La liberté - le déterminisme

Questions et débats touchant à la doctrine spinoziste de la nature humaine, de ses limites et de sa puissance.
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vieordinaire
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Messagepar vieordinaire » 30 déc. 2008, 14:38

Louisa a écrit :" ce n'était pas de l'humour"

Pourqoui aviez-vous a smiley face alors?
Louisa a écrit :au lieu de croire que lorsque quelqu'un interprète Spinoza différemment que vous, cela ne peut pas être sérieux.

Je n'ai jamais affirmer une telle chose. Vous generalisez de facon grotesque ici. Il y a UN passage dans ce cas ci -- et pour characteriser de facon plus generale tous les echanges j'ai ecrit PARFOIS--que je n'ai pas pris au serieux (et je crois que lorsque que quelqu'un nous parle d'un amant vue au travers du troisieme genre j'ai un droit d'etre un peu sceptique ...) et vous en faites un drame et me condamne d'un crime philosophique basee sur presque rien ...
Louisa a écrit :
"pour moi dire qu'il faut prendre au sérieux ce qu'un interlocuteur sur un forum comme celui-ci vous dit, ce n'est pas une banalité, c'est une condition nécessaire de toute possibilité de discussion (et on voit régulièrement ces derniers temps qu'elle n'est pas toujours remplie)." Ne pas generaliser ou attribuer des commentaires que personne n'a evidament faits (et a meme affirme le contraire) est, je crois, "une condition nécessaire de toute possibilité de discussion"


Louisa a écrit :Sinon en effet, ma réponse à Bardamu était devenue (beaucoup) plus longue que prévu (et avait d'ailleurs été écrite au moment même où vous aviez posté votre message, donc je n'ai pu le lire qu'après avoir envoyé ma réponse à Bardamu), et je n'avais plus le temps de vous répondre en détail, donc je me suis provisoirement limitée à l'essentiel.

Vous avez poste votre reponse bardamu a 8:00; votre reponse a mon post a 8:03. Vous avez lu mon post (avec un contenu que je me plais a imaginer :) n'est pas si superficiel) et repondu en moins de 3 minutes. C'est ce que j'appelle une lecture attentive ... et j'imagine nous avons une position difference sur l'essentiel alors. Je comprends maintenant pourqoui vous avez manque le mot "PARFOIS". J'imagine que vous auriez pu peut-etre eviter tout un drame si vous aviez lu plus attentivement mon post original.

Vous avez evoquer une 'vision' du troisieme genre de votre amant. Je suis interrese mais tres sceptique (car vous avez affirmez a plusieurs reprises vos propres carences du troisieme genre) . J'ai demande un peu de details et d'information avant de la discuter car tous ce que nous avons pour l'instant c'est "mais en tant qu'il a telle ou telle essence singulière éternelle. Là je l'aime en tant qu'il est lui aussi "du Dieu", et non seulement en tant qu'il est d'un certain point de vue impuissant et périssable."

C'est un peu maigre et flou. Le seul element positif de votre description est "essence singulière éternelle"; cela peut dire bien des choses ...
Mais cela ne m'interresse moins que les autres points de mon post originale.

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Messagepar Louisa » 30 déc. 2008, 15:05

A Bardamu

vu la longueur de ma réponse à ton dernier message: l'essentiel se trouve peut-être dans ce que je viens de répondre à Hokousai dans le fil "Du bébé au vieillard" (message qui reprend la citation de Ramond).
L.

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Messagepar Louisa » 30 déc. 2008, 15:29

A Vieordinaire

comme déjà dit, une réponse plus détaillée arrive sous peu.
A bientôt,
L.

(PS en attendant: je n'ai bien sûr pas "tronqué" votre phrase en la citant, il n'y avait simplement pas de "parfois" dans la phrase telle que vous l'aviez écrite vous-même dans votre message (ni même dans le paragraphe d'où elle vient); sinon je suis effectivement tout à fait convaincue que ce que vous pensez est (beaucoup) plus nuancé que ce que vous avez écrit, et cela non seulement parce que je sais combien écrire dans une autre langue est difficile, mais aussi parce que je suis persuadée qu'il vaut mieux toujours postuler cela dans une discussion philosophique)

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Messagepar vieordinaire » 30 déc. 2008, 15:54

vieordinaire a écrit :... bien que parfois j'ai aucune idee concrete de ce que vous voulez bien dire comme dans:

citation

[????? Que reste-t-il de votre amant lorsque vous l'IMAGINEZ "en Dieu"? On "apprend" pas la troisieme genre de connaissance: elle se revele soudainement (est-ce que le mot intution vous dit quelque chose?)--a la suite de nos efforts du deuxieme genre ... La derniere citation me semble etre qu'un assemblage de mots creux ... vous utilisez avantageusement l'ambivalence d'une expression come " essence singulière éternelle".] Honnetement, je me demande si vous etes reellement serieuse lorsque vous ecrivez des choses de ce genre ...


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Messagepar Sinusix » 30 déc. 2008, 17:20

Louisa a écrit :Si je vous ai bien compris, vous maintenez une certaine virtualité/possibilité, et la situez au niveau du génome. A mon sens, chez Spinoza il n'y a plus de virtuel, ou de potentiel. Tout est toujours déjà entièrement actualisé, c'est pourquoi il peut dire que toute chose singulière est toujours déjà par-faite.


Bonjour Louisa,
Très rapidement car malheureusement vous me semblez avoir chaussé, une fois de plus, vos lunettes de lecture rapide et avez reformulé certains de mes propos avec contresens.
Je maintiens effectivement et fortement que l'être humain, en tant que chose singulière, et par conséquent comme toute chose singulière, est une chose finie. La finitude a comme corrélat logique le fait d'être encadré par des limites. Donc l'être humain est un être limité, dans tous ses attributs, et par conséquent, en étendue, ce que chacun sait, comme en pensée.
Dans ces conditions, je ne vois pas comment la puissance de chaque être, laquelle le caractérise selon Spinoza, ne s'inscrirait pas dans des limites également.

Vous me répondez que chez Spinoza, il n'y a rien de virtuel, rien de potentiel, et que tout est entièrement actualisé. Il doit donc bien y avoir quelque part un problème de définition ou de vocabulaire entre nous car une telle assertion vaut pour moi, stricto sensu, à vous entendre, l'absence totale de degrés de liberté (attention, je ne dis pas liberté et la notion de degrés de liberté est tout à fait différente). Comment se peut-il alors que ma puissance, selon Spinoza et pendant des pages et des pages, puisse augmenter ou diminuer au gré des affects, que le chemin soit difficile (la porte étroite) vers la sagesse, etc., si la vie de l'homme n'est pas suceptible de s'inscrire dans une démarche personnelle, via la recherche des idées adéquates, par exemple ?

Louisa a écrit :Le troisième genre de connaissance consiste à mon avis à apprendre à percevoir ainsi un maximum de choses singulières (ce qui n'est pas évident, puisque celles-ci nous affectent, et parfois de façon négative c'est-à-dire en causant une diminution de notre puissance, alors que pour avoir une idée du troisième genre, il faut pouvoir concevoir cette chose aussi comme étant parfaite).


Je ne vois vraiment pas le lien avec mon sujet.

Louisa a écrit :L'idée de limite a donc son importance, mais seulement au sens où il s'agit de ne pas espérer de soi-même autre chose que ce qu'on a réellement pu faire. Bien sûr, rien ne nous empêche de mettre la barre plus haut la prochaine fois.


Non justement, c'est là où vous me semblez faire fausse route avec la notion de puissance et "ce que peut le corps". Il y a un moment où, sauf à sombrer dans une tristesse interminable, il ne s'agit plus de mettre la barre plus haut, mais, se connaissant enfin et s'acceptant soi-même dans les limites découvertes, on se concentre sur le mieux et non plus désormais sur le plus.

Louisa a écrit :Mais la béatitude consistant principalement en la "satisfaction de soi", il est important aussi d'être content de ce qu'on a fait, sans se dire qu'on aurait pu faire mieux. Le désir de faire mieux sera une cause efficiente pour les entraînements du prochain marathon, il n'est pas très adéquat lorsqu'il s'agit d'évaluer notre prestation actuelle.

qu'est-ce qui vous fait penser qu'il s'agirait d'atteindre sa puissance? Je crains que je n'aie toujours pas très bien compris comment on pourrait voir de la potentialité dans le spinozisme.


C'est là justement où, me semble-t-il, nous ne nous comprenons pas. Ma limite de puissance est, comme vous le dîtes vous-même, actualisée, et je ne la changerai pas. A savoir, je ne courrai jamais le marathon en 2h20 ni n'écrirai l'équivalent de Spinoza et le problème de l'expression. Connaître ses limites c'est cela, c'est savoir "arrêter" de s'entraîner plus quand on est à 2h48, ou passer ses nuits sur Spinoza pour essayer d'atteindre son inaccessible étoile personnelle. Et la sérénité est au prix de ce renoncement à vouloir être ce qu'on ne pourra pas être, le corps ne faisant que ce qu'il peut.

Mais ceci ne veut pas dire que cette limite personnelle "absolue", issue de la chaîne des causes qui m'a engendré (et je dis bien absolue, car à vous croire il y aurait un possible en deçà de 2h48 par exemple pour moi alors que j'ai essayé de vous faire comprendre totalement le contraire) soit atteinte spontanément, sans effort, sans recherche, sans travail, sans introspection, constantes de toute une vie.
D'une certaine manière donc, cette puissance "génétique" que nous avons tous n'est pas inéluctablement exprimée (au contraire des propriétés du triangle, le triangle étant donné), et tout cela pour un certain nombre de raisons, tant extrinsèques qu'intrinsèques. Il y a donc bien, d'une certaine manière, un potentiel de chacun, mais qu'il faut entendre comme la rencontre, ou plutôt le chemin de la rencontre, possible mais pas assurée, de chacun avec sa puissance telle que Dieu/Nature nous l'avait donnée. C'est d'ailleurs en cela qu'il y a un côté "existentialiste", non pas de construction de son essence, mais de chemin de chacun vers son essence en Dieu (puisqu'elle ne vient pas de père et mère).

Si les différences entre les humains n'étaient pas associées à des marqueurs culturels, matériels, sociaux, etc. "intolérables", chacun, comme au départ d'un marathon, serait peut-être plus facilement enclin à accepter ces classements de nature et à pénétrer la "sagesse" Spinoziste (parfaitement ancrée dans son siècle et sa culture, soit dit en passant, "d'acceptation" des différences et d'une classificatoire économique et sociale) et à rechercher les joies inhérentes à sa puissance plutôt que les tristesses associées à la contemplation de la "puissance" consommatrice des autres.

C'est aussi pourquoi, contrairement à ce que vous dîtes par ailleurs, ce n'est pas la pensée de Spinoza, en soi, qui m'intéresse, mais en quoi elle peut contribuer, pour autant qu'on la fasse vivre, à définir une pratique personnelle et collective qui, comme le dit Sescho, nous fasse espérer sortir de ce merdier. Ne chargeons donc pas le chameau avec la pensée de Spinoza, mais confions là à l'enfant que nous sommes tous quelque part.

Louisa a écrit :
Sinon je crois qu'en effet, il n'est pas donné à tous de devenir très puissant, et en ce sens on pourrait parler de "grâce" (avec les réserves émises dans ma réponse à Hokousai dans l'autre fil).

L.


Non seulement ce n'est pas donné à tous, mais je dirais que c'est donné à peu d'entre les humains.

