Hokousai a écrit :Ch. Ramond a écrit :Spinoza et Descartes construisent ainsi l'idée paradoxale d'un Dieu "tout-puissant" qui serait entièrement "en acte",
Mais enfin Ramond doit bien savoir ( ou alors ‘cest grave ) que le premier moteur d Aristote est entièrement en acte jamais puissance ni en puissance .Dieu chez Aristote c’est l’ousia energeia . Le premier moteur n’a pas de puissance .
Ce qui devient paradoxal est que c’est qu’Aristote a la position attribué par Ramond à Descartes et Spinoza , lesquels eurent probablement un rapport filtré à Aristote …et continue sur une théorie scolastique de la création )
Cher Hokousai,
je ne crois pas que ce que vous écrivez ici corresponde à ce que dit Ramond. Je reprends ce qu'il écrit:
Ch.Ramond a écrit :"On oppose, depuis Aristote comme dans la conversation courante, ce qui est "en puissance" à ce qui est "réalisé" ou "en acte", comme le "virtuel" au "réel". La notion de "puissance" enveloppe donc le plus souvent, explicitement ou implicitement, une certaine négativité, ce qui est "en puissance" étant conçu comme incomplet, inachevé, ou à réaliser. Chez Spinoza au contraire, la puissance est positivité, être, affirmation. C'est une position originale et difficile."
(...)
"La critique des notions de possibilité, ou de virtualité, est un trait caractéristique de l'esprit mécaniste du XVIIe siècle: la science va se détourner des "vertus" des choses, c'est-à-dire de leurs "qualités occultes", pour essayer de construire le savoir de ce qui est quantifiable. Le rejet de ce qu'il y a de virtuel dans toute forme de puissance est donc un mouvement naturel à la modernité. Spinoza et Descartes construisent ainsi l'idée paradoxale d'un Dieu "tout-puissant" qui serait entièrement "en acte", c'est-à-dire pleinement réalisé, exempt de toute déficience ontologique - Spinoza poursuivant seul l'entreprise en identifiant puissance et acte dans les choses singulières. Les difficultés que peut poser la notion de "puissance" proviennent sans doute de ce choix de définir la puissance par son contraire, plutôt que de renoncer simplement à l'usage du terme comme du concept."
Vous dites: le premier moteur est entièrement en acte chez Aristote. Cela est bien sûr vrai, mais d'abord Ramond ne parle pas du premier moteur chez Aristote, il parle de sa conception générale du terme "puissance". Qu'est-ce qu'il en dit? Que
chez Aristote, la notion de puissance est toujours utilisée dans l'expression "être en puissance", et son sens s'oppose à "être en acte". Par conséquent, ce qui chez Aristote est pleinement en acte ne peut pas en même temps être en puissance, car justement, ce qui est en puissance est définie par le fait de ne pas encore être en acte (ce que vous dites (que le premier moteur est entièrement en acte) correspond donc parfaitement à ce que dit Ramond d'Aristote, car justement, le premier moteur n'est pas du tout un moteur "en puissance").
Puis, ajoute-t-il, il se fait que le sens commun aujourd'hui a tendance à entendre le mot "puissance" de la même façon (en effet, si l'on regarde ce qu'on a dit sur ce forum pour l'instant, je crois que ce constat est tout à fait confirmé).
Qu'est-ce qui change avec Descartes et Spinoza? Le sens même du terme "puissance". A partir de là, le mot "puissance" est utilisé dans le premier sens que lui donne Le Petit Robert: celui de moyen pour faire quelque chose, de pouvoir (comme le précise l'E4Déf.8, le pouvoir de produire des effets).
Pour les deux, Descartes et Spinoza, avoir une puissance, produire un effet ou agir deviennent donc des synonymes. Or chez Aristote ce qui est en puissance par définition n'agit pas. On assiste ici donc à une petite révolution conceptuelle (comme l'histoire de la philosophie en a connu beaucoup et en connaît toujours beaucoup).
Spinoza va aller encore un pas plus loin en étendant cette nouvelle définition de la puissance aux choses singulières mêmes, au lieu de la limiter à Dieu seul. Désormais, rien n'est "en puissance" (au sens de ne pas encore pleinement agir), tout est toujours déjà entièrement en acte, mêmes les choses singulières.
Ceci a une conséquence et pose au moins un problème:
PROBLEME.
Si les choses singulières sont toujours déjà en acte, alors que traditionnellement elles ne sont en acte que lorsqu'elles passent à l'existence (comme le dit encore Sescho aujourd'hui dans sa réponse à Bruno concernant l'entendement: elles "viennent à être en acte", retournant par là à Aristote au lieu de tenir compte de la révolution cartésiano-spinoziste à ce sujet), comment comprendre la différence entre exister et ne pas exister? Car avant (avant Descartes et Spinoza), d'abord l'essence ou forme d'une chose était dans l'entendement divin, tandis que la chose n'existe pas encore à proprement parler; elle ne commence à "exister" que lorsqu'on ajoute une "matière" à cette forme, lorsque la forme "informe" une matière (comme vous le savez). Là, la chose passe à l'existence (dans le christianisme: elle est créée). Après, à sa mort, le composé "forme-matière" se défait de nouveau: la chose n'existe plus. Aussi longtemps que la chose n'existe pas encore, on disait qu'elle est "en puissance": son essence est déjà dans l'entendement, donc elle a la possibilité d'exister, mais elle n'existe pas encore "en acte". Or chez Spinoza tout est toujours en acte. Alors que "fait" la chose avant d'être créée, dans ce cas?
