Hokousai a écrit :Sescho a écrit :Mais je répète que l'introduction du Mouvement avant celles du mobile, de l'espace et du temps est assez "osée" (mais géniale.)
c'est ce que dit Aristote( du moins dans le traité de la génération ) et c 'est ce que j'ai des difficultés à comprendre .D 'un autre coté il dit que l'acte est antérieur à la puissance .
Que le mouvement soit antérieur aux choses mues ? Je le comprends alors comme : le manque (la privation) est antérieure aux choses qui acquièrent une stabilité immobilité en acte/ entéléchie )
(rapidement en passant...)
Pour autant que je l'aie compris, chez Aristote l'acte est en effet antérieur à la puissance, seulement ici ce qui est en acte et ce qui est en puissance, ce n'est pas la même chose (autrement dit, ce n'est pas que ce qui d'abord fût en acte soit ensuite en puissance). Le premier mouvant (traduction plus littérale que "moteur", et plus correcte, me semble-t-il, puisque justement il n'est pas en mouvement lui-même) immobile est pure forme, et n'a aucune matière. Ce qu'il met en mouvement, c'est la seule chose qui peut subir du changement ou du mouvement, c'est-à-dire la matière. Celle-ci est une multiplicité de "formes" mais seulement "en puissance", au sens où la matière est "aspirée" par le premier mouvant, et se laisse ainsi à chaque fois "informer", tandis que "en soi", aucune forme n'est actualisée en elle. C'est donc la matière qui contient toutes choses en puissance, choses qui ensuite les unes après les autres s'actualisent (puis disparaissent de nouveau).
La forme de l'Homme, par exemple, peut s'unir à une partie de la matière, pour donner lieu à l'individu Socrate. Mais cette unification demande tout un processus, où l'on passe d'un foetus à un bébé à l'adulte Socrate. Pendant tout ce processus, la matière perd de plus en plus de sa puissance, est de moins en moins "l'Homme en puissance" pour devenir de plus en plus un homme en acte.
Les choses singulières sont ainsi les deux, chez Aristote: d'abord en puissance, puis en acte (c'est-à-dire effectuant une forme), tandis que le premier mouvant, étant une pure forme, est toujours en acte, il ne doit pas passer par un stade où il est seulement en puissance et n'existe pas encore réellement, il existe toujours déjà, il existe de toute éternité, et cela précisément parce qu'il est pure forme ou essence. Seules les formes ont une éternité, donc ne peuvent pas ne pas exister. Les choses singulières, en revanche, sont toujours des composés d'une forme et d'une matière, donc n'existent qu'en tant que "composé", et par conséquent n'existent pas aussi longtemps qu'elles n'ont pas de matière, et n'existeront plus lorsque le composé se défait. Elles sont donc périssables, susceptibles de "génération et corruption", mais cela seulement parce qu'elles ne sont pas des formes pures, elles sont des composés, et tout ce qui est composé de matière est périssable, donc peut à un certain moment être en puissance et pas encore en acte.
Or il faut bien que quelque chose informe une matière avant qu'une chose singulière puisse exister. Il faut donc bien qu'il y ait quelque chose d'autre que la matière, qu'il y ait quelque part une forme antérieure à la matière, sinon tout resterait toujours en puissance, aucun acte ne serait possible. Ainsi, parmi toutes les formes il y en a une qui n'a pas besoin de matière pour pouvoir exister, mais qui est pure forme, donc forcément acte pur.
Enfin, en ce qui me concerne cette antériorité de l'acte par rapport à la puissance chez Aristote ne me pose donc pas trop de problèmes (du moins à un premier niveau de compréhension, après tout se complique bien sûr), il suffit de bien tenir compte de ce à quoi réfèrent chez lui les termes "acte" et "puissance" pour que le paradoxe soit résolu.
Or pour la même raison cela me semble être assez difficile de retraduire tout ceci en du spinozisme, puisque justement, entre-temps le sens des mots "puissance" et "acte" a tout à fait changé. Ce qui était matière chez Aristote devient
mutatis mutandis "essence formelle" chez Spinoza, et ce qui était la forme devient l'essence objective ou l'idée chez Spinoza. Du coup, l'essence formelle existe elle aussi de toute éternité, au lieu d'être périssable. Ce n'est que
sub specie durationis que chez Spinoza les choses sont périssables. Le temps ici n'est plus le propre de la matière, il est propre au point de vue modal, qui plus est, à l'imagination. Par conséquent, l'essence formelle est à la fois puissance et acte (autrement dit, être en acte signifie désormais agir (et non plus actualiser), et avoir une puissance signifie désormais exercer un pouvoir (et non plus n'effectuer aucun pouvoir), même lorsqu'il s'agit d'une chose singulière. L'idée d'exister dans le temps ou de mourir ne devient qu'un point de vue sur le réel, point de vue imaginaire qui plus est.
Bonne fin d'année à vous tous!
L.
(PS: ceci est écrit rapidement, si quelque chose n'est pas clair, toute question est bienvenue)
PPS: je crois qu'il est important de tenir compte du fait que dans le spinozisme le mode infini immédiatement produit par l'Etendue est non pas "le Mouvement", mais toujours l'ensemble "mouvement et repos", il s'agit donc d'un rapport entre les deux, rapport qui reste constant lors de toute affection de l'attribut de l'Etendue; le
facies totius universi ou mode infini produit médiatement par l'Etendue (produit c'est-à-dire par la médiation du mode "mouvement et repos") est le résultat d'ensemble de toutes ces affections à tel ou tel "moment" de l'univers. On a ainsi une succession de différentes "configurations" de tout l'univers, respectant toujours le même rapport (
ratio) de "mouvement et de repos", ou si l'on veut la même
quantité de mouvement et de repos (d'énergie?) totale (pour plus d'infos à ce sujet, voir l'excellent
Spinoza. La science mathématique du salut de Françoise Barbaras). A mon avis, ceci est tellement spécifique à Spinoza qu'il est difficile de comparer ce qu'Aristote dit du mouvement avec le mode infini immédiat qu'est le "mouvement et repos". Mais bon, que cela n'empêche personne d'essayer de développer davantage une telle comparaison, bien sûr (je ne dis que ce que j'en pense pour l'instant, cela vaut ce que cela vaut).