Amicalement

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Messagepar bardamu » 30 déc. 2008, 23:48

Louisa a écrit :(...)
C'est dans ce cadre qu'il me semble que Spinoza pose la question de la pédagogie et de l'"humanité". La meilleure pédagogie est celle qui permet à l'enfant de réellement augmenter sa puissance. Que faut-il faire pour y arriver? Faut-il se baser sur une idée d'impuissance?

Bonjour Louisa,
je reprends à nouveau parce que ce que je voulais dire n'était pas vraiment de cet ordre.
Il s'agissait pour moi d'évoquer ce que fait Spinoza lui-même dans ses exposés.

Pour ce faire, on peut sans doute comparer sa manière de procéder dans les lettres à Blyenbergh par rapport à ce qu'il fait dans l'Ethique.
Dans les lettres, son langage me semble directement suivre les idées ontologiques et l'objectif éthique profond. Je n'ai pas vérifié dans les versions latines mais dans la traduction d'Appuhn le terme "impuissance" ne semble pas apparaître une seule fois. Dans une des lettres, Spinoza dit que les comparaisons de puissance sont avant tout des êtres de raison.
Face à un Blyenbergh qui pense Dieu ou le bien/mal comme relevant de jugements moraux, relevant d'un Dieu-juge, Spinoza oppose son système des puissances relatives. Blyenbergh comprend bien qu'il s'agit de toujours parler de plus ou moins grande puissance mais il ne l'accepte pas, s'accrochant à ses idées de jugement.

Dans l'Ethique, il me semble que Spinoza infléchit son discours, peut-être après avoir pris conscience de l'effet qu'il produisait chez Blyenbergh et d'autres (réticences d'Oldenburg, accusations d'athéisme, d'immoralisme conduisant au TTP...). D'après moi, le terme "impuissance" apparaît dans l'Ethique pour traduire de manière plus commune les degrés de puissances, pour faire voir plus aisément qu'il y a une différence entre l'ignorant et le sage.

Si, comme dans les lettres, il avait dit brutalement que quelqu'un voyant clairement qu'il serait mieux à un gibet devrait se pendre, ou que quelqu'un pour qui le crime est vertu devait nécessairement poursuivre dans le crime (d'où ma référence à Sade), l'effet risquait d'être désastreux. Il n'a d'ailleurs pas manqué de l'être pour ceux qui ont compris que les idées de Spinoza impliquait cela et l'ont perçu comme la porte ouverte à tous les excès. Notre époque post-nietzchéenne parvient à saisir sans trop de difficulté ce que peut être une éthique "par-delà le Bien et le Mal", dans l'Abécédaire, Deleuze résumait ça par "en finir avec la morale du jugement", mais je ne crois pas que dans l'Ethique, Spinoza se permette de telles "agressions" envers les mentalités de son temps.

En bref, ce que je voulais dire en me basant essentiellement sur l'Ethique, c'est que Spinoza y adoptait une méthode "douce". Il s'agissait moins de s'interroger sur une pédagogie "spinoziste" que de s'attarder sur la (les) pédagogie(s) utilisée(s) par Spinoza, liée sans doute aux limites de l'acceptable pour l'esprit de son époque.
Louisa a écrit :Comprendre ses limites, cela signifierait alors comprendre qu'on fait toujours tout ce qu'on peut faire, et donc qu'on ne doit pas se sentir coupable de ne pas avoir fait ceci ou cela, par exemple, comme le dit la suite du chapitre que tu viens de citer. Mais tu le liras peut-être différemment? Si oui comment et pourquoi?

Je suis bien entendu d'accord qu'il n'y a pas pour Spinoza d'intérêt à la culpabilité.
Une de tes expressions me semble malgré tout ambigüe.
Quand tu dis "on fait toujours ce qu'on peut faire", je suppose que ça veut dire "on fait toujours ce qu'on peut faire dans les conditions de contrainte où on se trouve". On comprend alors en quoi correspond l'amélioration, c'est-à-dire à être libre de contraintes y compris en les assumant activement.
Louisa a écrit :(...) Mais cela signifie, je crois, accepter l'idée que la seule façon d'augmenter durablement le degré de puissance d'une puissance donnée, c'est que c'est la puissance donnée qui soit la seule cause de l'augmentation. Et pour pouvoir y arriver, il faut s'appuyer sur la puissance donnée, et non pas sur l'idée de ce qui manque ou sur son "impuissance," si tu vois ce que je veux dire ... ?

Je vois ce que tu veux dire.
En fait, le point qui me semble purement logique, c'est que lorsqu'on pense en terme de dynamique (augmenter, réduire), on pense automatiquement en différences de niveau. Il n'y a ensuite qu'une question de vocabulaire soit qu'on s'autorise à parler d'"impuissance" pour un niveau inférieur, soit qu'on préfère parler plus justement de "moindre puissance".
Louisa a écrit :oui ... mais je ne suis pas certaine d'avoir bien compris ce que tu veux dire par là ... ?

Simplement que Spinoza me semble adopter plusieurs styles de "pédagogies" selon le public concerné.

Louisa a écrit :Seulement je crois que l'existence dans la durée finalement ne s'oppose pas à l'existence d'un point de vue éternel, les deux co-existent, je crois. On peut privilégier la perception sous l'aspect de la durée ou celle de l'éternité, les deux sont "vraies" simultanément.

Oui. C'était en effet mal exprimé (ou mal pensé...).
La question serait de distinguer entre le premier genre de connaissance, le régime des affects subis, et les autres genres de connaissances.
Je reste attentif à distinguer :
- ce qui sera dans l'ordre du premier genre et ne se conçoit que dans la durée (les effets mécaniques des passions)
- ce qui sera repris aux 2nd et 3e genre pour prendre une dimension supplémentaire selon l'éternité.
C'est pour cela que lorsqu'il est dit que telle ou telle idée est associée à tel ou tel affect, je vérifie de quel ordre de connaissance on parle. Lorsqu'il y a tristesse, on est forcément dans le 1er genre, lorsqu'il y a joie on peut être dans le passionel-passif ou l'intellectuel-actif.

Un exemple représentatif, la démonstration de E4p53 :

1er temps, tristesse du fait d'un empêchement :
L'humilité, c'est la tristesse qui naît pour l'homme du spectacle de son impuissance (par la Déf. 26 des pass.). Or l'homme, en tant qu'il a de soi-même une connaissance raisonnable, comprend par cela même son essence, c'est-à-dire (par la Propos. 7, part. 3) sa puissance. Si donc l'homme, en se considérant lui-même, aperçoit en lui quelque impuissance, cela ne peut venir de ce qu'il se comprend lui-même, mais bien (comme on l'a démontré à la Propos. 55, part. 3) de ce que sa puissance d'action est empêchée de quelque manière.

2e temps, conception adéquate d'une limitation par du positif, du plus puissant :
Suppose-t-on que l'idée de cette impuissance vient de ce que l'homme conçoit une puissance plus grande que la sienne et dont la connaissance détermine sa puissance propre ; cela ne signifie pas autre chose alors, sinon que l'homme se comprend lui-même d'une façon distincte (en vertu de la Propos. 26, part. 4), parce que sa puissance d'agir vient à être favorisée.

Conclusion :
Ainsi donc l'humilité, je veux dire la tristesse qui naît pour l'homme de l'idée de son impuissance, ne provient pas de la vraie connaissance de soi-même ou de la raison ; ce n'est point une vertu, c'est une passion.
C. Q. F. D.

Louisa a écrit :je dirais qu'il s'agit simplement du parallélisme? Si l'impuissance est synonyme de Tristesse, l'idée de l'impuissance l'est aussi?

Ah, je ne pensais pas que tu puisses lire les choses ainsi.

La tristesse est chez l'homme le passage d'une plus grande à une moindre perfection.
A priori, cela ne concerne pas particulièrement le corps, ce n'est pas le corps qui réduit sa puissance avec une idée de réduction l'accompagnant.
La tristesse n'est pas au premier abord un objet correspondant à une idée, c'est directement une réduction de la puissance de penser (et d'agir dans l'étendue), une réduction de la puissance à former des idées.
Donc, quand je dis "idée d'impuissance", il s'agit de la reprise de cette variation de puissance dans une idée. Que ce soit pour nous ou pour un autre, on prend pour objet cette variation, soit qu'on subisse une image (un "spectacle de la tristesse" ou de l'impuissance), soit qu'on produise un être de raison correspondant à la comparaison du plus et du moins.
Vu comme cela, l'idée d'impuissance ne détermine aucun affect a priori. Pour celui qui est victime de haine envers quelqu'un, il y a de la joie par cette idée-image de l'impuissance, d'où mon interrogation sur la manière dont tu associais un affect particulier à l'idée d'impuissance.

Mais je suppose donc que dans ta pensée, "idée d'impuissance" signifiait "côté idéel de l'impuissance-tristesse". Auquel cas, tu n'appliquerais cela qu'à l'effet interne de telle ou telle idée, ce serait "l'idéel de ma tristesse" et pas "l'idée d'une tristesse, la mienne ou celle d'un autre" comme je l'entendais.
La question est alors : est-ce qu'une variation de puissance du côté de la pensée peut être qualifiée d'idée ? est-ce qu'une variation de la puissance de penser est une idée ?
Louisa a écrit :non en effet, donc justement, il n'y a pas de définition de l'impuissance puisque l'impuissance n'est qu'une privation, rien de positif, rien qui se laisse définir.

J'ai quand même regardé un peu.
On trouve (E1p11 autre dém.) : "Pouvoir ne pas exister, c'est évidemment une impuissance". Ce serait l'impuissance considérée ontologiquement, c'est-à-dire justement rien qui ne soit ontologique, et donc un simple mot, un mot vide pour désigner ce que notre pensée forge en opposition à l'existence.
Si il y a une notion d'impuissance, ce serait en tant qu'être de raison comme expliqué dans la lettre XXI à Blyenbergh : "Je dirai donc en premier lieu que la privation n'est pas l'acte de priver, mais purement et simplement l'absence ou le manque d'une certaine chose, autrement dit, elle n'est rien par elle-même ; ce n'est qu'un être de raison, une manière de penser que nous formons quand nous comparons les choses entre elles."

Louisa a écrit :en effet, pas d'affect particulier, mais affect quand même, est qui plus est, affect passif dans tous les cas, non? Or tu sembles faire une exception pour la piété ... en quoi la piété aurait-elle besoin de concevoir l'homme comme étant impuissant ... ?

Justement, je mentionnais que contrairement aux affects passifs, l'homme raisonnable serait raisonnablement porté à la piété par le "spectacle de l'impuissance". Le "spectacle de l'impuissance" est à prendre dans un sens assez commun, l'image d'un homme dormant sur le trottoir en ce moment par exemple.
Louisa a écrit :(...) le sage veut partager son savoir parce que cela lui fait plaisir à lui que de constater que quelqu'un d'autre a compris quelque chose (...) le sage ne veut pas faire des autres son "semblable", il veut satisfaire leur plus profond désir à eux et ainsi se nouer d'amitié à eux.
(...) C'est même la raison pour laquelle c'est un véritable plaisir pour le sage de pouvoir obtenir un tel résultat, car cela signifie que l'autre se singularisera encore plus, s'individualisera encore plus, et plus l'autre est un Individu puissant, plus une union avec lui donne plus de pouvoir au sage.