Spinoza répond très clairement à cette question, et répète sa réponse plusieurs fois. Il distingue entre deux façons d'exister: "exister dans un temps et un lieu précis" (ce qui correspond à l'ancien sens d'exister ou d'être créé, et à ce que Sescho continue à appeler "exister" ou "être en acte" tout court), et "exister en Dieu". Dans les deux cas, dit-il, la chose existe en acte, dans les deux cas il y a une "existence actuelle". Du coup, il ne parle plus d'une chose comme étant "composée" d'une forme ou essence et d'une matière, il reprend (à sa façon) le couple scolastique "essence objective - essence formelle"(TIE), ou "être objectif - être formel" (
Ethique).
Les propositions qui introduisent cette distinction entre deux manières d'exister en acte sont: E2P8 corollaire, E2P45 et son scolie, E5P29 scolie. Ces propositions et la distinction qu'elles apportent sont cruciales, puisque justement, tout le troisième genre de connaissance en dépend. Comme Spinoza le dit en l'E5P29, le troisième genre consiste à comprendre une chose, un Corps non pas dans son "existence présente actuelle" (c'est-à-dire en tant qu'il est en acte dans le temps), mais dans son éternité (c'est-à-dire en tant qu'il est éternellement en acte en Dieu).
CONSEQUENCE.
Si tout est toujours déjà en acte et un projet éthique doit avoir un sens, il faut repenser l'éthique de fond en comble (ce que beaucoup de lecteurs de Spinoza ne veulent pas faire; en dehors de l'éthique basée sur des notions de "être en puissance de" qui s'oppose à l'acte, et des notions morales telles que "vice" etc., pour eux il n'y a aucune éthique pensable). Car alors le devenir (plus heureux) n'est
plus une question d'actualiser ce qui au début n'est qu'en puissance, le devenir devient une question d'augmenter une puissance.
Au lieu de se poser la question "comment vais-je actualiser ce que potentiellement j'ai en puissance?", la question éthique devient: "comment vais-je augmenter la puissance en acte que je suis?". L'aliénation, terme que Sescho utilise ci-dessus et qui est tout à fait cohérent avec une pensée traditionnelle de l'éthique, signifie qu'une chose n'arrive pas à actualiser son potentiel (en principe parce quelque obstacle extérieur lui en empêche, comme l'a rappelé Durtal dans l'autre fil, et/ou parce qu'il y aurait une "contrainte intérieure" comme le rappelle Sescho). En effet, lorsqu'on part d'une éthique traditionnelle (c'est-à-dire une morale; Sescho semble distinguer l'éthique d'une morale en suggérant que l'éthique c'est l'application d'une morale mais d'une telle façon que celui qui vient de détecter un "vice" chez quelqu'un, réussit à ne pas paniquer, à garder un certain calme intérieur; il est évident que je ne suis pas d'accord avec une telle définition de l'éthique), alors le mot "aliénation" est tout à fait pertinent. Le projet éthique consiste alors à "devenir-soi", à être "authentiquement soi" etc. (selon le philosophe (Heidegger, ...) on a une autre manière d'appeler cet état de non aliénation). Dès lors, on comprend que Sescho
craint qu'il n'y ait plus d'éthique du tout lorsqu'on dit que tout est toujours déjà en acte. Car alors il n'y a plus d'aliénation non plus, tandis que cette notion est au centre de toute morale traditionnelle. Chez Spinoza la question éthique par excellence n'est plus: "comment vais-je faire pour ne pas m'aliéner de moi-même (ou de l'Homme Accompli, ou de l'Essence de l'homme dans sa "pleine" puissance) etc?" Elle devient: "comment vais-je faire pour changer de puissance, pour augmenter ma puissance?".
Ici on n'abolit pas tout projet éthique, on change de projet éthique, puisqu'on change de problème, on pense l'éthique différemment (dans l'espoir, bien sûr, d'obtenir ainsi un plus grand bonheur, plus de paix sociale etc., pas juste pour embêter les gens avec de nouveaux concepts, pas juste pour bousculer un peu leurs habitudes de pensées ordinaires).
Hokousai a écrit :louisa a écrit :
alors que la Nature spinoziste est tout à fait "aveugle", n'agit pas en vertu de telle ou telle fin.
Non je ne pense pas que ce soit la conviction intime de Spinoza .
- si vous voulez dire que vous êtes d'accord pour dire que dans l'
Ethique Spinoza dit littéralement que Dieu n'agit pas en vertu d'une fin mais que vous croyez que jamais Spinoza n'a pu croire lui-même en cette idée: c'est bien possible, je ne vois pas comment on pourrait avoir accès aux convictions "intimes" de Spinoza en lisant juste un texte. Là, on entre dans le domaine de la spéculation non plus philosophique mais disons "absolu". D'autre part, pour moi la philosophie est précisément l'activité par excellence qui nous apprend à penser différemment que d'habitude, à penser autre chose que ce qu'on trouve tout à fait évident soi-même. Que Spinoza ait proposé des idées qui vont à l'encontre de nos évidences me semble donc être tout à fait normal. En tant que philosophe, c'était bien ça son boulot.
- si vous voulez dire que selon vous dans l'
Ethique Spinoza dit que Dieu agit en vertu d'une fin: quel passage vous le fait penser plus précisément?
L.