'est-à-dire en tant que mode, ou en tant que degré de puissance.

* * * * * * * *

Or, si les deux exemples que Bruno vient de donner (du triangle cartésien versus spinoziste, et du fataliste jouant ou non au Lotto) me semble être tout à fait correctes, j'ai également l'impression qu'on a besoin de cette idée d'un mode déterminé en sa propre essence actuelle à lui pour en pouvoir comprendre la pertinence. Voici une tentative d'expliciter ce que je veux dire par là.

En effet, un triangle qui s'imagine pouvoir décider d'avoir n'importe quelle propriété, sera dans l'erreur, méconnaîtra ce qui est nécessaire de toute éternité. Or il ne méconnaît pas forcément ce qui est nécessaire "en général", le problème, son problème, est avant tout qu'il ignore ce qui est nécessaire dans ce qui suit de son essence actuelle à lui. Et c'est précisément en cela qu'il n'est pas libre, c'est-à-dire qu'il ne sera pas capable d'être lui-même la seule cause de son propre bonheur: en s'imaginant qu'il a la propriété x tandis qu'en réalité il ne l'a pas, il sera déterminé à faire certaines choses qui en fin de compte ne lui conviennent pas très bien. Le résultat de ses actions sera mauvais, non pas en général, du point de vue de l'une ou l'autre loi divine, mais pour lui, en tant que chose singulière.

Si par exemple je m'imagine que je sais voler, j'aurais tendance à sauter de ma fenêtre du 5e étage pour pouvoir arriver plus vite chez le boulanger. Or on sait que dans ce cas, les choses probablement ne finiront pas très bien pour moi. Le sage est celui qui a pris conscience du fait que sauter d'une fenêtre du 5e étage, cela n'est pas très bon pour lui. Sachant cela, ce sera cette idée-là qui le déterminera à agir, au moment où il sent qu'il a faim et qu'il doit passer chez le boulanger, et non pas l'idée qu'il y arrivera plus vite en empruntant le chemin de la fenêtre.

La liberté dans un monde entièrement déterminé consiste donc (du moins chez Spinoza; chez Leibniz on a une autre possibilité de concevoir la liberté au sein d'un monde absolument déterminé) dans le fait d'apprendre quelle cause donne lieu à quel effet, et cela non pas en général, mais surtout en ce qui concerne tout ce qui est important pour moi. Car mon essence actuelle, ce n'est rien d'autre que l'effort de me conserver. J'y arriverai sans doute mieux si j'ai bien compris quelle cause produit quel effet sur moi.

On a ici donc une liberté qui n'est pas définie par la possibilité de choix, car comme le disait même déjà Descartes (Médiation 4, si je ne m'abuse): avoir l'impression de pouvoir choisir, c'est simplement ne pas savoir ce qui est nécessaire. C'est ce qu'il appelle une liberté "minimale", puisqu'elle ne s'appuie que sur l'ignorance. Spinoza en tire la conclusion que la véritable liberté consiste dans la connaissance de ce qui cause en nous des effets bénéfiques et des effets nocifs.

Puis, dans le livre 5 de l'Ethique, il poursuit cette idée, pour la rendre plus "concrète". Il y pose une question très précise: qu'est-ce qui au fond peut causer des effets véritablement bénéfiques sur nous? C'est quoi concrètement, ce qui est le plus utile à nous? C'est alors qu'il montre que la liberté ce n'est rien d'autre que la "béatitude", c'est-à-dire la "Joie suprême", et celle-ci est obtenue lorsque nous réussissons à "aimer Dieu". C'est cela qui est le plus utile, non pas en général, mais pour moi.

Or, y ajoute-t-il immédiatement, "nul ne peut avoir Dieu en haine" (E5P18). Le problème n'est donc pas que celui qui n'a pas cette Joie suprême (autrement dit, qui n'est pas libre), détesterait Dieu (tandis que chez Leibniz, c'est bel et bien là le problème). Le problème est plutôt que dans ce cas il n'y a que très peu de choses qu'il aime vraiment, qu'il aime telles qu'elles sont. Car l'Amour de Dieu, c'est l'amour pour un maximum de choses singulières telles qu'elles sont, dans leur essence singulière même, dans leur conatus tout à fait particulier à eux.

Mais comment aimer une chose singulière dans son essence singulière à elle ... ? Car dire qu'il faut aimer chaque chose dans son essence singulière, c'est bien beau, mais comment le faire, dans la pratique? L'amour, répond Spinoza, c'est la "Joie accompagnée de l'idée d'une cause extérieure" (E3P13). Aimer une chose singulière dans son essence singulière (ou dans son conatus) même, c'est donc ... parvenir à la concevoir ainsi que telle qu'elle est elle devient une source de Joie pour moi, c'est-à-dire une source de l'augmentation non pas de la puissance en générale, ou de la puissance divine (qui de toute manière ne peut être augmentée puisqu'elle est infinie), mais de ma puissance à moi. Parvenir à concevoir la singularité d'un maximum de choses comme ce qui peut augmenter ma puissance à moi, voilà en quoi consiste selon Spinoza la véritable "liberté".