Par "semblable" (et pas identique) je voulais dire "quelqu'un qui comprend quelque chose" puisque ce qui définit la sagesse est de comprendre.
Mais je ne crois pas que le sage veuille satisfaire le plus profond désir de n'importe qui ou n'importe quoi. Le plus profond désir d'un être pour qui le crime est vertu, est d'être criminel, quant aux désirs des enfants ils sont extrêmement fluctuants.
Ce que ne peut pas le sage c'est désirer qu'un fou reste fou, un criminel reste criminel, un enfant reste enfant.
La démonstration de E4p70 (L'homme libre qui vit parmi des ignorants s'efforce, autant qu'il est en lui, de se soustraire à leurs bienfaits.) montre qu'il y a des limites aux concessions à faire au déraisonnable.
Si la singularité est appréciable c'est dans le cadre de l'expression de l'"être-raisonnable", lorsque la variété d'idées et d'attitudes ne peuvent que bien se composer.
Louisa a écrit :d'après ce que j'ai compris, dans l'E3P55 Spinoza lie effectivement l'idée d'impuissance à la Tristesse. Mais tu vois peut-être une manière d'interpréter cette proposition différemment?

Eh bien, ça reviendrait à redire ce que je disais sur la différence entre imaginer l'impuissance et comprendre l'impuissance (ou la puissance limitée). Au passage, en relisant la démonstration de E3p55, je m'aperçois que ça pourrait aller dans le sens de mon affirmation (cf plus haut) comme quoi il n'y a pas en première instance d'"idée de tristesse", que la tristesse ne s'accompagne pas d'une "idée de tristesse" mais est effet d'une idée attristante. En l'occurrence, c'est quand l'esprit produit une image de lui-même impuissant (suam imaginatur impotentiam) qu'il est attristé.
Louisa a écrit :(...) Parler d'impuissance a donc une connotation purement polémique, je crois: Spinoza veut montrer par là que l'homme n'est pas tout-puissant, n'en déplaise aux moralistes. Mais ce ne sont que les moralistes qui ont besoin de voir les choses ainsi. Pour le commun des mortels, devenir plus heureux requiert de tout autres choses, choses expliquées par l'E5.

On peut se dire que le "moralisme" implique l'idée que l'homme est libre de ses actes, qu'il y a là une forme de toute-puissance, mais je ne crois pas que les moralisateurs aient été foncièrement choqués par l'idée qu'on parle de l'impuissance des hommes comme le fait Spinoza.
Par exemple E4p56 : Le plus haut degré de l'orgueil comme de l'abjection marque le plus haut degré d'impuissance de l'âme.

Je resterais plutôt sur l'idée que dans l'Ethique Spinoza a préféré affirmer une hiérarchie non-exempte de connotations morales pour que sa pensée soit plus acceptable par l'esprit de son temps.

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Messagepar Louisa » 31 déc. 2008, 04:10

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :Si je vous ai bien compris, vous maintenez une certaine virtualité/possibilité, et la situez au niveau du génome. A mon sens, chez Spinoza il n'y a plus de virtuel, ou de potentiel. Tout est toujours déjà entièrement actualisé, c'est pourquoi il peut dire que toute chose singulière est toujours déjà par-faite.


Bonjour Louisa,
Très rapidement car malheureusement vous me semblez avoir chaussé, une fois de plus, vos lunettes de lecture rapide et avez reformulé certains de mes propos avec contresens.


Bonjour Sinusix,
en effet, en vous lisant il y a effectivement pas mal de choses que je n'avais pas compris. Vous pouvez bien sûr chercher la cause de cette incompréhension dans une lecture trop rapide de ma part, mais en ce qui me concerne, je ne crois pas que lire encore plus lentement aurait changé beaucoup, ce sont plutôt vos explicitations ci-dessous qui m'aident (ou du moins, espérons-le ...). En tout cas merci d'avoir bien voulu reformuler. Voyons si maintenant j'arrive à mieux saisir votre pensée.

Sinusix a écrit :Je maintiens effectivement et fortement que l'être humain, en tant que chose singulière, et par conséquent comme toute chose singulière, est une chose finie. La finitude a comme corrélat logique le fait d'être encadré par des limites. Donc l'être humain est un être limité, dans tous ses attributs, et par conséquent, en étendue, ce que chacun sait, comme en pensée.


ok, là-dessus nous sommes d'accord.

Sinusix a écrit :Dans ces conditions, je ne vois pas comment la puissance de chaque être, laquelle le caractérise selon Spinoza, ne s'inscrirait pas dans des limites également.


ok, d'accord aussi. Jamais un être humain ne peut avoir une puissance infinie, ce sera toujours une puissance limitée.

Sinusix a écrit :Vous me répondez que chez Spinoza, il n'y a rien de virtuel, rien de potentiel, et que tout est entièrement actualisé. Il doit donc bien y avoir quelque part un problème de définition ou de vocabulaire entre nous car une telle assertion vaut pour moi, stricto sensu, à vous entendre, l'absence totale de degrés de liberté (attention, je ne dis pas liberté et la notion de degrés de liberté est tout à fait différente). Comment se peut-il alors que ma puissance, selon Spinoza et pendant des pages et des pages, puisse augmenter ou diminuer au gré des affects, que le chemin soit difficile (la porte étroite) vers la sagesse, etc., si la vie de l'homme n'est pas suceptible de s'inscrire dans une démarche personnelle, via la recherche des idées adéquates, par exemple ?


je crois que vous m'avez bien compris, mais que moi je ne vous avais pas très bien compris. En effet, ce que j'ai dit (en ne répétant en cela que les commentateurs contemporains du spinozisme), c'est qu'il n'y a rien de virtuel ou de potentiel chez Spinoza, que tout est entièrement actualisé. Pour voir comment on arrive à interpréter Spinoza ainsi, je ne peux que vous inviter à lire mon avant dernier message adressé à Hokousai dans le fil "du bébé au vieillard", où j'essaie à la fois de fonder cette thèse et de montrer en quoi cela n'entrave nullement l'idée même d'un projet éthique. Seulement, ce projet changera complètement de "forme", il va falloir le penser tout à fait différemment. Comme j'ai l'impression que je l'ai dit dans ce message à Hokousai de la manière la plus claire dont je suis pour l'instant capable, je ne peux que vous prier d'aller le lire dans l'autre fil et de m'en dire ensuite ce que vous en trouvez (si vous ne voyez pas de quel message il s'agit, il suffit de le signaler et alors je ferai un copier-coller).

Sinusix a écrit :
louisa a écrit :Le troisième genre de connaissance consiste à mon avis à apprendre à percevoir ainsi un maximum de choses singulières (ce qui n'est pas évident, puisque celles-ci nous affectent, et parfois de façon négative c'est-à-dire en causant une diminution de notre puissance, alors que pour avoir une idée du troisième genre, il faut pouvoir concevoir cette chose aussi comme étant parfaite).


Je ne vois vraiment pas le lien avec mon sujet.


il faudrait que je retrouve le passage dans votre message auquel je réponds ici pour pouvoir reformuler le lien (pourriez-vous par la suite copier également ce que je cite de vous lorsque vous ne voyez pas le lien entre ce que j'écris et ce que vous aviez écrit? Merci!).

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :L'idée de limite a donc son importance, mais seulement au sens où il s'agit de ne pas espérer de soi-même autre chose que ce qu'on a réellement pu faire. Bien sûr, rien ne nous empêche de mettre la barre plus haut la prochaine fois.


Non justement, c'est là où vous me semblez faire fausse route avec la notion de puissance et "ce que peut le corps". Il y a un moment où, sauf à sombrer dans une tristesse interminable, il ne s'agit plus de mettre la barre plus haut, mais, se connaissant enfin et s'acceptant soi-même dans les limites découvertes, on se concentre sur le mieux et non plus désormais sur le plus.


oui ok, mais à mon sens dans le spinozisme ce moment ne se produit que lorsque nous venons d'accomplir une tâche et que nous évaluons ce que nous venons de faire. Si vous pensez que cette limite vaut non seulement pour le présent mais aussi pour le futur, comment serait-il alors selon vous encore possible d'être Joyeux dans le futur (c'est-à-dire d'augmenter sa puissance)? En quoi notre puissance serait-elle fixe une fois pour toutes, dans le spinozisme?

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :Mais la béatitude consistant principalement en la "satisfaction de soi", il est important aussi d'être content de ce qu'on a fait, sans se dire qu'on aurait pu faire mieux. Le désir de faire mieux sera une cause efficiente pour les entraînements du prochain marathon, il n'est pas très adéquat lorsqu'il s'agit d'évaluer notre prestation actuelle.

qu'est-ce qui vous fait penser qu'il s'agirait d'atteindre sa puissance? Je crains que je n'aie toujours pas très bien compris comment on pourrait voir de la potentialité dans le spinozisme.


C'est là justement où, me semble-t-il, nous ne nous comprenons pas. Ma limite de puissance est, comme vous le dîtes vous-même, actualisée, et je ne la changerai pas. A savoir, je ne courrai jamais le marathon en 2h20 ni n'écrirai l'équivalent de Spinoza et le problème de l'expression. Connaître ses limites c'est cela, c'est savoir "arrêter" de s'entraîner plus quand on est à 2h48, ou passer ses nuits sur Spinoza pour essayer d'atteindre son inaccessible étoile personnelle. Et la sérénité est au prix de ce renoncement à vouloir être ce qu'on ne pourra pas être, le corps ne faisant que ce qu'il peut.

Mais ceci ne veut pas dire que cette limite personnelle "absolue", issue de la chaîne des causes qui m'a engendré (et je dis bien absolue, car à vous croire il y aurait un possible en deçà de 2h48 par exemple pour moi alors que j'ai essayé de vous faire comprendre totalement le contraire) soit atteinte spontanément, sans effort, sans recherche, sans travail, sans introspection, constantes de toute une vie.
D'une certaine manière donc, cette puissance "génétique" que nous avons tous n'est pas inéluctablement exprimée (au contraire des propriétés du triangle, le triangle étant donné), et tout cela pour un certain nombre de raisons, tant extrinsèques qu'intrinsèques. Il y a donc bien, d'une certaine manière, un potentiel de chacun, mais qu'il faut entendre comme la rencontre, ou plutôt le chemin de la rencontre, possible mais pas assurée, de chacun avec sa puissance telle que Dieu/Nature nous l'avait donnée. C'est d'ailleurs en cela qu'il y a un côté "existentialiste", non pas de construction de son essence, mais de chemin de chacun vers son essence en Dieu (puisqu'elle ne vient pas de père et mère).


ok, c'est en effet ce que je n'avais pas compris, et vous avez raison de dire que dans ce cas nous pensons différemment, ou disons que nous pensons au moins différemment le spinozisme, à ce sujet. Car "en soi", je crois que je comprends bien ce que vous voulez dire, et en effet, cette conception de la vie humaine pourrait être associé jusqu'à un certain point à l'existentialisme. Mon problème ne se pose que par rapport au texte spinoziste, je ne vois pas très bien comment fonder ce que vous dites ici dans le texte. Certes, si toute puissance est toujours déjà actualisée, la limite est toujours déjà atteinte. Or à mon sens cela signifie deux choses, ou cela a deux conséquences, que vous ne semblez pas en tirer:
1. on est d'accord, je suppose, pour dire qu'avant de s'être entraîné, la limite de votre puissance actuelle n'était pas encore atteinte. Mais alors comment penser votre puissance de disons il y a vingt ans? Là vous n'étiez pas encore capable de courir un marathon en 2h48 (je suppose). Où était à cette époque votre limite, selon vous? J'ai l'impression que vous allez me dire: à 2h48. Mais alors vous travaillez tout de même avec une notion de puissance qui est "en puissance", pas encore "actualisée", non?
2. en quoi le fait d'avoir atteint votre limite d'aujourd'hui pourrait-il signifier que demain votre limite sera la même? Certes, vous avez fait l'expérience d'avoir atteint plusieurs fois le même résultat. Que vous vous disiez là-dessus qu'apparemment vous n'êtes pas capable de faire plus, cela je comprends. Mais comment savoir ce qui se passera dans le futur? Pourquoi les limites d'aujourd'hui seraient-elles les limites de demain? La question vaut d'abord en général, puis surtout pour le spinozisme: s'il y a des limites fixes, jamais on ne pourrait augmenter davantage son bonheur. Or qui sait, demain on aura peut-être mis au point un nouveau système d'entraînement, qui donne de meilleurs résultats que le schéma que vous suivez aujourd'hui ... comment exclure cette possibilité par avance? Et qu'est-ce qui vous fait penser que ce serait spinoziste de le faire?

Sinusix a écrit :Si les différences entre les humains n'étaient pas associées à des marqueurs culturels, matériels, sociaux, etc. "intolérables", chacun, comme au départ d'un marathon, serait peut-être plus facilement enclin à accepter ces classements de nature et à pénétrer la "sagesse" Spinoziste (parfaitement ancrée dans son siècle et sa culture, soit dit en passant, "d'acceptation" des différences et d'une classificatoire économique et sociale) et à rechercher les joies inhérentes à sa puissance plutôt que les tristesses associées à la contemplation de la "puissance" consommatrice des autres.


oui je crois que vous avez raison, seulement il me semble que peut-être vous confondez deux choses. En effet, je crois que la sagesse spinoziste consiste en une "satisfaction en soi-même", et donc d'une acceptation de notre puissance limitée. Mais je ne crois pas qu'il y ait chez Spinoza des "Joies inhérentes à sa puissance". Toute Joie, même une Joie purement passive, augmente la puissance. C'est cela qu'il s'agit d'essayer de penser, il me semble. Mais encore une fois, le raisonnement qui sous-tend cette idée se trouve dans le message envoyé à Hokousai. Je vais peut-être tout de même faire un copier-coller et l'ajouter à ce fil de discussion-ci, puisqu'à mon sens il s'agit tout de même de quelque chose d'assez essentiel (tout en restant discutable, bien sûr).

Sinusix a écrit :C'est aussi pourquoi, contrairement à ce que vous dîtes par ailleurs, ce n'est pas la pensée de Spinoza, en soi, qui m'intéresse, mais en quoi elle peut contribuer, pour autant qu'on la fasse vivre, à définir une pratique personnelle et collective qui, comme le dit Sescho, nous fasse espérer sortir de ce merdier. Ne chargeons donc pas le chameau avec la pensée de Spinoza, mais confions là à l'enfant que nous sommes tous quelque part.


oui, vous pouvez bien sûr préférer cette perspective par rapport au spinozisme, en soi je n'ai absolument rien contre. Mais il me semble que pour l'instant nous nous situons en-deça de ce choix, pour l'instant il s'agit simplement de comprendre en quoi consiste le spinozisme, et de trouver les arguments capables d'être acceptés par tous. Car comment savoir si telle ou telle pratique est spinoziste ou non, si nous ne sommes pas encore d'accord sur ce qui est spinoziste et ce qui ne l'est pas?

Puis faire vivre une pensée serait-ce l'intégrer dans une autre pensée, ou au contraire essayer de la mettre maximalement en pratique telle qu'elle est? En ce qui me concerne, j'opte clairement pour ce deuxième point de vue. Mais vous pensez peut-être à quelques objections par rapport à cela?

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :Sinon je crois qu'en effet, il n'est pas donné à tous de devenir très puissant, et en ce sens on pourrait parler de "grâce" (avec les réserves émises dans ma réponse à Hokousai dans l'autre fil).


Non seulement ce n'est pas donné à tous, mais je dirais que c'est donné à peu d'entre les humains.


oui, probablement ... .
Amicalement,
L.

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Messagepar Louisa » 31 déc. 2008, 04:21

(reprise du message concernant la puissance toujours en acte auquel je réfère ci-dessus, message originairement posté dans le fil "Du bébé au vieillard" de Hokousai; j'ai laissé les références à certaines idées proposées par Sescho aussi là où elles (les références) ne sont pas très pertinentes par rapport à ce dont on discute ici, et cela simplement pour conserver la logique de la phrase, sinon je devais tout à fait réécrire certains passages)

Ch.Ramond a écrit :"On oppose, depuis Aristote comme dans la conversation courante, ce qui est "en puissance" à ce qui est "réalisé" ou "en acte", comme le "virtuel" au "réel". La notion de "puissance" enveloppe donc le plus souvent, explicitement ou implicitement, une certaine négativité, ce qui est "en puissance" étant conçu comme incomplet, inachevé, ou à réaliser. Chez Spinoza au contraire, la puissance est positivité, être, affirmation. C'est une position originale et difficile."
(...)
"La critique des notions de possibilité, ou de virtualité, est un trait caractéristique de l'esprit mécaniste du XVIIe siècle: la science va se détourner des "vertus" des choses, c'est-à-dire de leurs "qualités occultes", pour essayer de construire le savoir de ce qui est quantifiable. Le rejet de ce qu'il y a de virtuel dans toute forme de puissance est donc un mouvement naturel à la modernité. Spinoza et Descartes construisent ainsi l'idée paradoxale d'un Dieu "tout-puissant" qui serait entièrement "en acte", c'est-à-dire pleinement réalisé, exempt de toute déficience ontologique - Spinoza poursuivant seul l'entreprise en identifiant puissance et acte dans les choses singulières. Les difficultés que peut poser la notion de "puissance" proviennent sans doute de ce choix de définir la puissance par son contraire, plutôt que de renoncer simplement à l'usage du terme comme du concept."


(...)
Qu'est-ce qui change avec Descartes et Spinoza? Le sens même du terme "puissance". A partir de là, le mot "puissance" est utilisé dans le premier sens que lui donne Le Petit Robert: celui de moyen pour faire quelque chose, de pouvoir (comme le précise l'E4Déf.8, le pouvoir de produire des effets). Pour les deux, Descartes et Spinoza, avoir une puissance, produire un effet ou agir deviennent donc des synonymes. Or chez Aristote ce qui est en puissance par définition n'agit pas. On assiste ici donc à une petite révolution conceptuelle (comme l'histoire de la philosophie en a connu beaucoup et en connaît toujours beaucoup).

Spinoza va aller encore un pas plus loin en étendant cette nouvelle définition de la puissance aux choses singulières mêmes, au lieu de la limiter à Dieu seul. Désormais, rien n'est "en puissance" (au sens de ne pas encore pleinement agir), tout est toujours déjà entièrement en acte, mêmes les choses singulières.

Ceci a une conséquence et pose au moins un problème:

PROBLEME.
Si les choses singulières sont toujours déjà en acte, alors que traditionnellement elles ne sont en acte que lorsqu'elles passent à l'existence (comme le dit encore Sescho aujourd'hui dans sa réponse à Bruno concernant l'entendement: elles "viennent à être en acte", retournant par là à Aristote au lieu de tenir compte de la révolution cartésiano-spinoziste à ce sujet), comment comprendre la différence entre exister et ne pas exister? Car avant (avant Descartes et Spinoza), d'abord l'essence ou forme d'une chose était dans l'entendement divin, tandis que la chose n'existe pas encore à proprement parler; elle ne commence à "exister" que lorsqu'on ajoute une "matière" à cette forme, lorsque la forme "informe" une matière (comme vous le savez). Là, la chose passe à l'existence (dans le christianisme: elle est créée). Après, à sa mort, le composé "forme-matière" se défait de nouveau: la chose n'existe plus. Aussi longtemps que la chose n'existe pas encore, on disait qu'elle est "en puissance": son essence est déjà dans l'entendement, donc elle a la possibilité d'exister, mais elle n'existe pas encore "en acte". Or chez Spinoza tout est toujours en acte. Alors que "fait" la chose avant d'être créée, dans ce cas?

Spinoza répond très clairement à cette question, et répète sa réponse plusieurs fois. Il distingue entre deux façons d'exister: "exister dans un temps et un lieu précis" (ce qui correspond à l'ancien sens d'exister ou d'être créé, et à ce que Sescho continue à appeler "exister" ou "être en acte" tout court), et "exister en Dieu". Dans les deux cas, dit-il, la chose existe en acte, dans les deux cas il y a une "existence actuelle". Du coup, il ne parle plus d'une chose comme étant "composée" d'une forme ou essence et d'une matière, il reprend (à sa façon) le couple scolastique "essence objective - essence formelle"(TIE), ou "être objectif - être formel" (Ethique).

Les propositions qui introduisent cette distinction entre deux manières d'exister en acte sont: E2P8 corollaire, E2P45 et son scolie, E5P29 scolie. Ces propositions et la distinction qu'elles apportent sont cruciales, puisque justement, tout le troisième genre de connaissance en dépend. Comme Spinoza le dit en l'E5P29, le troisième genre consiste à comprendre une chose, un Corps non pas dans son "existence présente actuelle" (c'est-à-dire en tant qu'il est en acte dans le temps), mais dans son éternité (c'est-à-dire en tant qu'il est éternellement en acte en Dieu).

CONSEQUENCE.
Si tout est toujours déjà en acte et un projet éthique doit avoir un sens, il faut repenser l'éthique de fond en comble (ce que beaucoup de lecteurs de Spinoza ne veulent pas faire; en dehors de l'éthique basée sur des notions de "être en puissance de" qui s'oppose à l'acte, et des notions morales telles que "vice" etc., pour eux il n'y a aucune éthique pensable). Car alors le devenir (plus heureux) n'est plus une question d'actualiser ce qui au début n'est qu'en puissance, le devenir devient une question d'augmenter une puissance. Au lieu de se poser la question "comment vais-je actualiser ce que potentiellement j'ai en puissance?", la question éthique devient: "comment vais-je augmenter la puissance en acte que je suis?".

L'aliénation, terme que Sescho utilise ci-dessus et qui est tout à fait cohérent avec une pensée traditionnelle de l'éthique, signifie qu'une chose n'arrive pas à actualiser son potentiel (en principe parce quelque obstacle extérieur lui en empêche, comme l'a rappelé Durtal dans l'autre fil, et/ou parce qu'il y aurait une "contrainte intérieure" comme le rappelle Sescho). En effet, lorsqu'on part d'une éthique traditionnelle (c'est-à-dire une morale; Sescho semble distinguer l'éthique d'une morale en suggérant que l'éthique c'est l'application d'une morale mais d'une telle façon que celui qui vient de détecter un "vice" chez quelqu'un, réussit à ne pas paniquer, à garder un certain calme intérieur; il est évident que je ne suis pas d'accord avec une telle définition de l'éthique), alors le mot "aliénation" est tout à fait pertinent. Le projet éthique consiste alors à "devenir-soi", à être "authentiquement soi" etc. (selon le philosophe (Heidegger, ...) on a une autre manière d'appeler cet état de non aliénation). Dès lors, on comprend que Sescho craint qu'il n'y ait plus d'éthique du tout lorsqu'on dit que tout est toujours déjà en acte. Car alors il n'y a plus d'aliénation non plus, tandis que cette notion est au centre de toute morale traditionnelle.