Résumons. On était parti de l'idée que dans un système déterministe, la liberté consiste à bien comprendre ce qui cause un effet positif sur moi. Or finalement on a abouti à une "règle générale", qui est que ce qui a le plus un tel effet sur moi, ce qui m'est donc le plus "utile" (comme le dit aussi Spinoza, E4 Définition 1), c'est d'aimer Dieu c'est-à-dire d'aimer toute chose singulière dans ce qu'elle est essentiellement, avec ses idées adéquates et ses idées inadéquates. Plus on parvient à modifier nos rapports aux autres choses (êtres humains et non humains) d'une telle façon, plus, nous dit Spinoza, nous serons libres. Ce qui est un vaste programme, bien sûr ... :) .

Seulement, ceci implique qu'on ne peut pas comprendre la liberté spinoziste si l'on ne s'attarde pas un instant sur la façon dont il propose de concevoir ce qui chez lui n'est qu'un synonyme de la liberté: la béatitude. C'est bel et bien de notre "salut" qu'il s'agit, et donc de mon salut à moi. Comme l'a bien formulé Bruno, la liberté spinoziste n'a rien à voir avec un quelconque "fatalisme". Mais pour comprendre pourquoi, il faut à mon sens y ajouter que cette liberté est beaucoup plus "exigeante" que juste faire un peu de "science": elle implique que l'on parvient à aimer toujours plus de choses singulières dans leur singularité, elle nous dit que ce qui est le plus utile pour moi, tenant compte de mon conatus modal à moi, c'est cela: réussir à concevoir cette chose singulière hors de moi comme étant elle aussi "du Dieu", une expression de la puissance divine, et non pas seulement une expression de ce qui de prime abord ne me convient pas, ou me laisse indifférent.

La liberté spinoziste est ainsi tout sauf une "prise de recul", une "contemplation" de la nécessité prévisible de tout. Elle est avant tout une véritable pratique, un véritable exercice personnel, qui consiste à transformer ses rapports au monde. Ses propres rapports, bien sûr.
L.

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Messagepar Pourquoipas » 15 nov. 2008, 10:21

,,,
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Messagepar sescho » 15 nov. 2008, 10:45

Bonjour,

Bruno31415 a écrit :Prenons l'exemple d'un triangle tracé sur une feuille de papier et supposons que ce triangle soit capable de penser.

Si ce triangle est "cartésien", s'il croit donc au libre arbitre, il pourra se dire qu'il peut choisir d'avoir les propriétés d'un carré : il sera donc en pleine illusion, pensant, par exemple, qu'il a quatre côtés.

Maintenant, si c'est un triangle "spinoziste", il sera libre dans la mesure où il se pensera comme possédant toutes les propriétés d'un triangle : que la somme de ses angles sont égales à deux droits, etc. De cette manière, en prenant conscience de son essence de triangle, il n'est déterminé que par lui-même : il n'agit que sous la dépendance de lui-même.

J'ai un peu de mal avec cet exemple, parce que le triangle est le prototype de ce qui ne peut être que conforme à sa nature (mais avec une puissance de triangle, qui n'a que peu à voir avec celle d'un homme.) Pour tenter de prolonger, néanmoins, je dirais que si le triangle ne peut se connaître que par chocs avec d'autres figures, des carrés par exemple, il va avoir une idée confuse tant de la nature des carrés que de sa propre nature de triangle. C'est en rassemblant les idées immédiatement claires (les notions communes ou axiomes) et en les développant logiquement, le tout selon sa nature de triangle, qu'il va pouvoir déterminer ce qui se comprend par cette nature prise seule, et donc est clair et distinct, dans une certaine mesure. Bon, cela vaut ce que cela vaut...

Bruno31415 a écrit :Sinon, concernant la différence entre déterminisme et fatalisme, que j'ai un peu du mal à saisir...