Chez Spinoza la question éthique par excellence n'est plus: "comment vais-je faire pour ne pas m'aliéner de moi-même (ou de l'Homme Accompli, ou de l'Essence de l'homme dans sa "pleine" puissance) etc?" Elle devient: "comment vais-je faire pour changer de puissance, pour augmenter ma puissance?". Ici on n'abolit pas tout projet éthique, on change de projet éthique, puisqu'on change de problème, on pense l'éthique différemment (dans l'espoir, bien sûr, d'obtenir ainsi un plus grand bonheur, plus de paix sociale etc., pas juste pour embêter les gens avec de nouveaux concepts, pas juste pour bousculer un peu leurs habitudes de pensées ordinaires).
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Messagepar Sinusix » 31 déc. 2008, 16:23

Louisa a écrit :
Ch.Ramond a écrit :"On oppose, depuis Aristote comme dans la conversation courante, ce qui est "en puissance" à ce qui est "réalisé" ou "en acte", comme le "virtuel" au "réel". La notion de "puissance" enveloppe donc le plus souvent, explicitement ou implicitement, une certaine négativité, ce qui est "en puissance" étant conçu comme incomplet, inachevé, ou à réaliser. Chez Spinoza au contraire, la puissance est positivité, être, affirmation. C'est une position originale et difficile."
(...)
"La critique des notions de possibilité, ou de virtualité, est un trait caractéristique de l'esprit mécaniste du XVIIe siècle: la science va se détourner des "vertus" des choses, c'est-à-dire de leurs "qualités occultes", pour essayer de construire le savoir de ce qui est quantifiable. Le rejet de ce qu'il y a de virtuel dans toute forme de puissance est donc un mouvement naturel à la modernité. Spinoza et Descartes construisent ainsi l'idée paradoxale d'un Dieu "tout-puissant" qui serait entièrement "en acte", c'est-à-dire pleinement réalisé, exempt de toute déficience ontologique - Spinoza poursuivant seul l'entreprise en identifiant puissance et acte dans les choses singulières. Les difficultés que peut poser la notion de "puissance" proviennent sans doute de ce choix de définir la puissance par son contraire, plutôt que de renoncer simplement à l'usage du terme comme du concept."


Qu'est-ce qui change avec Descartes et Spinoza? Le sens même du terme "puissance". A partir de là, le mot "puissance" est utilisé dans le premier sens que lui donne Le Petit Robert: celui de moyen pour faire quelque chose, de pouvoir (comme le précise l'E4Déf.8, le pouvoir de produire des effets). Pour les deux, Descartes et Spinoza, avoir une puissance, produire un effet ou agir deviennent donc des synonymes. Or chez Aristote ce qui est en puissance par définition n'agit pas. On assiste ici donc à une petite révolution conceptuelle (comme l'histoire de la philosophie en a connu beaucoup et en connaît toujours beaucoup).


Bonjour Louisa,

Quelle "passion", un 31 décembre ! Je ne peux que la respecter en répondant.
J'avais bien lu cet échange, qui n'avait pas perturbé mon propos, sur le point précis de notre discussion ici. En effet, comme vous le rappelez vous-même, E4Déf8 définit bien la puissance ou vertu comme le fait, pour l'être humain, d'avoir le pouvoir de produire certains effets qui peuvent se comprendre par les lois de sa nature. Or, si vous me permettez, à partir du moment où Spinoza écrit avoir le pouvoir de produire et ne fait donc pas coïncider la puissance avec l'affirmation d'une production qualitativement et quantitativement déterminée à l'avance selon les lois de la nature de chacun, il signifie clairement que la puissance de produire, effectivement en acte si on doit faire référence opposée à la conception aristotélicienne, n'implique pas pour autant que les effets y attachés vont être produits.
Car le problème ici posé n'est pas celui de la statue qui est en puissance dans son bloc de marbre, mais dont il ne dépend pas d'elle, mais du sculpteur qu'elle devienne en acte, le problème ici posé est celui de la "coïncidence sujet-objet" liée au concept de puissance, tel qu'il est défini par Spinoza.
Ce problème, auquel j'avais associé le couple contenant/contenu, mais que l'on peut également associer au couple intensif/extensif, est une constante discrimanatoire de lecture des phénomènes de la Nature. En l'occurrence, je vais donc prendre une image mécanique pour me faire comprendre.
Le moteur de votre automobile fait 100CV (ou a telle cylindrée). C'est sa puissance et elle bien en acte puisque la voiture est devant vous ; cette puissance définit ce qu'il peut produire comme effets, dans son genre moteur équipant une automobile de telles caractéristiques, notamment de poids. Vous montez le Mont Ventoux. Vous pouvez le faire à une vitesse variable, pépère ou acrobatique, donc utiliser plus ou moins adéquatement la puissance de votre moteur. A supposer qu'il soit possible, un dialogue avec votre moteur vous dirait son ressenti en tant que moteur (pas dans le sens de la pierre spinoziste qui tombe, bien entendu). Premier point.
Mais, en tout état de cause, et vos talents de conducteurs mis à part, même Sébastien Loeb, au volant de votre voiture, ne pourra faire ce qu'il pourra faire avec une de celles qu'il utilise par ailleurs. La puissance de votre moteur a donc des limites, qui sont celles de ses 100 CV. Le même dialogue pourrait vous dire qu'il en est triste, sauf à ce qu'il ait bien pris connaissance de ses caractéristiques. Deuxième point.
Je réitère donc que ces deux notions (contenant/contenu - intensif/extensif) coexistent obligatoirement, sinon rien n'est compréhensible.
Vous me rétorquez que cette conception conduit à une contradiction puisque, si ma puissance est atteinte, je ne pourrai plus l'augmenter, donc ne pourrai plus éprouver de joies.
C'est là où se situe l'erreur, ou la confusion, entre l'intensif et l'extensif. En effet, pour autant que vous mettiez de l'essence et fassiez les révisions, pour autant que la voiture soit existante, ce n'est pas le fait d'être utilisée à hauteur de sa puissance "intensive" de 100CV qui limite ses joies d'être utilisée "extensivement".
Pour revenir à un exemple "intellectuel". Si ma limite de puissance est de pouvoir lire et assimiler, en une année, ce qui n'est pas le cas rassurez-vous, l'Ethique et la Critique de la raison pure, le fait d'y être arrivé ne m'enlèvera pas les joies ultérieures de lire l'année suivante Matière et Mémoire et Critique de la raison pratique, etc. En revanche, si j'essaie de lire et assimiler les quatre en un an, c'est-à-dire si je dépasse les limites de ma puissance en ce domaine, je m'aventure vers des zones de tristesse et de frustration sans fin.
Autrement dit, se connaître, connaître sa propre puissance "en acte", dans son acception "intensive" (ce que peut le corps), s'atteler à en produire tous les effets (ce que j'en fais effectivement), n'a aucune raison d'interrompre la série des joies. Je vais donc continuer à augmenter ma puissance (version extensif), en toute connaissance de cause, sans la tristesse à laquelle me conduirait inéluctablement le fait de viser trop haut, au delà de ma puissance en acte (version intensif).

Louisa a écrit :

Spinoza va aller encore un pas plus loin en étendant cette nouvelle définition de la puissance aux choses singulières mêmes, au lieu de la limiter à Dieu seul. Désormais, rien n'est "en puissance" (au sens de ne pas encore pleinement agir), tout est toujours déjà entièrement en acte, mêmes les choses singulières.

Ceci a une conséquence et pose au moins un problème:

PROBLEME.
Si les choses singulières sont toujours déjà en acte, alors que traditionnellement elles ne sont en acte que lorsqu'elles passent à l'existence (comme le dit encore Sescho aujourd'hui dans sa réponse à Bruno concernant l'entendement: elles "viennent à être en acte", retournant par là à Aristote au lieu de tenir compte de la révolution cartésiano-spinoziste à ce sujet), comment comprendre la différence entre exister et ne pas exister? Car avant (avant Descartes et Spinoza), d'abord l'essence ou forme d'une chose était dans l'entendement divin, tandis que la chose n'existe pas encore à proprement parler; elle ne commence à "exister" que lorsqu'on ajoute une "matière" à cette forme, lorsque la forme "informe" une matière (comme vous le savez). Là, la chose passe à l'existence (dans le christianisme: elle est créée). Après, à sa mort, le composé "forme-matière" se défait de nouveau: la chose n'existe plus. Aussi longtemps que la chose n'existe pas encore, on disait qu'elle est "en puissance": son essence est déjà dans l'entendement, donc elle a la possibilité d'exister, mais elle n'existe pas encore "en acte". Or chez Spinoza tout est toujours en acte. Alors que "fait" la chose avant d'être créée, dans ce cas?

Spinoza répond très clairement à cette question, et répète sa réponse plusieurs fois. Il distingue entre deux façons d'exister: "exister dans un temps et un lieu précis" (ce qui correspond à l'ancien sens d'exister ou d'être créé, et à ce que Sescho continue à appeler "exister" ou "être en acte" tout court), et "exister en Dieu". Dans les deux cas, dit-il, la chose existe en acte, dans les deux cas il y a une "existence actuelle". Du coup, il ne parle plus d'une chose comme étant "composée" d'une forme ou essence et d'une matière, il reprend (à sa façon) le couple scolastique "essence objective - essence formelle"(TIE), ou "être objectif - être formel" (Ethique).

Les propositions qui introduisent cette distinction entre deux manières d'exister en acte sont: E2P8 corollaire, E2P45 et son scolie, E5P29 scolie.


Là, je m'insurge totalement, comme je l'ai déjà fait quand nous discutions sans fin de l'essence de l'homme, sur votre lecture finaliste des trois références ci-dessus.
Je ne vois pas du tout, en effet, que ces textes disent ce que vous avancez, à savoir qu'une chose singulière serait "en acte" alors même qu'elle n'est pas existante. Une telle lecture aboutit, de mon point de vue, à une réécriture "chrétienne" de l'ontologie de l'Ethique.
E2P8 par exemple est clair : De là suit qu'aussi longtemps que les choses singulières n'existent pas, sinon en tant qu'elles sont comprises dans les attributs de Dieu, leur être objectif, autrement dit leurs idées, n'existent pas, sinon en tant qu'il existe une idée infinie de Dieu ; et quand les choses singulières sont dites exister, non seulement en tant qu'elles sont comprises dans les attributs de Dieu, mais en tant également qu'elles sont dites durer, leurs idées également envelopperont l'existence, par quoi elles sont dites durer.
De manière limpide pour moi, cela signifie ceci : l'essence singulière de Louisa n'est pas constituée de toute éternité ; son essence ne sera singularisée comme telle que quand Louisa passera à l'existence, et pas avant. Elle disparaîtra de la même manière à sa mort. En revanche, et par définition des attributs, les "matériaux" attributifs à partir desquels sera constituée l'idée singulière de Louisa sont bien là de toute éternité, ils étaient là avant sa naissance, ils seront toujours là après, et il n'appartient qu'au processus de la nature de la reproduire ultérieurement, les "matériaux" étant toujours présents en Dieu, hypothèse statistiquement très improbable bien évidemment, selon les lois de la génétique.
Si tel n'est pas le cas, on revient à une doctrine de "préformation" en Dieu de toutes les choses singulières passées, présentes et à venir, autrement dit à une construction préformée dans l'entendement infini de Dieu de toutes les choses singulières passées, présentes et à venir, autrement dit à une vision revue et corrigée du Dieu Omniscient et Omnipotent qui nous a conçu et nous connaît tous individuellement, etc., etc. Or, justement, Dieu "s'évite" de devoir avoir tout prévu en ne "fonctionnant" que suivant les lois de nécessité de sa nature. De toute éternité, il n'a eu aucune préoccupation de Louisa en particulier, mais il appartient à Louisa d'aimer en lui le fait qu'il lui a permis de "le contempler" en dépit des conditions parfois très dures auxquelles lesdites lois de la nécessité l'auront confrontée.

Louisa a écrit :(
Ces propositions et la distinction qu'elles apportent sont cruciales, puisque justement, tout le troisième genre de connaissance en dépend. Comme Spinoza le dit en l'E5P29, le troisième genre consiste à comprendre une chose, un Corps non pas dans son "existence présente actuelle" (c'est-à-dire en tant qu'il est en acte dans le temps), mais dans son éternité (c'est-à-dire en tant qu'il est éternellement en acte en Dieu).


Là, comme d'autres, je suis intéressé par toute expérience singulière communicable en clair qui me permettrait de comprendre le 3ème genre, sous cet aspect de l'éternité. Pour l'instant, j'arrive toujours à envisager de comprendre, merci Proust, quelques communications intersubjectives.

Louisa a écrit :(CONSEQUENCE).
Si tout est toujours déjà en acte et un projet éthique doit avoir un sens, il faut repenser l'éthique de fond en comble (ce que beaucoup de lecteurs de Spinoza ne veulent pas faire; en dehors de l'éthique basée sur des notions de "être en puissance de" qui s'oppose à l'acte, et des notions morales telles que "vice" etc., pour eux il n'y a aucune éthique pensable). Car alors le devenir (plus heureux) n'est plus une question d'actualiser ce qui au début n'est qu'en puissance, le devenir devient une question d'augmenter une puissance. Au lieu de se poser la question "comment vais-je actualiser ce que potentiellement j'ai en puissance?", la question éthique devient: "comment vais-je augmenter la puissance en acte que je suis?".


Je conçois, en effet, que dans une vision "préformée" des choses, il faut aller consulter Calvin ou ses congénères et que le chameau va refaire son apparition.

Louisa a écrit :(
L'aliénation, terme que Sescho utilise ci-dessus et qui est tout à fait cohérent avec une pensée traditionnelle de l'éthique, signifie qu'une chose n'arrive pas à actualiser son potentiel (en principe parce quelque obstacle extérieur lui en empêche, comme l'a rappelé Durtal dans l'autre fil, et/ou parce qu'il y aurait une "contrainte intérieure" comme le rappelle Sescho). En effet, lorsqu'on part d'une éthique traditionnelle (c'est-à-dire une morale; Sescho semble distinguer l'éthique d'une morale en suggérant que l'éthique c'est l'application d'une morale mais d'une telle façon que celui qui vient de détecter un "vice" chez quelqu'un, réussit à ne pas paniquer, à garder un certain calme intérieur; il est évident que je ne suis pas d'accord avec une telle définition de l'éthique), alors le mot "aliénation" est tout à fait pertinent. Le projet éthique consiste alors à "devenir-soi", à être "authentiquement soi" etc. (selon le philosophe (Heidegger, ...) on a une autre manière d'appeler cet état de non aliénation). Dès lors, on comprend que Sescho craint qu'il n'y ait plus d'éthique du tout lorsqu'on dit que tout est toujours déjà en acte. Car alors il n'y a plus d'aliénation non plus, tandis que cette notion est au centre de toute morale traditionnelle.


Et oui, je comprends les problèmes auxquels on arrive dans ce cas.

Louisa a écrit :(
Chez Spinoza la question éthique par excellence n'est plus: "comment vais-je faire pour ne pas m'aliéner de moi-même (ou de l'Homme Accompli, ou de l'Essence de l'homme dans sa "pleine" puissance) etc?" Elle devient: "comment vais-je faire pour changer de puissance, pour augmenter ma puissance?". Ici on n'abolit pas tout projet éthique, on change de projet éthique, puisqu'on change de problème, on pense l'éthique différemment (dans l'espoir, bien sûr, d'obtenir ainsi un plus grand bonheur, plus de paix sociale etc., pas juste pour embêter les gens avec de nouveaux concepts, pas juste pour bousculer un peu leurs habitudes de pensées ordinaires).
L.


Là je décroche, faute de raccrocher au contexte de ce paragraphe elliptique.

Amicalement et bonne année 2009 à tous.

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Messagepar Louisa » 01 janv. 2009, 19:56

Sinusix a écrit :Quelle "passion", un 31 décembre ! Je ne peux que la respecter en répondant.
J'avais bien lu cet échange, qui n'avait pas perturbé mon propos, sur le point précis de notre discussion ici. En effet, comme vous le rappelez vous-même, E4Déf8 définit bien la puissance ou vertu comme le fait, pour l'être humain, d'avoir le pouvoir de produire certains effets qui peuvent se comprendre par les lois de sa nature. Or, si vous me permettez, à partir du moment où Spinoza écrit avoir le pouvoir de produire et ne fait donc pas coïncider la puissance avec l'affirmation d'une production qualitativement et quantitativement déterminée à l'avance selon les lois de la nature de chacun, il signifie clairement que la puissance de produire, effectivement en acte si on doit faire référence opposée à la conception aristotélicienne, n'implique pas pour autant que les effets y attachés vont être produits.
Car le problème ici posé n'est pas celui de la statue qui est en puissance dans son bloc de marbre, mais dont il ne dépend pas d'elle, mais du sculpteur qu'elle devienne en acte, le problème ici posé est celui de la "coïncidence sujet-objet" liée au concept de puissance, tel qu'il est défini par Spinoza.
Ce problème, auquel j'avais associé le couple contenant/contenu, mais que l'on peut également associer au couple intensif/extensif, est une constante discrimanatoire de lecture des phénomènes de la Nature. En l'occurrence, je vais donc prendre une image mécanique pour me faire comprendre.
Le moteur de votre automobile fait 100CV (ou a telle cylindrée). C'est sa puissance et elle bien en acte puisque la voiture est devant vous ; cette puissance définit ce qu'il peut produire comme effets, dans son genre moteur équipant une automobile de telles caractéristiques, notamment de poids. Vous montez le Mont Ventoux. Vous pouvez le faire à une vitesse variable, pépère ou acrobatique, donc utiliser plus ou moins adéquatement la puissance de votre moteur. A supposer qu'il soit possible, un dialogue avec votre moteur vous dirait son ressenti en tant que moteur (pas dans le sens de la pierre spinoziste qui tombe, bien entendu). Premier point.
Mais, en tout état de cause, et vos talents de conducteurs mis à part, même Sébastien Loeb, au volant de votre voiture, ne pourra faire ce qu'il pourra faire avec une de celles qu'il utilise par ailleurs. La puissance de votre moteur a donc des limites, qui sont celles de ses 100 CV. Le même dialogue pourrait vous dire qu'il en est triste, sauf à ce qu'il ait bien pris connaissance de ses caractéristiques. Deuxième point.
Je réitère donc que ces deux notions (contenant/contenu - intensif/extensif) coexistent obligatoirement, sinon rien n'est compréhensible.


Bonjour Sinusix,
merci beaucoup de cet exemple très parlant. J'ai voulu réfléchir un peu avant de répondre à votre message, voici où j'en suis pour l'instant.

Je crois qu'avec ce que vous dites ici, on a effectivement une troisième conception de la puissance, qui n'est pas immédiatement réductible à celle d'Aristote. En effet, les cylindres (je ne me connais pas très bien en matière de voitures, vous me corrigerez si je ne m'exprime pas correctement), qui définissent la puissance de la voiture, sont déjà là dès que la voiture "commence à exister". On pourrait dire que la statue est elle aussi déjà là dans le marbre, qu'il faut une puissance extérieure pour que la statue nous soit actuellement présente, mais je suis d'accord pour dire que ce n'est tout de même pas exactement la même chose, puisque même s'il faut encore un conducteur, en tant que puissance extérieure, pour mettre la voiture en route, le conducteur ne pourra pas immédiatement changer la puissance de la voiture, alors que le sculpteur peut faire mille statues différentes avec le même bloc de marbre. Un bloc de marbre ainsi ne contient aucune puissance "déterminée", tandis que cela est indéniablement le cas en ce qui concerne la voiture.

Du coup, on pourrait effectivement se dire que la même chose vaut par exemple pour notre "puissance" de courir un marathon. Certains actes peuvent l'épuiser (ou plutôt: effectuer) entièrement, et l'on ne peut rien attendre au-delà. L'attitude la plus réaliste est même d'assumer cette limite, non seulement pour aujourd'hui, mais aussi pour demain.

Conclusion: ok, vous me le direz si ce n'est pas le cas, mais je crois maintenant avoir mieux compris votre exemple du marathon, et il me semble qu'on a ici effectivement une conception de la puissance qui est ni exactement aristotélicienne, ni celle que je proposais moi-même. La question devient donc: dans quelle mesure cette conception serait-elle spinoziste (c'est-à-dire, dans quelle mesure peut-on la fonder dans le texte de Spinoza, comment établir un lien et dans quelle mesure peut-on dire que celui-ci est solide)? Au préalable: vous avez déjà dit que pour vous à un certain moment il vaut mieux quitter le texte et passer à une conception pas forcément spinoziste mais plus personnelle, donc si vous trouvez que cette question pour vous n'est pas très pertinente/importante/intéressante, pas de problème.

Sinusix a écrit :Vous me rétorquez que cette conception conduit à une contradiction puisque, si ma puissance est atteinte, je ne pourrai plus l'augmenter, donc ne pourrai plus éprouver de joies.


en effet. Bien sûr, il ne s'agit pas d'une contradiction en tant que telle. On voit bien qu'il n'y a rien de contradictoire dans l'idée que telle voiture ne pourra monter telle pente qu'à telle vitesse maximale et non pas à une vitesse plus élevée. La contradiction, ou disons le problème, ne se pose que dans un cadre spinoziste: si la Joie est définie par une augmentation de la puissance, et si vous identifiez la puissance spinoziste à quelque chose d'équivalent au CV d'une voiture, on voit mal comment on pourrait augmenter la puissance. La puissance est bien plutôt déjà là, dès le moment où la voiture sort de l'usine. Ce qui peut arriver, c'est que la voiture effectue une partie de cette puissance (lorsqu'elle roule sur une route horizontale, par exemple), toute cette puissance (votre exemple de la montagne), ou rien du tout (elle attend dans le garage). Mais c'est tout. Il n'y a pas d'augmentation de la puissance concevable, dans une telle idée de la puissance. C'est ce qui me fait penser que cette conception de la puissance n'est peut-être tout de même pas très spinoziste, puisque toute l'éthique de Spinoza vise à augmenter nos Joies actives, et donc à augmenter notre puissance, au lieu de simplement l'effectuer. Vous donnez ci-dessous une solution possible à ce problème, donc reprenons-la d'abord:

Sinusix a écrit :C'est là où se situe l'erreur, ou la confusion, entre l'intensif et l'extensif. En effet, pour autant que vous mettiez de l'essence et fassiez les révisions, pour autant que la voiture soit existante, ce n'est pas le fait d'être utilisée à hauteur de sa puissance "intensive" de 100CV qui limite ses joies d'être utilisée "extensivement".
Pour revenir à un exemple "intellectuel". Si ma limite de puissance est de pouvoir lire et assimiler, en une année, ce qui n'est pas le cas rassurez-vous, l'Ethique et la Critique de la raison pure, le fait d'y être arrivé ne m'enlèvera pas les joies ultérieures de lire l'année suivante Matière et Mémoire et Critique de la raison pratique, etc. En revanche, si j'essaie de lire et assimiler les quatre en un an, c'est-à-dire si je dépasse les limites de ma puissance en ce domaine, je m'aventure vers des zones de tristesse et de frustration sans fin.
Autrement dit, se connaître, connaître sa propre puissance "en acte", dans son acception "intensive" (ce que peut le corps), s'atteler à en produire tous les effets (ce que j'en fais effectivement), n'a aucune raison d'interrompre la série des joies. Je vais donc continuer à augmenter ma puissance (version extensif), en toute connaissance de cause, sans la tristesse à laquelle me conduirait inéluctablement le fait de viser trop haut, au delà de ma puissance en acte (version intensif).


donc si j'ai bien compris, vous dites: la seule chose qui est invariable, c'est l'intensité de la puissance, et ceci correspond au nombre de CV de la voiture, au génome avec lequel je suis né etc. Cette intensité définit une "extension" maximale (supposons que ma voiture sait faire 150 à l'heure sur une autoroute horizontale, mais pas plus, alors 150km/h est l'extension maximale définie par la puissance ou l'intensité de la voiture telle qu'elle sort de l'usine). Or qui sait faire le plus, sait faire le moins. La voiture peut donc tout aussi bien rouler à 30km/h en ville, par exemple.