J'ai moi-même quelques difficultés, que j'attribue au fait que "fatalisme" est utilisé sous différentes acceptions. Pour moi il n'y a aucune différence entre la détermination spinozienne et le fatum stoïcien (et, d'après ce que j'ai compris, contrairement à ce que j'ai lu ici ou là, c'était une sorte de devoir chez beaucoup de stoïciens de se dévouer à l'action politique.) Si on entend par "fatalisme" l'acceptation de tout fait, simplement par ce que c'est un fait, la vérité, acte divin qui n'est contestable en rien, c'est une grande qualité. C'est cela l'amor fati. Ceci m'implique nullement de ne rien faire, si l'on sent qu'on peut agir dans le sens d'une plus grande puissance individuelle et collective (et ceci sans se tendre par avance vers le résultat, sans se blesser d'un échec, alors même qu'on y est porté.)

Si en revanche cela se double d'un refus, soit par exemple de résignation (qui est un refus que le fait soit un acte divin parfait en lui-même et aussi un constat frustré d'impuissance, donc une tristesse) c'est une impuissance. Si c'est "l'argument paresseux en acte", c'est une impuissance. Quant à se voir comme une marionnette et Dieu comme un marionnettiste (doté d'une volonté antérieure à ses actes, ce contre quoi Spinoza développe beaucoup), c'est aussi une impuissance, puisque c'est ne pas se comprendre comme une manifestation de la puissance de Dieu même (en fait, c'est ne rien comprendre.)

Il est aisé de comprendre la détermination en se référant aux lois de la Nature (et aux dimensions de l'existence que sont les attributs.) Toutefois, cette détermination est interne - strictement interne, c'est la liberté - et externe, c'est-à-dire engageant alors une puissance extérieure à soi (mais pas à Dieu), et c'est alors la confusion (au sens strict.)

Je n'ai pas de meilleur exemple que celui que j'ai déjà fourni, savoir celui de la Logique : en admettant que l'exercice me soit relativement aisé, j'exprime ma liberté, en la sentant telle, dans cet exercice, quoiqu'il s'agisse de quelque chose de clairement déterminé. Pourquoi ? Parce que la Logique est claire et distincte en moi, et donc se comprend par les seules lois de ma nature (et de celle de tous les autres hommes, et, dans une certaine mesure, de celles d'autres animaux.)

Bruno31415 a écrit :... s'il est otpimiste, il se dira que, quoi qu'il fasse, il va gagner le gros lot cette semaine : "c'est déjà écrit" se dira-t-il. Quoi qu'il fasse : donc même s'il n'achète pas de billet ! Il se produira, dans ce cas, des événements extraordinaires qui feront qu'il gagnera au loto même sans avoir acheté de billet car "s'était écrit" : voilà une position tout à fait irrationnelle.

Ce que je retiens personnellement, c'est que cet exemple, pour être volontairement caricatural, n'en illustre pas moins ce fait qu'à mal raisonner on déraisonne... L'erreur la plus fréquente de fait, ô combien, c'est la croyance (paradigmatique) au libre-arbitre. Il ne peut pourtant pas survivre à la raison, telle que nous l'expose Spinoza, Dieu étant en amont de tout, et tout devant donc être vu (de fait) comme étant en Dieu (et dans le mouvement qui est en Dieu.)


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Messagepar sescho » 15 nov. 2008, 11:06

Pourquoipas a écrit :... Dans la 28 de la partie I, il parle de n'importe quelle chose finie et déterminée dans n'importe quel attribut (et pas seulement des corps) - dans la proposition 9 de la partie II, il applique cette proposition 28 au cas particulier des idées dans l'attribut Pensée.

Oui, c'est juste (voir les extraits ici) C'est juste une écriture rapide de ma part. Il reste que la structuration des idées, telle qu'elle apparaît de fait chez Spinoza, me semble plus difficile à percevoir en connexion avec E1P28 (voir discussion ici.)

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Re: La liberté - le déterminisme

Messagepar Joie Naturelle » 15 nov. 2008, 11:34

Bruno31415 a écrit :
Je ne comprends donc pas : dans un univers déterministe, que signifie le mot "liberté", appliqué à l'homme, pour Spinoza ?


L'homme éprouve sa liberté dans la connaissance de la vérité. Pour une personne atteinte d'une maladie, la liberté est-elle la même si elle pense que la maladie est une punition que lui envoie le ciel, ou si elle sait que les causes viennent d'ailleurs, par exemple d'une bactérie quelconque ?

Dans le premier cas, elle se contentera probablement de prier pour guérir, alors que dans le second, elle choisira la bonne option en se soignant avec le médicament adéquat (dont l'existence proviendra elle-même du fruit de la connaissance). Dans le premier cas, la personne sera amenée à subir (par la prière), dans le second à agir adéquatement (par la prise du médicament). La connaissance accroît donc la puissance d'être, le pouvoir d'action et donc la liberté de l'individu.

L'homme est donc déterminé dans ses actions, mais ce qui le pousse à connaître accroît sa liberté. Dans l'exemple que j'ai donné plus haut (et que j'avais trouvé je ne sais plus dans quel ouvrage), l'homme qui ne connaît pas la cause de son mal n'a pas le choix : il prie. L'homme qui connaît cette cause précisément, en revanche, a le choix entre prier et prendre le remède adéquat. Son choix, guidé par la connaissance, risque bien d'être le meilleur pour lui permettre de subsister.
Modifié en dernier par Joie Naturelle le 16 nov. 2008, 11:41, modifié 1 fois.

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Messagepar hokousai » 16 nov. 2008, 11:26

à Serge


Quant à se voir comme une marionnette et Dieu comme un marionnettiste (doté d'une volonté antérieure à ses actes, ce contre quoi Spinoza développe beaucoup), c'est aussi une impuissance, puisque c'est ne pas se comprendre comme une manifestation de la puissance de Dieu même (en fait, c'est ne rien comprendre.)


Une manifestation de la puissance ce n’est pas vraiment clair pour moi , un spinoziste devrait dire une modifications nécessaire en vertu de l‘essence de Dieu (en vertu signifiant :impliquée par ou découlant de).
Dieu est cause de soi certes , mais cela ne suffit pas et loin de là à définir Dieu . Dieu à une nature( ou une essence ) S’il s’agit de se comprendre comme modification de Dieu cela suppose une connaissance de Dieu sinon le mot est vide de sens .
Le spinozisme c’est une certaine compréhension de Dieu .Dieu est donc nommable sous les registres de l’unicité ,l’infinité, l éternité , l’idée de Dieu , les attributs et modes le faciès.

Cette compréhension éprouve le besoin de la causalité (il devrait être frappant que l’éthique commence par parler d’une cause )la cause vous pouvez l’appeler raison ,en fait c’est le renvoi à un fondement. Il semble bien que l’existence à Dieu ne suffise pas .Il faut qu’il soit cause de soi , mais c’est qu’on a besoin des causes .

C’est dès le début de l’éthique comme si Dieu avait besoin d’ avoir un fondement pour être il y aurait sinon un manque . La première obligation de Dieu est de s’inscrire dans une filiation . Dieu étant le seul existant (l’idée de solitude est antérieure en droit à l’idée de cause de soi ) .ll est fondement de lui-même puisque seul existant.

Mais pas parce que seul existant .Car l’idée de cause n’est ni dans l’unicité de Dieu, ni dans l’idée d’ existence ,ni dans les autres (infinité, éternité) c’est une idée qui se surajoute, c’est l’idée de fondement nécessaire ou de raison nécessaire .
L’idée fondamentale de Spinoza est celle de l’obligation des causes .Le mal redouté * est l’absence de raison (ou de cause), la déficience majeure de l’esprit humain est de percevoir les choses comme contingentes .

L’idée du seul existant n’ayant aucune obligation autre que l’existence , sans donc obligation de causes est une option qui invaliderait un déterminisme dont vous ne pouvez pas du tout sortir .

.........................................................

Je n’insisterais pas si je n’estimais pas cette idée de déterminisme très désespérante. Aucun des discours sur la joie d’être sujet des lois éternelles de la nature ne vient apaiser mon chagrin .
Je n'insisterais pas non plus si je ne découvrais au fils des jours que vous ne semblez plus entrevoir une critique possible et sensée du spinozisme .
(la mienne qui n'est pas nouvelle ou d' autres plus pertinentes )

*je me souviens du rugissement d’ Henrique quand je soutenais qu’une option philosophique résidait dans la mise en doute de l’existence objective du régime des causes et des effets .

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Messagepar platoche » 16 nov. 2008, 22:44

Bonsoir,

Hokusaï propose
L’idée du seul existant n’ayant aucune obligation autre que l’existence , sans donc obligation de causes est une option qui invaliderait un déterminisme dont vous ne pouvez pas du tout sortir .


Admettons cette hypothèse. Cependant, l'obligation de l'existence n'en rend pas moins l'existant libre. Le fait de ne pas relier un fait à une cause n'en rend pas moins le fait libre.

Le même type raisonnement peut être également opposé aux scientifiques philosophant tels Albert Jacquard ou Axel Kahn qui exploitent les principes quantiques d'effet indéterminés et s'y engouffrent pour y imaginer un espace possible pour la liberté. Admettons également (je n'y crois mais bon...). Cela viendrait certes à rompre le déterminisme, comme dans votre hypothèse cher Hokusai, mais ne changerait rien en termes de liberté : une trajectoire aléatoire ne rend pas pour autant un électron libre.

Bref, l'absence de déterminisme me semble une condition nécessaire au libre arbitre, mais pas suffisante. Mais je serais très intéressé par un raisonnement contrant cette idée.

platoche


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