La "Joie" serait alors le fait d'accéler: on va de 30km/h à 50km/h, ce qui augmente ma puissance non pas de manière "intensive" (là 150 reste invariablement l'extension maximale), mais seulement de manière extensive. Si par après je redescends à 40, je suis "Triste" (bien sûr cela a l'air d'être assez absurde pour une voiture, il faudrait transposer tout ceci à la puissance humaine, mais je continue un instant à utiliser cet exemple parce que je crois qu'il permet de penser ce sujet de manière plus claire/compréhensible).

On a donc:
- invariabilité de l'intensité de la puissance
- variabilité de l'extension de la puissance
- et par conséquent: une augmentation ou diminution de la puissance qui ne se situe qu'au niveau de l'extension, et non pas au niveau de l'intension.

Encore une fois, en tant que conception de la puissance cela me semble être parfaitement cohérent et plausible. Mais je continue à avoir un problème lorsqu'il s'agit d'appeler cette conception "spinoziste". Pourquoi?

D'abord parce qu'à première vue, je ne vois pas très bien à quoi on pourrait faire correspondre cette distinction de l'intensité et de l'extensivité/extension chez Spinoza. Hokousai a déjà suggéré que ce que vous appelez ici intensité pourrait par exemple référer à la Raison: tous les hommes sont dotés de la Raison, mais les uns l'utilisent beaucoup plus que les autres, ce qui signifie que chez ceux qui ne l'utilisent pas trop, elle serait néanmoins tout autant présente que chez ceux qui l'utilisent "maximalement". De nouveau, en tant qu'idée cela me semble être tout à fait acceptable, mais comment fonder cela dans le texte? C'est là où les difficultés commencent, j'ai l'impression. Tandis que les argumentations pro l'idée d'une absence totale de toute "potentialité" ontologique (donc d'un écart entre ce que vous appelez ici intensité et extension) chez Spinoza me semblent être assez convaincantes. Bien sûr, je dis cela, je ne dis rien, aussi longtemps que je n'essaie pas d'expliquer un peu clairement en quoi ces arguments pour moi consistent. Comme déjà dit, pour moi Sévérac l'a le mieux développé, donc je me replongerai bientôt dans son livre pour tenter de résumer le plus succinctement possible (mais n'attendez pas des miracles de ma part à cet égard ..), afin de pouvoir savoir ce que vous en pensez.

Sinusix a écrit :
louisa a écrit :Spinoza va aller encore un pas plus loin en étendant cette nouvelle définition de la puissance aux choses singulières mêmes, au lieu de la limiter à Dieu seul. Désormais, rien n'est "en puissance" (au sens de ne pas encore pleinement agir), tout est toujours déjà entièrement en acte, mêmes les choses singulières.

Ceci a une conséquence et pose au moins un problème:

PROBLEME.
Si les choses singulières sont toujours déjà en acte, alors que traditionnellement elles ne sont en acte que lorsqu'elles passent à l'existence (comme le dit encore Sescho aujourd'hui dans sa réponse à Bruno concernant l'entendement: elles "viennent à être en acte", retournant par là à Aristote au lieu de tenir compte de la révolution cartésiano-spinoziste à ce sujet), comment comprendre la différence entre exister et ne pas exister? Car avant (avant Descartes et Spinoza), d'abord l'essence ou forme d'une chose était dans l'entendement divin, tandis que la chose n'existe pas encore à proprement parler; elle ne commence à "exister" que lorsqu'on ajoute une "matière" à cette forme, lorsque la forme "informe" une matière (comme vous le savez). Là, la chose passe à l'existence (dans le christianisme: elle est créée). Après, à sa mort, le composé "forme-matière" se défait de nouveau: la chose n'existe plus. Aussi longtemps que la chose n'existe pas encore, on disait qu'elle est "en puissance": son essence est déjà dans l'entendement, donc elle a la possibilité d'exister, mais elle n'existe pas encore "en acte". Or chez Spinoza tout est toujours en acte. Alors que "fait" la chose avant d'être créée, dans ce cas?

Spinoza répond très clairement à cette question, et répète sa réponse plusieurs fois. Il distingue entre deux façons d'exister: "exister dans un temps et un lieu précis" (ce qui correspond à l'ancien sens d'exister ou d'être créé, et à ce que Sescho continue à appeler "exister" ou "être en acte" tout court), et "exister en Dieu". Dans les deux cas, dit-il, la chose existe en acte, dans les deux cas il y a une "existence actuelle". Du coup, il ne parle plus d'une chose comme étant "composée" d'une forme ou essence et d'une matière, il reprend (à sa façon) le couple scolastique "essence objective - essence formelle"(TIE), ou "être objectif - être formel" (Ethique).

Les propositions qui introduisent cette distinction entre deux manières d'exister en acte sont: E2P8 corollaire, E2P45 et son scolie, E5P29 scolie.


Là, je m'insurge totalement, comme je l'ai déjà fait quand nous discutions sans fin de l'essence de l'homme, sur votre lecture finaliste des trois références ci-dessus.
Je ne vois pas du tout, en effet, que ces textes disent ce que vous avancez, à savoir qu'une chose singulière serait "en acte" alors même qu'elle n'est pas existante. Une telle lecture aboutit, de mon point de vue, à une réécriture "chrétienne" de l'ontologie de l'Ethique.
E2P8 par exemple est clair : De là suit qu'aussi longtemps que les choses singulières n'existent pas, sinon en tant qu'elles sont comprises dans les attributs de Dieu, leur être objectif, autrement dit leurs idées, n'existent pas, sinon en tant qu'il existe une idée infinie de Dieu ; et quand les choses singulières sont dites exister, non seulement en tant qu'elles sont comprises dans les attributs de Dieu, mais en tant également qu'elles sont dites durer, leurs idées également envelopperont l'existence, par quoi elles sont dites durer.
De manière limpide pour moi, cela signifie ceci : l'essence singulière de Louisa n'est pas constituée de toute éternité ; son essence ne sera singularisée comme telle que quand Louisa passera à l'existence, et pas avant. Elle disparaîtra de la même manière à sa mort. En revanche, et par définition des attributs, les "matériaux" attributifs à partir desquels sera constituée l'idée singulière de Louisa sont bien là de toute éternité, ils étaient là avant sa naissance, ils seront toujours là après, et il n'appartient qu'au processus de la nature de la reproduire ultérieurement, les "matériaux" étant toujours présents en Dieu, hypothèse statistiquement très improbable bien évidemment, selon les lois de la génétique.


ok, après relecture de cette proposition, je crois avoir compris comment la lire telle que vous le proposez. D'abord, encore une fois, la conception de l'existence que vous développez ici me semble, considérée en elle-même, être tout à fait cohérente et intéressante. Néanmoins, je continue à penser qu'elle n'est pas spinoziste. Voici pourquoi.

Primo, il faut peut-être dire que lorsqu'il s'agit de comprendre ce que Spinoza veut dire par "exister en acte", cette proposition n'est pas tout à fait pertinente puisque ni dans sa formulation ni dans sa démonstration ni dans le corollaire ou scolie, on retrouve l'expression "en acte". Bien sûr, c'est bien moi qui l'avait mentionné pour appuyer ma thèse qu'avant de naître dans le monde "temporel", une chose existe déjà en acte chez Spinoza, mais si je vois comment vous lisez l'E2P8, je crois qu'il faudra prendre les deux autres références avec avant de pouvoir la lire telle que je la lis moi-même.

Pourtant, segundo, il me semble qu'il y a tout de même déjà quelque chose dans la proposition même qui rend votre lecture pas tout à fait correcte. Vous dites que les "matériaux" qui vont constituer mon essence à moi sont déjà présents dans l'attribut de toute éternité, mais ne sont pas encore "assemblé" aussi longtemps que je n'existe pas au sens de "durer". Mon problème est double:
1. d'abord Spinoza dit que ce qui constitue l'essence de l'idée singulière que je suis (autrement dit mon Esprit), ce sont mes idées adéquates et inadéquates. Comment ces idées pourraient-elle déjà exister avant que je ne naisse, si pour vous il est absurde de dire que l'ensemble de ces idées (= l'idée singulière que je suis) ne pourrait pas déjà exister avant que je ne naisse?
2. Spinoza ne dit pas que ce qui me "constitue" existe déjà avant ma naissance, il dit que mon "essence objective" (= idée singulière que je suis) et mon "essence formelle" existent de toute éternité en Dieu, donc aussi lorsque je ne suis pas encore née. Car c'est bel et bien mon essence formelle qui est déjà contenue dans l'attribut avant que je n'existe au sens de durer, donc avant de naître (et après). C'est pour cette raison que je crois que Spinoza ici introduit déjà sa distinction de deux types d'existence actuelle, mais sans déjà parler d'existence en acte, sans déjà clairement nommer les deux "actuelles". Il le fera dans les deux autres références que j'avais données, mais aussi ailleurs. Et il a tout à fait besoin de cette idée d'une existence en acte de l'idée singulière que je suis et de mon essence formelle avant et après ma "vie" pour pouvoir travailler avec la notion d'éternité de mon Esprit, car si mon essence objective et formelle n'était "en acte" que pendant la vie, il est évident qu'on ne peut pas dire que je suis éternelle. Pourtant il dit explicitement: "Si nous prêtons attention à l'opinion commune des hommes, nous verrons qu'ils sont, certes, conscients de l'éternité de leur Esprit" (E5P34 scolie). Et le troisième genre de connaissance consiste précisément à apprendre à "voir" cette éternité pour ce qu'elle est, et non pas pour une continuation infinie de notre "mémoire", par exemple.

Enfin, je crois donc que ce serait intéressant d'essayer d'analyser de plus près les deux autres références citées ci-dessus, afin de voir dans quelle mesure il y a effectivement les deux types d'existence en acte dont je parle, mais avant de ce faire, j'attends peut-être d'abord vos commentaires sur ce que je viens de dire par rapport à votre lecture de l'E2P8.

Sinusix a écrit :Si tel n'est pas le cas, on revient à une doctrine de "préformation" en Dieu de toutes les choses singulières passées, présentes et à venir, autrement dit à une construction préformée dans l'entendement infini de Dieu de toutes les choses singulières passées, présentes et à venir, autrement dit à une vision revue et corrigée du Dieu Omniscient et Omnipotent qui nous a conçu et nous connaît tous individuellement, etc., etc. Or, justement, Dieu "s'évite" de devoir avoir tout prévu en ne "fonctionnant" que suivant les lois de nécessité de sa nature. De toute éternité, il n'a eu aucune préoccupation de Louisa en particulier, mais il appartient à Louisa d'aimer en lui le fait qu'il lui a permis de "le contempler" en dépit des conditions parfois très dures auxquelles lesdites lois de la nécessité l'auront confrontée.


à mon avis, Spinoza a tout à fait prévu ce type d'objections, dans le même scolie de l'E5P34 mais aussi déjà dans l'E5P23 scolie: "Et pourtant il ne peut se faire que nous nous souvenions d'avoir existé avant le Corps puisqu'il ne peut y en avoir de traces dans le Corps, et puisque l'éternité ne peut ni se définir par le temps ni avoir aucun rapport au temps. Et néanmoins nous sentons et savons d'expérience que nous sommes éternels".

Bien sûr, moi aussi je suis enfant du XXe siècle, donc de prime abord moi aussi j'ai la même réaction que n'importe qui sur ce forum: non, moi je ne sens absolument pas que je suis éternelle, je suis certaine de ne pas avoir existé avant ma naissance, et je ne crois pas que je continuerai à "exister en acte" après ma mort. Or pour moi cela signifie juste qu'il va falloir réfléchir un peu avant de pouvoir bien comprendre ce que Spinoza dit, on ne peut pas déjà dire que du point de vue du spinozisme, nous ne sommes pas éternels, notre essence ou l'idée singulière que je suis n'existe pas éternellement en Dieu et donc aussi avant ma naissance etc. Ce qui nous paraît de prime abord absurde à nous, lecteurs de Spinoza, à mes yeux ne peut absolument pas être un critère pour pouvoir savoir ce que Spinoza dit. Je crois que si Spinoza dit des choses qui à nos yeux sont des absurdités, il faut tout simplement pouvoir le reconnaître. Cela n'a rien à voir avec l'hypothèse formulée par Vieordinaire, et qui consiste à dire que Spinoza trouverait lui-même absurde ce qu'il propose. Cela signifie juste qu'on ne peut pas réfuter une interprétation qui se base sur le texte simplement en disant que Spinoza ne peut pas avoir dit cela parce que pour nous cette idée est devenue absurde (pourtant, il est clair que ces derniers temps ce type de réfutations est très présent sur ce forum, qu'on pense à certaines choses écrites par Durtal, Sescho, Vieordinaire et autres).

En tout cas, il me semble difficile de nier que Spinoza dit que notre Esprit est éternel. Il faut donc pouvoir comprendre cette éternité au sein même de sa pensée, sinon on risque de rester au seuil du spinozisme, sans le penser vraiment. Et ce qu'il en dit, c'est que l'éternité ne s'explique par par le temps. Par conséquent, la notion de "pré-formé" ne me semble pas être très pertinente pour comprendre l'éternité spinoziste, car justement, elle réfère au temps.

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :
Ces propositions et la distinction qu'elles apportent sont cruciales, puisque justement, tout le troisième genre de connaissance en dépend. Comme Spinoza le dit en l'E5P29, le troisième genre consiste à comprendre une chose, un Corps non pas dans son "existence présente actuelle" (c'est-à-dire en tant qu'il est en acte dans le temps), mais dans son éternité (c'est-à-dire en tant qu'il est éternellement en acte en Dieu).


Là, comme d'autres, je suis intéressé par toute expérience singulière communicable en clair qui me permettrait de comprendre le 3ème genre, sous cet aspect de l'éternité. Pour l'instant, j'arrive toujours à envisager de comprendre, merci Proust, quelques communications intersubjectives.


Spinoza dit en tout cas qu'il a trouvé un moyen pour communiquer cette expérience, c'est même la raison principale pour laquelle il dit avoir écrit son oeuvre. Je ne crois pas avoir autant de capacités philosophiques que lui, donc il est peu probable que je puisse communiquer ce type d'expérience plus clairement que lui. En ce qui me concerne, je ne peux que vous dire que comme Aurinko (si je ne m'abuse), je crois avoir eu vers mes 16 ans une expérience qui ressemble fort à ce que je crois pour l'instant avoir compris du 3e genre de connaissance. Mais bien sûr, je ne pourrai la décrire qu'en les termes de l'Ethique et cela seulement dans la mesure où je suis aujourd'hui capable de les reformuler, ce qui à mon sens ne vaut pas encore grand-chose, en ce qui concerne sa "communicabilité". Puis absolument rien ne garantit que c'était bel et bien d'une telle expérience que Spinoza voulait parler.

Ceci étant dit, je ne crois pas qu'il faille d'abord avoir eu l'une ou l'autre expérience singulière du troisième genre avant de pouvoir comprendre ce que Spinoza en dit. Si c'était le cas, l'Ethique serait un livre totalement ésotérique, compréhensible uniquement pour ceux qui pensaient déjà comme Spinoza, ce que la méthode du more geometrico à mon sens conteste de manière absolue.

Par conséquent, il n'y a qu'un moyen pour essayer de mieux comprendre en quoi consiste le troisième genre de connaissance et donc la Béatitude spinoziste: c'est d'essayer d'analyser collectivement le texte, d'en donner des interprétations différentes et de comparer celles-ci à l'aide d'arguments et d'objections etc.

Sinusix a écrit :
louisa a écrit :(CONSEQUENCE).
Si tout est toujours déjà en acte et un projet éthique doit avoir un sens, il faut repenser l'éthique de fond en comble (ce que beaucoup de lecteurs de Spinoza ne veulent pas faire; en dehors de l'éthique basée sur des notions de "être en puissance de" qui s'oppose à l'acte, et des notions morales telles que "vice" etc., pour eux il n'y a aucune éthique pensable). Car alors le devenir (plus heureux) n'est plus une question d'actualiser ce qui au début n'est qu'en puissance, le devenir devient une question d'augmenter une puissance. Au lieu de se poser la question "comment vais-je actualiser ce que potentiellement j'ai en puissance?", la question éthique devient: "comment vais-je augmenter la puissance en acte que je suis?".


Je conçois, en effet, que dans une vision "préformée" des choses, il faut aller consulter Calvin ou ses congénères et que le chameau va refaire son apparition.


en effet. Mais comme le dit Spinoza: l'éternité n'a rien à voir avec la mémoire ou l'imagination. Dieu ne s'imagine pas d'abord notre essence avant que celle-ci n'existe en acte, et cela non pas parce que Dieu ne pense notre essence qu'à partir du moment où elle est dite durer, mais parce que Dieu ne pense pas en termes de temps, il n'y a que les humains ou les modes qui introduisent le temps dans la perception et conception des choses. C'est là qu'une "détermination" ou un déterminisme n'a plus rien à voir avec l'un ou l'autre "pré-formation" ou "pro-vidence" (de pro, avant, et videre, voir, donc "voir avant"; la Providence voit les choses avant nous, ou avant qu'elles n'arrivent "en acte" ou réellement; or Spinoza n'utilise que très rarement ce terme pour désigner la divinité).

Sinusix a écrit :
Louisa a écrit :
L'aliénation, terme que Sescho utilise ci-dessus et qui est tout à fait cohérent avec une pensée traditionnelle de l'éthique, signifie qu'une chose n'arrive pas à actualiser son potentiel (en principe parce quelque obstacle extérieur lui en empêche, comme l'a rappelé Durtal dans l'autre fil, et/ou parce qu'il y aurait une "contrainte intérieure" comme le rappelle Sescho). En effet, lorsqu'on part d'une éthique traditionnelle (c'est-à-dire une morale; Sescho semble distinguer l'éthique d'une morale en suggérant que l'éthique c'est l'application d'une morale mais d'une telle façon que celui qui vient de détecter un "vice" chez quelqu'un, réussit à ne pas paniquer, à garder un certain calme intérieur; il est évident que je ne suis pas d'accord avec une telle définition de l'éthique), alors le mot "aliénation" est tout à fait pertinent. Le projet éthique consiste alors à "devenir-soi", à être "authentiquement soi" etc. (selon le philosophe (Heidegger, ...) on a une autre manière d'appeler cet état de non aliénation). Dès lors, on comprend que Sescho craint qu'il n'y ait plus d'éthique du tout lorsqu'on dit que tout est toujours déjà en acte. Car alors il n'y a plus d'aliénation non plus, tandis que cette notion est au centre de toute morale traditionnelle.


Et oui, je comprends les problèmes auxquels on arrive dans ce cas.


oui, c'est parce que je m'y attendais que j'ai voulu m'y attarder un instant. Mais comme vous semblez apprécier Deleuze: ce qu'il dit dans l'Abécédaire, c'est que très souvent la philosophie n'est pas une activité tout à fait paisible/douce/innocive, souvent elle "fend le crâne", il y a une violence inhérente à la philosophie elle-même, du moins aussi longtemps qu'on a pas encore appris à remettre en question ses plus profondes évidences. Car celles-ci, déjà depuis Socrate, en philosophie ne sont considérées que comme des habitudes de pensée, contractée tout à fait par hasard. C'est pour cette raison même que beaucoup de philosophes ont réellement subi des attaques très violentes de la part de leurs collègues (attaques verbales) et de la société entière (attaques souvent physiques). Spontanément, on a tendance à s'identifier à ses idées, et donc remettre en cause ces idées est ressenti comme n'étant rien moins que de mettre en cause l'identité même de celui à qui l'on s'adresse (et je crois que longtemps, notamment sur ce forum, j'ai moi-même très fort sous-estimé ce phénomène).

Enfin, tout ceci donc pour vous dire qu'à mes yeux le fait qu'une philosophie ne soit que très difficilement pensable à partir d'un point de vue extérieur à elle, en l'occurrence que l'éthique spinoziste est inconcevable aussi longtemps qu'on pense en les termes d'une éthique traditionnelle, ne peut pas constituer une objection en tant que telle. Il s'agit plutôt d'une invitation à penser les choses différemment. Ce à quoi finalement les sciences, dans leurs moments de grandes découvertes (moments révolutionnaires), nous invitent aussi, non?

Sinusix a écrit :
louisa a écrit :
Chez Spinoza la question éthique par excellence n'est plus: "comment vais-je faire pour ne pas m'aliéner de moi-même (ou de l'Homme Accompli, ou de l'Essence de l'homme dans sa "pleine" puissance) etc?" Elle devient: "comment vais-je faire pour changer de puissance, pour augmenter ma puissance?". Ici on n'abolit pas tout projet éthique, on change de projet éthique, puisqu'on change de problème, on pense l'éthique différemment (dans l'espoir, bien sûr, d'obtenir ainsi un plus grand bonheur, plus de paix sociale etc., pas juste pour embêter les gens avec de nouveaux concepts, pas juste pour bousculer un peu leurs habitudes de pensées ordinaires).


Là je décroche, faute de raccrocher au contexte de ce paragraphe elliptique.


ok, je crois qu'en effet il faudrait probablement d'abord approfondir la notion de la puissance avant que ce que j'essaie de dire ci-dessus puisse être claire (et avant qu'éventuellement vous puissiez donner des objections concrètes et peut-être concluantes par rapport à ce que j'en dis).
Amicalement,
L.


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